*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 73912 ***





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                             OBSERVATIONS

                                  SUR

                             L’ORTHOGRAPHE

                             OU ORTOGRAFIE

                              FRANÇAISE.




                             OBSERVATIONS
                                  SUR
                             L’ORTHOGRAPHE
                             OU ORTOGRAFIE
                               FRANÇAISE
                             SUIVIES D’UNE
                 HISTOIRE DE LA RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE
                DEPUIS LE XVe SIÈCLE JUSQU’A NOS JOURS

                                  PAR
                         AMBROISE FIRMIN DIDOT

                           DEUXIÈME ÉDITION
                  REVUE ET CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉE


                                 PARIS


                 TYPOGRAPHIE DE AMBROISE FIRMIN DIDOT
              IMPRIMEUR-LIBRAIRE DE L’INSTITUT DE FRANCE
                             RUE JACOB, 56

                                 1868




                              A MESSIEURS
                                  DE
                         L’ACADÉMIE FRANÇAISE

                          HOMMAGE RESPECTUEUX

                                OFFERT

                       PAR AMBROISE FIRMIN DIDOT
              IMPRIMEUR-LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE




  OBSERVATIONS
  SUR
  L’ORTHOGRAPHE
  OU ORTOGRAFIE
  FRANÇAISE.


Remédier aux imperfections encore si nombreuses de notre orthographe,
imperfections qui démentent la logique et la netteté de l’esprit
français, serait chose bien désirable à un double point de vue: le bon
et rapide enseignement de la jeunesse, la propagation de notre langue
et de ses chefs-d’œuvre. Mais cette tâche est bien plus difficile que
ne le supposent ceux qui, frappés des abus, ne se sont pas rendu compte
de la nature des obstacles, ainsi que des efforts divers tentés depuis
trois siècles pour la solution d’un problème aussi compliqué.

C’est à l’Académie française, à cause même de sa légitime influence
sur la langue et de l’autorité de son Dictionnaire, devenu depuis
longtemps le Code du langage, qu’il convient d’examiner, en vue de la
nouvelle édition qu’elle prépare, les modifications à introduire dans
l’orthographe, pour satisfaire, dans une juste mesure et conformément à
ses propres précédents, aux vœux le plus généralement manifestés.

Fidèle à son institution et à sa devise, l’Académie, tout en tenant
compte des nécessités du présent, jette au loin ses regards sur
l’avenir pour conduire, de degré en degré, la langue française à sa
perfection.

Grâce aux améliorations successivement introduites par l’Académie dans
les six éditions de son Dictionnaire, améliorations attestées par la
comparaison de celle de 1835 avec la première de 1694, ce qui reste à
faire dans notre orthographe est peu considérable, et pourrait même
être admis en une seule fois, si l’Académie se montrait aussi hardie
qu’elle l’a été dans sa troisième édition.

Jusqu’au commencement de ce siècle, son Dictionnaire, moins répandu,
n’avait pas acquis l’autorité dont il jouit universellement; de sorte
qu’il restait à chacun quelque liberté pour modifier l’orthographe,
soit dans le manuscrit, soit dans l’impression[1]. C’est ainsi
qu’avaient pu et que pouvaient encore se faire jour les préférences en
matière d’écriture de ceux qu’on nommait alors «les honnêtes gens» et
dont la manière était désignée sous ce nom: l’_Usage_.

      [1] Ainsi mon père et mon oncle, dès 1798, s’écartant de
      l’orthographe traditionnelle, avaient remplacé, dans leurs
      éditions, l’_o_ par l’_a_, et imprimé _français_ et non
      _françois_, je _reconnais_ et non je _reconnois_, modification
      importante qui fut admise par l’Académie dans la dernière édition
      de son Dictionnaire de 1835.

      Maintenant toute rectification, quelque faible qu’elle soit,
      serait imprudente et même impossible. M. Sainte-Beuve est, je
      crois, le seul qui exige de ses imprimeurs de rétablir l’accent
      grave aux mots terminés en _ége_.

      Mais il résulte de l’inadvertance des compositeurs et même des
      correcteurs une série incessante d’hésitations d’où proviennent
      des fautes et des corrections très-coûteuses qui rendraient
      presque impossibles des impressions où chacun voudrait qu’on
      suivît les caprices de son orthographe. Le Dictionnaire de
      l’Académie est donc la seule loi.

Mais l’Usage, que l’Académie invoquait jusqu’en 1835 comme sa règle,
n’a plus aujourd’hui de raison d’être; le Dictionnaire est là qui
s’oppose à tout changement: chaque écrivain, chaque imprimerie, s’est
soumis à la loi: elle y est gravée; les journaux, par leur immense
publicité, l’ont propagée partout; personne n’oserait la braver. Ainsi
tout progrès deviendrait impossible, si l’Académie, forte de l’autorité
qu’elle a justement acquise, ne venait elle-même au-devant du vœu
public en faisant un nouveau pas dans son système de réforme, afin de
rendre notre langue plus facile à apprendre, à lire et à prononcer,
surtout pour les étrangers.

Que d’efforts et de fatigues quelques réformes pourraient encore
épargner aux mères et aux professeurs! que de larmes à l’enfance! que
de découragement aux populations rurales! Tout ce qui peut économiser
la peine et le temps perdus à écrire des lettres inutiles, à consulter
sa mémoire, souvent en défaut, profiterait à chacun. Car, avouons-le,
personne d’entre nous ne saurait s’exempter d’avoir recours au
Dictionnaire pour s’assurer s’il faut soit l’_y_ soit l’_i_ dans tel
ou tel mot; soit un ou deux _l_, ou _n_ ou _p_ dans tel autre; soit un
_ph_ ou un _th_; un accent grave ou un accent circonflexe, un tréma ou
un accent aigu, un trait d’union ou même la marque du pluriel, l’_s_ ou
le _x_, dans certains mots.

Il serait trop long d’énumérer ici les tentatives plus ou moins
sensées, plus ou moins téméraires, proposées depuis le commencement
du seizième siècle pour la simplification de l’orthographe: les unes,
trop absolues dans leur ensemble, dénaturaient le caractère et les
traditions de notre idiome; d’autres déroutaient et offensaient la vue
en altérant la simplicité de notre alphabet; d’autres, enfin, n’avaient
peut-être que le tort d’être prématurées et de contrarier des habitudes
contractées dès l’enfance, et d’autant plus tenaces qu’elles avaient
coûté plus de peine à acquérir. (Voy. l’Appendice D.) L’Académie seule,
quelquefois avec une grande hardiesse, a pu introduire et sanctionner
de sages modifications; toutes ont été accueillies avec reconnaissance
en France et dans les pays étrangers. C’est donc à sa sagesse de
juger dans quelles limites on devra céder au vœu manifesté par tant
de bons esprits durant plus de trois siècles. Les concessions qu’elle
croira devoir faire ne seront même que la conséquence de l’opinion
émise par elle en 1718 dans la préface de la deuxième édition de son
Dictionnaire: «Comme il ne faut point se presser de rejeter l’ancienne
orthographe, on ne doit pas non plus, dit-elle, faire de trop grands
efforts pour la retenir.»

Ces modifications seraient d’autant plus utiles et opportunes qu’elles
hâteraient le développement et la propagation de l’instruction
primaire dans nos campagnes, et l’enseignement de la langue française
aux Arabes, moyen le plus sûr de nous les assimiler[2]. Ce bienfait
s’étendrait même à tout l’Orient, où on se livre à de sérieux efforts
pour indiquer par des signes la prononciation des mots de notre
langue à ces populations aussi nombreuses que diverses[3]. Faciliter
l’écriture et la lecture de la langue nationale, c’est contribuer à la
répandre et à la maintenir.

      [2] M. le général Daumas a mis en pratique, et avec succès, le
      système de simplification d’orthographe dont on est redevable à
      M. Féline.

      [3] En ce moment, M. Pauthier me montre plusieurs Dictionnaires
      polyglottes imprimés à Yeddo. Dans celui qui est intitulé
      _San-gio-ben-ran, les Trois Langues synoptiques_, Yeddo, 1854,
      les mots japonais sont traduits en français, en anglais et en
      hollandais, et la prononciation y est figurée par des signes. Je
      vois donc au mot _ortographier_ la notation du son _phi_ figurée
      par le même signe qui est appliqué à _pi_ dans le mot _opiner_
      qui précède. Ainsi donc les Japonais, au lieu de prononcer
      _ortographier_, prononceront _ortograpier_, ou bien ils devront
      prononcer _ofiner_ au lieu d’_opiner_.

Avant même que François Ier, par son édit de Villers-Cotterets, du 10
août 1539, eût rendu officielle la langue française, en bannissant
le latin de tout acte public, beaucoup de grammairiens et de savants
imprimeurs s’étaient occupés de régulariser notre orthographe. Le
désordre dans l’écriture du français était alors à son comble: chacun,
loin de la rapprocher de sa simplicité antérieure, croyait faire montre
de savoir en la compliquant par la multiplicité des consonnes.

Ronsard, après s’être plaint dans la préface de sa première édition de
la _Franciade_, en 1572, de l’impossibilité de se reconnaître dans la
«corruption de l’orthographe», écrivait dans sa seconde édition:

  «Quant à nostre escriture, elle est fort vicieuse et corrompuë, et
  me semble qu’elle a grand besoin de reformation: et de remettre en
  son premier honneur le _K_ et le _Z_, et faire charactères nouueaux
  pour la double _N_, à la mode des Espagnols, _ñ_, pour escrire
  _monseigneur_, et une _L_ double pour escrire _orgueilleux_[4].»

      [4] «Tu éviteras toute ORTHOGRAPHIE superflue et ne mettras
      aucunes lettres en tels mots, si tu ne les prononces en lisant.»
      (_Abrégé de l’Art poétique_, par Ronsard, édit. de 1561.)

Plus tard, en tête de son Abrégé de l’_Art poétique_, il développe
plus énergiquement encore son opinion sur la réforme de l’orthographe
française. Et le grand Corneille, trente ans avant le Dictionnaire de
l’Académie, proposait et appliquait lui-même une écriture plus conforme
à la prononciation, devancé même en cela par l’un de ses prédécesseurs
à l’Académie, d’Ablancourt, et surpassé en hardiesse par son collègue
Dangeau. (Voir les Appendices B et C.)

Cependant, dès l’année 1660, trente-quatre ans avant l’apparition du
Dictionnaire de l’Académie, la _Grammaire de Port-Royal_ avait posé les
bases de l’accord de l’écriture et de la prononciation; elle voulait:

  1º Que toute figure marquât quelque son, c’est-à-dire qu’on n’écrivît
  rien qu’on ne prononçât;

  2º Que tout son fût marqué par une figure, c’est-à-dire qu’on ne
  prononçât rien qui ne fût écrit;

  3º Que chaque figure ne marquât qu’un son, ou simple ou double;

  4º Qu’un même son ne fût point marqué par des figures différentes.

Pourquoi donc, après de telles prémisses, tant de contradictions qu’on
ne saurait justifier et auxquelles l’esprit logique de l’enfance ne se
soumet qu’en faisant abandon de cette rectitude de raisonnement qui
nous étonne si souvent et nous force d’avouer qu’en fait de langue la
raison n’est pas du côté de l’âge mûr?

Pour quiconque veut approfondir l’étude de la langue française,
rien de plus intéressant que d’en suivre les progrès dans les
modifications apportées par l’Académie dans les éditions successives
de son Dictionnaire. Dans chacune d’elles, en effet, sont enregistrés
les changements résultant soit de la suppression de mots surannés,
soit de l’introduction de ceux qu’elle jugeait admissibles, soit de
modifications apportées dans l’acception des mots et des locutions.
Mais pour ne parler ici que de l’orthographe, c’est dans ses variations
successives qu’on peut apprécier cette tendance à la simplification
dans la forme des mots qui répond au besoin toujours croissant de mieux
conformer l’écriture à la rapidité de la pensée. Par ce qui est fait on
jugera mieux de ce qui reste à faire.


PREMIÈRE ÉDITION DU DICTIONNAIRE.

A l’époque où l’Académie résolut de rédiger son Dictionnaire, deux
courants opposés portaient le trouble dans les imprimeries: les
unes, sous l’influence des Estienne, modelaient leur orthographe
sur la langue latine, les autres sur celle de nos vieux poëtes et
chroniqueurs. Antérieurement à l’apparition, en 1540, du Dictionnaire
de Robert Estienne, on remarque dans nos plus anciens lexiques une
orthographe plus simple. Ainsi, dans les glossaires imprimés de 1506
à 1524[5] je vois les mots _lait, laitue, extrait, fait, point,
hatif, soudain_, etc., écrits comme ils le sont aujourd’hui, tandis
qu’Estienne les écrit _laict, laictue, extraict, faict, poinct,
hastif, soubdain_, etc. Son système se propagea dans les Dictionnaires.
Cependant, en 1630, se produit un retour vers les principes de
«notre ancienne et nayve écriture»: Philibert Monet publie dans son
_Invantaire des deus langues françoise et latine_[6] le dictionnaire
de la réforme orthographique, auquel cinquante ans plus tard,
Richelet, avec plus de faveur, donne une forme plus complète et plus
régulière[7]. Tel était l’état des choses, lorsque, après soixante ans
de discussion, d’hésitation et d’examen, l’Académie fit paraître son
grand travail.

      [5] _Catholicon abbreviatum._ Iean Lambert, 1506.--_Vocabularium
      Nebrissense._ 1524.--_Vocabularium latinum, gallicum et
      theutonicum_. Strasbourg, Mathis Humpffuff, 1515. On trouve dans
      ce petit ouvrage les mots ainsi écrits: _emorroïdes, idropisie,
      sansue, otruche, masson, aguille, aguillon_, etc.

      [6] P. Monet, de la compagnie de Jésus. _Invantaire des deus
      langues françoise et latine, assorti des plus utiles curiositez
      de l’un et l’autre Idiome._ Lyon, 1635, in-fol. de 6 ff. et 990
      pages à 2 colonnes en petit caractère.

      [7] Richelet, _Dictionnaire françois_, etc. Genève, Hermann
      Widerhold, 1680, 2 tom. petit in-4º. Dans l’Avertissement,
      Richelet dit que c’est à l’imitation de monsieur d’Ablancourt
      et de quelques autres auteurs célèbres, qu’on a changé presque
      toujours l’_y_ grec en _i_ simple; qu’on a supprimé la plupart
      des lettres doubles et inutiles qui ne défigurent pas les mots
      lorsqu’elles en sont retranchées, comme dans _afaire, ataquer,
      ateindre, dificile_, et non pas _affaire, attaquer, atteindre,
      difficile_, etc. Et en effet, dès le début, on trouve dans son
      Dictionnaire: _abesse, abaïe, abatial, abatre, abé, acabler,
      acablement_.


L’apparition du PREMIER _Dictionnaire de l’Académie_, publié en 1694,
fut donc un événement, et on ne saurait être trop reconnaissant du
service qu’il rendit alors. Frappée du désordre de l’écriture et
des impressions[8], l’Académie, pour y remédier, préféra rapprocher
l’orthographe française de la forme du latin littéraire, et cela,
malgré l’opposition du vieil esprit français, dont, cent ans plus
tôt, Ronsard et d’autres membres de sa pléiade s’étaient montrés les
représentants. Elle crut, en s’appuyant sur une langue désormais fixée,
donner plus de stabilité à notre orthographe; d’ailleurs on était alors
sous l’influence encore toute-puissante de la latinité.

      [8] Un seul exemple suffira pour donner une idée des bizarreries
      et des anomalies de l’orthographe des manuscrits et des
      impressions: dans une des meilleures éditions du _Gargantua_ de
      Rabelais (Lyon, François Juste, 1542, in-16), je lis dans le
      prologue le mot _huile_ écrit en huit lignes de trois manières
      différentes.

Cependant ce ne fut pas sans luttes et sans opposition au sein même de
l’Académie que prévalut l’écriture dite étymologique. M. Sainte-Beuve,
dans son article sur Vaugelas, nous en offre une vive image:

  «Chapelain, nous dit-il, parmi les oracles d’alors, est le plus
  remarquable exemple de cet abus du grécisme et du latinisme en
  français; il avait pour contre-poids, à l’Académie, Conrart qui ne
  savait que le français, mais qui le savait dans toute sa pureté
  parisienne. Chapelain aurait voulu, par respect pour l’étymologie,
  qu’on gardât la vieille orthographe de _charactère, cholère_, avec
  _ch_, et qu’on laissât l’écriture hérissée de ces lettres capables de
  dérouter à tout moment et d’égarer en ce qui est de la prononciation
  courante. Il trouvait mauvais qu’on simplifiât l’orthographe de ces
  mots dérivés du grec, par égard pour les ignorants et les _idiots_,
  car c’est ainsi qu’il appelait poliment, et d’après le grec, ceux qui
  ne savaient que leur langue. Vaugelas faisait le plus grand cas, au
  contraire, de ces idiots, c’est-à-dire de ceux qui étaient nourris
  de nos idiotismes, des courtisans polis et des _femmelettes_ de son
  siècle, comme les appelait Courier; il imitait en cela Cicéron qui,
  dans ses doutes sur la langue, consultait sa femme et sa fille, de
  préférence à Hortensius et aux autres savants. Moins on a étudié, et
  plus on va droit dans ces choses de l’usage: on se laisse aller, sans
  se roidir, au fil du courant.

  «Pour moi, disait Vaugelas, je révère la vénérable antiquité et
  les sentiments des doctes; mais, d’autre part, je ne puis que je
  ne me rende à cette raison invincible, qui veut _que chaque langue
  soit maîtresse chez soi_, surtout dans un empire florissant et une
  monarchie prédominante et auguste comme est celle de la France[9].»

      [9] _Nouveaux Lundis_, t. VI, p. 372.

Et en effet, si l’on examine l’écriture des mots qui figurent dans
cette première édition, en la comparant à celle des _Cahiers de
Remarques sur l’orthographe françoise pour estre examinez par chacun de
Messieurs de l’Académie_[10], on voit que la compagnie, en les écrivant
plus simplement, montrait déjà plus de réserve et de discernement dans
l’emploi des formes étymologiques que ne l’avait fait le secrétaire
perpétuel Regnier des Marais dans les _Cahiers_ préparatoires dont il
fut l’un des principaux rédacteurs.

      [10] Tels que _appast, charactere, chameleon, espleuré_, écrit
      ensuite par l’Académie _espleuré_ et _esploré_, puis _éploré,
      estester_ (étêter), _despourveüe, desgaisner, despescher,
      desvoyement, phanatique, pyrate, allité, desboesté_, que
      l’Académie écrivit d’abord _déboisté_, puis _déboîté_ dans la
      troisième édition.

L’influence de Regnier des Marais «qui avoit employé à cet édifice
(la grammaire ordonnée par la compagnie) cinquante ans de reflexions
sur nôtre langue, la connoissance des langues voisines et trente
quatre ans d’assiduité dans les assemblées de l’Académie, où il avoit
presque toûjours tenu la plume»[11], devait naturellement prédominer
dans la rédaction du Dictionnaire. Une volonté aussi persévérante, le
service réel qu’il rendait en se chargeant de la rédaction difficile
de la grammaire dont la société lui avait confié le soin, finirent
par l’emporter sur les opinions contraires et les scrupules de ses
illustres confrères, parmi lesquels nous voyons Dangeau et d’Ablancourt
protester par leurs écrits en adoptant un système entièrement opposé.
D’autres membres de l’Académie, tels que Corneille, Bossuet, montrent
aussi par leur écriture conservée dans leurs manuscrits qu’ils auraient
préféré une orthographe plus simple et plus rapprochée de la forme
française. (Voir l’Appendice E.)

      [11] Le P. Buffier, dans les _Mémoires de Trévoux_, t. XXI, p.
      1642.

Le courant de la latinité prédomina donc, et l’Académie, pour élever
son grand monument littéraire, crut même devoir se conformer à
l’exemple donné par les érudits, en adoptant, pour le classement des
mots du Dictionnaire, l’ordre savant mais peu pratique dont Robert et
Henri Estienne offraient le modèle dans leurs _Trésors_ de la langue
latine et de la langue grecque. Les mots rangés, non selon l’ordre
alphabétique, mais par familles, furent groupés autour de la racine[12].

      [12] A cette édition en deux volumes datée de 1694 se trouvent
      joints deux autres volumes, même format et même caractère,
      portant la même date 1694, sous ce titre:

      _Le Dictionnaire des arts et des sciences, par M. D. C. de
      l’Académie françoise_; tome troisième et tome quatrième, chez la
      veuve Coignard et Baptiste Coignard.

      Le privilége, daté du 7 septembre 1694, est concédé au sieur
      D. C. de l’Académie française (et rétrocédé par lui à la veuve
      Coignard et à son fils J.-Baptiste Coignard). On lit au bas:
      _le Dictionnaire a été achevé d’imprimer le 11 septembre 1694_.
      Quant à l’orthographe, c’est la même que celle du Dictionnaire de
      l’Académie françoise. Elle est encore plus étymologique. Ainsi on
      y lit _phrénésie, phthisie_.

      La rédaction principale est attribuée à Thomas Corneille.
      Mais pourquoi le titre porte-t-il par M. D. C. _de l’Académie
      françoise_? Je ne vois aucun de ses membres à qui cette
      indication puisse convenir parmi les noms de ceux qui figurent
      dans la liste des académiciens placés au commencement du
      Dictionnaire de l’Académie de 1694. On y lit: «Thomas Corneille
      receu en 1635 à la place de Pierre Corneille son frère, qui avoit
      succédé à François Maynard.» D’où peut donc provenir ce D. placé
      avant l’initiale C. et qui figure aussi au privilége?


DEUXIÈME ÉDITION.

Mais bientôt l’Académie, reconnaissant que l’utilité pratique était
préférable, renonça, dans sa SECONDE édition, en 1718, à ce classement
pour revenir à l’ordre alphabétique, moins rationnel sans doute, mais
plus pratique. C’est ce qu’elle annonçait ainsi dans sa préface:

  «La forme en fut si différente, que l’Académie donna plutôt un
  Dictionnaire nouveau qu’une nouvelle édition de l’ancien. L’ordre
  étymologique, qui dans la spéculation avoit paru le plus convenable,
  s’étant trouvé très-incommode, dut être remplacé par l’ordre
  alphabétique, en sorte qu’il n’y eût plus aucun mot que, dans cette
  seconde édition, on ne pût trouver d’abord et sans peine.»

L’Académie, sans se borner à ce grand changement, matériel, il est
vrai, mais si utile, donna à cette seconde édition un caractère tout
particulier en l’enrichissant d’un grand nombre de termes d’art et de
sciences dont l’usage avait pénétré dans la société. Elle s’appliqua
aussi à rectifier et éclaircir les définitions et compléter les
acceptions et significations diverses des mots. Le simple mot _bon_,
par exemple, reçut soixante-quatorze significations toutes différentes.

«On ne doit donc pas s’estonner, dit la préface, que ce travail, qui a
changé toute la forme du Dictionnaire, ait occupé durant tant d’années
les séances de l’Académie, et quant à l’orthographe, l’Académie, dans
cette nouvelle édition, comme dans la précédente, a suivi en beaucoup
de mots _l’ancienne maniere d’escrire_, mais sans prendre aucun parti
dans la dispute qui dure depuis si longtemps sur cette matière.»

Elle autorisa même, en quelque sorte, la liberté du choix entre
l’ancienne et la nouvelle.

Si elle ne supprima pas l’_s_ dans la foule de mots où cette lettre
ne se prononce pas, du moins elle prit soin d’indiquer le cas où le
son s’en est conservé. Cette différence se trouve donc indiquée dans
_hospice, hospitalité_, où _s_ se prononce, et _hoste, hostel_,
où l’_s_ ne se prononce pas, et également dans _christianisme_
et _chrestienté_. Elle modifia l’écriture de quelques mots, tels
que _éploré_, au lieu de _esploré_ et _espleuré_; elle écrivit
_noircissure_ et non _noircisseure_, et _sirop_, au lieu de _syrop_,
etc., et, en écrivant encore _yvroye_, elle nota que quelques-uns
prononçaient _yvraye_. Mais déjà bien des tentatives avaient été faites
ailleurs, même par des académiciens, en vue d’une réforme, et leur
influence ne devait pas tarder à se faire sentir dans le Dictionnaire
même.


TROISIÈME ÉDITION.

C’est dans sa TROISIÈME édition, en 1740, que l’Académie, cédant
aux vœux manifestés dès le XVIe siècle par tant de philologues, de
savants, d’académiciens même, et répétés par des voix autorisées,
supprima des milliers de lettres devenues parasites, sans craindre
d’effacer ainsi leur origine étymologique: les _s_, les _d_ disparurent
dans la plupart des mots dérivés du latin. Elle n’écrivit plus
_accroistre, advocat, albastre, apostre, aspre, tousjours_, non
plus que _bast, bastard, bestise, chrestien, chasteau, connoistre,
giste, isle_[13]. Les _y_ non étymologiques furent remplacés par des
_i_; elle n’écrivit plus _cecy, celuy-cy, toy, moy, gay, gayeté,
joye_, derniers vestiges de l’écriture et des impressions des XVe et
XVIe siècles, mais _ceci, celui-ci, toi, moi, gai, gaieté, joie_,
etc. L’_y_ et l’_s_ du radical grec et latin furent même supprimés;
ainsi _abysme_ (ἄβυσσος, _abyssus_) fut écrit _abyme_, et plus tard
_abîme_; _eschole, escholier_, écrits dans la première édition _escole,
escolier_, devinrent dans celle-ci _école, écolier, yvroye_ devient
_ivroye_, ensuite _ivroie_, puis _ivraie_; de même que _subject_ devint
successivement _subjet_, puis dans sa forme définitive _sujet_, et
_Françoys, François_, puis _Français_.

      [13] Il nous reste encore, échappés à la réforme de 1740, les
      mots _baptême, Baptiste, dompter, condamner_. Bossuet écrit
      toujours _condanner, domter_.

Elle supprima aussi le _c_ d’origine latine dans _bienfaicteur_ et
_bienfaictrice_, et le _ç_ dans _sçavoir, sçavant_, l’_e_ dans le
mot _insceu_[14], _impreveu, indeu, salisseure, souilleure,
alleure, beuveur, creu, deu_, et grand nombre d’autres; _vuide,
nopce, nud_, furent abrégés; le _c_ et l’_e_ disparurent dans
_picqueure_ (_piqûre_); enfin l’Académie remplaça un grand nombre de
_th_ et de _ph_ par _t_ et par _f_, et, contrairement à la première
et à la seconde édition, elle retrancha le _t_ final au pluriel des
substantifs se terminant par _t_ au singulier; elle écrivit donc les
_parens_, les _élémens_, les _enfans_, etc., au lieu de les _parents_,
les _éléments_, les _enfants_, etc. On ne voit pas pourquoi elle
écrivit _flatterie_ par deux _t_ contrairement aux deux premières
éditions et à la manière d’écrire de Bossuet et de Fénelon et même aux
Cahiers pour l’Académie.

      [14] Voici les variations d’orthographe de ce mot: 1re édition,
      _insçeu_, 2e édit., _insceu_, 3e édit., _insçu_, 4e édit.,
      _insçu_, 6e édit., _insu_.

L’abbé d’Olivet, à qui l’Académie confia ce travail, l’exécuta
conformément à ce qu’elle avait déclaré dans la préface: «qu’on
travailleroit à ôter toutes les superfluités qui pourroient être
retranchées sans conséquence», et il remarque «qu’en cela, le public
étoit allé plus vite et plus loin qu’elle.»

J’ai fait le relevé comparatif de ces suppressions de lettres: sur les
18,000 mots[15] que contenait la première édition du Dictionnaire de
l’Académie, près de 5,000 furent modifiés par ces changements.

      [15] La table de l’édition de 1694 contient 20,000 mots;
      mais 2,000 mots se composent de participes ou de locutions
      adverbiales.

Malgré l’importance de ces réformes, on regrette que l’Académie n’ait
pas fait encore plus, puisqu’elle constate qu’en cela _le public était
allé plus loin et plus vite qu’elle_[16]; mais d’Olivet, qui reconnaît
«n’avoir pu établir partout l’uniformité qu’il aurait désirée,» fut
sans doute retenu par la crainte de contrarier trop subitement les
habitudes. Il suffisait pour cette fois d’ouvrir la voie dans laquelle
l’Académie continue d’âge en âge à perfectionner l’orthographe.

      [16] _Histoire de l’Académie françoise_, par d’Olivet. C’est dans
      la Correspondance inédite, adressée au président Bouhier (Lettre
      du 1er janvier 1736), qu’on trouve ces curieux détails:

        «A propos de l’Académie, il y a six mois que l’on délibère
        sur l’orthographe; car la volonté de la compagnie est de
        renoncer, dans la nouvelle édition de son Dictionnaire, à
        l’orthographe suivie dans les éditions précédentes, la première
        et la deuxième; mais le moyen de parvenir à quelque espèce
        d’uniformité? Nos délibérations, depuis six mois, n’ont servi
        qu’à faire voir qu’il étoit impossible que rien de systématique
        partît d’une compagnie. Enfin, comme il est temps de se mettre
        à imprimer, l’Académie se détermina hier à me nommer seul
        _plénipotenciaire_ à cet égard. Je n’aime point cette besogne,
        mais il faut bien s’y résoudre, car, sans cela, nous aurions vu
        arriver, non pas les calendes de janvier 1736, mais celles de
        1836, avant que la compagnie eût pu se trouver d’accord.»

      Dans sa lettre du 8 avril 1736 il écrit: «Coignard a, depuis six
      semaines, la lettre A, mais ce qui fait qu’il n’a pas encore
      commencé à imprimer, c’est qu’il n’avoit pas pris la précaution
      de faire fondre des É accentués, et il en faudra beaucoup, parce
      qu’en beaucoup de mots nous avons supprimé les S de l’ancienne
      orthographe, comme dans _despescher_, que nous allons écrire
      _dépêcher, tête, mâle_, etc.»


QUATRIÈME ÉDITION.

Cette édition, qui parut en 1762, se distingue particulièrement par
l’addition d’un grand nombre de termes élémentaires consacrés aux
sciences et aux arts; par la séparation de l’I voyelle de la consonne
J et celle de la voyelle U de la consonne V, d’après l’exemple qu’en
avait donné la Hollande; par la simplification de l’orthographe d’un
grand nombre de mots au moyen de la suppression de lettres inutiles,
et par diverses rectifications.

L’Académie expose ainsi ce qu’elle a fait:

  «Les sciences et les arts ayant été cultivés et plus répandus depuis
  un siècle qu’ils ne l’étoient auparavant, il est ordinaire d’écrire
  en françois sur ces matières. En conséquence, plusieurs termes qui
  leur sont propres, et qui n’étoient autrefois connus que d’un petit
  nombre de personnes, ont passé dans la langue commune. Auroit-il
  été raisonnable de refuser place dans notre Dictionnaire à des mots
  qui sont aujourd’hui d’un usage presque général? Nous avons donc
  cru devoir admettre dans cette édition les termes élémentaires des
  sciences, des arts, et même ceux des métiers, qu’un homme de lettres
  est dans le cas de trouver dans des ouvrages où l’on ne traite pas
  expressément des matières auxquelles ces termes appartiennent.

  ..... «L’Académie a fait dans cette édition un changement assez
  considérable, que les gens de lettres demandent depuis long-temps. On
  a séparé la voyelle I de la consonne J, la voyelle U de la consonne
  V, en donnant à ces consonnes leur véritable appellation; de manière
  que ces quatre lettres, qui ne formoient que deux classes dans les
  éditions précédentes, en forment quatre dans celle-ci; et que le
  nombre des lettres de l’alphabet, qui étoit de vingt-trois, est
  aujourd’hui de vingt-cinq. Si le même ordre n’a pas été suivi dans
  l’orthographe particulière de chaque mot, c’est qu’une régularité
  plus scrupuleuse auroit pu embarrasser quelques lecteurs, qui,
  ne trouvant pas les mots où l’habitude les auroit fait chercher,
  auroient supposé des omissions. On est obligé de faire avec
  ménagement les réformes les plus raisonnables.

  ..... «Nous avons supprimé dans plusieurs mots les lettres doubles
  qui ne se prononcent point. Nous avons ôté les lettres, _b, d, h,
  s_, qui étoient inutiles. Dans les mots où la lettre _s_ marquoit
  l’allongement de la syllabe, nous l’avons remplacée par un accent
  circonflexe. Nous avons encore mis, comme dans l’édition précédente,
  un _i_ simple à la place de l’_y_ partout où il ne tient pas la place
  d’un double _i_, ou ne sert pas à conserver la trace de l’étymologie.
  Ainsi nous écrivons _foi, loi, roi_, etc., avec un _i_ simple;
  _royaume, moyen, voyez_, etc., avec un _y_, qui tient la place du
  double _i_; _physique, synode_, etc., avec un _y_ qui ne sert qu’à
  marquer l’étymologie. Si l’on ne trouve pas une entière uniformité
  dans ces retranchemens, si nous avons laissé dans quelques mots la
  lettre superflue que nous avons ôtée dans d’autres, c’est que l’usage
  le plus commun ne nous permettoit pas de la supprimer.»

L’Académie crut cependant devoir abandonner dans quelques mots usuels
l’_y_ étymologique qu’elle remplaça par l’_i_, et, comme elle l’avait
fait dès sa première édition pour _cristal, cristalliser, cristallin_,
etc., elle supprima l’_y_ à _chimie, chimique, chimiste, alchimie,
alchimiste_, qui, dans la précédente, étaient écrits _chymie, chymique,
chymiste, alchymie, alchymiste_; l’_y_ dans _absinthe_ et _yvroie_
fut avec toute raison remplacé par l’_i_. L’Académie supprima aussi,
dans un grand nombre de mots, les _th_, les _ph_, les _ch_, et adopta
_détrôner, scolarité, scolastique, scolie, scrofule_ et _scrofuleux,
pascal_[17], _patriarcal, patriarcat, flegme, flegmatique_, que la
troisième édition écrivait encore _déthrôner, scholarité, scholastique,
scholie, paschal, partriarchal, patriarchat, phlegme, phlegmatique_.

      [17] On a donc lieu de s’étonner de voir l’_h_ conservé dans
      _anachorète, catéchumène_ (bien qu’à toutes les éditions
      antérieures de l’Académie prévienne, de même qu’elle le faisait
      pour _paschal_ et _patriarchal_, que l’_h_ ne se prononce pas).

Ces mots _flegme, flegmatique_, écrits sans _ph_, furent donc ajoutés
dans cette quatrième édition à ceux de _fantôme, frénétique_, etc.,
ainsi écrits dans la troisième édition, après avoir d’abord figuré avec
_ph_, dans la première édition. L’Académie supprima quelques lettres
doubles, comme dans les mots _agrafe, agrafer, argile, éclore, poupe_,
etc., au lieu d’_agraffe, agraffer, argille, éclorre, pouppe_; et,
parmi quelques autres changements, je remarque qu’au lieu de _coeffe,
coeffer, coeffeur_, elle écrit _coiffe, coiffer, coiffeur_; _genou_,
au lieu de _genouil_; _anicroche_, au lieu de _hanicroche_; _rez
de chaussée_, au lieu de _raiz de chaussée_; _spatule_, au lieu de
_espatule_, qu’elle aurait même dû écrire _spathule_, puisque ce mot
vient de σπάθη; mais alors on tenait moins compte de l’étymologie.

Profitant un peu tard des réflexions de Messieurs de Port-Royal
(Arnauld et Lancelot), qui, dans leur Grammaire, avaient condamné avec
raison la vicieuse épellation:

  _bé, cé, dé, é, effe, gé, ache, ji, elle, emme, enne, erre, esse, vé,
  ixe, zedde_,

l’Académie, après avoir suivi dans cette quatrième édition cet ancien
mode d’épellation pour les premières lettres, se ravisant ensuite,
l’indique ainsi:

  _fe, ge, he, je, le, me, ne, re, se, ve, xe, ze_.

Cette méthode, qui n’est mise en pratique que depuis peu de temps, rend
l’épellation un peu moins difficile; et, en effet, bien que nous ayons,
et avec tant de peine! appris à lire, prononcerions-nous sans hésiter
les mots qu’on nous a fait ainsi épeler:

  erre  e  pé  u  té  a  té  i  o  enne   réputation
  a  i  elle  elle  e  u  erre  esse      ailleurs
  dé  a  u  pé  ache  i  enne             dauphin
  qu  u  i  cé  o  enne  qu  u  e         quiconque
  pé  ache  a  esse  e                    phase

Dans cette quatrième édition, la suppression du _t_ final au pluriel
des mots (substantifs ou adjectifs) terminés en _ant_ et _ent_ fut
maintenue, et l’Académie continua à écrire, contrairement aux deux
premières éditions: les _enfans_, les _passans_, les _élémens_, les
_parens_.

C’est aussi dans cette édition que l’Académie indiqua, d’une manière
bien plus complète qu’elle ne l’avait fait dans la précédente,
l’orthographe des temps des verbes dont elle donna le modèle de
conjugaison; ainsi au mot _voir_ on lit: _je_ VOI _ou je_ VOIS, _il
voit, nous voyons, vous voyez, ils voyent_; _je voyois_, etc. Il
est regrettable que l’indication de cette double forme de la première
personne du présent de l’indicatif ne se trouve pas reproduite dans le
Dictionnaire aux autres mots, _tenir, venir, vaincre, connaître_,
etc., ce qui aurait laissé aux poëtes la liberté d’employer l’une ou
l’autre forme, comme l’a fait si souvent Corneille pour je _tien_,
je _vien_, je _voi_, je _vinc_, je _cognoi_[18]. Cette orthographe,
conforme à la conjugaison latine, _video_, -_es_, -_et_, permet
de distinguer la première personne de la deuxième du présent de
l’indicatif, _je vien, tu viens, il vient_, et cela d’accord avec
le vieux français et les anciennes grammaires françaises, celles des
Estienne entre autres, où l’_s_ n’existe pas à la première personne du
singulier du présent de l’indicatif de nos verbes.

      [18] On en trouve des exemples dans La Fontaine, Racine, Molière
      et même dans Voltaire:

          La mort a respecté ces jours que je te doi,
          Pour me donner le temps de m’acquitter vers toi.
                                        (_Alzire_, II, 2.)

      Je trouve aussi quelquefois dans sa correspondance _pui-je_.


CINQUIÈME ÉDITION.

Publiée en dehors du concours de l’Académie, l’édition citée
quelquefois comme la cinquième n’a point été cependant reconnue
officiellement. Et, en effet, bien que le titre porte: _Dictionnaire
de l’Académie françoise, revu, corrigé et augmenté par l’Académie
elle-même_, cette CINQUIÈME édition ne fut point donnée par
l’Académie; elle ne parut qu’en vertu d’une LOI _datée du premier jour
complémentaire de l’an III de la République françoise_ (1795), portant
que: l’_Exemplaire du Dictionnaire de l’Académie françoise, chargé
de notes marginales, sera publié par les libraires Smith, Maradan et
compagnie_.

Et l’article III porte: «Lesdits libraires prendront avec les
Gens-de-Lettres _de leur choix_ les arrangements nécessaires pour que
le travail soit continué et achevé sans délai[19].»

      [19] Garat, dans la préface dont il fut le rédacteur, dit: «Il
      y avoit trois Académies à Paris: l’une consacrée aux Sciences;
      l’autre aux recherches sur l’Antiquité; la troisième à la
      Langue Françoise et au Goût. Toutes les trois ont été accusées
      d’aristocratie, et détruites comme des institutions royales
      nécessairement dévouées à la puissance de leurs fondateurs.»

Dans quelle proportion les notes marginales, œuvre de l’Académie,
figuraient-elles dans cette révision, on l’ignore; l’exemplaire
original n’a pas été conservé, mais la majeure partie des additions
sont dues à Selis et à l’abbé de Vauxelles, auxquels fut adjoint un
correcteur habile, Gence.

Cette édition parut en 1795: elle fut donc revue et imprimée en trois
ans.

On aurait pu croire qu’à cette époque, où l’Académie par son absence
laissait toute liberté aux améliorations orthographiques, les
concessionnaires en auraient largement profité en vue de faciliter
l’éducation publique; mais, par ces changements trop apparents, le
prestige attaché au nom de Dictionnaire de l’Académie eût été amoindri;
et comme cette entreprise faite sans son aveu avait en vue plutôt un
but commercial que littéraire, les éditeurs, pour mieux lui conserver
son caractère, crurent devoir ne rien innover, et rejetèrent à la fin
en appendice «les mots ajoutés à la langue par la Révolution et la
République». Je ne vois donc, quant à l’orthographe, que quelques mots,
tels qu’_analise, analiser, analitique_, où l’_y_ ait été remplacé
par l’_i_, et dès lors l’imprimerie adopta cette orthographe; mais du
moment où l’_y_ fut rétabli par l’Académie dans sa sixième édition,
il reparut dans toutes les impressions, de même qu’il disparaîtra, si
l’Académie croit devoir lui substituer l’_i_ dans l’édition qu’elle
prépare.


SIXIÈME ÉDITION.

Dans sa SIXIÈME édition, publiée en 1835, l’Académie, se déjugeant
elle-même, ne sanctionna plus la suppression du _t_ final au pluriel
des mots dont le singulier se terminait en _ant_ et en _ent_, et,
après une discussion approfondie, elle crut devoir rétablir au pluriel
le _t_ à tous les mots d’où elle l’avait fait disparaître dans les
deux précédentes éditions. En écrivant dès lors _amants, éléments,
parents, passants_, et non _amans, élémens, parens, passans_, toute
confusion avec l’écriture des mots dont le singulier est en _an_,
comme _artisans, charlatans, paysans, passans_, etc., cessait, et
l’orthographe des féminins pluriels _paysannes_ et _amantes_ ne pouvait
offrir d’équivoque. Tronquer ainsi au pluriel la finale du singulier,
c’était contrevenir à la règle grammaticale qui forme le pluriel par
l’addition de l’_s_.

Malgré le besoin de simplifier l’écriture, ce retour à un ancien
principe, qui nécessitait cependant une addition considérable de
lettres, fut accepté, bien qu’il contrariât les habitudes déjà prises:
il était logique. Toutefois je dois dire que quelques auteurs et
imprimeurs maintiennent encore la suppression du _t_; tant on a de
peine à ajouter des lettres, tant la tendance à les supprimer est
caractéristique.


C’est dans cette sixième édition qu’une innovation importante fut enfin
admise par l’Académie: la substitution de l’_a_ à l’_o_ dans tous les
mots où l’_o_ se prononçait _a_. L’Académie suivit en cela l’exemple
donné par Voltaire[20]. Cette modification, qui s’étendit sur un grand
nombre de mots, fut accueillie du public avec reconnaissance, malgré
l’opposition opiniâtre de Chateaubriand, de Nodier et de quelques
académiciens. Maintenant que cette orthographe a prévalu, oserait-on
écrire ou même regretter _j’aimois, il étoit, qu’il paroisse_?

      [20] Corneille faisait rimer _cognoistre, connoître,
      reconnoistre, reconnoître_, avec _naître, renaître, traître_, et
      _paroistre_ avec _estre_. Vingt-six ans avant l’apparition du
      Dictionnaire de l’Académie, on lit dans la première édition de
      l’_Andromaque_ de Racine, acte III, sc. I, ces vers:

          M’en croirez-vous? lassé de ses trompeurs attraits,
          Au lieu de l’enlever, Seigneur, ie la fuir_ais_,

      où l’_o_ est remplacé par l’_a_ dans _fuirais_, innovation à
      laquelle Racine crut devoir renoncer, puisque, sept ans plus
      tard (en 1675), il corrigeait ainsi ce vers, pour se conformer à
      l’usage:

          Au lieu de l’enlever, fuyez-la pour jamais.

Les améliorations dans cette édition ne se bornèrent pas à ces deux
grands changements dans l’orthographe; l’uniformité de la prononciation
depuis un siècle permit de régulariser en grande partie l’emploi
des accents et de supprimer beaucoup de lettres effacées dans la
prononciation; l’écriture des dérivés devint plus conforme à celle de
leurs simples[21]; enfin l’Académie, en réunissant, par l’introduction
des tirets ou traits d’union, les mots ou locutions adverbiales,
tenta de remédier à l’inconvénient de laisser séparés des mots qui,
lorsqu’ils sont isolés, offrent un sens tout autre que celui qu’ils
acquièrent par leur union.

      [21] _Psaume_ au lieu de _pseaume_, _incongrûment_ au lieu
      d’_incongruement_, _dégrafer_ au lieu de _dégraffer_, et souvent
      et par une fâcheuse rectification, _charriage, charrier_ et
      _charrette_, qui, dans les précédentes éditions, s’écrivaient
      _chariage_ et _charier_, comme _chariot_, etc.


Mais, durant les soixante-treize années d’intervalle entre la
quatrième et la sixième édition, que de changements opérés en France!
Un nouvel ordre de choses était né, et, pour refléter les passions
de la tribune et de la presse, le langage avait vu son domaine
s’accroître de locutions inconnues aux grands auteurs du XVIIe
siècle, à Rousseau, à Voltaire lui-même. En législation, en économie
sociale, en administration, tout était transformé, et, dans l’ordre
matériel, de grands progrès s’étaient accomplis. Chaque mot concernant
la jurisprudence, la politique, les sciences et les arts, exigeait
une révision scrupuleuse ou un examen attentif. L’Académie ne devait
donc admettre qu’avec prudence et après de longues discussions des
néologismes qui pouvaient n’être qu’éphémères. Sous la direction
successive des secrétaires perpétuels, MM. Raynouard, Auger, Andrieux,
Arnault, Villemain, fut accompli ce grand travail, qui ne dura pas
moins de quinze années.

On ne s’en étonnera pas, si l’on songe aux difficultés que présentait
la définition de certains mots, tels que _Liberté, Droit,
Constitution_, qui chacun ont occupé quelquefois toute une séance de
l’Académie entière, devant laquelle chaque mot, rédigé d’abord par une
commission nommée dans son sein, était discuté ensuite, entre MM. de
Pastoret, Dupin, Royer-Collard, de Ségur, Daru, etc., pour tout ce qui
concerne la jurisprudence ou la législation, l’administration ou la
diplomatie;

Andrieux, Villemain, de Féletz, Campenon, Lacretelle, Étienne, Arnault,
etc., pour tout ce qui tient à la grammaire et à la délicatesse de la
langue;

Cuvier, Raynouard, de Tracy, Cousin, Droz, etc., pour toutes les
matières de science, d’érudition et de philosophie.

Indépendamment des ressources que lui offrait la variété des
connaissances de tant d’hommes supérieurs, l’Académie eut souvent
recours aux membres les plus distingués des autres Académies, tels
que Biot, Fourier, Thenard, Arago, pour la révision d’articles qui
sortaient de ses attributions spéciales.

Mais ce mouvement général des esprits eut une influence très-marquée
et, on peut le dire, regrettable sur l’orthographe et l’intégrité
même du français. Dans les sciences d’observation, physique,
chimie, botanique, zoologie, nosologie, tout était renouvelé;
leur classification et leur nombreuse nomenclature exigeaient un
accroissement et une création de termes nouveaux, pour lesquels la
littérature grecque offrait, dans son vaste domaine scientifique, une
mine inépuisable. Ce fut donc à la langue grecque, dont la flexibilité
et la richesse se prêtaient si bien à la composition des mots destinés
à exprimer ces nouveaux besoins, que l’on dut naturellement recourir
pour forger et souder cette multitude de termes spéciaux. Par ce
moyen, une définition qui eût exigé en français une longue périphrase
trouvait concentrée en un seul mot; mais, comme ces composés n’étaient
intelligibles qu’à ceux qui savaient le grec, ils _défrancisaient_
notre langue.

Sous l’impression de cet envahissement archéologique, l’Académie, dans
sa sixième édition, eut un moment d’hésitation, et tenta même, pour
trois ou quatre mots d’origine grecque, déjà surchargé de consonnes,
d’y ajouter encore une _h_: _rythme_ devint _rhythme_, _aphte_
devint _aphthe_, _phtisie_ devint _phthisie_, et _diphtongue_ (que
Corneille et l’Académie elle-même écrivaient toujours ainsi) devint
_diphthongue_; _synecdoque_, ainsi écrit dans la quatrième édition,
devint _synecdoche_. Cet essai malheureux, qui partait d’un principe
contraire au génie de notre langue, fut généralement réprouvé, et
ne servit qu’à mieux démontrer la tendance de l’écriture française,
du moins pour les mots usuels, à se rapprocher des formes de notre
ancienne langue, antipathique à l’appareil scientifique des _ph_ et des
_th_.

Une distinction devrait donc s’établir entre les termes d’un ordre
purement scientifique, qui, par leur nature même, conviennent à
des ouvrages spéciaux[22], et les mots qui, quoique savants, sont
indispensables à la langue usuelle dont ils font partie. Tout
en éloignant l’idée de rien changer à la nomenclature purement
scientifique (excepté le _ph_ qui serait si bien remplacé par
notre _f_), et en reconnaissant l’utilité des composés grecs où se
complaisent les adeptes, on désirerait que, du moment où un mot a servi
comme une monnaie nationale à la circulation journalière, il n’apparût
au Dictionnaire de l’Académie que revêtu de notre costume: l’Usage, en
lui donnant le droit de cité, l’a rendu français.

      [22] Tel est le Dictionnaire de Nysten, continué par MM. Littré
      et Robin. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les mots qui le
      composent pour reconnaître qu’ils n’ont rien de français.


Après avoir successivement supprimé dans un si grand nombre de mots
les lettres étymologiques et introduit d’importantes modifications
dans les signes orthographiques, l’Académie jugera peut-être le moment
venu d’imiter (et sa tâche serait bien moindre) l’exemple que ses
prédécesseurs lui ont donné, surtout dans leur troisième édition. La
liste des mots où pourraient s’opérer ces modifications n’est point
aussi considérable qu’on serait tenté de le croire.

L’usage si fréquent que j’ai dû faire, et que j’ai vu faire sous
mes yeux, dans ma longue carrière typographique, du Dictionnaire de
l’Académie, m’a permis d’apprécier quels sont les points qui peuvent
offrir le plus de difficultés. J’ai cru de mon devoir de les signaler.

L’Académie rendrait donc un grand service, aussi bien au public lettré
qu’à la multitude et aux étrangers, en continuant en 1868 l’œuvre si
hardiment commencée par elle en 1740 et qu’elle a poursuivie en 1762 et
en 1835. Il suffirait, d’après le même système et dans les proportions
que l’Académie jugera convenables:

1º De régulariser l’orthographe étymologique de la lettre χ, _ch_; et
de substituer aux θ, _th_, et φ, _ph_, nos lettres françaises dans les
mots les plus usuels; d’ôter l’_h_ à quelques mots où il est resté pour
figurer l’esprit rude (῾);

2º De supprimer, conformément à ses précédents, quelques lettres
doubles qui ne se prononcent pas;

3º De simplifier l’orthographe des noms composés, en les réunissant le
plus possible en un seul mot;

4º De régulariser la désinence orthographique des mots terminés en
_ant_ et _ent_;

5º De distinguer, par une légère modification (la cédille placée sous
le _t_), des mots terminés en _tie_ et _tion_, qui se prononcent tantôt
avec le son du _t_ et tantôt avec le son de l’_s_;

6º De remplacer, dans certains mots, l’_y_ par l’_i_;

7º De donner une application spéciale aux deux formes _g_ et _g_ au cas
où le _j_, dont le son est celui du _g_ doux, ne serait pas préférable;

8º De substituer l’_s_ à l’_x_, comme marque du pluriel à certains
mots, comme elle l’a fait pour _lois_, au lieu de _loix_ (_lex_, la
loi, _leges_, les lois).


Parmi ces principales modifications généralement réclamées,
l’Académie adoptera celles qu’elle jugera le plus importantes et le
plus opportunes. Quant à celles qu’elle croira devoir ajourner, il
suffirait, ainsi qu’elle l’a fait quelquefois dans la sixième édition,
et conformément à l’avis de ses _Cahiers_ de 1694[23], d’ouvrir la
voie à leur adoption future au moyen de la formule: _Quelques-uns
écrivent_...; ou en se servant de cette autre locution: _On pourrait
écrire_... Par cette simple indication, chacun ne se croirait pas
irrévocablement enchaîné, et pourrait tenter quelques modifications
dans l’écriture et dans l’impression des livres.

      [23] Voyez l’Appendice A.

Voici ce qui est dit en tête même des CAHIERS _de remarques sur
l’orthographe françoise pour estre examinez par chacun de Messieurs de
l’Académie_:

  _«La premiere observation que la Compagnie a creu devoir faire, est
  que, dans la langue françoise, comme dans la pluspart des autres,
  l’orthographe n’est pas tellement fixe et determinée qu’il n’y ait
  plusieurs mots qui se peuvent escrire de deux differentes manieres,
  qui sont toutes deux esgalement bonnes, et quelquefois aussi il y en
  a une des deux qui n’est pas si usitée que l’autre, mais qui ne doit
  pas estre condamnée[24]._»

      [24] Soit donc que l’Académie écrive _orthographe_ et même
      _ortografie, ortographe_ ou _ortografe_, elle pourrait ajouter:
      [On a écrit aussi _ortographie_.] Dans le Dictionnaire de
      Nicod (Paris, 1614, in-4º), on ne trouve point _orthographe_,
      mais _ortographie_, conformément à Du Bellay, qu’il cite pour
      autorité.


Les changements, lorsqu’ils s’introduisent successivement dans
l’orthographe, ne sauraient causer un grave préjudice aux éditions
récentes. Ces modifications passent inaperçues d’une partie du public
et se perdent dans la masse. On peut d’ailleurs en juger par la
comparaison de l’orthographe des textes originaux de nos écrivains dits
_classiques_ avec celle de leurs éditions récentes: modifiée du vivant
même de l’auteur et plus tard par les progrès successifs de l’écriture
académique, elle diffère sensiblement de l’impression primitive. Aucun
trouble cependant n’en est résulté dans les habitudes, et nous lisons
sans difficulté nos grands écrivains du dix-septième siècle dans leurs
éditions originales. Leur antiquité leur prête même un charme de plus.

Toute innovation, sans doute, surprend et paraît même _chocante_
au premier abord; mais, une fois introduite, elle devient aussitôt
familière. C’est une véritable conquête qui, dès lors et d’un
consentement unanime, fait partie du domaine public.

Et, en effet, qui voudrait aujourd’hui écrire, conformément au
Dictionnaire de 1694: _adveu, advoué, abysmer, aisné, autheur,
bienfacteur, connoistre[25], chresme, desgoustant, escrousté,
feslé, horsmis, yvroye, phantosme, phlegme_, etc.; ou bien encore:
_costeau, deschaisnement, déthroner, entesté, eschole, espy, gayeté,
giste, mechanique, monachal, noircisseure, ostage, ptisanne, saoul,
thresorier, stomachal[26], je sçay, vuide, vuider_, etc.?

      [25] _congnoistre_,  Manuscrits de l’Hospital et autres.
           _cognoistre_,   Dict. de Robert Estienne, 1540.
           _connoistre_,   1re édit. du Dict. 1694.
           _connoistre_,   2e édit. du Dict. 1718.
           _connoître_,    3e édit. du Dict. 1740.
           _connoître_,    4e édit. du Dict. 1762.
           _connaître_,    6e édit. du Dict. 1835.

      On propose d’écrire, dans la nouvelle édition, conformément
      à la prononciation, _conaître_ avec un seul _n_, et l’on
      devrait même écrire _conètre_, ce qui distinguerait, d’accord
      avec l’étymologie, _naître_, venant de _nasci_ (_nascerunt_
      ou _nascêre_) de _conètre_ qui vient de _noscere_. Ainsi, sur
      dix lettres, trois, auraient successivement disparu sans le
      moindre inconvénient. Dans un manuscrit inédit du chancelier
      Michel de l’Hospital, que je possède, je lis même ce mot, écrit
      partout avec un _n_ de plus, _congnoissance_. C’est ainsi que
      d’_eschole_ on a fait définitivement _école_, en supprimant
      deux lettres en ce mot seul qui en avait sept. Il en est de
      même de _espy, desgoustant, estesté_, qui sont devenus _épi,
      dégoûtant, étêté_, etc. On pourrait même quelquefois, en se
      rapprochant de l’origine latine, simplifier l’orthographe de
      certains mots. Ainsi, pourquoi écrire, _vaincre, vainqueur_, les
      mots _vincere, victor_, irrégulièrement transportés du latin?
      Puisque nous écrivons _victorieux_ et _invincible_, écrivons
      _vincre_ et _vinqueur_, ne fût-ce que pour conserver l’uniformité
      d’orthographe dans ce vers:

          Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.

      [26] L’Académie écrivait, dans sa première édition, _stomachal_;
      dans la seconde, _stomacal_; dans la troisième, _stomachal_;
      dans la quatrième et la sixième, _stomacal_, qui est sa forme
      définitive.

Avec la deuxième édition, celle de 1718: _abbatre, abestir, adjouster,
advis, advoué, asne, bestise, beveue, creu, dépost, desdain, estain,
estincelle, espatule, estuy, inthroniser, leveure, obmettre, pluye,
pourveu, quarrure, relieure, vraysemblance_, etc.?

Avec la troisième édition, celle de 1740: _chymie, alchymie, chymiste_,
etc., _frére, mére, naviger, quanquam_ (pour _cancan_), _patriarchal,
paschal, pseaume, quadre, quadrer_, des _qualitez_, des airs
_affectez_, etc.?

Avec la quatrième édition: _foible, foiblesse, enfans, parens, qu’il
paroisse_, écrit comme la _paroisse_, _pseaume, reconnoissance,
je voulois, ils étoient_ (écrit auparavant _estoient_, puis enfin
_étaient_)?

Dès à présent on s’étonne d’écrire avec la sixième: _cuiller, roideur,
roide, aphthe, phthisie, rhythme, diphthongue_. Quatre consonnes de
suite! l’orthographe du quinzième siècle n’en admettait que deux et
écrivait _diptongue, spère_ (_sphère_ ou plutôt _sfère_), σφαίρα.

Si l’orthographe étymologique a l’avantage, bien faible à mon avis,
de mettre sur la trace des racines, et d’aider parfois à deviner la
signification du mot quand on possède à fond les langues anciennes, ce
système qui, pour être rationnel, ne saurait admettre ni transaction
ni demi-parti, sans mettre souvent en échec le savoir philologique,
n’est plus, depuis 1740, un système, c’est le désordre. D’ailleurs
l’étymologie n’est souvent qu’un guide peu sûr pour découvrir le sens
actuel des vocables dont la signification s’est modifiée dans le cours
des âges, au point de devenir méconnaissable, ainsi que M. Villemain
l’a si bien démontré dans la préface du Dictionnaire de 1835.

Il ajoute même, et avec plus de force encore, cette réflexion: «La
science étymologique n’est pas nécessaire pour la parfaite intelligence
d’une langue arrivée à son état de perfection. L’analogie et
l’étymologie peuvent bien fournir matière à quelques observations
curieuses et plus souvent encore à des disputes inutiles, mais elles
ne déterminent pas toujours la véritable signification d’un mot, parce
qu’il ne dépend que de l’usage. Rien, en effet, n’est plus commun que
de voir des mots qui passent tout entiers d’une langue dans une autre,
sans rien conserver de leur première signification.»

En effet, quel avantage peut offrir à l’esprit, même pour qui sait le
grec, la présence du _ph_ ou _th_ dans les mots de la langue usuelle,
surtout quand, effacés dans certains mots, on les voit reparaître
dans d’autres dérivés également du grec? La mémoire, quelque présente
qu’elle soit, vient-elle jamais assez tôt aider l’intelligence pour
lui indiquer le sens en français du mot primitivement grec? Prenons
pour exemples les mots _strophe_ et _apostrophe_: l’un et l’autre
viennent de τρέπω, στρέφω, qui signifie _tourner_; mais, pour trouver
quel rapport relie ce mot avec _strophe_, il faut se représenter le
mouvement demi-circulaire de choristes chantant ensemble des pièces
lyriques, auxquels d’autres choristes exécutant un mouvement contraire
répondent par un autre chant, ce que _strofe_ représente aussi bien
que _strophe_. Quant à _apostropher_, qui dérive aussi du verbe τρέπω
ou στρέφω, il faut savoir que, par cette figure de rhétorique, on doit
voir le geste et l’animation de l’orateur se tournant vers la partie
adverse pour l’apostropher.

Et quant à la figure de grammaire, l’_apostrophe_, qui dérive aussi
du même verbe, je suis assez embarrassé de l’expliquer. A en juger
par l’aspect qu’offre la forme demi-circulaire de ce signe (’), dont
l’emploi indique l’élision, j’aimerais à y voir l’influence du verbe
τρέπω, _tourner_, mais les savants ne sont pas d’accord à ce sujet.

Obtient-on plus de lumières quand on sait que _thèse_ (Voltaire
écrivait _tèse_) vient de τίθημι, _placer_? Par quel effort de mémoire
se rappeler les détours qui rattachent ce verbe avec la _thèse_ que
soutient un candidat!

Ces curiosités offrent quelque intérêt au très-petit nombre de ceux
qui se livrent à ce genre d’études, mais ces mots, qu’ils soient écrits
avec ou sans _th_ et _ph_, seront tout aussi bien présents à leur
esprit que l’est notre vieux mot _frairie_, quoique écrit avec notre
_f_ et qui rappelle tout aussi bien _phratria_ des Latins, et φράτρια
des Grecs, que si on l’écrivait _phrairie_. Que _rhétorique_ vienne
de ρέω, _couler comme de l’eau_, et _flegme_ de φλέγμα, qui signifie
_inflammation_ et _pituite_, c’est par des déductions bien éloignées
que l’on peut s’y reconnaître. Je ne vois point quel avantage il y
aurait à écrire _phrénésie_ au lieu de _frénésie_, puisque l’esprit
n’est en rien soulagé lorsqu’en lisant ce mot il doit se rappeler
que φρήν, d’où il dérive, signifie _esprit, jugement_, ce qui est
précisément le contraire de _frénésie, frénétique_[27].

      [27] Φρενιτιάω, qui dérive également de φρήν, a, il est vrai, le
      sens que nous donnons à _frénésie_; mais, pour recourir même à
      cette origine, il faudrait écrire ce mot _frénisie_ ou _frénite,
      frénitique_, et non _frénésie, frénétique_; en grec Φρενῗτις,
      φρενιτικός.

Ces minutieuses distinctions, du domaine de la philologie, et sujettes
à des discussions interminables, maintenant surtout que les origines
sanscrites sont invoquées en étymologie, doivent-elles prendre place
dans l’enseignement de l’orthographe? est-ce, d’ailleurs, dans un
Dictionnaire de la langue usuelle qu’elles doivent s’offrir?

La conclusion logique de tout ceci, c’est qu’il n’y a pas lieu de
tenir rigoureusement compte de ce genre d’étymologie dans l’écriture,
et qu’on ne doit la conserver qu’aux mots spécialement consacrés à la
science et de récente formation.

Un helléniste, d’ailleurs, reconnaîtra tout aussi bien dans une
orthographe française simplifiée les vestiges grecs ou latins que le
fait dans sa langue un Italien ou un Espagnol. Qu’on écrive _phénomène_
ou _fénomène_, _fantôme_ ou _phantôme_, _orthographe_ ou _ortographe_
ou plutôt _ortografe_ (et mieux encore _ortografie_), _diphthongue_
ou _diftongue_, _métempsychose_ ou _métempsycose_, ce sont toujours
des mots grecs pour celui qui sait le grec: mais il s’étonnera de voir
certains mots ainsi accoutrés, tandis que d’autres de même provenance
ne le sont pas. Cette manière d’écrire, agréable à certains humanistes,
satisfait-elle toujours un goût délicat? Molière eût-il vu avec plaisir
son _Misantrope_ et sa _Psiché_ écrits autrement qu’il ne l’a fait
dans toutes ses éditions[28]? Quant aux personnes, en si grand nombre,
qui ne savent pas le grec, l’orthographe étymologique ne peut leur
être d’aucun secours. Doit-on faire apprendre le grec dans les écoles
primaires? Il faudrait même alors que cette étude, aussi bien que celle
du latin précédât l’enseignement du français. D’ailleurs, ces mots que
nous écrivons tantôt par _th_ et _ph_ et tantôt par _t_ ou _f_, bien
que tous dérivés du grec, avaient primitivement un son dès longtemps
perdu et que n’a jamais connu la basse latinité d’où procède notre
langue. Ainsi _fameux_, dérivé de φήμη, en éolien φάμα, transformé
par les Latins en _fama_, d’où _famosus_, n’a pas été écrit par eux
avec _ph_, parce que, disent les grammairiens, les mots écrits par
_ph_ se prononçaient avec une différence marquée, pour distinguer le
_f_ et le _ph_. Quintilien nous apprend que les Latins, en prononçant
_fordeum_ (pour _hordeum_) et _fœdus_, faisaient entendre un son
doucement aspiré, mais qu’au contraire les Grecs donnaient à leur Φ
une aspiration très-forte, au point que Cicéron se moquait d’un témoin
qui, ayant à prononcer le nom de _Fundanius_, ne pouvait en proférer
la première lettre[29]. Puisque nous savons qu’il a plu aux Latins
d’écrire certains mots dérivés du grec les uns par _ph_, les autres par
_f_ (bien qu’en grec la lettre φ soit toujours la seule et la même pour
tous) afin de les prononcer à leur guise, prononçons alors différemment
les mots où l’on voudrait encore conserver le _ph_. Distinguons donc
la prononciation _phénomène_, φαινόμενον, traduit par les Latins
_phænomenon_, de celle de _frairie_, φρατρία, revêtu d’un _f_ par
les Latins (_fratria_), et tâchons de retrouver ce je ne sais quel
_pulsus palati, linguæ et labrorum_ dont parle Quintilien. Mais déjà
nous prononçons le son _f_ de deux manières, faible avec l’_f_ simple
dans _afin_ et _facile_, forte avec la double _f_ dans _affliger_ et
_affreux_. Pour être conséquents, nous devrions prononcer _philosophie_
avec un troisième son encore plus rude. L’Académie qui, dans le cours
de ses éditions, a déjà remplacé par notre _f_ français le _ph_ des
Latins dans un si grand nombre de mots, ne devrait plus tolérer de tels
contrastes.

      [28] La première édition du _Misantrope_ est de 1667; celle de
      _Psiché_, de 1671. Dans les diverses éditions des œuvres jusqu’à
      celle de 1739, 8 vol. in-12, donnée soixante-six ans après la
      mort de l’auteur, je vois ces deux comédies exactement imprimées
      sous ce titre, et le Théâtre-Français avait si bien conservé
      l’ancienne tradition que l’un de nos plus célèbres académiciens
      se rappelle avoir vu dans sa jeunesse, sur les affiches du
      Théâtre-Français, le nom du _Misantrope_ écrit sans _h_. On n’a
      plus, malheureusement, aucun manuscrit de la main de Molière,
      mais on peut être assuré qu’il écrivait selon l’orthographe
      _française_.

      [29] «Quin _fordeum fœdusque_ pro aspiratione vel simili littera
      utentes: nam contra Græci aspirare solent, ut pro _Fundanio_
      Cicero testem, qui primam ejus litteram dicere non posset,
      irridet.» _Instit. orat._, I, 4, 14. Terentianus Maurus dit
      que la lettre _f_ en latin avait un son doux et faible: «Cujus
      (literæ _f_) a græca (litera φ) recedit _lenis atque hebes
      sonus_,» p. 2401, éd. Putsch.

      Priscien, p. 542, dit que dans beaucoup de mots le φ a été
      remplacé par le _f_: _fama, fuga, fur_ (φώρ), _fero_, etc.,
      et que dans d’autres on garde _ph_: «Hoc tamen scire debemus quod
      _non tam fixis labris_ pronuntianda _f_, quomodo _ph_, atque hoc
      solum interest inter _f_ et _ph_.» Ailleurs, p. 548, il ajoute:
      «Est aliqua in pronuntiatione literæ _f_ differentia (d’avec le
      φ), ut ostendit ipsius palati pulsus et linguæ et labrorum.»

Pourquoi les Grecs écrivaient-ils certains mots par θ et d’autres par
τ? Parce que la prononciation du θ différait sensiblement de celle
du τ, et cette prononciation du θ, _th_, qui se conserve encore chez
les Grecs, se retrouve et avec le même son dans la langue anglaise.
Un Anglais prononcera donc autrement que nous _authentique, épithète,
mythologie, théâtre_. Mais puisqu’en français le _th_ et le _t_ n’ont
qu’un seul et même son parfaitement identique, nous devons, ainsi qu’on
l’a fait pour _trésor, trône_, etc., écrire par un seul et même signe
tous les mots qui, par un long usage, sont devenus français. En suivant
cette voie, on rendra notre orthographe logique et conséquente.

La bizarrerie de notre écriture est le premier objet qui frappe
les yeux aussi bien des nationaux que des étrangers; elle contredit
l’esprit net, clair et logique du français que l’Académie maintient
dans sa pureté par l’exactitude de ses définitions et la précision de
ses exemples. L’illustre compagnie doit donc apporter le même soin à
l’orthographe, qui est l’empreinte visible de notre langue transmise
par tant de chefs-d’œuvre jusque dans des contrées dont nous ignorons
même le nom.

Puisque pour les mots que nous empruntons aux langues vivantes,
nous cherchons à franciser leur orthographe plutôt que de conserver
leur figure originaire, pourquoi ne pas agir de même à l’égard des
langues mortes? On s’est accordé à écrire, à la satisfaction de
tous, _vagon_ et non _waggon_, _valse_ et non _walse_, _chèque_ et
non _check_, _cipaye_ et non _cipahi_, _contredanse_ et non _country
dance_, _gigue_ et non _gig_, _loustic_ et non _lustig_, _arpége_ et
non _arpeggio_, _roupie_ et non _rupee_, _stuc_ et non _stucco_. De
_riding coat_ on a fait _redingote_, de _beefstake_, _bifteck_, qu’il
serait mieux d’écrire _biftec_, de _roast beef_, _rosbif_; de _packet
boat_, _paquebot_; de _toast_, _tost_ et _toster_; de _sauer kraut_,
_choucroute_, etc. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les mots où
les _th_, les _ph_ figurent aussi désagréablement dans notre système
orthographique que les _w_ et les _k_ des Saxons et des Germains,
tandis que nos mots dérivés du grec reprendraient si bien leur figure
française avec des _f_ et des _t_?

L’Académie, d’ailleurs, par un moyen simple et adopté aujourd’hui dans
tous les dictionnaires, peut maintenir la tradition étymologique, bien
plus efficacement que par la conservation accidentelle de quelques
lettres qui troublent la simplicité de notre orthographe: il suffirait
dans la prochaine édition de placer en regard du mot français le mot
grec d’où il dérive immédiatement. Si, dans la première édition de son
Dictionnaire et même dans les suivantes, l’Académie fit acte de haute
sagesse en n’y faisant pas figurer les étymologies grecques et latines,
attendu que la science, alors incertaine, faisait souvent fausse route,
aujourd’hui les bases des étymologies sont trop assurées pour que
l’addition des mots racines puisse être un sujet de controverse, étant
surtout limitée aux _seuls_ mots qui dans le Dictionnaire avaient des
_th_ et des _ph_.

Renchérir sur le premier Dictionnaire de l’Académie et réintégrer dans
la langue française l’orthographe étymologique grecque et latine dans
des milliers de mots d’où l’usage et l’Académie l’ont bannie est une
impossibilité, tandis que la modification qui atteindrait les _th_
et _ph_ des mots de la langue _usuelle_ qui les conservent encore ne
porterait pas sur plus de deux cents mots[30].

      [30] Les mots de la langue _usuelle_ ayant un _th_ sont au
      nombre d’environ soixante-dix: ceux, un peu plus nombreux, ayant
      un _ph_ sont du nombre d’une centaine. Les autres, pour la
      plupart, sont des termes de médecine, de chirurgie ou des arts,
      qui s’écrivent rarement, et sont consacrés à des professions
      spéciales; les personnes qui les exercent en connaissent
      l’origine et la signification, ce qui pourrait exempter ces mots
      d’être revêtus d’une forme bizarre que les Grecs, amis du simple
      et du beau, ne reconnaîtraient pas. Les mots _ichthyographie,
      triphthongue, apophthegme_, contiennent chacun deux ou trois
      consonnes déplaisantes qu’ils n’ont pas en grec: ἰχθυογραφία,
      τρίφθογγος, ἀπόφθεγμα, etc. Toutefois, comme ces mots ne sont pas
      de la langue usuelle, on pourrait leur conserver leur appareil
      scientifique.

Je lis dans un des écrits les plus sages sur la réforme de
l’orthographe le passage suivant[31]:

  «Si l’on veut conserver l’étimologie, il faut remètre des consones
  sans valeur dans plus de dis mile mots d’où on les a banies depuis
  long-temps. Quelque sistême qu’on veuille adopter, il faut tâcher
  d’être conséquent. L’usage actuel et le sistême des étimologies sont
  trop souvent en contradiction pour qu’on puisse alier ensemble les
  principes de l’un et de l’autre. Ainsi, puisque la prononciation nous
  a fait abandonner l’étimologie dans une partie de nos mots, la même
  raison nous invite à l’abandonner dans les létres étimologiques ne se
  prononçant point.»

      [31] _De l’Orthographe, ou des moyens simples et raisonnés de
      diminuer les imperfections de notre orthographe, de la rendre
      beaucoup plus aisée, pour servir de supplément aux différentes
      éditions de la grammaire française de M. de Wailly_ (membre de
      l’Académie française). Paris, Barbou, 1771, in-8.

Parmi les notes que mon père avait écrites en 1820, lorsque, avec MM.
Raynouard, Andrieux et quelque autres de ses amis, on discutait les
principes que l’Académie croirait devoir adopter pour l’orthographe, je
transcris celle-ci:

  «Je crois qu’on doit chercher à mettre le plus de simplicité possible
  dans l’orthographe. Je sais qu’on a de la peine à abandonner la
  méthode qu’on a longtemps suivie et, comme le dit Horace:

                                  ....... quæ
        Imberbi didicere, senes perdenda fateri;

  mais l’expérience me démontre que la simplicité dans l’orthographe
  est nécessaire. Je suis déjà avancé en âge. Après avoir fait une
  étude constante de la langue française, au moment de quitter la
  carrière typographique, je suis las de feuilleter sans cesse des
  dictionnaires qui se contredisent entre eux et se contredisent
  eux-mêmes. J’oserai le dire, bien qu’en hésitant encore: je voudrais
  qu’on écrivît le mot _philosophe_ non-seulement avec un _f_ à la
  dernière syllabe, comme le proposait de Wailly, mais je mettrais
  ce _f_ même à la première syllabe, comme font les Italiens et les
  Espagnols. Mais, dira-t-on, l’Académie française sera accusée
  d’ignorance. Ce ne sont point les érudits, au moins, qui l’en
  accuseront. Ils savent bien que ce _f_ est le DIGAMMA ÉOLIQUE dont
  faisaient usage non-seulement les Éoliens et les anciens Grecs, mais
  les inscriptions latines et les bons écrivains latins comme Catulle,
  Térence, etc.[32]

      [32] Seulement cette lettre paraît avoir été chez les anciens le
      signe d’une aspiration, tandis que chez nous elle est douce et
      euphonique, et convient ainsi parfaitement à l’emploi qu’on lui
      destine.

  «On a crié beaucoup la première fois qu’on a écrit le mot _phantôme_
  avec un digamma éolique ou _f_. Alors les dictionnaires modernes ont
  commencé à insérer ce mot _fantôme_ à la lettre F, mais en renvoyant
  au mot _phantôme_ par un _ph_ pour la définition et les exemples;
  ensuite on a écrit le mot _fantôme_ avec la définition et les
  exemples à la lettre F, et on a seulement inscrit le mot _phantôme_
  avec le _ph_ en renvoyant au mot _fantôme_ par un _f_; et maintenant
  on ne trouve plus le mot _phantôme_ par _ph_ dans le Dictionnaire de
  l’Académie.»

Voltaire dans sa correspondance écrivait _philosofe_ ou _filosofe_,
_philosofie_ ou _filosophie_, et dans son _Dictionnaire philosophique_
faisait ranger à la lettre F l’article PHILOSOPHIE; on lit en tête de
cet article:

  «Écrivez _filosofie_ ou _philosophie_ comme il vous plaira[33].»

      [33] C’est à la lettre F que Voltaire avait fait placer l’article
      PHILOSOPHE, sous ce titre: FILOSOFE ou PHILOSOPHE.

Les améliorations introduites dans la dernière édition du Dictionnaire
de l’Académie n’eurent plus un seul contradicteur, du moment qu’elles
y furent admises. Il en sera de même de toutes celles que l’Académie
croira devoir approuver. Sans rien violenter, elles auront l’avantage
d’épargner du temps et de la fatigue d’esprit, de rapprocher du beau
et du simple les formes de notre langue, d’en rendre l’étude plus
facile, enfin de se conformer aux tendances marquées par l’Académie
elle-même dans les éditions successives de son Dictionnaire, tendances
qui sont celles de l’esprit humain et qui datent de loin, puisque,
nous dit M. Villemain, «Auguste, homme de goût, écrivain précis, et de
plus empereur, ce qui donne toujours une certaine influence, jugeait
que l’orthographe devait être l’image fidèle de la prononciation:
Orthographiam, id est formulam rationemque scribendi, a grammaticis
institutam, non adeo custodiit; ac videtur eorum potius sequi
opinionem, qui perinde scribendum, ac loquamur, existiment[34].»

      [34] Suétone, _Vie d’Auguste_, LXXXVIII. Ce mot _Augustus_ est
      un exemple frappant de la tendance irrésistible à l’abréviation
      des mots par la prononciation, puis par l’écriture: _Auguste,
      aoust, août_, est prononcé _oût_, et Baïf, dans son système
      phonétique, recourt à la ligature grecque ȣ[‡], pour figurer
      notre son _ou_.

      [‡] Ligature d'un omicron ο et d'un upsilon υ. On la retrouve à
      la p. 200.


I

ORTHOGRAPHE ÉTYMOLOGIQUE DE LA LETTRE χ.


_Mots de la langue française où la lettre_ χ _est figurée par_ C, K
_ou_ QU, _et par_ CH.

                  |                                      | par _ch_
  Par _c, k_ ou   |  Par _ch_, quoique prononcé _k_:     | prononcé à
  _qu_, l’_h_     |                                      | la manière
  ayant disparu:  | ╭----------------------------------╮ | française:
                  |                                      |
  acariâtre       | achromatique*       chrême           | Achéron
  caméléon        | anachorète*         chrestomathie*   | Achille
  caractère       | anachronisme*       chrétien         | alchimiste
  Caron           | antechrist          Christ           | anarchie
  carte           | archaïsme*          chromatique*     | archée
  cartulaire      | archange*           chrôme*          | archidiacre
  colère          | archéologie         chronique*       | archiduc
  colérique       | archéologue         chronologie*     | archimandrite
  colique         | _archétype_**       chronomètre*     | archipel
  corde           | _archiépiscopal_**  chrysalide*      | architecte
  cristal         | archonte*           chrysanthème     | archives
  cristalliser    | autochthone*        chrysocale*[35]  | archiviste
  cristallisation | bacchanale*         cochléaria*      | archivolte
  école           | brachial*           conchyliologie** | bachique
  estomac         | catachrèse*         drachme*         | béchique
  estomaquer      | catéchumène*        ecchymose        | bronchite
  exarque         | chalcographie*      écho*            | cacochyme
  hérésiarque     | Chaldée             eucharistie*     | catéchisme
  kilo            | chaos*              exarchat*        | charité
  kilogramme      | Charybde            hypochondre*     | charme
  kilomètre       | _chélidoine_**      ichneumon*       | charte
  mécanique       | Chersonèse          ichthyologie*    | chimère
  mélancolie      | _chirographaire_**  [lichen]**       | chimie
  mélancolique    | _chirographe_**     lithochromie*    | chimiste
  métempsycose    | _chirologie_**      malachite        | chirurgie
  monacal         | _chiromancie_**     mnémotechnie*    | chirurgien
  monarque        | chlamyde*           ochlocratie*     | chyle
  monocorde       | chlore*             orchestre        | chyme
  pancarte        | chlorure*           philotechnie*    | exarchie
  pascal          | chœur               polytechnie*     | machiner
  patriarcal      | choléra-morbus*     psychologie*     | monarchie
  patriarcat      | chorée*             pyrotechnie*     | pachyderme
  Plutarque       | chorége*            saccharin*       | Psyché
  scolastique     | choriambe*          strychnine*      | rachitisme
  scoliaste       | choriste*           synchronisme*    | schène
  sépulcre        | chorographe*        synecdoche*      | schisme
  sépulcral       | chorus*             technique*       | schiste
  stomacal        |                                      | trochée

      [35] Mot dont la formation est absurde; il eût fallu _chrysoïde_,
      χρύσου είδος, _ayant l’apparence de l’or_. Chrysocale qui veut
      dire _bel or_, est donc un mensonge; le vrai mot était _similor_,
      mais il indiquait trop bien la chose.

Ainsi, dans tous ces mots dérivés du grec, et qui pour la plupart sont
de formation récente, on voit figurer à la première colonne: 1º ceux
qui, écrits d’abord par _ch_, tels que _charactère, charte, chorde,
mélancholie, méchanique_, etc., au nombre de 38, ont successivement
perdu l’_h_ et s’écrivent _caractère, carte, corde, mélancolie,
mécanique_, etc., avec le _c_ dur ou ses représentants alphabétiques.

2º Dans les colonnes du milieu sont rangés 72 mots écrits avec _ch_,
dont le Dictionnaire indique, du moins pour la plupart, que ce _ch_
doit être prononcé _k_.

3º Dans la quatrième colonne, qui contient 36 mots, ce même signe
binaire _ch_ se prononce pour tous _à la française_, CHE: _alchimie,
architecte, archidiacre, charité_, etc.

J’ai donc marqué, à la seconde et troisième colonne, avec un * les mots
qui devraient être écrits par un _c_, afin de les faire rentrer dans la
_première_ série; ils sont au nombre de 51, et j’ai marqué de deux **
ceux qui pourraient rentrer dans la _troisième_ série en conservant le
_ch_ et qui dès lors se prononceraient à la _française_: ils sont au
nombre de neuf.

En effet, à côté des mots qui, à la _première_ colonne, ont perdu
successivement le _ch_ pour être écrits par le simple _c_ dur:
_caractère, carte, colique, colère, mécanique, mélancolie, patriarcal,
scolastique, sépulcre_, et _exarque, monarque_, etc., on peut ranger
sans inconvénient _acromatique, anacronisme, arcaïsme, catécumène,
clore, clorure, crôme, cronologie[36], psycologie_, comme Victor
Cousin voulut qu’on imprimât ce mot dans ses ouvrages, et non
_psychologie_. Pourquoi écrire _exar_cat et _asiar_chat, lorsqu’on
écrit _exarque_ et _patriarcat_?

      [36] _Chronologie_ est souvent écrit et même imprimé sans _h_:
      _cronologie_, Voltaire écrit _catécumène_.

Et l’on peut ranger, sans le moindre inconvénient, à la _troisième_
colonne, _archétype, archiépiscopal, chélidoine, chirographaire,
chirographe, chirologie, chiromancie, lichen_, puisqu’on écrit et
prononce _alchimiste, archidiacre, archiduc, charité, catéchisme,
chirurgie, chirurgien_.

Il ne resterait de difficulté que pour neuf mots, _antechrist,
archéologue, archéologie, chœur, chrême, chrétien, ecchymose,
malachite, orchestre_, auxquels on peut conserver le _ch_ en indiquant
au Dictionnaire qu’il se prononce _k_.

Il est fâcheux que la prononciation du _c_ étant celle de l’_s_ devant
_e_ et _i_, ne permette pas d’écrire _arcéologue, arcéologie,
eccymose, malacite, orcestre_. Mais pourquoi ne pas prononcer
ARCHÉ_ologie_ comme _mon_ARCHIE, ou bien écrire et prononcer
ARQUÉ_ologue_, comme on écrit et prononce _mon_ARQUE, et ne pas s’en
tenir à _synecdoque_ que l’Académie elle-même autorise? On pourrait
aussi employer le _k_, d’un si grand usage chez nos anciens poëtes et
si regretté par Ronsard. Théodore de Bèze l’indiquait, pour écrire
_rekeil, rekeillir_, etc., au lieu de _recueil, recueillir_, et
nous l’avons admis dans l’usage ordinaire pour _kilo, kilogramme,
kilomètre, kyste, ankylose, enkysté, kyrielle_, mots également
dérivés du grec où le χ et le κ sont représentés par _k_.

Le tableau des mots dérivés du grec où figure le χ montre combien,
excepté neuf mots, la régularisation devient facile.

Quant aux noms propres, presque tous dérivés du grec, ils s’écrivent en
général avec _ch_ et se prononcent _k_. Quelques-uns cependant se sont
modifiés et ont perdu l’_h_, tels que _Caron, Plutarque, Andromaque,
Télémaque_. On devrait donc écrire _Calkas_ on _Calcas_ et non
_Calchas_. Mais, comme les noms propres ne figurent pas au Dictionnaire
de l’Académie, il est inutile de s’en occuper ici.

Pour des mots scientifiques, tels que _cholédoque, cholédologie_,
il importe fort peu, à qui sait le grec, qu’ils soient écrits d’une
manière ou d’une autre. La science du grec ne saurait d’ailleurs être
toujours un guide infaillible. Ainsi, de ce qu’on sait le grec, on
croira devoir écrire _scholie_ et _scholiaste_; cependant l’Académie
écrit _scolie_ et _scoliaste_, tandis que, par amour du grec, on aurait
dû distinguer le «commentaire, σχολιόν», de la «chanson de table,
σκόλιον», et pour se conformer à l’étymologie, écrire avec un _h_ le
commentaire, _scholie_, et sans _h_ la chanson de table, _scolie_.

D’autres mots signifient même, pour qui sait le grec, précisément
le contraire de ce qu’ils veulent exprimer; tels sont _oxygène,
hydrogène_: c’était _oxygone, hydrogone_ qu’il fallait. On ne s’est
trompé que du fils au père: au lieu de l’engendreur l’engendré.

Si le doute est permis, même à des hellénistes, quel ne doit pas être
l’embarras des artisans, et du nombre immense de ceux qui ne savent ni
le grec ni latin? En 1694, quand l’Académie composa son Dictionnaire,
savoir lire et écrire était un privilége réservé à une classe
restreinte de la société. Aujourd’hui c’est le droit et le devoir de
tous[37].

      [37] M. B. Jullien, dans son Traité des _Principales étymologies
      de la langue française_, après avoir cité un grand nombre de mots
      qui ne sont que des _barbarismes prétentieux_, insignifiants, et
      _inintelligibles pour les Grecs_, s’exprime ainsi: «C’est payer
      un peu cher la manie de puiser dans les langues savantes que
      d’en tirer des barbarismes pour aboutir à des contre-sens.» (P.
      59-68.)


DE L’ESPRIT RUDE ET DE LA LETTRE _H_.

L’Académie semble vouloir renoncer à figurer dans l’orthographe
l’esprit rude du ῥ grec, qui indique une aspiration étrangère à
l’harmonie de notre langue, et qui ne se fait pas sentir. En effet,
l’_h_, qui était censée représenter cet esprit rude, a disparu de
_rapsode, rapsodie, rabdologie, rabdomancie, rétine, erpétologie,
cataracte_ (qui serait selon l’étymologie, _catarrhacte_); pourquoi
donc maintenir ce signe _h_ dans les mots _arrhes, myrrhe, rhagade,
rhapontic, rhinocéros, rhomboïde, rhubarbe, rhume, rhumatisme, rhythme,
squirrhe_? L’Académie écrit _eurythmie_ qu’elle aurait dû écrire
_eurhythmie_ (avec les cinq consonnes), puisqu’elle écrit _rhythme_.
Elle a supprimé la marque de l’esprit rude dans _olographe_, mais l’a
conservée dans _holocauste_[38].

      [38] On écrit _rose_ et _rosier_, contrairement à l’orthographe
      grecque, mais conformément à celle des Latins, qui cependant
      écrivent _Rhodos_, l’île de Rhodes. C’est donc à tort que de
      ῥόδον, _la rose_, nous avons formé _rhododendron, l’arbre-rose_
      et _rhodium_, vu la couleur rose de ce métal; cette anomalie
      ferait croire cet arbuste et ce métal originaires de Rhodes.

Cette _h_, depuis longtemps abandonnée dans la seconde partie de
_hémorragie, hémorroïdes_, et dans _squirre_, mais qui reparaît dans
_catarrhe, diarrhée, gonorrhée_, formés comme _hémorroïdes_ sur le
radical ῥέω, devrait disparaître aussi de _réteur, rétorique_, comme
aussi de _rume_ et _rumatisme_, qu’on écrivait autrefois _reume_ et
_reumatisme_ et plus anciennement _rume_, ainsi qu’on le voit figurer
(_gallice_) en 1420, dans le Dictionnaire de Le Ver. Tous ces mots,
malgré leurs significations diverses, découlent également de ῥέω[39].

      [39] Dans les _Cahiers_ de l’Académie pour l’édition de 1694,
      on fait observer que les monts Riphées s’écrivent sans _h_
      (_Riphées_ au lieu de _Rhiphées_).

      L’Académie de Madrid, dans son désir de simplifier encore plus
      l’orthographe[*] a décidé, en 1859, que tous les mots commençant
      par _h_ se prononceraient sans aspiration, excepté un seul cas.
      Elle a cependant respecté l’emploi de cette lettre, en partie à
      cause de l’origine des mots et en partie pour éviter la confusion
      qui résulterait de la similitude des sons de mots se prononçant
      de même, soit ayant l’_h_, soit ne l’ayant pas. Nous ne saurions
      faire de même, puisque la versification se trouverait altérée si
      certaines lettres perdaient leur aspiration. Il est regrettable,
      toutefois, que, contrairement à l’étymologie, on écrive _hache,
      huile_ (on écrit _olive_ et _olivâtre_), _huis, huit, huître_,
      qui proviennent de _oscia, oleum, oliva, ostium, octo, ostreum_.
      On a eu raison de supprimer récemment l’_h_ dans _hermite_,
      puisque l’origine est _eremita_.

      [*] _Prontuario de ortografía de la lengua castellana despuesto
      de real órden para el uso de las escuelas públicas, por la real
      Academia española._ Madrid, imprenta nacional, 1866.

Dans ce même Dictionnaire de Le Ver le mot _halitus_ est traduit en
français par _aleine_.

Corneille écrit sans _h_ le mot _orizon_, où l’_h_ est muette, et même
le mot _halte_, bien que l’Académie y indique l’_h_ comme aspirée.

        Rien n’étonne: on fait _alte_, et toute la surprise
        N’obtient de ces grands cœurs qu’un moment de remise.

        (_Poésies diverses_, 313 et 274.)

J’ai donc eu raison de dire que ces contradictions requièrent une
solution, et que pour se prononcer en matière d’orthographe il ne
suffit pas d’être érudit, car bien souvent les savants mêmes, par
cela même qu’ils sont savants, hésitent et sont forcés de recourir au
Dictionnaire pour se guider à travers ces bizarres anomalies.


DES LETTRES Θ ET Φ

REPRÉSENTÉES EN LATIN PAR _th_ ET _ph_.

Déjà Ronsard, mort en 1585, s’exprimait ainsi, dans la préface de son
_Abrégé de l’art poétique_:

  «Quant aux autres diphtongues (les lettres doubles _ch, ph, th_),
  je les ay laissées en leur vieille corruption, avecques insupportable
  entassement de lettres, signe de nostre ignorance et peu de jugement
  en ce qui est si manifeste et certain.» (_Voy._ l’Appendice B.)

Il est regrettable que l’Académie, dans la première édition de son
Dictionnaire, en 1694, et plus tard, lorsque, en 1740, elle supprima
en grande partie les traces de l’orthographe latine, n’ait pas
complétement réalisé le vœu de Ronsard, et que par l’emploi des _th_ et
des _ph_ elle ait introduit ou laissé subsister dans notre écriture
«le faste pédantesque» qu’elle condamnait dans le poëte.

Malgré tout le respect que je dois aux Estienne, c’est surtout à eux
qu’est due l’introduction des _ph, ch, th_ dans notre écriture, où
la grande et juste autorité de leur savoir les a maintenus et longtemps
perpétués. Cependant, sur certains points, Robert Estienne, dans son
Dictionnaire français de 1540, s’est montré moins zélé partisan de
l’étymologie que ses imitateurs: il écrit _caractere, escole_, il
autorise _tesme, yver_ sans l’_h_; et sans _ph_ les mots _orfelin,
flegme, fantastique, frenetique, faisan_.

Avant l’apparition du Dictionnaire de Robert Estienne, l’emploi de
ces doubles lettres se rencontrait fort rarement dans les manuscrits,
puisque parmi les quatre à cinq cents mots dont je donne la liste, et
où figurent des _th_, des _ph_ et des _ch_, à peine une vingtaine de
mots étaient ainsi écrits dans la langue française en l’an 1440. C’est
ce que constate le grand Dictionnaire rédigé dans la première moitié du
quinzième siècle par le prieur des Chartreux, Firmin Le Ver. Ce vaste
répertoire, qui contient plus de trente-cinq mille mots, peut être
comparé, en quelque sorte, au Dictionnaire de l’Académie, puisqu’il
nous offre l’inventaire complet de notre langue de 1420 à 1440 (voir
Appendice C). Mais, pour ne parler ici que de l’orthographe, on y
voit combien l’écriture était alors celle qu’on aurait dû respecter,
puisqu’on y est revenu après s’en être écarté. On y lit, ainsi écrits:
_antecrist, caractere, cirographe, colere, saint crême, melencolie,
sepulcre_;--_apoticaire, autentique, auteur, autorizier, pantere,
diptongue_;--_blasfeme, filosophe, fisique, frenesie, frenetique,
orfelin, spere_;--_cripte, cristal, himne, idropisie, iver, ivernal,
martir, mistere, tiran_. Enfin, par l’écriture des mots _diptongue_ et
_spere_, on voit combien est antipathique à notre langue l’emploi de
trois consonnes. Ce qui n’est pas moins remarquable c’est que dans ce
vaste répertoire un grand nombre de mots latins sont déjà en quelque
sorte _francisés_ dans leur orthographe, et ont perdu les signes de la
latinité classique. Ainsi on lit à leur ordre alphabétique:

    Antitesis    _et non_ antithesis
    Antrax       _et non_ anthrax
    Antropofagi  _et non_ anthropophagi, etc.

Enfin, quant au mot même qui fait le sujet de cet écrit, voici ce
qu’on y lit: «_Ortographia_, bon _ortografiemens_; _Ortographus_, bon
_ortografieur_; _Ortographo_, bien _ortografier_, bien espeler.»

Du Bellay et Ronsard ont écrit _ortographie_, le Dictionnaire de
Nicot l’écrit de même, et je le vois ainsi figuré dans quelques
grammaires modernes. En effet, la forme donnée au mot _orthographe_
fait dire à ce mot tout autre chose que le sens qui lui est affecté.
_Géographie, uranographie, orographie, télégraphie, lithographie,
typographie, orthodoxie_, sont des mots formés régulièrement du grec;
_calligraphie_, c’est l’art de la belle écriture, et _calligraphe_,
l’homme qui écrit bien; _orthodoxie_ est la conformité à l’opinion
régulière, et _orthodoxe_, celui dont la foi est régulière;
_orthogra_PHIE signifie donc l’art d’écrire correctement, et
_orthographe_ désigne celui qui possède ou exerce cet art. Il est
fâcheux que ce mot _orthographe_ soit à la fois un barbarisme et une
difformité, d’autant que l’Académie, dès 1694, écrit _orthographier_,
au lieu d’_ortographer_, comme l’écrivait Corneille, en cela plus
logique que nous[40].

      [40] Dans sa _Grammaire comparée_, p. 24, M. Egger regrette que
      l’on n’écrive pas, comme au XVIe siècle, _ortographie_, et il
      emploie ce mot ainsi écrit dans son _Histoire sur les théories
      grammaticales dans l’antiquité_. Je le vois aussi écrit de même
      dans plusieurs livres de grammaire où l’on s’indigne contre ce
      barbarisme.

Si l’anarchie orthographique qui régnait dans l’écriture et dans les
imprimeries, lorsque l’Académie publia la première édition de son
Dictionnaire, fut le motif qui l’engagea à se rapprocher du latin,
maintenant que l’usage, invoqué par l’Académie comme sa loi suprême,
lui a fait réduire à chaque édition l’emploi des _th_ et des _ph_ dans
les mots le plus ordinairement employés, elle jugera peut-être opportun
de mettre un terme au désordre, en donnant à des mots depuis longtemps
devenus français par l’usage, la physionomie qui leur convient.

Quant aux mots forgés par les médecins, les naturalistes et les
chimistes, avec leur parure obligée de _ch_, de _ph_, et de _th_, ils
sont heureusement d’un emploi rare. J’ai donc cru devoir séparer en
deux listes les mots qui figurent au Dictionnaire de l’Académie: ceux
de la langue usuelle, et ceux de la langue technique et par conséquent
peu usités.

Il résulte de ces listes que les mots de la langue usuelle ayant le
_th_ et figurant au Dictionnaire sont au nombre de 77.

Ceux d’un usage exceptionnel, admis néanmoins par l’Académie et où
figure le _th_, sont au nombre de 68.


_Mots d’un usage ordinaire ayant conservé le_ TH.

  absinthe           catholique         méthode            synthèse
  améthyste          corinthien         misanthrope        théâtral
  anathème           cothurne           mythe              théâtre
  anthologie         dithyrambe         mythologie         thème[41]
  antipathie         enthousiasme       orthodoxe          Thémis
  antithèse          épithète           orthopédie         théocratie
  apathie            esthétique         panthéisme         théologie
  apothéose          éther              panthéon           théorème
  apothicaire        homœopathie        panthère           théorie
  arithmétique       hypothèque         parenthèse         thermal
  asthme athée       hypothèse          pathétique         thermes
  athéisme           isthme             pathologie         thermomètre
  athénée            jacinthe           pathos             thésauriser
  athlète            labyrinthe         plinthe            thèse[42]
  athlétique         léthargie          polythéisme        thuriféraire
  authentique        logarithme         posthume           thym
  bibliothèque       luth               pythagoricien      thyrse
  cantharide         luthier            pythie
  cantharide         mathématique       rhythme
  cathédrale         menthe             sympathie

      [41] On écrit _abstème_, d’après une étymologie bien incertaine.
      Comment se rappeler cette distinction? Le Dictionnaire écrit
      _Ostrogot_: pourquoi écrire _gothique_?

      [42] Robert Estienne, lui-même, écrit ce mot sans _h_.


_Mots avec_ TH _d’un usage exceptionnel_.

  acanthe           cithare              lithotritie      stéthoscope
  aérolithe         enthymème            _luthéranisme_   térébinthe
  allopathie        épithalame           lycanthropie     théatin
  anacoluthe        épithème             monolithe        théisme
  anesthésie        éréthisme            ornithologie     théodicée
  anthère           esthétique           orthodromie      théogonie
  anthracite        éthique              orthogonal       théologal
  anthrax           eurythmie            orthopédie       thérapeutes
  anthropologie     exanthème            orthopnée        thérapeutique
  athlothète        lagophthalmie        oryctographie    thériacal
  autochthone       léthifère            ostéolithe       thériaque
  bismuth           litharge             panathénées      thermidor
  carthame          lithiasie            pentathle        théurgie
  cathédrant        lithocolle           pléthore         thoracique
  cathérétique      lithologie           plinthe          thorax
  cathéter          lithontriptique[43]  pyrèthre         thuia
  chrysanthème      lithotomie           pythique         tithymale

      [43] Cette forme, qui déroge à celle des autres composés de
      λίθος, _lithotritie, lithotomie, lithologie_, et à toute
      la série des mots composés du grec, ne saurait être admise,
      à moins de vouloir, en _français_, écrire _grec_ et _latin_.
      Si l’on transformait ainsi dans notre langue les désinences
      des génitifs grecs, il faudrait écrire _odontônalgie_ et non
      _odontalgie, typougraphie, physéologie_ ou plus exactement
      _physéoslogie_, etc. Quant à la forme assez barbare de la
      désinence _triptique_ dans ce mot _lithontriptique_, elle dérive
      ici de τρίβω, _je frotte_, d’où τρίπτης; mais pour quiconque
      sait le grec, l’explication donnée au Dictionnaire: _médicaments
      lithontriptiques_, signifiera des médicaments _qui frottent la
      pierre_ (dans la vessie). _Litholytiques_ (de λύω) eût mieux
      exprimé ce qu’on voulait indiquer: _des médicaments dissolvant la
      pierre_.

L’Académie, ayant fait disparaître l’_h_ des mots _thrésor, thrésorier,
thrésorerie, thrône, déthrôner, autheur, authoriser, inthronisation,
inthroniser_, croira peut-être le moment venu de supprimer, en tout ou
en partie, l’_h_ dans les soixante-dix-sept mots de la langue usuelle
qui figurent en tête de la liste précédente, et cela conformément à
l’exemple donné par ses prédécesseurs.


DU Φ QUI DEVRAIT TOUJOURS ÊTRE REPRÉSENTÉ PAR F.

L’Académie, après avoir écrit, dans sa première édition, par _ph_
les mots _phlegme, phlegmatique, phantosme, phantastique, phiole,
scrophuleux_, les a écrits plus tard par un _f_: _flegme, flegmatique,
flegmon_ (on devrait écrire _flegmasie_ et non _phlegmasie_), _fantôme,
fantastique, frénésie, frénétique, fiole, scrofuleux_, etc., de même
qu’elle figure par _f_ les mots d’origine grecque, _faisan, fantaisie,
fanatique, fantasmagorie, faséole, fenestre, greffier, siffler_ et
_soufre_ du latin _sulphur_. Il n’est personne assurément qui voudrait
voir rétabli le _ph_ dans ces mots. Notre _f_ est une _lettre de
naturalisation_, à laquelle a droit tout mot devenu français. Les _ph_
devraient même être bannis de cette foule de mots scientifiques qui
hérissent notre écriture de consonnes inutiles et la défigurent[44].

      [44] Voici d’autres mots grecs, que les Latins ont écrits par
      un _f_ et non un _ph_: _fagus_, φηγός; _fallo_, σφάλλω; _fax_,
      de φάω; _fero_, de φέρω; _ferus_, de φήρ ou θήρ; _fuo, fio_,
      φύω; _fiscus_, de φίσκος; _fistula_, de φυσᾶν; _folium_, de
      φύλλον; _forma_, μορφή; _frons_, φροντίς ou ὀφρύς; _fuga_, φυγή;
      _fulgeo_, φλέγω; _fucus_, φύκος; _fungus_, σφόγγος; _funus_,
      φόνος; _fur_, φώρ; _feretrum_, φέρετρον; _fortax_, φόρταξ;
      _frigo_, φρύγω ou φρύττω.


_Mots avec_ PH _d’un usage ordinaire._

  alphabet           éléphant           orphique           physique
  amphibie           emphase            pamphlet           polygraphe
  amphibologique     emphatique         paragraphe         porphyre
  amphore            éphémère           paraphrase         prophète
  aphorisme          épigraphe          périphrase         saphir
  apocryphe          épiphanie          phaéton            sarcophage
  apostrophe         épitaphe           phalange           sémaphore
  asphalte           euphonie           phare              séraphin
  asphyxie           géographie         pharisien          siphon
  atmosphère         hémisphère         pharmacie          sophisme
  atmosphérique      hiéroglyphe        pharmacien         sophiste
  autographe         historiographe     pharynx            sphère
  bibliographe       hydrophobe         phase              sphinx
  bibliophile        hydrophobie        phénix             sténographe
  biographe          limitrophe         phénomène          strophe
  blasphème          logogriphe         philippique        sylphe[46]
  cacophonie         lymphatique        philologie         symphonie
  calligraphe        métamorphose       philologue         syphilis
  camphre            métaphore          philtre            télégraphe
  catastrophe        métaphysique       phoque             télégraphie
  cénotaphe          monographie        phrase             triomphe
  colophane          mythologie         phthisie           typographie
  coryphée           néophyte           phthisique         typhus
  cosmographie       nymphe             physicien          zéphyre
  dauphin[45]        œsophage           physiologie        zoophyte
  diaphane           orphelin           physionomie

      [45] Dans les cahiers de l’Académie, on proposait d’écrire
      _Daufin, Daufiné_.

      [46] Pourquoi écrire par _ph_ _sylphide_ et _syphilis_, et même
      _séraphin_? Sans doute ce dernier mot vient de l’hébreu; mais,
      de même qu’on a supprimé le dernier _h_ au mot _alphabeth_, on
      pourrait aussi remplacer le _ph_ par _f_.

Ces mots où le _ph_ figure sont au nombre de cent quatre-vingts à
deux cents. Le parti le plus logique serait sans doute d’imiter les
Italiens et de substituer partout le _f_ au _ph_ qui, en français, n’a
pas et ne peut pas avoir d’autre son que l’_f_ qui reproduit si bien
le φ. Si pourtant l’Académie hésitait à compléter la réforme dont ses
prédécesseurs lui ont tracé la voie, au moins pourrait-elle l’étendre à
certains mots d’un usage ordinaire: _alfabet_, ainsi écrit par Volney
et autres, _apostrofe, atmosfère, atmosférique, blasfème, catastrofe,
éléfant, enfase, épitafe, géografie_ (et ses similaires), _hémisfère,
métamorfose, néofyte, paragrafe_ (on écrit _agrafe_), _fénomène,
filosofie, frase, profète_, _sofiste, télégrafe, zoofyte_, etc., etc.
_Blasfème, orfelin_, sont même ainsi écrits par Robert Estienne.

C’est surtout dans les mots où le _th_ et le _ph_ sont réunis et
dans ceux où l’on trouve deux _ph_ ou _th_: _aphthe, apophthegme,
diphthongue, ichthyophage, ophthalmie, ichthyolithe_, que la réforme
serait urgente. On ne saurait imaginer rien de plus barbare en
français que ces groupes de quatre consonnes. L’Académie, qui dans ses
précédentes éditions écrivait _aphte, phtisie, diphtongue, ortographe_,
serait unanimement approuvée si, n’osant faire plus, elle revenait
du moins à cette orthographe plus simple. _Phtisie_ vaut mieux que
_phthisie_; _ophtalmie_ que _ophthalmie_; _aphte_ que _aphthe_; mais on
devrait faire encore plus.

Voici la liste des autres mots dérivés du grec par le latin, ou formés
directement du grec, auxquels est appliqué le _ph_ au lieu de _f_:


  _Mots avec_ PH _d’un usage exceptionnel_.

  acéphale          éphores           phalène           physiognomonie
  amorphe           épistolographie   phaleuce          physiographe
  amphictyon        euphémisme        phallus           phytologie
  amphigouri        hagiographe       phanérogame       planisphère
  amphitryon        hermaphrodite     pharmacopée       polyadelphie
  antiphonaire      hiérophante       phébus            porphyrogénète
  antiphrase        hydrocéphale      phénicoptère      prophylactique
  antistrophe       hydrographie      philharmonie      sphacèle
  aphélie           iconographie      philhellène       sphénoïdal
  aphérèse          lexicographie     philomathique     sphénoïde
  aphonie           méphitique        philotechnique    sphériste
  aphrodisiaque     monophylle        phimosis          sphéristère
  apophyse          morphine          phlébotomie       sphéristique
  asphodèle         myographe         phlegmon          sphéroïde
  atrophie          naphte            phlogistique      sphéromètre
  autocéphale       néographe         phlogose          sphincter
  callographe       nosographie       phlyctène         staphylôme
  caryophyllée      olographe         phœnicure[47]     sycophante
  chirographaire    ophicléide        pholade           symphyse
  chorégraphie      oryctographie     phonique          synalèphe
  chorographie      pantographe       phosphate         tachygraphie
  cosmographie      paranymphe        phraséologie      topographe
  diaphragme        paraphernal       phrénique         uranographie
  électrophore      paraphimosis      phylactère        zoographie
  encéphale         phagédénique      phylarque         zoophyte

      [47] Qu’on devrait écrire _phénicure_, comme _phénix_.


  _Mots avec_ TH _et_ PH _réunis_.

  amphithéâtre      diphthongue[48]   lithographe       phyllithe
  anthropophage     ichthyophage      lithophyte        phytolithe
  aphthe            ichthyographie    orthographe       phthisie
  apophthegme       lagophthalmie     philanthrope      triphthongue

      [48] L’Académie dans sa première édition écrivait _diphtongue_;
      Corneille, dans sa grande édition, l’écrivait de même, ainsi
      qu’_ortographe_.


  _Mots avec deux_ PH _ou deux_ TH.

  philosophie       phosphate         ichthyolithe
  photographie      phosphore         théophilanthrope


II

DOUBLES LETTRES.

L’usage général, qui, dans la prononciation, tend de plus en plus à
atténuer la forte accentuation de certaines syllabes, a fait, en grande
partie, disparaître pour l’oreille la double consonne, qui devait
retracer à la vue l’étymologie dans les mots calqués sur le latin. Déjà
l’Académie, conformément au désir manifesté par Corneille, par les
Précieuses et par un grand nombre de bons esprits, a successivement
supprimé dans un très-grand nombre de mots l’une des deux consonnes,
dont l’emploi d’ailleurs n’avait rien de régulier. Car si, comme dans
le latin, la double consonne avait souvent pour but de faire élever la
voix sur la syllabe qu’elle termine[49], _molle, folle, chatte, sotte_,
etc., quelquefois, par un effet différent, elle la rendait brève dans
_flamme, manne, femme_; tandis que d’autres fois c’était la consonne
simple qui rendait brève la syllabe qui la précédait, _matin, dame_,
etc.

      [49] Voir, à l’Appendice D, l’analyse de la Grammaire de Regnier
      des Marais.

Cette irrégularité manifeste et l’exemple donné par l’Académie
offrent donc une grande latitude à l’égard de ce qui reste encore
de ces doubles lettres inutiles, qui doivent disparaître partout
où leur présence n’indique pas le but auquel elles sont destinées:
l’_élévation du ton sur la syllabe qu’elles terminent_; mais elles
doivent être conservées partout où leur présence peut encore se faire
sentir à l’oreille, même contrairement à l’orthographe latine, comme
dans _pomme, homme, personne_, et aussi dans _lettre_, bien que le
latin _pomum, homo, persona, litera_, exigerait, conformément
à l’étymologie, qu’on écrivît _pome, home, persone_[50]. On devra
donc dans la série des mots se terminant en _lle_ ou _mme_ ou _nne_,
etc., maintenir la double consonne qui précède l’_e_ muet final, et
qui, ainsi que _es_ au pluriel et _ent_ à la troisième personne du
pluriel des verbes, constituent la rime féminine. D’après ce principe,
il faudrait écrire il _s’abonne_ et un _aboné_, ils _s’abonnent_ et
ils _s’aboneront_; il _couronne_ et il _courona_, ils _couronnent_
et ils _couroneront_, il _pardonne_ et il _pardona_, comme on écrit
il _jette_ et il _jetait_. C’est ainsi que l’Académie écrit _battre_
et _bataille, batailler_; _combattre_ et _abatage_, _ficelle_
et _ficeler_, et cela conformément au précepte donné par Régnier
des Marais: «Il est de regle, dit-il, p. 108, et de l’usage fondé
par la regle, d’escrire _chapelle_ et _chandelle_ par deux _ll_ et
_chapelain, chandelier_ par une _l_ seule parceque dans les deux
premiers mots _chapelle_ et _chandelle_ l’_e_ qui précède l’_l_ est un
_e ouvert_, et que dans les deux autres, _chapelier, chandelier_,
il est muet.» Et ailleurs, p. 102, il fait la même observation pour
d’autres mots terminés en _e_ muet, _femme_ et _féminin_; _donne_ et
_donateur_; _homme_ et _homicide_.

      [50] Conformément à l’orthographe latine, l’Académie écrit
      _bonhomie, prud’homie, homicide_, se rapprochant ainsi de
      notre ancienne orthographe, _home, homs, hom, om_ et enfin
      _on_. Le Dictionnaire de l’Académie de 1694, conformément aux
      instructions des _Cahiers_, écrit _consone_.

Dans quelques mots la double lettre a été remplacée par un accent
grave: ainsi on écrit _clientèle, fidèle, infidèle, stratagème,
deuxième, diadème, hétérogène, arbalète, achète, secrète_, _diamètre_,
etc., mais le nombre de mots figurés ainsi est très-restreint. Boileau
écrivait _lètre_ au lieu de _lettre_, et à son exemple on aurait pu
remplacer la double consonne par l’accent grave, en écrivant _chandèle,
chapèle, ficèle_, il _apèle_, etc.; cependant, pour ne pas changer les
habitudes, je crois préférable de conserver, du moins quant à présent,
la double consonne précédant l’_e_ muet final ou la syllabe dans
laquelle l’_e_ muet constitue la rime féminine (_e, es, ent_).

L’emploi de la double lettre doit toujours être conservé au milieu des
mots quand la prononciation l’exige, comme dans ce vers:

        _Mortellement_ atteint d’une flèche _empennée_.

Au contraire, pourquoi la conserver lorsque ni la prononciation ni même
l’analogie ne la réclament, et qu’elle ne peut qu’induire en erreur
ceux qui apprennent le français?

Ainsi, lorsqu’on ne met qu’un _g_ dans _agression, agressif, agrandir,
agréer, agréger_, etc., pourquoi en mettre deux dans _aggraver,
agglomérer, agglutiner_, et faire une règle avec exception pour ces
trois _seuls_ mots? Si pour _abbaye, abbé, abbesse, gibbeux, rabbin,
sabbat_, seuls mots écrits avec deux _b_, l’Académie adoptait un
seul _b_, ce serait encore une règle d’exception à supprimer de la
grammaire[51].

      [51] Voici comment notre ancienne langue française écrivait ces
      mots:

          En la vile out une _abeie_
          Durement riche e garnie;
          Mun escient (moine savant), nuneins y ot (eut),
          E _abeesse_ kis (qui se) gardot.

          MARIE DE FRANCE. _Lai del Freisne._

      On pourrait peut-être conserver les deux _b_ à _abbé_, par
      respect pour l’usage et la brièveté du mot. La prononciation
      y autoriserait même: il y a une nuance de son entre _abbé_ et
      _abaye, abesse_.

Dans son Dictionnaire de 1740, l’Académie a supprimé le _d_
étymologique de la préposition latine _ad_ dans les mots _advocat,
advertir, adveu, advoué, advertissement, advis, advisé_, et plusieurs
centaines d’autres. Elle rendrait un grand service en effaçant le
double _c_ dans la plupart des mots où cette duplication n’influe en
rien sur la prononciation et où l’un de ces doubles _c_ est censé
représenter le _d_ de la préposition _ad_. On pourrait ainsi, sans
inconvénient, supprimer un _c_ dans les mots _accompagner, accoster,
accablement, acclimater, accointer, accouchement, accoutumer, accuser_,
etc., et déjà il a disparu dans _acoquiner, acagnarder, acenser,
acensement_.

Dans les _Cahiers_ de l’Académie de 1694, on écrit _deffaillir,
deffaire, deffendre_, etc.; la double _f_ a disparu dans ces mots et
il devrait en être de même pour plusieurs autres: tels que _difficulté,
différence_, puisque le son de la double _f_ n’a pas disparu
entièrement dans la prononciation.

La double _l_ devrait aussi être conservée dans _alliage, alliance,
allusion, alluvion, collision, collusion_; mais on pourrait supprimer
une _l_ dans _allonger, allongement, vallée_, etc.

Ainsi l’Académie écrit, tantôt avec un _n_, et tantôt avec deux, les
dérivés des mots suivants terminés en _on_:

  _Avec un seul_ n:                  _Avec deux_ n:

  BON: bonace, bonifier, bonhomie,   ABANDON: abandonner, abandonnement.
    bonheur.
  COLON: colonial, colonie,          ANON: ânonner, ânonnement.
    coloniser, colonisation.         BAILLON: bâillonner.
  DON: donation, donataire,          BARON: baronnet, baronnie,
    donateur.                          baronnage.
  DÉMON: démoniaque,                 BATON: bâtonner, bâtonnier,
    démonographie.                     bastonnade.
  FÉLON: félonie.                    CHIFFON: chiffonner, chiffonnier.
  LIMON (citron): limonade,          CITRON: citronnier, citronnelle.
    limonier, limonadier.            ÉCHELON: échelonner.
  LIMON (boue): limoneux.            ÉPERON: éperonner.
  LIMON (de voiture): limonier,      FREDON: fredonner.
    limonière.                       GASCON: gasconnade, gasconner.
  POUMON: pulmonaire.                JALON: jalonner, jalonneur.
                                     MELON: melonnière.
  SAUMON: saumoné, saumoneau.        MISSION: missionnaire.
  SAVON: saponaire.                  PARDON: pardonner, pardonnable.
                                     RAISON: raisonner, raisonnable,
  TIMON: timonier.                     raisonnement, raisonneur.
  VIOLON: violoniste.                RAYON: rayonner.
                                     SERMON: sermonnaire, sermonner,
                                       sermonneur.
  CANON: canonial, canonicat,        CANON: canonnade, canonnage,
    canonique, canoniser.              canonner, canonnier, canonnière.
  CANTON: cantonade, cantonal.       CANTON: cantonné, cantonnement,
                                       cantonner, cantonnier,
                                       cantonnière.
  ORDO: ordination, ordinal,         ORDO: ordonnance, ordonnateur, etc.
    ordinaire, ordinant.
  PATRON: patronage, patronal,       PATRON: patronner.
    patronymique.
  RATIO: rational.                   RATIO: rationnel, rationnellement.
  SON: dissonance, dissonant,        SON: consonnance, consonnant,
    dissoner, sonore, sonorité,        consonne, sonnant, sonner,
    sonate.                            sonnette, sonnerie, sonneur.
  TON: intonation, monotone,         TON: détonner, entonner.
    tonalité, tonique.
  TONNER: détonation, détoner.       TONNER: tonnerre, tonnant.

Aucun de ces dérivés de mots terminés en _on_ ne devrait être écrit
avec double _n_; on n’en met pas à ceux qui dérivent de noms terminés
en _in_: _dessin, dessiner, destin_ et _destiner_; non plus à ceux
qui se terminent en _un_: _importun, importuner_; ni à ceux qui se
terminent en _an_: _plan, planer, esplanade_.

Quant aux mots terminés en _ion_, excepté _nation_ et _confession,
septentrion_, qui ne doublent pas le _n_ dans leurs dérivés, _national,
nationalité, confessional, septentrional_, les autres doublent la
consonne dans leurs composés, et cela sans aucun motif. Tels sont les
mots suivants, au nombre de 39:

_Action, addition, affection, caution, cession, collation, commission,
concussion, condition, confession, constitution, convention,
correction, démission, diction, division, espion, fraction, friction,
intention, légion, mention, million, mission, occasion, pardon,
pension, perfection, pétition, proportion, question, ration, religion,
sanction, soumission, station, subvention, tradition, vision_.

Pourquoi, en effet, écrire _actionner, actionnaire, concessionnaire,
constitutionnel, constitutionnalité, constitutionnellement,
dictionnaire_, etc.? ces mots ne sont-ils pas déjà assez longs à écrire
sans y mettre le double _n_ qui ne se prononce pas?

Il est aussi d’autres mots où le double _n_ devrait être supprimé,
et même conformément à l’étymologie, comme dans: _honneur_ (_honor_,
puisqu’on écrit _honorer_), _donner_ (_donare_: on écrit _donation_),
_monnaie_ (_moneta_), _sonner, résonner_ (_sonare, resonare_),
_légionnaire_ (_legionarius_), _rationnel_ (_rationalis_), _couronne_
(_corona_), _personne_ (_persona_)[52].

      [52] Dans tous ces mots l’orthographe française est en
      perpétuelle contradiction avec la quantité latine:

          honneur    hŏnŏr              personne      pērsōna
          donner     dōnāre             légionnaire   lĕgĭōnāriŭs
          ennemi     ĭnĭmīcūs           rationnel     rătĭōnālis
          monnaie    mŏnēta             couronne      cŏrōna
          sonner     sŏnāre             résonnant     rĕsŏnāns

L’Académie figure avec raison la désinence _ame_ tantôt avec un _m_ et
tantôt avec deux _m_, lorsque la prononciation l’exige. Mais _flamme_
(que Corneille écrivait _flame_) ne devrait conserver qu’un seul _m_;
et puisque l’Académie écrit _affame_[53], _entame, réclame, diffame_,
elle ne saurait écrire _enflamme_; _flame_ et _enflame_ exigeraient
même un _â_ circonflexe comme _infâme, blâme_, et j’ai vu _flâme_ ainsi
écrit par Racine.

      [53] Les seuls mots où le _m_ est doublé et doit l’être, puisque
      la désinence est en _e_ muet sont: ana_gramme_, épi_gramme_,
      _femme, flamme, homme, gramme_, et les composés avec ce mot,
      _programme_; mais les verbes _assommer, consommer, nommer,
      dénommer, surnommer, renommer_ ne doivent prendre qu’un _m_ de
      même qu’on écrit _consumer_.

Dans _évidemment, prudemment_, le double _m_ ne se prononce pas;
cependant il faut le conserver, ne fût-ce que pour éviter la confusion
avec _évidement_ (de évider)[54], et _prudement_ (de prude).

      [54] Il serait préférable d’écrire _évidament_, de même que
      Bossuet écrit _contantement_.

Tous les mots terminés en _ime_ et _ume_ sont écrits avec un seul _m_.

Le double _r_ devrait être conservé partout où il se fait sentir:
_correcteur, correction, correct, terreur, horreur_. Mais
il doit être supprimé dans _charrue_, puisqu’on écrit _chariot_,
dans _nourrice, nourriture, nourrir, pourrir_, puisqu’on écrit
_mourir_ et _courir_ (bien qu’en latin _currere_ ait deux _r_)[55], et
c’est à tort que l’on écrit par deux _r_ je _pourrai_.

      [55] Ces deux verbes par exception prennent deux _r_ au futur et
      au conditionnel, je _courrai_, je _mourrai_, par la contraction
      de l’_i_, puisqu’on n’écrit pas ces mots comme on écrit je
      _pourrirai_, je _nourrirai_.

L’Académie adopte _coreligionnaire_ et _codonataire_; elle devrait
écrire de même _corespondant_.

Le _lierre_ devrait n’être écrit qu’avec un seul _r_, comme l’ont
fait Henri Estienne et Ronsard, et suivant l’étymologie, _l’hière_
(_hedera_)[56].

      [56] Par une semblable bizarrerie, on écrit _le loisir_, au lieu
      de _l’oisir_, de _otium_, d’où nous viennent aussi _oisif,
      oisiveté_; _le loriot_ au lieu de _l’oriot_, et _le lendemain_,
      au lieu de _l’endemain_. On commet la même faute lorsqu’on écrit
      _l’Alcoran_ au lieu de _le Coran, l’alchimie, l’alcôve_; et c’est
      à tort qu’on a admis _dorer, dorure_, au lieu de _orer, orure_,
      comme on écrit _orfèvre, orfévrerie_.

On ne devrait pas écrire _dyssenterie_ par deux _s_, puisque
l’étymologie grecque ne nous en donne qu’une, et que, dans le _Cahier
de remarques_, on rapproche avec raison _dysenterie_ de _dysurie_. Il
faudrait même écrire _dysentérie_ avec l’accent aigu.

Quant au double _t_, l’Académie écrit _abatage, abatée, abatis_;
elle pourrait écrire _abatoir_, et même supprimer le double _t_ dans
_abattement, abattu_. Corneille et Bossuet écrivent _abatre, batu_ et
_rabatu_; et H. Estienne, dans son traité de la _Précellence du langage
françois_, écrit _combatre, combatu, débatre, débatu, rabatre, rabatu_;
Fénelon et Bossuet écrivent: _flater_ et _froter_, _atandre, atantif,
atantions, ataque_ et non _attendre, attentif, attentions, attaque_,
etc. Les imprimeurs ont eu grand tort de ne pas suivre l’orthographe
des auteurs et de la transformer (pour ne pas dire défigurer) en la
réduisant à l’uniformité d’après l’orthographe du Dictionnaire de
l’Académie alors en vigueur. (Voir Appendice E.)


On pourrait aussi supprimer le double _t_ dans _attabler, attacher,
attendre, atténuer, attribuer, attrouper_, puisqu’on écrit _atermoyer,
atermoiement, atrophier, atourner_.

Il y a contradiction à écrire:

  démailloter   et emmaillotter        | comploter     et grelotter
  sangloter     et marmotter           | il épèle      et il appelle
  jeter         et flotter             | cacheter      et égoutter
  concomitant   et intermittent        | caqueter      et fouetter
  feuilleter    et frotter             | raboter       et garrotter
  projeter      et guetter             | exploiter     et regretter
  radoter       et ballotter           | souhaiter     et guetter
  coqueter      et regretter           | souffleter    et acquitter
  tricoter      et trotter             | j’époussète   et je rejette
  tripoter      et gigotter            |

Pourquoi un double _p_ dans _apparaître, appartenir, appesantir,
appliquer, apposer, apprêter, apprivoiser, approcher, approbation,
approximativement_, puisque l’Académie écrit _apaiser, apercevoir,
aplanir, apetisser, apitoyer, aplatir, aposter, apostiller, apurer_,
et ne pas écrire, conformément à la prononciation, _apauvrir,
apesantir, aplaudir, aposer, aporter, aparaître, apareiller, apartenir,
apartement, aprentissage, aprêter, apointer, aprécier, apréhender,
aprendre, aprofondir, aproprier, aprouver, apuyer_?

Pourquoi, lorsqu’on écrit avec un seul _p_: _occuper, attraper,
grouper, dissiper_, mettre deux _p_ à _développer, envelopper_ (Bossuet
écrit _enveloper_), _échapper, agripper_?

On verrait aussi avec plaisir la suppression du double _p_ à _appeler_:
la nuance de la prononciation dans certains temps de ce verbe est si
faible qu’elle peut être omise, à l’exemple de tant d’autres plus
sensibles en certains mots. Par là on éviterait la difficulté de
l’emploi tantôt du double _p_ et du double _l_, tantôt du seul _p_
ou _l_. Le Dictionnaire de l’Académie écrit il _appelait_ et Perrot
d’Ablancourt _apelloit_; dans les anciens manuscrits, _apele_ est écrit
avec un seul _p_, et dans d’autres on lit _appelloit_.

Puisque l’on écrit _déprimer_, on devrait écrire _suprimer_ et non
_supprimer_; l’affixe _su_ est la contraction de _sus_ et non de
_super_. Il en est de même de _supporter_, qui ne devrait prendre qu’un
seul _p_.

Quelques autres anomalies pourraient disparaître, et puisque l’Académie
écrit _charretier, gazetier, noisetier, tabletier, desquamation_, elle
devrait supprimer le double _t_ dans _aiguillettier_ et le double _m_
dans _squammeux, enflammer_.


Dans la première édition, elle a écrit _domter_. C’est ainsi qu’écrit
toujours Bossuet, et cela conformément au _Cahier de remarques_, qui,
au chap. IV, art. 3, dit: «On met un _p_ à _compter_ et _à compte_,
quand ils signifient _supputer, supputation_, mais à _domter_, il
n’en faut point.» On devrait donc écrire ainsi et de même _exemter_, au
lieu de _exempter_.

Une manière d’écrire contradictoire à la prononciation aurait à la
longue une fâcheuse influence sur le langage. A force de voir les mots
ainsi écrits et imprimés, la voix s’habitue à prononcer, surtout dans
les provinces et dans les pays étrangers, toutes les lettres dont le
son pour l’habitant de Paris s’annule par l’usage d’une prononciation
journalière. On peut donc craindre que des mots tels que _sculpture,
promptitude, doigtier, dompter_ ne finissent par être prononcés
_sculpeture, prompetitude, doiguetier, dompeter_, au lieu de prononcer
_sculture, prontitude, doitier, domter_.

Les lettres doubles n’ont pas toujours fait partie du système
orthographique de notre langue; elles sont en général une imitation
des procédés grammaticaux du latin classique, dont l’influence se
développe à partir du quinzième siècle, comme on peut le voir par le
tableau suivant que j’ai dressé d’après trois monuments littéraires
très-réguliers pour leur temps et dont je parlerai plus loin:

  Les quatre livres         Dictionnaire              Dictionnaire de
    des Rois et               de Le Ver,                Rob. Estienne,
    saint Bernard             1420-1440.                1549
    (XIIe siècle).

  abandoner S. Bern.            »                     abandonner
  acumplir                  acomplir                  accomplir
  afaire                        »                     affaire
  alaiter                   alaitier                  allaicter
  aler                      aler                      aller
  aliance                   alianche                  alliance
  alure                     alure                     allure
  ancienement               anchiennement             anciennement
  apeler                    appeler                   appeler
  aprester                      »                     apprester
  ariere                    ariere                    arrière
  asembler                  assambler                 assembler
  asez                      asses                     assez
  atendre                   attendre                  attendre
  comandement S. B.         quemandement (il          commandement
    et cumandement            écrit comander)
  cele                      celle                     icelle
  coment S. B.              comment                   comment
    et cument                                           ou quoment
  cumbatre                  combatre                  combatre
  corone S. B.              courone                   couronne
  cruelment                 cruelment                 cruellement
  deriere                   deriere                   derrière
  deservir                  deservir                  desservir
  duner (donner)            donner                    donner
  enemi                     anemis                    ennemi
  home                      homme                     homme
  humage                    hommage                   hommage
  nule                      nulle                     nulle
  nuvele                    nouvelle                  nouvelle
  obeisant                  obeissans                 obeissant
  moyene S. B.              moyenne                   moyenne
  ocis                      ochis                     occis
  pardoner S. B.            pardonner                 pardonner
  pousiere S. B.            [pourre]                  poussière
  resembler                 ressambler                ressembler
  resusciter                resusciter                resusciter
  sale (salle)              sale                      salle
  sele (selle)              selle et seelle           selle
  sumet (sommet)            summet                    sommet
  valée                     valée                     vallée

On voit donc par ce tableau que la suppression des doubles consonnes
parasites est conforme au génie naturel de notre langue.


III

DES TIRETS OU TRAITS D’UNION.

Les Grecs et les Latins ne divisent pas les mots qui, composés
de plusieurs, n’en forment réellement qu’un seul, tels que, en
grec, αντιπέραν, vis à vis; παράπαν, tout à fait; παραμηρίδια,
haut-de-chausses; παράλογος, contre-sens; παραχρῆμα, sur-le-champ;
σύμπαν, tout à la fois; ἐξαίφνης, tout aussitôt; περιῤῥρρδην, tout
à l’entour. Et de même en latin: _adhuc_, jusqu’à présent, jusqu’à
ce jour; _hucusque_, jusqu’ici; _alteruter_, l’un ou l’autre;
_propemodum_, à peu près; _propediem_, jusqu’à ce jour; _ejusmodi_, de
cette façon; _quoadusque_, jusqu’à ce que; _quantuluscumque_, quelque
petit qu’il soit; _nihilominus_, néanmoins; _verumenimvero_, à la
vérité.

Les Grecs, dans la formation des mots composés, avaient souvent recours
à la contraction et même à la suppression de la lettre finale: de
ὄψον, ὀψοφαγία, ὀψοπώλης; de νόμος, νομοθέτης; dans κορυθαίολος, dans
ποδάρκης, dans μονάρχης, il y a même suppression de deux lettres.
Quelquefois, pour adoucir la prononciation, le ν se change en γ,
παγχάλεπος. De même les Latins, de _postero die_, ont fait _postridie_.
Usant du même procédé, nous avons fait de _bas bord_, _bâbord_; de
_bec jaune_, _béjaune_; de _contre escarpe_, _contrescarpe_; de
_contre trouver_, _controuver_; de _corps_, _corsage, corset_; de _il
n’y a guères_, _naguère_; de _tous jours_, _toujours_; de _la plus
part_[57], _plupart_; de _passe avant_, _passavant_; de _néant moins_,
_néanmoins_; de _plat fond_, _plafond_; de _plus tôt_, _plutôt_; de
_vaut rien_, _vaurien_; de _sous rire_, _sourire_; de _sous coupe_,
_soucoupe_, etc.; _de ores en avant_, est devenu _dorénavant_[58]; _à
l’entour_, _alentour_, etc.

      [57] L’Académie, dans son Dictionnaire de 1694, écrit _tousjours,
      pluspart_.

      [58] Ce composé s’est écrit d’abord _de ores en avant_, puis
      _d’ores en avant, doresenavant_, puis _doresnavant, dorenavant_,
      et enfin _dorénavant_.

Dans les autres langues, les mots composés ne forment qu’un seul mot,
ou, si les traits d’union sont quelquefois admis, ils sont employés de
manière à n’offrir aucune difficulté grammaticale.

La langue italienne, qui de toutes se rapproche le plus de la nôtre, de
plusieurs mots n’en forme qu’un seul[59]: _acquavita_, eau-de-vie[60];
_affatto_, tout à fait; _capodopera_, chef-d’œuvre; _nulladimeno_,
néanmoins; _contuttociò_, avec tout cela; _conciosiacosachè,
conciofossecosachè_, puisque, bien que; _perlaqualcosa_, c’est
pourquoi; et en espagnol: _guardacostas_, garde-côte; _contraprueba_,
contre-épreuve; _guardasellos_, garde des sceaux, etc.

      [59] Je me rappelle avoir lu dans Boccace _contuttosiacosachè_.

      [60] Les Espagnols en ont fait aussi un seul mot: _aguardiente_,
      contracté de _agua ardiente_.

Palsgrave, dans son _Esclarcissement de la langue françoyse_, en 1530,
écrivait _aulcunefoys, souventesfoys_; _autravers, paradventure,
jusqu’adix, jusqu’aumourir_.

Dans nos anciens manuscrits, on ne voit aucun trait d’union[61], non
plus que dans les dictionnaires de Robert Estienne. C’est dans le
Dictionnaire de Nicot que je le vois apparaître pour la première fois,
en 1573.

      [61] «Quant à l’accent enclitique[‡] (sorte de trait d’union),
      disait Dolet en 1540, il n’est point recevable en la langue
      françoyse, combien qu’aulcuns soient d’aultre opinion.
      Lesquelz disent qu’il eschet en ces dictions, _ie, tu, vous,
      nous, on, ton_. La forme de cest accent est telle, ′: par
      ainsi ilz vouldroient estre escript en la sorte qui s’ensuyt:
      _M’attenderai′ ie à vous? Feras′ tu cela? Quand aurons′ nous
      paix? Dict′ on tel cas de moy? Voirra′ lon iamais ces meschants
      puniz?_ Derechef ie t’aduise que cela est superflu en la langue
      françoyse et toutes aultres: car telz pronoms demeurent en leur
      vigueur, encores qu’ilz soient postposés à leurs verbes. Et
      qui plus est, l’accent enclitique ne conuient qu’en dictions
      indeclinables, comme sont en latin, _ne, ve, q´, nam_. Qu’ainsi
      soit, on n’escript point en latin en ceste forme: _Feram′ ego id
      iniuriæ? Eris′ tu semper tam nullius consilij?_ Tiens donc pour
      seur que tel accent n’est propre aulcunement à nostre langue.»

      [‡] L'accent enclitique est représenté ici par le signe prime.

Le grand nombre de mots connus sous la dénomination de _mots
composés_, parce qu’ils n’expriment qu’une seule idée ou qu’un seul
objet avec le concours de plusieurs mots, sont maintenant tantôt réunis
par un _tiret_ ou trait d’_union_, tantôt séparés, sans tirets, et
tantôt groupés en un mot unique.

Isolés, ces mots offrent souvent un sens tout différent de celui qu’ils
auraient s’ils étaient réunis: _belle-mère, belle-sœur, beau-père,
blanc-bec, belle-de-jour_, ont un sens général tout autre que le sens
spécial de leurs composants. Il convient donc de les grouper le plus
possible en un seul mot qui représentera bien mieux l’idée particulière
qu’ils veulent exprimer. Par là serait évitée la difficulté, souvent
si grande, de l’orthographe du pluriel, car, dans une foule de cas,
on ne sait si la marque _s_ ou _x_ doit s’appliquer au premier ou
au second des composants, ou bien à tous deux. Les mots composés,
une fois agglutinés, rentrent dans la règle générale de formation
du pluriel des substantifs. Ainsi, en écrivant des _femmes_, des
_paroles aigredouces_, des _discours aigredoux_, des _rougegorges_, des
_cassecous_, des _cocalânes_, des _choufleurs_, on n’a plus à hésiter
pour savoir où mettre l’_s_, et s’il faut écrire _discours aigres-doux_
ou _aigre-doux_, des _femmes aigres-douces_ ou _aigre-douces_,
des _rouges-gorges_, des _casse-cous_, des _coq-à-l’ânes_ ou des
_coqs-à-l’âne_[62], des _choux-fleurs_, etc. Si l’on permettait
d’écrire _chefdœuvre_, ou plutôt _chédœuvre_ au singulier et
_chédœuvres_ au pluriel, et non _chefs-d’œuvre_, comme on le fait
maintenant, les poëtes n’auraient plus à regretter de ne pouvoir dire:
_chédœuvres éternels, les chédœuvres humains_, ce que ne permet pas
l’orthographe admise, _chefs-d’œuvre_[63].

      [62] Ces vers de Regnard en sont la preuve:

                            Pour être un bel esprit,
          Il faut avec dédain écouter ce qu’on dit;
          Rêver dans un fauteuil, répondre en _coq-à-l’ânes_
          Et voir tous les mortels ainsi que des profanes.

          _Le Distrait_, act. IV, sc. 7.

      [63] L’Académie, pour éviter les controverses grammaticales,
      a souvent omis d’indiquer les pluriels, laissant indécis si
      l’on doit écrire des _clair-obscurs_ ou des _clairs-obscurs_,
      _maître-autels_ ou _maîtres-autels_, _brèche-dent_ ou
      _brèche-dents_. En formant un seul mot des deux, on trancherait
      la difficulté: un _clairobscur_, des _clairobscurs_; un
      _maîtrautel_, des _maîtrautels_.

      Un grammairien d’un vrai mérite explique ainsi l’orthographe
      académique d’un _gobe-mouches_ et un _chasse-mouche_. «Un
      _gobe-mouches_ ne prendrait pas ce nom s’il n’en avalait qu’une
      et on écrit sans _s_ un _chasse-mouche_ parce qu’il suffit d’une
      mouche pour en être importuné.» En écrivant un _gobemouche_,
      des _gobemouches_, un _chassemouche_ et des _chassemouches_, on
      soulagerait la grammaire de ces subtiles distinctions.

      L’Académie écrit _eau-forte_ et _eau seconde, eau régale_.
      Comment se rendre compte de la distinction subtile qui nécessite
      le trait d’union mis par l’Académie au premier seul de ces
      composés, tandis qu’elle écrit séparément les deux autres?
      On devrait les écrire en un seul mot, et de même _eaudevie,
      belledejour, belledenuit_.

      Le mot _garde-malade_ peut s’écrire de cinq manières différentes,
      selon l’analyse qu’on fera des composants: _une garde-malade_,
      _garde de malade_; _une garde-malades_, qui garde les malades,
      _des garde-malade_, qui gardent le malade ou un malade; _des
      gardes-malade_, comme _gardes-marine_, gardiens de malade;
      _des garde-malades_, qui gardent les malades; et enfin _des
      gardes-malades_. Ce pluriel, qui semble le plus généralement
      adopté, est le moins logique de tous. La forme _gardemalade_
      supprime ces puériles difficultés.

L’Académie écrivant: _aussitôt, aujourd’hui, auparavant, auprès,
aplomb, embonpoint_ (qu’il serait mieux d’écrire _enbonpoint_,
puisqu’on a _mal-en-point_), pourrait écrire sans tiret, _acompte,
audevant, apropos, aprésent_. Pour trouver ces quatre mots au
Dictionnaire, il faut aller les chercher à _Compte_, à _Devant_, à
_Propos_, à _Présent_.

L’Académie écrivant: _plutôt, plupart_ (où le _s_ est retranché)[64],
_bienheureux, bienséant, biendisant, médisant_, pourrait écrire
sans tiret: _bienaimé, bienêtre, plusvalue_ ou _pluvalue_, et, en
un seul mot _plusqueparfait_, comme elle écrit _imparfait_. Puisqu’elle
écrit _betterave_, pourquoi _chou-rave_?

      [64] Quant au genre des _lettres_, selon l’Académie, on doit
      écrire tantôt _une s_, tantôt _le s_. Il en est de même pour
      d’autres lettres _f, l, m, n, r_; à cet égard, il faut
      aussi prendre un parti.

L’Académie, écrivant comme on prononce _bâbord_, terme de mer, et non
_bas-bord_, pourrait écrire sans tiret _bassetaille, bassecour_, ce
qui éviterait ce pluriel: des _basses-cours_, des _basses-tailles_.

Elle écrit avec raison _bientôt_: elle devrait faire de même pour
_sans doute_, dont les composants ne sont pas même réunis par un trait
d’union. Cependant, _sans doute_ exprime très-souvent le doute, au lieu
d’un sens affirmatif: _il viendra sans doute_ signifie _il viendra
probablement, peut-être_. On devrait donc écrire _sansdoute_ ou mieux
_sandoute_, comme _plutôt, souvenir, plafond_, etc.

Elle écrit sans tiret _clairvoyant_, et avec tiret _clair-semé, à
claire-voie_.

Elle écrit en un seul mot: _contrebande, contrecarrer, contredanse,
contredire, contrefaçon, contrescarpe_, etc., et devrait écrire aussi
sans tiret: _contr’épreuve_ ou _contrépreuve_, _contrecoup, contrecœur,
contremarque, contretemps, contresens, contrepoids, contrepied,
contrelettre, contrefort, contrordre_.

_Contre-poison, contre-taille_, sont ainsi écrits à leur ordre
alphabétique; mais, dans le cours de son Dictionnaire, l’Académie écrit
_contrepoison, contretaille_.

L’Académie écrit: _entrecouper, entrelacer, entrelacs, entremettre,
entrelarder_, auxquels elle devrait ajouter sans tiret: _entredonner,
entredéchirer, entredeux, entrepont, entresol_ et _soussol_ ou mieux
_sousol_[65].

      [65] Dans les quatre éditions précédentes, l’Académie écrit
      _entresol_ d’un seul mot, de même qu’elle écrit en un seul mot
      _tournesol, parasol, préséance, présupposer, vraisemblance_, et
      qu’on devrait écrire _havresac, bouteselle_ (et non _havre-sac,
      boute-selle_), en prononçant l’_s_ comme il devrait toujours être
      prononcé et non comme _z_. M. J. Quicherat observe avec raison
      (_Traité de versification française_, p. 3) que «l’Académie a
      tort d’écrire _dissyllabe_ et qu’on doit écrire _disyllabe_,
      comme _dimètre, dilemme_: la particule _dis_ n’ayant rien à faire
      dans cette composition.»

      Il serait désirable que partout où l’_s_ se prononce _z_, cette
      dernière lettre pût un jour la remplacer.

      On écrivait autrefois _hazard, hazarder, nazillard, magazin_.
      Corneille écrivait _cizeaux_; on devrait donc écrire de même
      _bizeau, nazeau_, puisqu’on écrit _nez_. Bossuet, dans les
      manuscrits de ses Sermons, p. 59, écrit: _vous oziez_.

      La lettre _z_ est simple, euphonique et gracieuse. Il est
      regrettable qu’on ait cru en devoir restreindre l’emploi aux
      seuls mots suivants: _alezan, alèze, alize, alizier, amazone,
      apozème, azerole, azerolier, azimut, azote, azur, azyme,
      balzan, bazar, benzine, bézoard, bizarrerie, bonze, bronze,
      Byzance, canezou, colza, coryza, czar, dizain, dizaine,
      dizenier, donzelle, douzaine, douze, épizootie, gaz, gaze,
      gazelle, gazer, gazetier, gazette, gazeux, gazomètre, gazon,
      gazouiller, gazouillement, gazouillis, horizon, lazaret, lazuli_
      (lapis), _lézard, lézarde, luzerne, mazette, mélèze, mozarabe,
      Nazareth, nez, onzième, osmazôme, quartz, quatorze, quinze,
      recez, rez-de-chaussée, riz, rizière, seize, sizain, sizaine,
      suzeraineté, syzygie, topaze, trapèze, treize, vizir, vizirat_,
      auxquels il faut ajouter les 41 mots commençant par cette lettre
      au Dictionnaire.

      Si le _z_ pouvait remplacer l’_s_ dans les mots où il en a pris
      le son, on éviterait des difficultés orthographiques et une règle
      de grammaire à apprendre avec les exceptions. L’_s_ reprendrait
      sa fonction naturelle dans ces mots composés: _asymptote,
      désuétude, entresol, havresac, monosyllabe, parasol, préséance,
      présupposer, soubresaut, tournesol, vraisemblable_, etc., que des
      étrangers croient devoir prononcer comme _aisément_, avec le son
      du _z_.

L’Académie écrit: _gendarme, gentilhomme, lieutenant, mainmorte,
malhonnête, malintentionné, malpropre, malsain_; elle pourrait écrire
de même sans tiret: _faufuyant, gagnepain, gardefeu, gardemeuble,
mainforte_.

L’Académie écrit: _hautbois_ (qui serait mieux sous cette forme:
_haubois_, en italien _oboè_); pourquoi ne pas écrire: _hautecontre_ et
_contrebasse_? et puisqu’on écrit _justaucorps_, on pourrait admettre
_haudechausse_.

L’Académie écrit sans tiret: _nonpareille, parterre, partout,
passavant, porteballe, portechape, portechoux, portecrayon,
portefaix, portefeuille, portemanteau, postface_; et avec tiret:
_nonsens, passedebout, passeport, passetemps, peutêtre,
portecrosse, portedrapeau, portemontre, portevoix_. La
régularisation de ces derniers mots supprimerait l’embarras du pluriel.
On verra par le Tableau des mots composés la difficulté de le former.

L’Académie écrit: _outrecuidant, outremer, sauvegarde, soucoupe,
soussigné, souterrain, soutirer, surbaisser, surenchère_; elle pourrait
écrire sans tiret: _outrepasser, saufconduit, souslouer_ (ou mieux
_soulouer_), _sousentendu, sousordre, souspréfet_ ou _soupréfet_, et
devrait écrire _soulocataire, sousol_, comme elle écrit _soucoupe,
soutirer, sourire, soubassement, soumission, soulier_, mieux écrit
autrefois _soulié_.

L’Académie écrivant _surenchérir, surlendemain, surnaturel_, pourrait
écrire _surlechamp_, au lieu de _sur-le-champ_, et le placer à son
rang à côté de _surlendemain_, tandis qu’il faut chercher cet adverbe
ou locution adverbiale à _Champ_; _surlechamp_ est un adverbe comme
_sitôt_ et _aussitôt_, lequel est également composé de trois mots:
au-si-tôt.

L’Académie écrit: _becfigue, pourboire, quintefeuille, quintessence,
tournebride, tournebroche, tournemain, vaurien_. Elle pourrait
écrire sans tiret: _chaussetrape, coupegorge, couvrepied, curedent,
quatretemps, quatrevingts, songecreux_, et, puisque _tapecu_ est ainsi
écrit, _torchecul_ ou _torchecu_ devrait l’être de même.

Bien que l’Académie écrive des _contrevents_ et des _abat-vent_, des
_brise-vent_ et des _paravents_, des _casse-tête_ et des _serre-tête_,
des _tire-têtes_ et des _hausse-cols_, des _passe-poils_ et des
_passeroses_, des _passerages_ et des _passe-ports_, un _gobe-mouches_
et un _chasse-mouche_, ces mots, de même formation, devraient tous
prendre une figure orthographique uniforme.

Comment fixer les pluriels des mots suivants, que chacun forme à sa
manière:

  Des _ayants cause_, des _bateaux-poste_, des _boute-selles_,
  des _chasse-marée_, des _tête-à-tête_, des _souffre-douleur_,
  des _contre-vérité_, des _coq-à-l’âne_, des _dames-jeannes_,
  des _croc-en-jambe_, des _rouges-gorges_, des _rouge-queue_,
  des _rouges-trognes_, des _rouges-bords_, des _garde-forêt_,
  des _garde-robes_, des _cure-dent_, des _cure-oreilles_, des
  _chausse-pied_, des _entre-côtes_, des _essuie-main_, des
  _appui-main_, des _fesse-cahier_, des _porte-hache_, des
  _pieds-d’alouette_, des _passe-volants_, des _hautes-contres_,
  des _culs-de-sac_, des _guets-apens_, des _pince-maille_,
  des _après-dînées_, des _après-midi_, des _garde-fous_, des
  _gardes-marine_, des _perce-oreille_, des _trouble-fête_, des
  _ponts-neufs_, des _messire-Jean_, des _bains-Marie_, des
  _colin-maillard_, des _revenant-bon_, des _porte-étendard_, des
  _serre-tête_, des _tire-têtes_, des _serre-file_, etc.?

Pour lever toute difficulté, ne pourrait-on pas, dès à présent, ramener
comme suit à une orthographe uniforme ces mots composés:

  _Abajour, abavant, appuimain, avancoureur, avanmain,
  avanscène, bassecour, boutefeu, brèchedent, brisecou,
  brûletout, cassenoisette, chapechute, chassemarée,
  chassemouche, cervolant, chaufepied, chaussepied,
  chaussetrape, choufleur, contrecoup, coupegorge,
  couvrefeu, crèvecœur, curedent, damejeanne, entracte,
  entrecôte, entreligne, essuimain, gagnepain, gardechasse,
  gardecôte, gardemagasin, gardemanger, gardemine,
  garderobe, gâtemétier, gorgechaude, haussecol, haubois,
  hautecontre, messirejean, millepied, mouillebouche,
  ouïdire, passedebout, passedroit, passepartout, passepasse,
  perceneige, portemontre, portecrosse, reineclaude,
  reinemarguerite, réveillematin, saufconduit, serrefile,
  serrepapier, serretête, tailledouce, terreplein, tirebotte,
  troublefête, vatout, viceroi_, et enfin un _vanupied_, etc.
  (Voir Appendice F.)

On place entre deux tirets la lettre euphonique _t_, et c’est avec
raison qu’on écrit: _y a-t-il, ira-t-il_; mais pourquoi ne pas en faire
autant pour l’_s_ qui a le même emploi? On ne devrait pas écrire, comme
on le fait, _donnes-en, poses-y, cueilles-en, donnes-y, manges-en_,
ce qui donne lieu à l’erreur fréquente que l’on commet en s’imaginant
que, dans toutes les conjugaisons, la seconde personne de l’impératif
doit avoir une _s_. Il faut donc de toute nécessité écrire _donne-s-en,
porte-s-y, va-s-en chercher, va-s-y, cueille-s-en, mange-s-en_; ou
mieux en mettant un _z_ euphonique à la place de l’_s_, puisque
l’Académie écrit maintenant _quatre-z-yeux_ qu’elle écrivait auparavant
_quatre-zyeux_.

       *       *       *       *       *

Doit-on, pour la division des mots au bout des lignes, se conformer à
l’étymologie ou bien à l’épellation, qui favorise mieux la lecture à
haute voix? L’Académie, dans son Dictionnaire, n’a adopté aucune règle
fixe à cet égard: il conviendrait de faire cesser cette incertitude
qui embarrasse les correcteurs d’imprimerie. Ainsi, dans la même
page, on trouve écrit: _sou-scrire_ conformément à l’étymologie, et
_sous-crire_, conformément à l’épellation. Il en est de même pour
_sou-scripteur_ et _sous-cripteur, atmo-sphère_ et _atmos-phère,
hémi-sphère_ et _horos-cope, cata-strophe_ et _cho-révêque, mono-ptère_
et _coléop-tère_.

L’Académie ayant admis la division _i-nadmissibilité, i-négalité,
su-ranné, pros-terner, pros-tituer_, semblerait autoriser cette
division conforme à l’épellation pour _des-truction, des-titution,
dés-union, pres-cription_; cependant elle écrit aussi _in-specter,
in-spirer, ob-struction, pro-scrire_, conformément à l’étymologie.

Cette question, futile en apparence, a une application incessante dans
la pratique. Peut-être doit-on préférer la division adoptée pour les
langues grecque et latine, où l’on sépare, en fin de ligne, les mots
par un tiret d’après leurs racines.


IV

DE L’ORTHOGRAPHE ET DE LA PRONONCIATION DES MOTS TERMINÉS EN _ANT_ OU
_ENT_.


ADJECTIFS ET SUBSTANTIFS VERBAUX PROVENANT DU PARTICIPE PRÉSENT.

Selon les grammaires, nous avons d’abord dans la catégorie des mots en
ANT:

1º Tous les participes présents, terminés sans aucune exception en ANT,
et invariables quand ils expriment une _action_. Quand ils expriment un
_état_, ils peuvent se transformer en adjectifs verbaux et s’accorder
en genre et en nombre avec leur sujet. L’adjectif verbal, extension
d’emploi du participe présent, conserve au singulier masculin la forme
_ant_ du participe présent dont il dérive. Il devient même quelquefois
un substantif, que j’appellerai alors _substantif verbal_; tels sont:
les _étudiants_, les _complaisants_, les _opposants_, les _gérants_,
les _correspondants_, etc.

2º Sont aussi terminés en ANT les adjectifs et les substantifs des
verbes formés sur la première conjugaison latine, tels que _amant,
chantant, mendiant, suppliant_, dont le nombre est considérable. Tous,
sans exception, sont, comme le participe présent et le gérondif,
terminés en _ant_.

3º Sont terminés aussi en ANT tous les adjectifs et substantifs de ce
genre provenant d’une autre source que le latin. Tels sont ces mots
français formés d’un verbe ne provenant pas du latin:

  agaçant           éblouissant       glapissant        pantelant
  attachant         éclatant          glissant          passant
  blanchissant      écrasant          grimaçant         penchant
  bondissant        écumant           grimpant          perçant
  bouffant          effrayant         grinçant          piquant
  brisant           engageant         grisonnant        plongeant
  brunissant        étiolant          guerroyant        rafraîchissant
  bruyant           étouffant         intrigant         regardant
  brûlant           étourdissant      jaillissant       ronflant
  calmant           frappant          jappant           salissant
  choquant          fringant          jaunissant        tannant
  criant            gagnant           marquant          tombant
  croupissant       galant            massacrant        tranchant
  déchirant         garant            navrant           trébuchant

Ainsi donc, je le répète, les mots terminés en _ant_ comprennent:
1º tous les participes présents, sans aucune exception; 2º tous les
adjectifs et substantifs verbaux dérivés de verbes _français_ formés
sur la _première_ conjugaison _latine_ et qui sont en si grand nombre;
3º tous les substantifs et adjectifs verbaux qui ne viennent pas du
latin.

Pour ces trois classes de mots, il n’y a pas d’embarras, pas de
changements à proposer.


Mais il n’en est pas de même des adjectifs et des substantifs formés
sur les _trois autres_ conjugaisons latines: sans aucun motif apparent,
les uns sont terminés en _ant_, les autres en _ent_. Il en résulte
donc une grande incertitude orthographique, car la prononciation ne
peut servir de guide, puisque les uns comme les autres, soit qu’ils
s’écrivent par _ant_, soit par _ent_, se prononcent également par notre
_an_ nasal, en sorte que l’étymologie nous induirait en erreur, tous
possédant un primitif latin en ENS.

On doit faire remarquer que, même dans cette catégorie, la forme _ant_
est beaucoup plus nombreuse que la forme _ent_.


Voici le tableau des mots français terminés en _ant_ et celui des mots
terminés en _ent_, provenant les uns et les autres d’une conjugaison
latine autre que la première (laquelle, on le répète, forme toutes ses
terminaisons en _ant_).

  _Liste des adjectifs et substantifs verbaux formés de participes
  latins en_ ENS (_haute, moyenne et basse latinité_), _provenant de
  la_ 2e, 3e _ou_ 4e _conjugaison_

  =Et qui en français se terminent en ANT.=

  abrutissant      convaincant        impuissant       raréfiant
  absorbant        convenant          inconstant       ravissant
  adoucissant      copartageant       inconvenant      reconnaissant
  affligeant       correspondant      indépendant      réfrigérant
  agissant         courant            insignifiant     réjouissant
  agonisant        croissant          insuffisant      reluisant
  amollissant      croyant            intendant        renaissant
  ascendant        cuisant            intervenant      repentant
  assaillant       décevant           languissant      répercutant
  assistant        défaillant         luisant          répondant
  assortissant     défiant            malfaisant       repoussant
  assourdissant    délinquant         méconnaissant    resplendissant
  assujettissant   dépendant          mécréant         ressortissant
  attenant         déplaisant         médisant         revenant
  attendrissant    déposant           méfiant          riant
  attrayant        descendant         mordant          rugissant
  avenant          désobéissant       mordicant        saillant
  avilissant       desservant         mourant          saisissant
  belligérant      dirigeant          mouvant          satisfaisant
  bienfaisant      dissolvant         naissant         savant
  bienséant        divertissant       nourrissant      séant
  bienveillant     endurant           obéissant        séduisant
  cédant           ensuivant          odoriférant      servant
  clairvoyant      entreprenant       offensant        sortant
  combattant       étourdissant       opposant         souffrant
  commettant       étudiant           outrageant       souriant
  compatissant     excédant           pâlissant        suant
  complaisant      exécutant          partageant       suffisant
  composant        exigeant           pendant          suivant
  compromettant    existant           perdant          surintendant
  concertant       exposant           persistant       surprenant
  concluant        extravagant        pesant           survenant
  confiant         fatigant           plaisant         survivant
  conquérant       flagellant         poursuivant      tenant
  consentant       fleurissant        prenant          tendant
  consistant       florissant         pressant         transcendant
  constituant      fondant            prétendant       vaillant
  consultant       fuyant             prévenant        venant
  contenant        gémissant          prévoyant        versant
  contendant       gérant             puissant         vivant
  contredisant     imposant           ramollissant     voyant

Parmi les participes en _ant_ les grammairiens en indiquent quinze
qui changent d’orthographe en cessant d’être employés comme participes
présents, et qui prennent alors _ent_ au lieu de _ant_.

Mais pourquoi établir une exception pour ces seuls mots dans le nombre
si considérable de participes en _ant_ qui, lorsqu’ils deviennent
substantifs ou adjectifs verbaux, conservent dans les deux cas
la désinence _ant_ comme _en combattant_ et _un combattant_; _en
conquérant_ et _un conquérant, en étudiant_ et _un étudiant_[66]? Si
donc dans ces quinze mots qui se rencontrent dans les trois dernières
conjugaisons latines les participes se sont ainsi modifiés:

      [66] Si l’on voulait alléguer que le substantif verbal _un
      étudiant_ devait être ainsi écrit, attendu que, étant tiré
      du participe présent de la première conjugaison _française_
      (_étudier_, en _étudiant_), sa forme régulière est en _ant_
      et non en _ent_, sans qu’on ait à tenir compte de la deuxième
      conjugaison latine (_studere, studens_), on demande pourquoi
      les substantifs verbaux _adhérent, affluent_, etc., et les
      adjectifs verbaux _coïncident_ et _convergent_ qui appartiennent
      aussi à la première conjugaison _française_ sont écrits en _ent_
      et non en _ant_.

  (Participe.)

  adhérant         _subst._      adhérent
  affluant         _subst._      affluent
  coïncidant       _adj._        coïncident
  convergeant      _adj._        convergent
  différant        _adj._        différent[67]
  divergeant       _adj._        divergent
  émergeant        _adj._        émergent
  équivalant       _subst._      équivalent
  excellant        _adj._        excellent
  expédiant        _subst._      expédient
  négligeant       _subst._      négligent
  précédant        _subst._      précédent
  présidant        _subst._      président
  résidant         _subst._      résident
  violant          _adj._        violent

      [67] On pourrait faire une exception pour le substantif
      _différend_.

tandis qu’on écrit de cette manière:

  (Participe.)

  assistant        et un      assistant
  agonisant        et un      agonisant
  descendant       et un      descendant
  desservant       et un      desservant
  dissolvant       et un      dissolvant
  plaisant         et un      plaisant
  médisant         et un      médisant
  excédant         et un      excédant
  complaisant      et un      complaisant
  répondant        et un      répondant
  prétendant       et un      prétendant
  revenant         et un      revenant
  vivant           et un      vivant

ne doit-on pas donner à ces quinze mots _adhérent, affluent_,
etc., une désinence uniforme, celle en _ant_? Par là cesserait
toute difficulté, et les règles exceptionnelles qui surchargent nos
grammaires seraient diminuées d’autant.


  _Liste des adjectifs et substantifs verbaux provenant
  des trois dernières conjugaisons latines_
  et qui se terminent en ENT.

Les quinze mots exceptionnels sont marqués d’un *, et les trois
adjectifs non verbaux d’une •.

  absent           continent        expédient*       jacent
  abstinent        contingent       fervent          latent
  accident         convalescent     fréquent         mécontent
  adhérent*        convergent*      imminent         négligent*
  adjacent         corpulent•       impatient        occident
  adolescent       décent           impertinent      opulent
  afférent         déliquescent     impotent         orient
  affluent*        déponent         imprudent        patent
  agent            différent*       impudent         patient
  antécédent       diligent         incident         pénitent
  apparent         dissident        incohérent       permanent
  ardent           divergent*       incompétent      précédent*
  astringent       dolent           inconscient      prééminent
  clément•         effervescent     inconséquent     président*
  client           efficient        incontinent      prudent
  coefficient      éloquent         inconvénient     récipient
  coïncident*      émergent*        indécent         réfringent
  compétent        éminent          indigent         régent
  concurrent       émollient        indulgent        résident*
  confident        équipollent      inhérent         subséquent
  confluent        équivalent*      innocent         succulent•
  conscient        escient          insolent         suréminent
  conséquent       évident          intelligent      urgent
  content          excellent*       intermittent     violent*

Ainsi donc, contrairement à la série considérable des mots en _ant_
provenant 1º de la première conjugaison latine, qui ne figurent pas ici
et qui _tous_ se terminent en _ant_; 2º de la liste des mots en _ant_
qui ne dérivent pas de verbes latins; 3º de la liste des mots de la
seconde, troisième et quatrième conjugaisons latines qui se terminent
en _ant_, bien que formés sur les désinences latines en _ens_, on voit
que le nombre des mots qui se terminent en _ent_ (une centaine au
plus) est relativement très-faible comparé à ceux dont la désinence
est en _ant_, et que d’ailleurs aucune règle fixe n’a présidé à leur
formation. Bornons-nous à ces exemples:

  2e CONJUGAISON: plaisant, répondant      et abstinent, permanent
  --      --      contenant, attenant      et continent, éminent
  --      --      vaillant, voyant         et équivalent, évident
  3e CONJUGAISON: confiant, suivant        et confident, conséquent
  --      --      belligérant,             et antécédent,
                    ascendant                   intelligent
  --      --      affligeant               et négligent
  --      --      suffisant                et efficient
  --      --      déposant                 et déponent
  --      --      cédant                   et précédent
  --      --      suivant                  et conséquent
  4e CONJUGAISON: avenant, inconvenant     et inconvénient, expédient
  --      --      amollissant              et émollient, etc.

Que d’hésitations et d’efforts de mémoire pour ne pas errer dans ce
labyrinthe!

Bien plus, il est quelques-uns de ces mots, au nombre de 17, qui,
au masculin singulier, présentent une homographie complète avec la
troisième personne du pluriel du présent de l’indicatif, également
terminée en _ent_, et dont la prononciation diffère, exemple: un
_affluent_, ils _affluent_; un _expédient_, ils _expédient_.


_Mots en_ ENT _prononcés différemment, bien qu’écrits de même_.

     affluent, adj.      ils affluent
  un expédient           ils expédient
     content, adj.       ils content
     convergent, adj.    ils convergent
  un équivalent          ils équivalent
     excellent, adj.     ils excellent
     négligent, adj.     ils négligent
     émergent, adj.      ils émergent
  un président           ils président
  un résident            ils résident
     violent, adj.       ils violent
  un couvent             elles couvent
  un confluent           ils confluent
     évident, adj.       ils évident
     divergent, adj.     ils divergent
  un parent              ils parent
     coïncident, adj.    ils coïncident

En adoptant la désinence ANT pour tous les adjectifs et substantifs
verbaux on éviterait donc cette homographie qui vient encore accroître
le trouble déjà signalé; or, du moment où la terminaison _ant_
l’emporte de beaucoup en nombre sur _ent_ et que la prononciation est
identiquement la même dans l’un et l’autre cas, on propose de ramener
tous les substantifs et adjectifs verbaux à un seul et même type en
_ant_.


Bossuet, lors des discussions préliminaires pour le Dictionnaire
de l’année 1694 (voir App. C), frappé déjà de l’incohérence de
l’orthographe des adjectifs et des substantifs terminés les uns en
_ant_, les autres en _ent_, cherchait le moyen de parvenir à une sorte
de régularité, et, comme il lui semblait que, dans l’ensemble des
mots français formés par le participe latin en _ens_, la terminaison
en _ent_ était plus nombreuse que celle en _ant_, il proposait à cet
effet, tout en maintenant au participe présent, ainsi qu’au gérondif,
la forme exclusive _ant_[68], de donner à tous les autres la forme
_ent_.

      [68] Dans les manuscrits autographes des sermons de Bossuet,
      2 vol. in-fol., que j’ai examinés à la Bibliothèque impériale,
      on remarque, au contraire, une tendance naturelle à remplacer
      l’_e_ par l’_a_, conformément à la prononciation. Il écrit donc
      _constamant, contant, contanter, contantement, atantion, atantif,
      atantivement, atantats, cepandant, commancer_, etc. Il écrit
      _commancement_ et _assambler_, et presque toujours, si ce n’est
      toujours, il écrit, comme Corneille, _vanger, vangeance_.

      Ainsi on trouve écrit par Perrot d’Ablancourt _retrencher,
      garentie_, qui sont devenus _garantie_ et _retrancher_
      conformément à la tendance de substituer l’_a_ à l’_e_, et il
      écrit _restraindre_ comme nous écrivons _contraindre_; mais
      aujourd’hui on écrit _restreindre_ avec un _e_.

      Fénelon, à toutes ses éditions, écrit les _Avantures de
      Télémaque_, et Racine écrit aussi _avanture, vanger, vangeance_.
      L’Académie cependant écrivait _aventure_ dès sa première édition
      de 1694. Fénelon ne publia sa première édition: _Suite du
      quatrième livre de l’Odyssée d’Homère ou Avantures de Télémaque_,
      qu’en 1699, et toutes les éditions postérieures, y compris celle
      de Étienne Delaulne, 1717, portent le titre d’_Avantures_.
      Fénelon persistait donc, malgré l’Académie, à écrire et faire
      imprimer son livre avec le titre courant d’_Avantures_, et c’est
      ainsi que sont imprimées les _Avantures de M. d’Assoucy_, les
      _Avantures du baron de Fœneste_.

Mais, contrairement au sage avis de Bossuet, qui voulait l’uniformité,
l’Académie inscrivait dans son Dictionnaire près de la moitié des
adjectifs et des substantifs verbaux (voir le tableau page 69) avec la
désinence _ant_, bien que formés tous sur la désinence _ens_ du latin,
tels que: _affligeant, ascendant, assistant, assujettissant, attenant,
attrayant, avenant, bien-disant, bienfaisant, bienséant, cédant_,
etc., entraînée en cela par le grand nombre d’adjectifs et substantifs
verbaux provenant de mots forgés sur la première conjugaison latine,
_arrivant, aimant, amant, allant, appelant_, etc., et sur les mots
étrangers au latin, _agaçant, attachant, brisant, gagnant, passant,
tranchant_, etc.

Ainsi, dès cette époque, la formation en _ent_, que j’appellerai
latine, avait cessé de fonctionner, et dès lors l’adjectif et le
substantif verbal se formant à fur et à mesure des besoins sur le
participe présent français toujours en _ant_, il en résulte que le
nombre des mots de ce genre l’a emporté de beaucoup par un usage
constant sur ceux dont la désinence est en _ent_.

Maintenant, en présence des faits, on peut être assuré que Bossuet,
avec la supériorité de son esprit et la rigueur de sa logique, n’aurait
pas hésité à adopter pour règle l’uniformité de la désinence en
_ant_. Et, en effet, puisque la prononciation est la même pour tous,
pourquoi retarder plus longtemps une réforme si facile, qui épargnerait
l’obligation, très-pénible, souvent même impossible, d’établir une
distinction dans l’orthographe des participes présents et celle des
adjectifs et substantifs verbaux, dédale où la connaissance du latin et
des étymologies, loin de nous guider, nous entraîne, comme on vient de
le voir, dans de perpétuelles contradictions?

Si ce principe était adopté, on pourrait conserver la désinence _ent_
au petit nombre de mots formés directement du latin, comme _gent_ de
_gens_; aux mots calqués sur la désinence latine du neutre en _entum_,
comme _testament, monument_, de _testamentum, monumentum_, et enfin
à tous nos adverbes en _ment_, tous par _e_, à cause de la racine
_mente_. Ces trois classes de mots feraient seules exception à la règle
de l’_a_ remplaçant _e_ dans les mots terminés en _ant_.


DE L’ORTHOGRAPHE ET DE LA PRONONCIATION DES MOTS EN _ANCE_ ET _ENCE_.

Enfin l’Académie examinera s’il ne conviendrait pas de ramener à une
seule et même orthographe les mots ayant leur désinence en _ance_ et
_ence_.

Tous les substantifs dérivés des verbes de la PREMIÈRE conjugaison
latine se terminent par _ance_: _abondance, assonance, consonance,
extravagance, substance_, etc.

Pour les mots dérivés des verbes de la DEUXIÈME conjugaison, le plus
grand nombre se terminent en _ence_: cependant l’Académie écrit:
_appartenance_ et _abstinence_, _allégeance_ et _agence_, _bienséance_ et
_équipollence_, _dépendance_ et _éminence_, _complaisance_ et _dissidence_,
_condoléance_ et _déshérence_, _déchéance_ et _décadence_, _déplaisance_
et _permanence_, _engeance_ et _exigence_, _intendance_ et _incidence_,
_malveillance_ et _pénitence_, _naissance_ et _innocence_, _plaisance_ et
_indulgence_, _surséance_ et _présidence_, _prévoyance_ et _providence_,
_réjouissance_ et _résidence_, _redevance_ et _impertinence_; enfin elle
écrit diversement les dérivés d’un même verbe: (de _tenere, tenens_),
_contenance_ et _continence_, (de _videre, videns_), _clairvoyance_ et
_évidence_, etc.

Pour les mots dérivés de la TROISIÈME conjugaison, la moitié s’écrivent
par _ance_ ou par _ence_, sans motif apparent: _assistance_ et
_adolescence_, _bienfaisance_ et _magnificence_, _concomitance_
et _concupiscence_, _confiance_ et _confidence_ (de _confidere_),
_consistance_ et _conséquence_, _descendance_ et _convalescence,
croyance_, _crédence_ et _créance_ (de _credere_), _croissance_ et
_conférence_, _déchéance_ et _décadence_ (de _cadere_), _défiance_
et _désinence_, _gérance_ et _agence_, _médisance_ et _confidence_,
_méfiance_ et _mésintelligence_, _insuffisance_ et _éloquence_,
_intendance_ et _intelligence_, _concomitance_ et _intermittence_
(l’un avec un _t_, l’autre avec deux _t_), _naissance_ et _affluence_,
_oubliance_ et _négligence_, _subsistance_ et _existence_.

Pour les mots dérivés de la QUATRIÈME conjugaison, ils se bornent à
6 ou 8 et présentent la même anomalie: _convenance_ et _audience_,
_disconvenance_ et _conscience_, _souvenance, prévenance_ et
_expérience_, _obéissance_ et _obédience_, _insouciance_ et _science_.

Ainsi, par ces modifications ou plutôt ces rectifications, la
grammaire, débarrassée de ce grand nombre d’exceptions et de
fatigantes minuties, deviendra plus facile à apprendre, et allégera
pour l’Académie l’obligation d’en rédiger une. C’est peut-être aux
fastidieux détails qui surchargent encore cette œuvre, confiée d’abord
à Regnier des Marais, qu’on doit, du moins en partie, attribuer son
ajournement.

Et, en effet, qui a le courage aujourd’hui de lire la Grammaire de des
Marais, si ce n’est comme étude historique?

Le conflit entre l’orthographe propre au français et celle du latin ne
date pas, il est vrai, de l’époque du savant secrétaire de l’Académie
de 1694. Si nous nous reportons au temps des Estienne (1540), nous
le trouverons aussi marqué qu’à présent, mais cependant en sens
inverse. Ce sont les mots en _ence_ qui paraissent alors l’emporter
numériquement sur les mots en _ance_. Mais il n’en est plus de même
si l’on remonte à 1420-40, au moment où Firmin Le Ver rédigeait son
dictionnaire. Une couche très-riche de mots français d’ancienne
formation subsistait encore, et, dans ce fonds antérieur à la
Renaissance, les vocables latins en _entia_ sont traduits par des mots
français en _ance_ que Le Ver, en sa qualité de Picard, écrit souvent
par _anche_. Par exemple:

  COMPLACENTIA donne  _complaisance_
  COGNOSCENTIA        _congnissance_
  CONFIDENTIA         _confianche_
  CONVENIENTIA        _convenanche_
  CRESCENTIA          _croissance_
  DECENTIA            _avenanche, contenanche_
  DEPENDENTIA         _dependanche_
  DESPLICENTIA        _desplaisanche_
  DISSIDENTIA         _desseanche, discordanche_
  EXIGENTIA           _juste requeranche_
  EXISTENTIA          _estanche, demouranche_
  IMPOTENTIA          _non puissanche_
  MALIVOLENTIA        _male veullanche_
  NASCENTIA           _naissanche_
  PENITENTIA          _penanche, penitanche, repentanche_
  PERTINENTIA         _appartenanche_
  PROVIDENTIA         _pourveanche_
  RESISTENTIA         _resistanche_
  SUFFICENTIA         _souffisanche_

Par un phénomène curieux et qui caractérise très-bien le sens, au point
de vue orthographique, et la coexistence des deux courants qui ont
formé notre langue telle qu’elle existe aujourd’hui, dans quelques cas
le mot français d’ancienne formation en _ance_ se trouve dans le même
endroit en présence du calque latin de nouvelle formation en _ence_.
Exemples:

  ABSENTIA     = _défaillance, absence_
  CONSEQUENTIA = _ensievance, consequence_
  CONSIDENTIA  = _seanche, considence, consistence_
  OBEDIENTIA   = _obeissanche, obedience_
  RESIDENTIA   = _demourance, residence_

D’autres mots, tirés également des trois dernières conjugaisons
latines, alors récents et reproduisant le latin lettre à lettre, sont
écrits par _ence_. Tels sont _concupiscence, diligence, eloquence,
innocence, presidence, science_. D’autres substantifs de ce genre, qui
figurent également sous forme d’adjectifs dans les tableaux précédents,
ne sont pas encore usités au commencement du quinzième siècle, car
ils n’existent pas sous leur forme actuelle dans Le Ver. Tels sont:
_adolescence, allégeance, agence, bienséance, clémence, compétence,
correspondance, décadence, éminence, décence, impuissance, inconstance,
indépendance, indulgence, insolence, réjouissance, répugnance_, etc.

J’ai voulu pousser plus loin la constatation de cette loi de la
_francisation_ orthographique des mots directement formés sur le latin,
car, en me bornant au dictionnaire de Le Ver et au quinzième siècle,
je m’exposais à l’objection que je n’avais embrassé qu’un dialecte et
une époque de l’histoire de la langue. J’ai cherché cette vérification
dans les plus anciens monuments littéraires du français au douzième
siècle, je veux dire les _Quatre livres des Rois_ de la Bibliothèque
Mazarine et les _Choix de sermons de saint Bernard_, publiés par M.
Le Roux de Lincy en 1841. J’ai fait dépouiller dans les uns et les
autres tous les mots en _ance_ et en _ence_. Ils sont en bien petit
nombre dans un volume de plus de cinq cents pages, ce qui prouve
que la tendance à calquer les terminaisons du français sur le latin
n’était pas encore très-prononcée. Les voici tous, sans acception de
conjugaison cette fois:


_Mots en_ ANCE.

  abundance R. et                  hunurance et
    habondance S. Bern.              onurance (honneur)
  aliance                          lance
  apurtenance                      mescréance
  atemprance (arrangement)         penance (pœnitentia)
  conissance S. B.                 pesance
  conixance S. B.                  recunuissance
  cuvenance                        remanance
  demustrance                      remembrance
  dessevrance                      repentance et
    (mérite) S. B.                   respentance
  dutance                          sachance S. B.
  enfance R. et S. B.              semblance R. et S. B.
  enurance (splendeur)             signefiance
  esperance                        sustance R. et sostance S. B.
  fiance                           sustenance
  grevance                         venjance

Les mots en _ence_ ne sont qu’au nombre de treize et sont marqués d’un
caractère théologique tout spécial. Ce sont:

_Mots en_ ENCE.

  abstinence                       reverence
  frequence S. B.                  sapience
  impatience et                    semence S. B.
    impascience S. B.
  negligence S. B.                 science
  obedience                        sentence S. B.
  penitence                        silence S. B.
  pestilence

On voit que plusieurs d’entre eux ont leurs correspondants dans
la liste ci-dessus en _ance_: tels sont _penance_ et _penitence_,
_sachance_ et _sapience, science_. Il résulte de ce qui précède que
même dans les mots tirés de substantifs en _entia_ la forme française
en _ance_ domine partout sur la forme latine en _ence_ qui figurait
peut-être la prononciation _ince_. En tout cas il est incontestable
qu’en empruntant des mots au latin, le français d’alors ne s’attachait
pas à en copier servilement l’orthographe.


V

SYLLABES _TI, TION_.

Au moyen d’un simple signe adapté à la lettre _t_, comme Geofroy Tory
l’a fait le premier pour la lettre _c_, lui donnant, par l’apposition
de la cédille, le son exceptionnel du _s_, bien des difficultés de
prononciation seraient épargnées aux étrangers ainsi qu’aux enfants; et
l’Académie ne serait plus obligée, dans son Dictionnaire, de répéter
continuellement: «Dans ce mot, _t_ suivi de _i_ se prononce comme _c_
dans _ci_,» indication fréquemment reproduite, mais qu’on lui reproche
d’avoir oubliée dans plus de cent endroits.

Cette syllabe _ti_, qu’on doit prononcer _ci_, est une cause de telles
difficultés pour la lecture et l’écriture, qu’il semble indispensable
d’adopter un système régulier, soit en remplaçant le _t_ par _c_ ou
_s_, comme l’a fait l’Académie dans certains mots, soit en plaçant une
cédille sous le _t_, ainsi qu’on le fait depuis le milieu du seizième
siècle pour le _c_. En sorte que, de même qu’on écrit _flacon_ et
_façon, gascon_ et _garçon_, on écrirait: nous _acceptions_ et les
_accepţions_, _pitié_ et _inerţie_, _inimitié_ et _facéţie_, _amitié_
et _primaţie_, _chrétien_ et _Capéţiens_, etc.

Déjà l’Académie a substitué quelquefois le _c_ au _t_; elle écrit
_négociation_, qui, conformément à l’étymologie, aurait dû être
écrit _négotiation_, puisqu’elle écrit _initiation, pétition,
propitiation_[69]. Ailleurs elle écrit sans motif il _différencie_
et il _balbutie_, _chiromancie_ et _démocratie_, _circonstanciel_ et
_pestilentiel_.

      [69] Elle se trompe même en indiquant ainsi la prononciation de
      ce mot: «On prononce _propiciation_.»

L’Académie, qui a écrit par un _t_ les dix adjectifs suivants:
_ambitieux, captieux, contentieux, dévotieux, factieux, facétieux,
minutieux, prétentieux, séditieux, superstitieux_, écrit par un _c_
les treize autres que voici: _avaricieux, consciencieux, disgracieux,
gracieux, licencieux, malgracieux, malicieux, précieux, révérencieux,
sentencieux, silencieux, spacieux, vicieux_: les uns et les autres,
indistinctement, ont en latin un _t_, _vitiosus, pretiosus_[70],
etc. Pourquoi cette distinction? En modifiant l’orthographe des
dix premiers, tous les adjectifs de cette catégorie terminés en
IEUX seraient écrits et prononcés uniformément, comme _avaricieux,
capricieux, délicieux_.

      [70] Le mot _prétieuses_ est ainsi écrit dans le Dictionnaire
      de Somaize (1661), mais l’Académie, en 1694, remplaçant le _t_
      par un _c_, écrit _précieuses_, et déjà en 1420, le Dictionnaire
      de Le Ver, où souvent les mots latins sont orthographiés
      conformément à la prononciation française, écrivait avec un _c_
      les mots _preciosus, preciolus, preciose, preciositas_, qu’il
      traduit par _precieusement, precieusetes_.


Peut-être conviendrait-il, pour treize substantifs ayant _tie_ pour
désinence: _argutie, calvitie, diplomatie, facétie, impéritie, ineptie,
inertie, minutie, onirocritie, primatie, prophétie, suprématie_,
et pour les quatre mots terminés par _cratie_: _aristocratie,
bureaucratie, démocratie, ochlocratie_, de les écrire avec la désinence
CIE, comme l’a fait l’Académie pour _chiromancie, rabdomancie_. Alors
il n’y aurait plus d’exception pour l’ensemble des mots se terminant
en CIE, comme _pharmacie, superficie, alopécie_ et _esquinancie_, que
Henri Estienne, à sa table des mots dérivés du grec, renvoie avec
raison à _squinancie_.

Il en est de même de _circonstanciel_, que l’Académie écrit par un _c_;
mais elle écrit _confidentiel, différentiel, pestilentiel, substantiel,
obédientiel_, et cependant ces mots dérivent de _confiance, différence,
pestilence, substance, obédience_, comme _circonstanciel_ dérive de
_circonstance_. Par la même raison, _essentiel_ devrait s’écrire
_essenciel_. On pourrait donc écrire uniformément les mots dont la
désinence est en CIEL.

Ainsi, pour ces diverses séries de mots prononcés en _cion_, en
_cieux_, en _cie_ et en _ciel_, le _c_ ayant déjà été employé
quelquefois par l’Académie à la place du _t_, on pourrait adopter
uniformément la lettre _c_. Par là bien des difficultés et des règles
de grammaire seraient supprimées.

Quant aux autres séries de mots où _ti_ figure, peut-être
conviendrait-il de préférer le _ţ_ au _c_: tels sont les mots
écrits exactement de même, mais qui changent de signification et de
prononciation, du moment où ils ne sont plus des verbes à la première
personne du pluriel de l’imparfait de l’indicatif.

  nous acceptions         --      les acceptions
  nous adoptions          --      les adoptions
  nous affections         --      les affections
  nous attentions         --      les attentions
  nous contentions        --      les contentions
  nous contractions       --      les contractions
  nous dations            --      les dations
  nous désertions         --      les désertions
  nous dictions           --      les dictions
  nous exceptions         --      les exceptions
  nous éditions           --      les éditions
  nous exemptions         --      les exemptions
  nous exécutions         --      les exécutions
  nous infections         --      les infections
  nous injections         --      les injections
  nous inspections        --      les inspections
  nous interceptions      --      les interceptions
  nous inventions         --      les inventions
  nous intentions         --      les intentions
  nous mentions           --      les mentions
  nous notions            --      les notions
  nous objections         --      les objections
  nous options            --      les options
  nous persécutions       --      les persécutions
  nous portions           --      les portions
  nous rations            --      les rations
  nous relations          --      les relations
  nous réfractions        --      les réfractions
  nous rétractions        --      les rétractions
  nous sécrétions         --      les sécrétions

La cédille, placée sous le _t_ comme on le fait pour le _c_ lorsqu’il
prend le son de _s_, ferait cesser cette confusion injustifiable.
Il deviendrait aussi facile de distinguer _les accepţions_ de _nous
acceptions_, _les adopţions_ de _nous adoptions_, et de discerner et de
prononcer les deux _ti_, soit _ti_ et _ţi_ (_ci_), qu’il l’est de ne
pas confondre les deux sons du _c_ dans _commerçant_ et _traficant_,
dans _reçu_ et _recueillir_.

Les deux verbes _initier_ et _balbutier_ seraient aussi écrits par _ţ_.

Quelle difficulté, je ne dirai pas de distinguer (il n’y a pas de
distinction possible), dans la foule des mots où se trouvent les deux
lettres _ti_, ceux où il faut les prononcer soit _ti_, soit _ci_:
_amitié, pitié, inimitié, chrétien, moitié, épizootie_[71], et:
_initié, inertie, imitation, Capétiens, facétie, primatie_! Pourquoi
_supportions_ et _action_, _argentier_ et _différentier_, _abricotier_ et
_balbutier_? Qui d’entre nous sait comment il faut prononcer _antienne_?

        [71] L’Académie n’indique pas la prononciation de ce mot.

Resteraient les autres mots terminés en TION: _dentition, partition,
pétition_[72], où le premier _ti_ doit se prononcer _ti_ et le second
_ci_; On écrirait donc: _dentiţion, partiţion, pétiţion, propitiaţion_,
et de même tous les mots dérivés de la première conjugaison latine,
_abdicare, abdicaţio, abdicaţion_, et ceux de la quatrième conjugaison
latine, _audire, audiţio, audiţion_ (le nombre en est minime). Ceux, en
si grand nombre, appartenant aux deux autres conjugaisons latines ont
leur désinence en _ţion, sion, ssion_ et _cion_.

      [72] Contrairement aux règles de la grammaire, le premier _ti_
      dans ce mot, et dans les cinq autres, _épizootie, étiage, étier,
      étiolement, étioler_, se prononce _ti_, bien que placé entre
      deux voyelles.

Si l’on pouvait adopter une forme, la même pour tous, _sion_, ce serait
préférable, car, pour pouvoir distinguer ces désinences diverses, il
faut savoir le latin. Cet emploi du _ţ_ ferait cesser de nombreuses
incertitudes.

  _abdicare_        _abdicatio_       abdication
  _abjurare_        _abjuratio_       abjuration
  _retinere_        _retentio_        rétention
  _jubere_          _jussio_          jussion
  _miscere_         [_mixtus_]        mixtion
  _prætendere_      _prætentio_       prétention[73]
  _attendere_       _attentio_        attention
  _convertere_      _conversio_       conversion
  _adspergere_      _adspersio_       aspersion
  _abstergere_      _abstersio_       abstersion
  _extorquere_      _extorsio_        extorsion
  _infundere_       _infusio_         infusion
  _incurrere_       _incursio_        incursion
  _demittere_       _demissio_        démission
  _opprimere_       _oppressio_       oppression
  _suspicere_       _suspicio_        suspicion
  _sugere_          _suxio_           succion
  _audire_          _auditio_         audition

      [73] Racine, ainsi qu’on peut le voir au manuscrit autographe
      de la Bibliothèque impériale, écrivait avec raison _pretension_
      (en latin _prætensio_), et, en effet, nous écrivons _tension_.
      Nous devrions donc écrire de même _attension_ que Bossuet écrit
      _atantion_. On trouve néanmoins dans Du Cange un exemple de
      _prætentio_. De tous ces mots de la troisième conjugaison latine,
      _prétention_ est le seul auquel l’Académie ait conservé le _t_,
      parce que les Latins l’ont employé exceptionnellement dans ce
      mot. Mais puisqu’ils écrivent _infusio_ et nous _infusion_,
      quelle différence y a-t-il entre _prætendere_ et _infundere_ qui
      puisse justifier cette contradiction?

Je croyais avoir émis le premier cette idée fort simple de l’emploi du
_t_ cédille, _ţ_, mais j’étais devancé par Port-Royal, qui propose dans
le même but de placer un point sous le _ṭ_. La cédille sous le _ţ_ se
trouve même mise en pratique à Amsterdam en 1663 par Simon Moinet, le
correcteur des Elzeviers[74], ce qui prouve que l’idée en est bonne et
très-praticable.

      [74] _La Rome ridicule du sieur de Saint Amant travêstië a
      la nouvelle ortografe_; _pure invanţion de Simon Moinêt,
      Parisiïn_, Amsterdam, aus dêpans é de l’imprimerië de Simon
      Moinêt, 1663, in-12.


VI

DE L’_Y_ GREC.

Cette lettre, dont l’emploi abusif foisonne dans les manuscrits
français et les impressions gothiques de la fin du quinzième siècle
et du commencement du seizième, et jusque dans la première édition du
Dictionnaire de l’Académie, devrait être ramenée exclusivement à son
véritable emploi, le remplacement du double _i_, exemples: _atermoyer,
ayons, citoyen, crayon, moyen, octroyer, pays, voyez_.

Dès ses premières éditions, l’Académie fit disparaître un grand nombre
d’_y_ faisant fonction d’_i_ simples, au grand déplaisir des scribes
qui se complaisaient à l’employer comme un ornement calligraphique, et
aussi pour remédier à la confusion que l’_i_, simple jambage, laissait
dans l’ancienne écriture lorsque, à côté des autres jambages des _m_,
_n_, ou _u_, il n’était pas surmonté du point, confusion que l’on
remarque dans la plupart des diplômes et des manuscrits antérieurs à
l’époque de la Renaissance.

Elle élimina même successivement l’_y_ dans un certain nombre de mots
où l’étymologie l’eût réclamé. Tels sont _abyme, alchymie, amydon,
anévrysme, chymie, cyme, colysée, crystal, gyratoire, satyrique_
(_écrit_), et tant d’autres, qu’on écrit aujourd’hui _abîme, amidon,
anévrisme, chimie, cime, colisée, cristal, giratoire, satirique_,
etc. Dans sa cinquième édition, _analise, analiser, analitique_,
ayant été ainsi écrits dans les ouvrages imprimés alors, ces mots se
produisirent sans _y_; mais l’Académie dans la sixième édition ayant
rétabli _analyse_ et _analyser_, les imprimeries durent se conformer à
ce retour à l’ancienne orthographe, de même qu’elles rétabliront l’_i_
si l’Académie en donne de nouveau l’exemple dans la nouvelle édition
qu’elle prépare.

Puisque les Latins n’ont pas conservé dans _silva_ le ὑ ou _y_ grec
de ὕλη, pourquoi écrivons-nous encore _sylvain, sylvestre_, tandis
que nous avons _saint Silvestre_? Pourquoi _hyémal_, lorsqu’on écrit
_hivernal_ et _hiver_, également dérivés de _hiems_? Dans l’ancien
français on écrivait même _iver_ et _iverner_.

Ne pourrait-on pas adopter l’_i_ au lieu de l’_y_ dans certains
mots d’un usage assez général, comme _anonyme, apocryphe, asphyxie,
cacochyme, cataclysme, chyle, chyme_ (à cause de _chimie_), _clysoir,
clystère, collyre, cycle, cygne, cynisme, cyprès, gymnase, mystère_
(Bossuet écrit _mistère_ et _mistique_), _oxyde, oxygène, style_[75],
_syllabe, symétrie, symphonie_, _syndicat, syncope, syphilis, système,
type, tyran_ (Bossuet écrit _tiran_)[76], etc.?

      [75] Les Latins écrivent _stilus_ par un _i_; il est vrai que
      ce mot dérive de στύλος, qui en grec signifie colonne, d’où le
      _bâton_, puis le _stylus_, poinçon dont la tige est arrondie
      et pointue à l’un des bouts pour écrire sur la cire, et au
      figuré le _style_. Mais y a-t-il motif de se glorifier de ces
      curiosités scientifiques? Ce sont des jeux d’esprit et de mémoire
      qui portent le trouble dans l’orthographe bien inutilement.
      L’Académie écrit _mirmidon_, en indiquant que quelques-uns
      écrivent _myrmidon_, et _cariatides_, bien que l’orthographe
      grecque et latine eût exigé _caryatides_.

      [76] Dans le Dictionnaire de Le Ver, composé en 1420, _mistere,
      tiran_, sont aussi écrits sans _y_.

Ce serait un pas de plus vers une réforme plus complète, telle que
celle que l’Académie de Madrid vient d’accomplir en 1859, en repoussant
l’_y_ pour le remplacer partout par l’_i_ simple[77].

      [77] _Promptuario de ortografía de la lingua española despuesto
      de real órden para del uso de las escuelas públicas, por la
      real Academia española_, 1866.

La présence simultanée de l’_y_ et de l’_i_ dans un certain nombre
de mots de notre langue offre parfois de l’embarras à des personnes
instruites, à des savants même, qui craignent, avec quelque raison,
qu’un _lapsus_ momentané de mémoire ne les fasse accuser d’ignorance
par des personnes peu bienveillantes.

Il suffira de citer les mots suivants dans lesquels la ressemblance des
syllabes est loin d’être un secours:

  acolyte[78]  et ichthyolithe      | hiéroglyphe    et hyperbole
  amphitryon   et emphytéose        | Hippolyte      et stylite
  amphictyon   et Amphitrite        | histrion       et hypothèque
  apocryphe    et logogriphe        | hypotypose     et prophylactique
  azimut       et byzantin, hyalin  | hypocrisie     et chrysalide
  adipocire    et adynamie          | hyémal         et hiérarchie
  borborygme   et énigme            | lithographie   et lymphatique
  bronchite    et prosélyte         | lycanthropie   et liturgie
  dionysiaque  et dyspepsie         | péristyle      et crocodile
  diachylon    et conchyliologie    | phthisie       et psychologie
  diptyque     et crypte            | polytechnique  et poliorcétique
  dithyrambe   et dynamique         | rhythme        et eurythmie
  éclipse      et apocalypse        | schiste        et néophyte
  épididyme    et épicycloïde       | Scythie        et Bithynie
  épiphyse     et symphise          | sibylle        et pythie
  érysipèle    et paradigme         | stigmatiser    et Styx
  étymologie   et esthétique        | syzygie        et triglyphe
  glyptique    et triptyque         | xiphoïde       et xylographie

      [78] Ce mot devrait pour satisfaire à l’étymologie être écrit
      _acoluthe_, puisque nous avons _anacoluthe_.

Quelques mots où l’_y_ ne provient ni du français ni du grec pourraient
être ramenés aux règles de notre orthographe, tels sont: _jockey,
jury, tilbury, yacht, yatagan, yeuse_, qui paraîtraient avec avantage
écrits par un _i_ à la manière française; ce qui se fait déjà pour
quelques-uns d’entre eux, _juri, jockei_. Une longue prescription
peut seule faire tolérer le pluriel de _œil_, écrit autrefois plus
régulièrement _ieux_.


VII

DE LA LETTRE ġ[‡].

      [‡] Il existe deux formes possibles pour la lettre minuscule g:
      l'une (classique) à queue fermée, représentée ici comme g; et
      l'autre (scripte) à queue ouverte, représentée ici comme g. La
      lettre ġ de l'original ressemble à un c et un j accolés, le point
      étant situé au-dessus de la branche verticale.

Puisque l’on a adopté, dans la typographie moderne, la forme ɡ[79]
à laquelle l’œil est aussi habitué qu’à celle du g _romain_ et à la
forme du _g italique_, on devrait l’utiliser pour figurer le g dur,
comme dans _figure, envergure_, en la distinguant par un point sur la
branche j pour indiquer que le ġ ainsi marqué prend le son doux dans
les mots _gaġure, manġure, verġure, charġure, égruġure_, ainsi
que l’avait déjà proposé de Wailly, et dès lors on écrirait ces mots
sans la lettre parasite _e_, puisque l’on ne prononce pas _eu_ dans
_gageure_, comme dans _demeure, effleure, pleure_.

      [79] Dans ce chapitre et le précédent on a fait emploi du g
      conformément à plusieurs éditions imprimées avec cette forme du
      g par Pierre et Jules Didot, et employée dans notre imprimerie
      pour la belle édition en douze vol. de Corneille, éditée par
      Lefèvre. Du moment où le _g_ a été remplacé généralement dans les
      caractères italiques par la forme plus simple du _g_, ce même
      changement doit s’opérer pour les caractères romains; on évitera
      ainsi deux formes différentes pour la même lettre.

Cette forme du g, _ġ_, pour rendre le son du _ġ_ doux, serait d’autant
mieux appropriée à cet office qu’elle contient comme élément la lettre
_j_. On écrirait donc avec le _ġ_ doux _gaġure, manġure, verġure,
affliġant, exiġant, rouġatre, oranġade_, et, conformément à
la prononciation, le g dur serait employé pour les mots _figure,
envergure, gaġe, gorġer_.

Par cette légère modification, on aurait le double avantage de ne
présenter à l’œil rien de choquant et d’inusité, et d’épargner l’emploi
de l’_e_, si fâcheusement mis en usage pour rendre au g dur, devant
les voyelles _a, o, u_, le son du _j_. A moins qu’on ne préférât
remplacer le _ġ_ doux par le _j_, comme on l’a souvent proposé, et
comme il l’a été dans le mot _donjon_, écrit _dongeon_ et _dongon_ dans
le _Procès de la Pucelle_. On écrit, en effet, _jumeaux_ et _gémeaux,
jambe_ et _gigue, enjamber_ et _dégingandé, jambon_ et _regimber_;
de même que du latin _gaudere, gaudium_, on a fait _joie, joyeux,
réjouir_; de _gena_, _joue_; de _magis_, _majeur, majesté_, bien qu’on
écrive _magistrat_, et par contre de _juniperus_ on a fait _genévrier_.
En 1240, _ego_ s’écrivait _ge_ que nous avons remplacé par _je_[80].
D’après ces exemples, on pourrait donc écrire _jujer, gajure, verjure,
gaje_.

      [80] Cette orthographe _ge_ domine encore dans les manuscrits
      du _Roman de la Rose_, ainsi que j’ai pu le constater dans les
      manuscrits que je possède; plus tard, surtout en Picardie, le _j_
      a remplacé le _g_.

Pourquoi traduire _jacens_ et _hic jacet_ par _gissant_ et _ci-gît_,
au lieu de _jissant_ et _ci-jit_, et écrire _genièvre_ au lieu de
_jenièvre_, en latin _juniperus_? On écrivait autrefois avec raison
_jesier_, du latin _jecur_; pourquoi _gésier_?

Il est fâcheux de voir ainsi écrits les mots:

  abstergent  et affligeant        diligent   et désobligeant
  astringent  et assiégeant        négligent  et obligeant
  contingent  et dérogeant         indulgent  et outrageant
  convergent  et changeant         indigent   et partageant

En écrivant _affliġant, exiġant, naġant, partaġant, diriġant_, au
lieu de _affligeant, exigeant, nageant, partageant, dirigeant_, on
simplifierait l’orthographe déjà si compliquée des mots terminés en
ANT, et l’on pourrait écrire _obliġance_, comme on devrait écrire
_négliġance_.

Avant l’emploi de la cédille placée sous le _ç_, on était forcé, pour
éviter qu’on prononçât _commencons_, d’écrire nous _commenceons_,
comme nous écrivons _gageure_ en ajoutant un _e_. La cédille ayant
rendu inutile cette addition de l’_e_ à la suite du _c_, l’_e_ dans
_commenceons_ fut supprimé[81].

      [81] Si cette distinction du _g_ dur et du _ġ_ doux était admise,
      l’usage bien distinct des deux _g_ et _ġ_ permettrait PLUS TARD
      de supprimer l’_u_ introduit après le _g_ pour le rendre _dur_
      lorsqu’il est suivi d’un _e_ ou d’un _i_ (exemples: _langue,
      languir_), de même que, par une raison contraire, on ajoute l’_e_
      à _gaġeure_. On écrirait alors _lanɡe, lanɡir_, en conservant
      _gu_ pour les mots tels que _anguille, aiguille_, etc. et _ġe_
      pour _gaġe, gaġure_, etc.; par là, trois prononciations seraient
      bien distinctement figurées.

Si cette forme du _ġ_ ayant le son du _j_ avait eu cours, on aurait
écrit _aġant_ comme on écrit _gérant_, et _négliġant_ et _obliġant_,
tandis que pour donner le son doux au _g_ il fallait mettre un _e_ au
lieu d’un _a_ à _négligent_ et même ajouter un _e_ devant _ant_ comme
dans _obligeant, nageant_. Cette légère modification lèverait bien
des difficultés et l’Académie en appréciera les avantages.


DE LA LETTRE _X_.

Il y aurait peut-être quelques observations fondées à présenter
touchant l’emploi de la lettre _x_ comme marque du pluriel. Elle a
disparu déjà des mots _loix_ et _cloux_.

Plusieurs néographes, tels que Duclos, de Wailly, etc., voulaient même
la remplacer par l’_s_ dans les pluriels des mots terminés en _al_ et
en _eu_, et qu’on écrivît des _chevaus_, des _vœus_, etc., et aussi au
singulier des adjectifs formés sur un primitif latin en _osus_, ex.:
_vicieus, précieus_, pour conserver la régularité dans la formation
du féminin et des dérivés. Par la même raison, il proposait d’écrire la
_crois_, le _chois_, etc.

Mais, pour ne pas rompre d’anciennes habitudes, on pourrait n’adopter
ce changement que dans les sept pluriels suivants: _cailloux, choux,
genoux, glougloux, hiboux, joujoux, poux_, pour être conforme avec les
_bambous_, les _clous, coucous, filous, fous, mous, trous, verrous_.
Cette correction offrirait l’avantage d’éliminer l’une des trop
nombreuses règles de la formation du pluriel.


CONCLUSION.

Les modifications orthographiques que l’on soumet à la décision de
l’Académie sont toutes fondées sur la logique et l’analogie, toutes
justifiées par les précédents. En les discutant, l’Académie montrera
qu’elle tient compte de la disposition des esprits à notre époque, où
les traditions de notre ancienne langue et l’étude de ses monuments
littéraires prennent de plus en plus d’importance; dans sa sagesse elle
adoptera celles qui lui sembleront le plus nécessaires.

Les modifications proposées sont-elles, à proprement parler, des
innovations? Ne sont-elles pas plutôt un retour aux règles qui ont
présidé à la formation littéraire de notre langue? Les quelques
retranchements à opérer portent en général sur des interpolations de
lettres d’une date relativement récente, et l’Académie les a déjà en
partie condamnées.

Je crois d’ailleurs utile de rappeler que, tout importantes et
nombreuses que soient ces modifications, elles n’apporteraient pas dans
l’écriture un trouble comparable au grand changement introduit dans
la troisième édition de son Dictionnaire en 1740. Réparties sur les
vingt-six mille mots du vocabulaire de notre langue[82], elles seraient
bien moins sensibles, et facilement adoptées; la logique et l’analogie
y conduisent naturellement; la plupart d’entre elles passeraient
même inaperçues. D’ailleurs quelques inconvénients passagers seront
bien faibles en comparaison des avantages réels et durables qui en
résulteront.

      [82] Le nombre des mots admis dans la sixième édition est de
      25,786.

La rectification de ces irrégularités orthographiques, la suppression
de quelques marques étymologiques latines ou grecques, qui avaient
échappé aux radiations précédentes, ne causeront aucune hésitation
à ceux qui savent le grec et le latin. L’étymologie des mots ne
saurait être douteuse pour eux; l’œil ne sera pas plus déçu que
ne l’est l’oreille. Que l’on écrive _filosofie_ comme _frénésie_,
_tésoriser_ comme _trésor_, _cronologie_ comme _crème_, _analise_ comme
_cristal_; que l’on écrive _impotant_ comme _impuissant_, _évidant_
comme _prévoyant_, _inconvéniant_ comme _inconvenant_; que l’on écrive
_préférance_ comme _espérance_, _irrévérance_ comme _remontrance_,
_compétance_ comme _complaisance_, ces mots, quelle qu’en soit
l’orthographe, n’en conserveront pas moins leur origine évidente, et
l’esprit sera soulagé de minuties pénibles qui fatiguent la mémoire et
déconcertent l’intelligence.

Lorsque l’on compare la complication de l’orthographe française avec
la simplicité de celle des autres langues néo-latines, l’italien,
l’espagnol, le portugais, et qu’on voit dans nos anciens manuscrits
notre orthographe se rapprocher par sa simplicité de celle de ses
sœurs, on est porté à rechercher la cause de cette anomalie.

Jusqu’à l’époque du renouvellement des études, il n’existait pas
de grammaire de la langue nationale et par suite d’enseignement de
l’orthographe. Les scribes conformaient capricieusement la leur à la
prononciation qui variait d’ailleurs selon les différentes contrées. Un
même son, en outre, pouvait être représenté par des assemblages divers
de lettres, surtout s’il n’existait pas dans le latin. Des manuscrits
de même temps présentent souvent de notables différences, et parfois
l’écriture n’est pas identique dans la même page. Toutefois, au milieu
de ces irrégularités, de ces formes orthographiques indécises et
flottantes, règne une grande simplicité. L’écriture essaie de figurer
la prononciation.

A partir de la Renaissance, il n’en est plus ainsi. L’imitation
du latin se fait de plus en plus sentir, et dans nos grammaires,
modelées exclusivement sur celles de la langue latine, et dans nos
dictionnaires, presque toujours accompagnés du latin dont l’orthographe
réagissait sur la nôtre. L’enseignement du grec, confié aux doctes
lecteurs du roi au collége de France, contribua aussi à enrichir notre
littérature d’expressions nouvelles transcrites du latin classique,
même du grec, et généralisa le travail de refonte dans le moule
antique d’une partie des vocables du vieux français. Cette influence
de l’érudition sur l’écriture persista jusqu’à l’époque où l’Académie,
cherchant un point d’appui pour son orthographe, crut devoir, tout
en se rapprochant de celle des Latins, suivre, mais avec plus de
modération, l’exemple des Estienne. En 1694, l’Académie rendit sous ce
rapport un vrai service en établissant dans son premier Dictionnaire
un ordre qui, sans s’écarter notablement du latin, montrait cependant
une tendance à revenir à notre ancienne orthographe. Mais, à mesure
que l’écriture se généralisait de plus en plus, l’inconvénient du
lourd bagage de lettres parasites se manifestait plus vivement, et,
dès sa troisième édition, l’Académie, qui avait déjà renoncé au
classement scientifique par racines pour rendre plus pratique l’emploi
de son Dictionnaire, ne se montra pas moins logique en ce qui touche
l’orthographe. Dans cette édition, confiée aux soins de d’Olivet, elle
simplifia considérablement l’écriture qu’elle dégagea en grande partie
de son vêtement latin. La hardiesse avec laquelle l’Académie réforma
tant de lettres conservées par le fétichisme de l’étymologie fait même
regretter qu’elle n’ait pas osé davantage. Jusqu’alors, l’écriture,
calquée, pour ainsi dire, sur le latin, était une sorte de monopole
pour le clergé, la magistrature, les hommes de cour et pour un cercle
restreint de la société, initié alors au grec et au latin, mais elle
devenait incompatible avec les besoins des classes nombreuses pour qui
la lecture et l’écriture sont pourtant indispensables.

Le français, en effet, n’est plus, de nos jours, écrit seulement par
des hommes initiés au latin et au grec; il est écrit correctement ou du
moins doit-il l’être par quiconque a reçu les éléments de l’instruction
primaire, et par les femmes à qui l’on n’enseigne point les langues
classiques.

C’est cependant aux _Précieuses_, ces femmes célèbres qui formaient
l’élite de la société au commencement du dix-septième siècle, que
l’on doit l’initiative des réformes que l’Académie a successivement
accomplies. En se posant en adversaires du pédantisme en fait
d’écriture, elles faisaient preuve de bon sens et de bon goût. Par
elles l’orthographe fut ramenée aux principes du vrai et du beau, à la
logique et à la clarté, et, peut-être à leur insu, elles se trouvaient
d’accord avec le génie même de notre langue et la tradition de notre
ancienne écriture. Honneur donc à ces femmes distinguées qui ont eu le
courage de s’affranchir du joug des habitudes et de braver l’opinion
du moment! On voulut les en punir en leur infligeant le nom de
_Précieuses_, mais c’est un titre dont elles peuvent se faire gloire:
il renferme l’idée de ce qu’il y a de plus exquis et de plus rare.

En présence des efforts, aussi persévérants que nombreux, tentés
durant plusieurs siècles par des hommes éminents qui, frappés des
inconvénients de notre orthographe, voulaient lui substituer un système
néographique ou phonographique, on aurait pu craindre de voir, comme
aux anciens temps de l’Égypte et de l’Inde, l’écriture des savants
délaissée en faveur d’une autre plus simple, telle que l’ont souhaitée
et la souhaitent encore aujourd’hui les phonographes, pour la rendre
accessible à tous.

En persévérant dans son système de simplifier notre orthographe, sans
la défigurer, et de l’améliorer successivement dans chacune de ses
éditions, pour faciliter l’écriture et la lecture de notre langue,
l’Académie fera renoncer à jamais aux utopies, quelque séduisantes
qu’elles soient, qui se multiplient même de jour en jour.

Lorsqu’on songe que, par l’écriture phonographique, _en trois jours_,
un enfant peut sans peine apprendre à lire sa langue maternelle, et
qu’il faut peut-être quatre ou cinq ans pour apprendre à lire et à
écrire d’après notre système orthographique, bien qu’amélioré, on ne
peut s’empêcher de reconnaître que ce temps pourrait être bien mieux
employé et suffirait pour apprendre deux ou trois langues modernes,
ou MÊME LE GREC, dont l’étude remplacerait si avantageusement les
puérilités de l’orthographe non moins longues à apprendre[83].

      [83] Le programme universitaire pour l’enseignement du français
      répartit en _six années_ l’étude de l’orthographe et de la
      grammaire, et l’on redoute de voir rendue _facultative_ l’étude
      du grec.

L’économie du temps, cette impérieuse nécessité de notre époque,
autoriserait jusqu’à un certain point les tentatives des phonographes,
si leur système n’était pas fatalement entraîné, par la logique même, à
mettre en péril notre langue et par suite la raison et l’intelligence
elle-même.

L’habitude d’abréger les mots en les contractant, qui est la tendance
constante de notre esprit vif et prompt[84], a réduit en monosyllabes
des mots qui en latin et en d’autres langues néo-latines sont composés
d’éléments doubles ou même triples. Tel est cet exemple:

  _Français.     Latin.        Italien.     Espagnol.     Portugais._

   saint         sanctus       santo        santo         sancto
   sein          sinus         seno         seno          seio
   sain          sanus         sano         sano          são
   ceint         cinctus       cinto        ceñido        cinto
   cinq          quinque       cinque       cinco         cinco
   seing         signum        segno        seña ou       signal ou
                                              signo         signo

      [84] Voltaire n’a pas eu raison de dire que «notre langue s’est
      formée du latin en abrégeant les mots, _parce que c’est le propre
      des barbares que d’abréger tous les mots_.» Si notre langue
      n’a pas la plénitude de la poésie d’Homère et de l’éloquence
      cicéronienne, cette abréviation des mots, que la langue anglaise
      ne contracte pas moins, est une grande qualité, puisqu’elle
      répond au besoin d’exprimer vivement et énergiquement la pensée
      que saisit vivement l’intelligence toujours impatiente de
      l’auditeur. La poésie surtout s’accommode difficilement de mots
      qui ne sont pas monosyllabes ou dissyllabes, et ce vers de Racine:

          Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur,

      perdrait tout son effet, traduit en italien. Quoi de plus vif que
      ces monosyllabes:

          . . . . . Qu’a-t-il fait? A quel titre?
          Qui te l’a dit?

      Que de mots et d’idées en peu de lettres!

Si la prononciation parfaitement identique de ces mots, au nombre de
six, _saint, sein, sain, ceint, cinq, seing_, est parfois
une cause d’équivoques dans la conversation, du moins, à défaut de
l’oreille, l’écriture variée de ces monosyllabes à l’avantage de
rappeler et même de représenter aux yeux les objets eux-mêmes, ce
que ne saurait faire l’écriture phonétique qui nous les offrirait
sous une seule et même forme. Il en est de même de _sot, saut,
seau, sceau_, et de _vin, vain, vint, vingt, vinc_, etc.
Ce sont, on peut le dire, autant de figures hiéroglyphiques. Lorsque
nous voyons écrits les mots _os, eau[85], au, haut, ô, oh_,
l’emploi du signe _o_, auquel certains phonographes voudraient ramener
leur configuration, serait une véritable barbarie. Conservons donc
précieusement ces distinctions qui aident l’intelligence, donnent à
l’écriture une vie qui réjouit l’œil et l’esprit, et compensant les
avantages que la parole a sur elle par l’animation du geste et les
inflexions de la voix.

      [85] Cette forme, si éloignée de son radical latin _aqua_, se
      retrouve et se résume dans toutes celles qui nous en ont conservé
      la racine: _aquatique, aigues, aiguière, évier_, et dans
      les anciennes formes du mot: _iève, ieau, ève, eau_, etc.

      Dans l’écriture hiéroglyphique, l’_eau_ est ainsi représentée
      ≋≋[‡] et, par ces ondulations, on voit l’objet même qu’elles
      figurent; le groupe de lettres _eau_ produit sur notre esprit un
      effet de ce genre. Il en est de même des _os_; on croit voir des
      ossements.

      [‡] Dans l'original, trois lignes ondulées horizontales
      représentant le hiéroglyphe N35B de la "Liste totale des
      hiéroglyphes selon la classification Gardiner".

Notre vieil alphabet latin peut suffire encore, à l’aide de légers
artifices, à transcrire les sons de notre langue; l’Italie, l’Espagne,
le Portugal, n’en ont pas d’autre, et il suffit à la prononciation
de leurs langues, romanes comme la nôtre. Tout en gardant notre
physionomie naturelle, rapprochons donc, à leur exemple, du simple
et du beau notre écriture que les traces d’une érudition surannée
compliquent aussi inutilement pour les lettrés que pour les ignorants.
Malgré ces modifications, elle différera encore beaucoup de la
simplicité de celle des langues italienne, espagnole et portugaise.

Dante, le Tasse, Cervantes, Lopez de Vega, Camoens, n’ont rien perdu
à être écrits avec une orthographe plus simple, et le grand Corneille
s’en réjouirait.

Notre écriture nationale, graduellement modifiée par la sagesse de
l’Académie, rendra la lecture et l’écriture de plus en plus accessibles
à tous, et pourra peut-être, en facilitant l’étude de notre bel idiome,
ajourner l’avénement de cette langue universelle, préoccupation
généreuse des penseurs les plus profonds.

L’Académie pourra donc, avec le concours du temps, et sans apporter
aucun trouble, satisfaire aux vœux des Français et des étrangers, qui
lui en témoigneront leur reconnaissance. Elle réaliserait ainsi pour
la langue française ce que fit pour la langue grecque le célèbre Musée
d’Alexandrie où de savants grammairiens et à leur tête celui dont le
nom représente la critique elle-même, Aristarque, fixèrent, au moyen
d’accents et de légères modifications graphiques, pour la conformer à
celle d’Athènes, la prononciation de la langue grecque en Égypte, en
Asie et en Europe.

Puisque les vocables sont indispensables pour formuler nos pensées et
même pour penser, et que l’Académie française, à laquelle on se plaît à
rendre cet hommage, s’est efforcée, par l’exactitude des définitions,
d’apporter la clarté et la simplicité dans l’esprit, pourquoi la forme,
cette enveloppe des mots, reste-t-elle encore si souvent inexacte ou
anomale? On ne saurait admettre qu’on ait voulu par ces difficultés
interdire au vulgaire l’accès du temple en l’entourant de tant de
ronces et d’épines.

Supprimer avec prudence ces barrières qui s’opposent à l’extension du
savoir le plus élémentaire, serait une œuvre digne de l’Académie, digne
des hommes d’État qui figurent dans son sein, digne de l’esprit de son
illustre fondateur.

Je ne pouvais présenter autrement que dans leur ensemble les réformes
depuis si longtemps souhaitées pour régulariser et simplifier notre
orthographe, mais il ne m’appartenait pas de pressentir à leur égard
les décisions de l’Académie et de marquer à l’avance celles qu’elle
devait croire le plus opportunes. Lors même qu’elle n’en adopterait
qu’une partie, indiquant par là dans quelles voies le progrès et les
améliorations peuvent s’opérer, elle n’en aura pas moins rendu un
immense service. On saura le but vers lequel on doit se diriger.

Par là seront reléguées à jamais les utopies d’une écriture plus ou
moins phonétique qui blesse nos habitudes, contrarie même la raison, et
priverait l’écriture de son principal avantage:

        De peindre la parole et de _parler aux yeux_.




EXPOSÉ

DES

OPINIONS ET SYSTÈMES

CONCERNANT

L’ORTHOGRAPHE FRANÇAISE

DEPUIS 1527 JUSQU’A NOS JOURS.


A la suite de mes remarques personnelles, je crois devoir donner ici
un exposé succinct des diverses tentatives et des appels incessants
faits depuis trois siècles par des esprits distingués, et je dirai même
par des amis du bien public, en faveur d’une réforme orthographique.
J’espère que ce travail offrira de l’intérêt, ne fût-ce que sous le
rapport de l’histoire de notre langue, et qu’il aura quelque utilité.

Chacun appréciera ce qu’il y a de vrai, de pratique, d’opportun ou bien
de prématuré et même de malencontreux dans tant de systèmes. On verra
que des idées rejetées d’abord se sont successivement introduites, et
qu’ensuite elles ont été favorablement accueillies et sanctionnées par
l’usage.

Il en sera de même de celles que l’Académie, éclairée par l’expérience
de ses précédents, et par la nécessité de rendre notre langue de plus
en plus accessible à tous, croira devoir concéder aux désirs le plus
généralement manifestés: tant d’efforts lui donneront la preuve des
besoins et la mesure du possible. Ils démontreront même l’impossibilité
d’adhérer à des systèmes trop absolus.

Du haut de la position qu’elle occupe, l’Académie, à qui l’avenir
appartient, peut ne céder que dans une juste mesure aux désirs
impatients des novateurs. Elle considérera donc, dans le calme de sa
sagesse, les besoins du temps, non moins exigeants aujourd’hui qu’ils
ne l’étaient autrefois, et, par des concessions successives, qui
rectifieront l’orthographe française, elle assurera de plus en plus à
notre langue son universalité.




APPENDICE _A_.

LES DICTIONNAIRES FRANÇAIS ANTÉRIEURS A CELUI DE L’ACADÉMIE DE 1694.


Depuis l’origine de l’Académie on ne cesse de parler de l’usage en
fait d’orthographe, et d’invoquer son autorité devant laquelle tout
s’incline. Mais quel est-il, cet usage? à quelle époque doit-on le
faire remonter? à quel instant le reconnaître et le sanctionner?
L’usage, pris à un moment donné, est-il identique d’un siècle à
l’autre? L’usage de Vaugelas est-il le même que celui de Robert
Estienne, et celui de Robert est-il le même que celui de Clément Marot
et, si l’on veut remonter plus haut, d’Alain Chartier ou de Christine
de Pisan? Enfin l’usage de d’Olivet est-il celui de Regnier des Marais,
et l’Académie en 1835 s’est-elle conformée à l’usage de 1740?

Non sans doute. Ce n’est pas à tel moment précis que l’usage doit
être recherché, mais dans l’ensemble du développement de la langue,
en suivant autant que possible un même mot depuis le moment où la
lexicographie en a consacré l’emploi. C’est dans les glossaires, les
dictionnaires surtout, que l’on doit en recueillir les formes, car
si le copiste, l’écrivain lui-même, se livre dans son manuscrit à
son caprice ou à sa manière habituelle d’écrire, il n’en est pas de
même du rédacteur ou de l’éditeur d’un lexique, qui doit enregistrer
l’usage le plus généralement adopté et le plus autorisé par les érudits
contemporains.

Mais un obstacle se rencontrait tout d’abord dans l’exécution de cette
recherche: les lexiques français anciens sont aujourd’hui tellement
rares qu’il serait bien difficile d’en former la série complète depuis
leur naissance jusqu’à la fin du XVIIe siècle.

L’ouvrage le plus ancien et le plus important pour l’histoire de
la langue française et les origines de son orthographe, est le
Dictionnaire latin-français, encore inédit, commencé en 1420 et terminé
en 1440 par Firmin LE VER (Firminus VERRIS), prieur des Chartreux
de Saint-Honoré lez Abbeville, et écrit tout entier de sa main. Ce
manuscrit, inconnu à Du Cange et qui lui eût été si utile, est un
in-folio sur vélin, de 942 pages à deux colonnes et de 86 lignes à la
page, contenant environ 30,000 mots latins en usage au commencement du
XVe siècle, avec leurs correspondants français, leur synonymie, leur
interprétation soit en latin, soit en français.

Ce grand travail, auquel toute la communauté de Saint-Honoré a dû
collaborer avec son prieur, commence ainsi:

  «Incipit Dictionarius a Catholicon et Hugutione atque a Papia et
  Britone extractus atque a pluribus aliis libris gramaticalibus
  compilatus et hoc secundum ordinem alphabeti.»

  A la fin avant la grammaire: «Explicit liber iste qui proprie
  nomininari debet dictionarius, quia omnes dictiones, seu
  significationes, quas in Catholicon et Vgutione, atque in Papia, et
  Britone, et eciam in pluribus aliis libris gramaticalibus repperire
  potui ego, Firminus Verris, de villa Abbatisuille, in Pontiuo,
  Ambianensis diocesis oriundus, religiosus professus ac huius domus
  Beati Honorati prope dictam villam Abbatisuille, Cartusiensis
  ordinis, prior indignus, _per viginti annorum curricula et amplius_,
  cum maxima pena et labore insimul congregaui, compilaui et conscripsi.

  «Vnde infinitas Deo patri jam refero gratias qui per coëternum filium
  suum, in spiritus sancti gratia, nostrum librum sic compilatum cum
  maximo labore et pena ad finem tamen usque compleuit.

  «Qui dictus dictionarius anno dñi millesimo CCCCº quadragesimo (1440)
  mensis aprilis die ultimo completus fuit et finitus.

  «Pro quibus laboribus ego supradictus hujus operis compilator vos
  obsecro omnes in visceribus caritatis quicumque in libro isto studere
  volueritis ad Christi laudem et gloriam michi ex diuina gratia
  rependatis.

  «Quatinus pro salute anime mee Salutationem beate Marie semper
  virginis dicere vos velitis. Quatinus vestris oracionibus et precibus
  adjutus omniumque meorum percepta venia peccatorum una vobiscum ad
  eterna valeam peruenire gaudia. Ubi jam reuelata facie illa vera
  et coeterna perfruamur sapientia cum patre et spiritu sancto per
  infinita secula. Amen. Amen.

  «Cest liure est et appartient [aux chartreux pres dabbeuille[86]] en
  pontieu de leuesquiet damiens. Qui lara le rende. Explicit.»

      [86] Ce passage a été gratté dans le XVIe siècle.

Je n’insisterai pas sur l’intérêt que ce beau manuscrit, d’une écriture
soignée et très-lisible, présente pour l’histoire de notre langue,
dont il offre le tableau complet à une époque bien déterminée, et non
cette promiscuité des temps et des lieux inévitable dans les glossaires
actuels du vieux français. Il est facile, en le parcourant, d’apprécier
quel était l’état de l’idiome «gaulois» sous le règne de Charles VII,
pendant la période de l’invasion étrangère, si funeste aux études et
aux lettres. Le soin apporté par l’auteur au classement des mots, soin
que je n’ai pu constater dans aucun des glossaires manuscrits que j’ai
vus, la justesse des synonymies et des définitions, en font une œuvre
à part, un _corpus_ général de notre vieux langage en même temps que
du latin, à l’époque qui précède immédiatement celle où les érudits
de la Renaissance allaient, non plus seulement introduire dans le
français une couche nouvelle de mots de forme latine, mais le replonger
vivant dans le moule du latin littéraire de Cicéron et de Virgile,
en substituant un calque romain à la forme propre au vieux langage
français et conforme à ses procédés phoniques.

Sous plusieurs rapports le Dictionnaire latin-français de Le Ver
jette un nouveau jour sur l’état de l’écriture et de la prononciation
au commencement du XVe siècle. On y voit combien l’orthographe
des mots latins s’était déjà simplifiée et se rapprochait de la
simplicité de forme figurative de la prononciation. On y lit ainsi
écrite cette série de mots: _antitesis, antrax, antropofagi,
antropoformita, antropos_ sans _ph_; tous ces mots sont expliqués
en latin, le mot français pour le traduire ne faisant pas encore
partie de notre langue; mais on voit ainsi écrits et traduits les
mots: IDRA, _idre_; IDROPICIA, _idropisie_, IDROPICUS, _idropiques_;
IDROMANCIA, _devinemens par les eaux_; IPOTECA, _ipoteque_; IPOTECARIUS
ou APOTECARIUS, _apoticaire_; ANTECRISTUS, _antecrist_; TIRANNUS,
_tirans_; LIRA, _lire_; MISTERIUM, _mistere_; MARTIRIUM, _martire_, etc.

Ces explications des mots latins encore privés de correspondants
français sont quelquefois curieuses et instructives pour nous refléter
les idées de l’auteur et de son temps. Je lis aux mots _Theatrum,
Comedia, Tragedia_.

  «THEATRUM. A theoro, ras, quod est videre: dicitur hoc

  «THEATRUM, tri, pe(nultima) cor(ripitur). I. Spectaculum
  ubicumque fiat. s(eu) locus in quo omnis populus aspiciat ludos.
  scilicet locus in civitatibus ubi exercentur joca et ludi. Id.
  Ubi decollabantur rei. Id. _Plache commune où on fait les jeux ou
  quarrefour_[87].

      [87] Je lis dans l’article si remarquable de M. Sainte-Beuve
      sur Joach. du Bellay (p. 210 du _Journal des Savants_, avril
      1867): «On doit rendre justice aux efforts de quelques poëtes de
      la Pléiade pour instituer une comédie qui ne fût pas celle des
      _carrefours_.»

  «THEATRUM, atri, etiam dicitur Prostibulum. siue Lupanar quo post
  ludos exactos meretrices ibi prostituerentur. Id. _bordel_. Unde

  «THEATRALIS, is, trale, ad theatrum pertinens. Id. _de quarrefour ou
  de bordel_.

  «THEATRICUS, ca, cum. Idem. I. _de bordel_. Ut dicitur mulier
  theatrica. I. _Bordeliere_.»

  --«COMÉDIA, die. I. Villanus cantus. s(eu) villana laus. quia tractat
  de rebus rusticanis. _comme chansons de Jeus de personnages_[88].

      [88] _Li Jeu de Marion_; le _Jeu de la Sainte Hostie_; le _Jeu
      du Prince des Sotz_, par Gringore. Tel était le nom donné aux
      comédies d’alors.

  «COMÉDUS, da, um. pe(nultima) pdr (producitur). qui comediam
  describit. seu facit seu dicit comediam.

  «COMÉDICUS, ca, cum. I. ad comediam seu ad comedendum pertinens. Seu
  delectabilis.

  «COMÉDICE. Adv. I. delectabiliter.»

  --«TRAGEDÍA. Oda quod est cantus. seu laus. componitur cum tragos
  quod est hircus. Et dicitur hec

  «TRAGEDÍA, díe. pen. prod. I. Carmen luctuosum quod incipit a leticia
  et finit in tristicia. Cui contraria est comedia. quia incipit a
  tristicia et finit in leticia. Unde

  «TRAGEDÍA. dicitur de crudelissimis rebus. sicut qui patrem seu
  matrem occidit. seu comedit filium et e converso s. hujus modi.
  Unde et tragedo dabatur hircus animal fetidum. Ad fetorem materie
  designandum.

  «TRAGÉDUS, da, dum. ad tragediam pertinens.

  «TRAGEDUS, di. tragedie scriptor. seu cantor.

  «TRAGÉDICUS, ca. cum. I. luctuosus. Funestus.»

Il est remarquable que la plupart de ces mots relatifs au théâtre, si
usités au siècle suivant, manquent complètement au français en 1440.

Une autre instruction ressort encore de l’examen des mots français
contenus dans ce vaste répertoire. La trace des cas figurés
conformément à la grammaire romane se rencontre à chaque instant,
bien qu’à l’époque où il a été commencé (1420), ils eussent disparu
de la plupart des manuscrits depuis près d’un siècle. Le Ver écrit
_premiertes_ de PRIMITAS, _commenchemens_ au singulier, PRINCEPS est
traduit par _prinches_. PRIORATUS devient _prioreit, priorte_:
_dignetes ou offiche de prieur_. PRIORITAS, _premiertes_. Il en est
de même pour le participé passé: _ratificatus_ donne _acceptes_.
INUTILIS donne _nient profitables_; ABSTINENS, _abstinens, sobres_;
ABSTINENTIA, _abstinence, sobriétés_; ABRENUNTIATIO, _renoiemens_;
ADEMPLETUS, _accomplis, parfait_. Il y a cependant des incertitudes:
REBELLIS fournit _rebelle_ et _rebelles_. La plupart des mots
très-usités, comme _roy, fil_ (_filius_), _foy_ (_fides_), ne
prennent pas l’_s_ caractéristique du nominatif latin ou subjectif
roman[89].

      [89] On sait que la langue d’oïl conserva à l’origine le système
      des cas de la déclinaison latine: seulement elle le simplifia en
      réduisant à deux seulement les six cas du latin. Le premier fut
      le signe du sujet: on l’a appelé en conséquence _cas-suject_,
      ou mieux _subjectif_. Le second servit pour les compléments de
      toute espèce, d’où vient le nom de _cas-régime_ ou _complétif_.
      J’expliquerai, à l’appendice D, en donnant l’analyse des travaux
      récents sur la grammaire du vieux français dans leur rapport avec
      notre orthographe, le mécanisme de ces deux cas: je me bornerai
      à noter ici que généralement le subjectif roman au singulier
      conservait l’_s_ finale là où il y avait _s_ ou _x_ dans le
      primitif latin au singulier.

J’ai fait pour les huit premières colonnes du B le relevé des mots
latins du Dictionnaire de Le Ver qui manquent complétement aux
glossaires latins et à Du Cange lui-même: sur 210 mots, 32 sont
inconnus aux lexicographes, c’est-à-dire que près d’un sixième de ce
dictionnaire est nouveau ou inédit.


Voici ces trente-deux mots:

  _balans_          brebis
  _balatro_         jougleur (sic)
  _balbere_         besguier
  _balbescere_               idem.
  _balbiter_        besguement
  _balbultia_       besguerie
  _balbutiens_      besgans
  _balbuties_       besguetes, baubetes, parlers de petis enfans.
  _balearius_       getteur à la tandesle ou abalestrier
  _baleator_        getteur à la tandesle ou abalestrier
  _balestrum_       abalestre, a Balin (gr.) dicitur
  _balestrare_      traire aucune chose dabalestre ou ferir de balestre
  _balestratus_     gettes, trais ou ferus de trait d’abalestre
  _balneatio_       baignemens
  _ballare_         peser à balanche, balanchier
  _balluga_         balanche
  _ballanga_        banlieue
  _balsamatus_      enbasmes, oins de basme
  _baptismaliter_   par baptême
  _bapterium_       baton
  _baratro_         lecherres
  _barbarius_       barbier
  _barbarizare_     faire cruelment
  _barcarius_       qui fait barges, nefs ou qui les gouverne
  _baronissa_       baronneresse
  _basilisca_       gencienne
  _batillum_        enchensoir
  _beatificencia_   eureusetes (felicitas)
  _bellacitas_      bataille
  _bellaciter_      bateilleusement
  _bellicator_      bateilleur, combateur
  _bellificare_     faire bataille, bateiller, combatre

Je dois à l’obligeance de MM. les Conservateurs de la Bibliothèque
impériale la communication de deux anciens glossaires manuscrits,
l’un français-latin (nº 7684 f. 1.); l’autre latin-français (nº
7679), dont Du Cange s’était servi pour son beau _Glossarium mediæ
et infimæ latinitatis_; leur nomenclature, très-sèche, est moitié
moins considérable que celle du ms. Le Ver. J’ai essayé de comparer
l’orthographe et le mode de composition de certains mots, la plupart
de formation récente, dans la première moitié du XVe siècle, à leurs
formes respectives dans la seconde moitié et à la fin de ce même siècle
ou au commencement du suivant.

  |                  |                  |Glossarium        |Gloss. lat.-gall, |
  |                  |Firmin Le Ver,    |  gallico-lat.,   |  XVe s.,         |
  |Mots latins       |  Dictionarius    |  script. XVe sæc.|  script. XVIe s. |
  |  avec le         |  latino-gallicus,|  Il est de la 2e |  Cod. Bigotianus.|
  |  français actuel.|  1420-1440.      |  moitié du s.    |  (B. Imp.        |
  |                  |                  |  (Bibl. Imp.     |  Ms. 7679.)      |
  |                  |                  |  Ms. 7684.)      |                  |
  |                  |                  |                  |                  |
  |_bivium_          |quarrefour        |carfourt          |(double voie)     |
  |   (carrefour)    |                  |                  |                  |
  |_ager_ (champ)    |champ             |champt            |champs            |
  |_candelabrum_     |chandelier        |chandellier       |chandelier        |
  |   (chandelier)   |                  |                  |                  |
  |_bubo_            |chuette, cahuhan  |chouen            |(certain oisel)   |
  |   (chat-huant)   |(oisel)           |                  |                  |
  |                  |                  |                  |                  |
  |_biga_ (charrette)|charette a ii     |charrete          |charette          |
  |                  |  roues et a      |                  |                  |
  |                  |  ii chevaux      |                  |                  |
  |_cruca, curculio_ |chatepeleuse,     |chatepelouse      |    »             |
  |   (chenille)     |  catepeleuse     |                  |                  |
  |_calidus_ (chaud) |chaut             |chault, chaut     |    »             |
  |_vespertilio_     |chauvesoris       |chauvesouris      |chauve souris     |
  |   (chauve-souris)|                  |                  |                  |
  |_captivitas_      |chetivetes ou     |cheitivité        |chetivité         |
  |   (captivité)    |  prison          |                  |                  |
  |_comosus_         |qui ha grans      |cheveleulx, grans |    »             |
  |   (chevelu)      |  cheveus         |  cheveux de fames|                  |
  |                  |                  |                  |                  |
  |_capsa_ (coffre)  |casse, coffre,    |cofre             |casse             |
  |                  |  escrin          |                  |                  |
  |_convalescentia_  |convalescence,    |    »             |    »             |
  |   (convalescence)|  sanité,         |                  |                  |
  |                  |  poissance,      |                  |                  |
  |                  |  vaillanche      |                  |                  |
  |_columba_╮        |╭femelle de       |coulumbe, colombe |    »             |
  |_columna_╯        ||  coulon,        |                  |                  |
  |   (colombe)      |╰  coulombe       |                  |                  |
  |_convenientia_    |convenabletes     |convenablete,     |    »             |
  |   (convenance)   |                  |  convenance      |                  |
  |_bufo_ (crapaud)  |crapaut           |crapaust          |crapoult          |
  |_crux_ (croix)    |crois             |    »             |croais            |
  |_mandibula_       |machoire          |machouere         |machoere          |
  |   (mâchoire)     |                  |                  |                  |
  |_infelicitas_     |mal eurtes        |malourete         |    »             |
  |   (malheur)      |                  |                  |                  |
  |_infaustus_       |mal eureux        |mal eureux        |mallereux         |
  |   (malheureux)   |                  |                  |                  |
  |_malefactum_      |maufait           |maufait           |    »             |
  |   (méfait)       |  (_malefactio_-  |                  |                  |
  |                  |  malefaisson)    |                  |                  |
  |_malefaciens_ ╮   |mal faisans       |╭maufaisant,      |╮ mal faisant     |
  |_malefactor_  ╯   |                  |╰maufaitteur      |╯                 |
  |   (malfaiteur)   |                  |                  |                  |
  |_malivolus_       |mal veullans      |mal veillant      |malvelant         |
  |   (malveillant)  |                  |                  |                  |
  |_melancolia_      |melecolie, une des|melencolie        |    »             |
  |   (mélancolie)   |  iiij humeurs    |                  |                  |
  |_tabanus_ (taon)  |tahon             |taan, taon        |thaon             |


Il régnait encore une grande simplicité orthographique dans le cours du
XVe siècle et au commencement du XVIe. Le latin lui-même, dans les mots
qu’il avait empruntés au grec, obéissait à cette répugnance, j’allais
dire à cette horreur, naturelle au génie français, pour les doubles,
les triples et les quadruples consonnes. L’introduction, non plus
partielle mais générale, dans notre langue de lettres parasites signale
le milieu du XVIe siècle; elle est due aux tendances gréco-latines mal
dirigées que nous allons voir se développer successivement dans les
glossaires publiés au premier siècle de l’imprimerie.


J’arrive maintenant à la série des glossaires imprimés. Il m’a
été impossible de me procurer le titre exact du Dictionnaire
latin-français, imprimé à Genève, en 1487, par Loys Garbin, et cité par
M. Diez.

La table étendue que Génin a jointe à la grande Grammaire de Palsgrave
pourrait, jusqu’à un certain point, tenir lieu d’un de ces recueils
alphabétiques ou vocabulaires, si écourtés, qu’on publiait en latin
avec le mot français correspondant, au commencement du XVIe siècle.
Bien que le travail original de Palsgrave n’ait paru à Londres qu’en
1531, on reconnaît, par voie de comparaison, que son orthographe est
bien plus _gauloise_ que celle des grammairiens et des lexicographes du
continent au début du règne de François Ier, et que le docte professeur
de Henri VIII a dû travailler en Angleterre sur des documents de la fin
du XVe siècle ou des premières années du suivant[90]. Malgré sa date
plus récente on peut donc le placer au premier rang parmi les livres
imprimés contenant un recueil de mots français.

      [90] Il signale, comme ayant contribué à l’aider dans son
      travail, l’ouvrage intitulé: _Here begynneth the introductory to
      write and to pronounce frenche, compyled by Alexander Barcley
      compendiously_ at the commandement of the ... prynce Thomas duke
      of Northfolke.

Je possède les trois autres glossaires:

1º Le _Catholicon abbreuitatum_, pet. in-4 goth., imprimé à Paris, en
1506, par Jehan Lambert, sans nom d’auteur. Il ne contient que 3,500
mots; c’est un livre très-intéressant, puisqu’il nous représente l’état
de la langue avant l’introduction de cette multitude de vocables
savants, tirés du latin et même du grec à l’époque de la Renaissance.

L’orthographe y est simple, naturelle, assez logique, bien que souvent
irrégulière et entachée de l’influence que j’appellerais volontiers
_calligraphique_.

On y rencontre peu de lettres dites étymologiques, et, quand les
consonnes sont redoublées, c’est probablement qu’elles se prononçaient
ainsi. Il écrit _abbe, abesse, abaye_..... _alumer, flateur.....
acolite, fiole, doy_ (digitus), _vayne_ (vena), _autentique, blon,
painture, acoutumer, acompagner, acroistre_ et _solicitude_; mais il
double la consonne _l_ lorsqu’elle termine un mot dont la désinence est
en _e_ féminin; ainsi, il écrit: _argille_, _cautelle, huille_, et l’on
y voit ces mots ainsi figurés, _deffendre, celluy, couraige, secret,
enhardy, oyseaulx, poyson, pulpitre, haultesse_, etc.

2º _Vocabularius latinis, gallicis et theutonicis verbis scriptum_
(sic). Il parut à Strasbourg, en 1515, chez Mathis Humpffuff; il est
composé de 36 ff. in-4. J’en extrais, comme curiosité orthographique,
quelques-uns des noms relatifs aux oiseaux:

  «_Avis_, oyseau. _Auceps_, oyseleur. _Nidus_, nid. _Aquila_, aigle.
  _Falco_, faulcon. _Accipiter_, tiercelet. _Nisus_, espervier.
  _Ventilanus_, vannete. _Milvus_, huan. _Ardea_, hairon. _Ciconia_,
  sigoigne. _Cignus_, cigne. _Griphus_, griffon. _Pellicanus_,
  pelican. _Strucius_, ostruche. _Grus_, grue. _Nicticorax_, chuette.
  _Vultur_, voultour. _Ossifragus_, freynol. _Ritersculus_, roytellet.
  _Philomena_, rossignol. _Canapelus_, chardoneret. _Citradula_,
  cerin. _Ficedula_, grive. _Figellus_, pinson. _Sturnus_, estourneau.
  _Parix_, mesange. _Passer_, moyneau. _Psiacus_, papegay. _Turtur_,
  turierelle. _Palumbus_, colombier. _Pavus_, paon. _Quastulla_,
  caille. _Arundo_, arondelle. _Pica_, pie ou agasse. _Cornix_,
  corneille. _Vespertilio_, chauvesouris. _Anas_, anette ou cane.
  _Auca_, oye. _Monedula_, corneille. _Gallus_, coq. _Gallina_,
  gelline. _Pullus_, poussin. _Capo_, chappon. _Pullinarium_,
  poullalier. _Papilio_, papillon. _Vespa_, mousche gueppe. _Apes_,
  mousche a myel. _Cuculus_, cocul. _Lucinia_, hoche cul. _Upupa_,
  hupe.»

3º Le _Vocabularius nebrissensis_[91] de 1524 est un travail beaucoup
plus ample que le précédent. Il contient près de 30,000 mots latins
avec leurs correspondants ou leur interprétation en français.
L’influence de la Renaissance y est encore bien peu sensible. Son
système orthographique, un peu plus régulier, ressemble à celui
du _Catholicon abbreviatum_. Il n’est pas plus étymologique que
son prédécesseur en ce qui concerne les mots tirés du grec, et en
général il se borne à les interpréter sans les retranscrire sous la
forme française. Il ne s’asservit pas non plus trop à l’orthographe
latine: il écrit _cicorée, cengle_ (cingula), _saincture, estraines_
(étrennes). Les _l_ qui ne se prononcent pas figurent cependant dans
bien des endroits: _poulpitre, avantureulx, chault_ (calidus).

      [91] Publié à Lyon par Frère Gabriel Busa, de l’ordre des
      Augustins, d’après le Dictionnaire latin-espagnol de Antoine de
      Lebrixa.

Quant aux doubles lettres, il peint la prononciation: _resembler_
et _assembler, netoyer, alumer, acoustumer_ et _accorder, accepter,
appeller, amonceler_, etc. Ce précieux Dictionnaire constate un état
très-intéressant de notre langue, celui où elle va subir l’influence,
qui sera trop longtemps dominante, du latin classique et même
quelquefois du grec.


Robert Estienne eut le premier, en 1540, l’honneur de publier non plus
un simple Vocabulaire, mais un Dictionnaire français-latin, dans les
conditions d’érudition et de critique qu’exigeait un tel travail. Son
œuvre, accrue et perfectionnée dans l’édition de 1549, fit autorité et
exerça pendant deux siècles une grande influence sur l’orthographe.
Elle contient près de 20,000 mots français suivis de leurs diverses
acceptions et de leur interprétation latine.

Cette belle édition, où Robert Estienne introduisit une riche moisson
de termes nouvellement imités du latin et même du grec, servira donc de
point de comparaison avec la manière d’écrire qui a précédé et celle
qui a suivi.

Le docte imprimeur écrit, on le comprend, conformément à l’étymologie
des mots savants de nouvelle formation, mais de plus, il a réintégré
des lettres dites caractéristiques dans une grande partie des mots
d’une époque antérieure. Il corrige _cylindre_ au lieu de _cilindre_,
_cymaise_ au lieu de _cimaise_, _cymbale_ au lieu de _cimbale_,
_cyprès_ au lieu de _ciprès_, _phiole_ au lieu de _fiole_; il écrit
_chauchemare_ (cauchemar), _chaulx_ (_calx_), _cheueul_ (_capillus_),
_cichorée_; il redresse _hermite_ en _ermite_; il réclame _chifre_ et
non _chiffre_, à cause de l’hébreu _sephira_. Il respecte cependant
les formes consacrées par l’usage, _soulfre, thriacle_ (thériaque), et
il écrit sans _th_ _tesme_ (thema), et sans _ph_ _orfelin_. Sa manière
d’agglutiner les mots composés est conforme à celle que je propose:
il réunit tous les mots composés avec la préposition _contre_[92];
il écrit _chaussetrape, chauuesouri, chathuant_ (qui serait mieux
écrit _chahuant_), des _chaufecires_. On peut regretter toutefois
de rencontrer partout dans ses colonnes des mots défigurés par
l’addition de lettres latines déjà représentées dans le français, comme
_chaircuictier, poulpitre, poulser, poulsif, poulsin_.

      [92] La marque du superlatif _très_ est toujours réunie au
      mot qu’il modifie: _tresaccoutumé, tresaise_ (_très-aise_),
      _tresuite_ (_très-vite_). Cette série forme plus de trois cents
      mots dans son Dictionnaire.

L’autorité dont jouit le Dictionnaire français de Robert Estienne
se perpétua longtemps. En 1586 Guillaume de Laimarie, imprimeur de
Genève, donna une édition très-correcte du _Dictionarium puerorum_
que Robert avait publié en dernier lieu, en 1557, postérieurement au
Dictionnaire français-latin[93]. Cette édition de Laimarie renchérit
dans plusieurs cas sur le Dictionnaire de 1549, pour l’emploi des
lettres étymologiques surérogatoires; mais on lui doit quelques bonnes
leçons, comme _sansue_ par exemple (écrit _sanssue_ dans le ms. Le Ver).

      [93] Laimarie remania l’ordre des mots de la partie française
      pour remédier à la confusion qui résultait du groupement des
      mots dérivés sous leur simple, et il adopta l’ordre alphabétique
      absolu.

Le _Dictionnaire françois-latin_ connu sous le nom de Jean Nicot,
qui parut pour la première fois en 1564, le _Thrésor de la langue
françoyse_ du même, dans lequel il a mis à profit les recherches
laissées par le président Ranconnet; le _Grand Dictionnaire
françois-latin_ du même Nicot, dont le succès se continua d’édition
en édition jusqu’en 1618, nous reproduisent également l’orthographe
de Robert Estienne, dont les éditeurs déclarent reprendre en grande
partie le travail. Voici comment s’exprime à ce sujet Jacques du Puys
dans la préface de l’édition de 1614: «Il ne peut que la France ne
celebre grandement la memoire, comme elle se sent auoir été ornée par
son industrie, de deffunct Robert Estienne, lequel peut estre dict
auoir esté le premier qui a faict que la France, pour ce regard, ne
cede à aucune autre nation, tant pour les graces qu’il a eu propres
pour l’ornement de cet art d’imprimerie que pour l’amour infini qu’il
a porté à l’vtilité publique et le grand labeur et peine qu’il a pris,
sans y espargner rien qui ne fust en sa puissance, pour l’aduancer et
mener à sa parfection: de quoy font foi tant de beaux et excellens
liures et latins et grecs et hébrieux, plus encores recherchez
auiourd’huy que du vivant de l’imprimeur.....» La perfection du
Dictionnaire français «estant de soy tant recommandable et profitable
qu’un chascun sçait, m’a principalement incité à r’imprimer le dict
liure, duquel il y a quelque temps que i’ay recouuré l’exemplaire
laissé par deça par le dict Robert Estienne, auant que de partir de
France.»

L’édition de 1614 contient environ 26,000 mots avec toutes leurs
acceptions alors connues.

Le P. Philibert MONET, de la Compagnie de Jésus, très-habile professeur
de langue latine, rompit, dès 1624, avec la tradition léguée aux
_dictionnaristes_ par l’autorité jusque-là incontestée de Robert
Estienne. Il fit paraître à cette époque un _Parallele des deus langues
latine et françoise_, complétement perdu aujourd’hui, et que nous ne
connaissons que par la préface de son _Invantaire des deus langues
françoise et latine_, publiée à Lyon chez Claude Rigaud en 1635,
in-folio. Ce dernier ouvrage, que j’ai eu le bonheur de me procurer
récemment, est précieux pour l’histoire de la réforme orthographique
modérée, car il en est le code. Il contient 23,000 mots au moins.
Le système orthographique de l’auteur est simple et bien conçu: il
ne s’attache pas uniquement, comme les phonographes, à figurer la
prononciation, et ne fait pas disparaître toutes les lettres dites
caractéristiques, mais il ne figure jamais, autant que possible,
un même son par deux signes différents. Il écrit, par exemple,
_dysanterie, diseine, doit_ (_digitus_), _contanter, contantement,
contampler, continance, deus_ (_duo_), _cheveus, barreaus, chevaus_, et
leurs similaires.

Nathaniel DUEZ, grammairien polyglotte, fit paraître en 1669 un
Dictionnaire françois-italien, fort bien imprimé à Leyde chez Jean
Elsevier. Son orthographe, conforme en général à celle de Robert
Estienne et de ses continuateurs, renchérit même en certains cas sur
ceux-ci par une nouvelle intrusion de lettres destinées à figurer de
plus près l’orthographe latine et grecque. Ce glossaire contient 20,000
mots environ.

César OUDIN, secrétaire interprète du roi pour les langues étrangères,
publia en 1660 à Bruxelles le _Trésor des deux langues francoise et
espagnolle_. Ce lexique est encore un calque, au point de vue de
l’orthographe, de celui qu’Estienne avait publié 120 ans plus tôt.

César-Pierre RICHELET, auteur d’un _Dictionnaire françois_ publié
à Genève en 1680, était aussi versé dans les langues anciennes que
dans les langues modernes, l’italien et l’espagnol entre autres. Son
dictionnaire, dont les premières éditions sont devenues rares et
précieuses, est du plus haut intérêt. L’auteur s’exprime ainsi dans
son avertissement: «Touchant l’orthographe, on a gardé un milieu entre
l’ancienne et celle qui est tout à fait moderne et qui défigure la
langue. On a seulement retranché de plusieurs mots les lettres qui ne
rendent pas les mots méconnoissables quand elles en sont otées, et qui,
ne se prononçant pas, embarrassent les étrangers et la plupart des
provinciaux.

«On a écrit _avocat, batistère, batême, colère, mélancolie, plu, reçu,
revue, tisanne, trésor_, et non pas _advocat, baptistère, baptême,
cholère, mélancholie, pleu, receu, reveuë, ptisane, thrésor_.

«Dans la même vuë on retranche l’_s_ qui se trouve après un _e_ clair,
et qui ne se prononce point, et on met un accent aigu sur l’_e_ clair
qui accompagnait cette _s_; si bien que présentement on écrit _dédain,
détruire, répondre_, et non pas _desdain, destruire, respondre_.

«On retranche aussi l’_s_ qui fait la silabe longue, et qui ne se
prononce pas, soit que cette _s_ se rencontre avec un _e_ ouvert,
ou avec quelque autre lettre, et on marque cet _e_ ou cette autre
lettre d’un circonflexe qui montre que la silabe est longue. On écrit
_apôtre, jeûne, tempête_, et non pas _apostre, jeusne, tempeste_. Cette
dernière façon d’orthographier est contestée. Néanmoins, parce qu’elle
empêche qu’on ne se trompe à la prononciation et qu’elle est autorisée
par d’habiles gens, j’ai jugé à propos de la suivre, si ce n’est à
l’égard de certains mots qui sont si nuds lorsqu’on en a oté quelque
lettre qu’on ne les reconnoît pas.

«A l’imitation de l’illustre monsieur d’Ablancourt, _Préface de
Tucidide, Apophtegmes des anciens, Marmol_[94], etc., et de quelques
auteurs célèbres, on change presque toujours l’_y_ en _i_ simple.
On retranche la plu-part des lettres doubles et inutiles qui ne
défigurent pas les mots lorsqu’elles en sont retranchées. On écrit
_afaire, ataquer, ateindre, dificulté_, et non pas _affaire, attaquer,
difficulté_.»

      [94] 3 vol. in-4, 1667, revu par Richelet.

On voit combien cette orthographe est conforme à celle que Firmin Le
Ver a consignée dans son dictionnaire rédigé deux siècles et demi
auparavant. On doit moins s’étonner si l’ouvrage de Richelet, sous
le rapport de l’orthographe, est si fort en avance sur le premier
Dictionnaire de l’Académie de 1694. Lors de l’apparition, en 1680,
de l’œuvre de Richelet, la copie des premières lettres du travail
académique devait être déjà entre les mains de Coignard, imprimeur
de l’Académie françoise (le privilége donné à l’Académie pour son
Dictionnaire est de 1674). Or, d’après le témoignage même du privilége,
la rédaction en était commencée dès 1635: elle devait donc représenter
l’état de la langue, et de l’écriture en particulier, non pas en 1694,
date de l’achèvement du dictionnaire, mais tel qu’il pouvait être vers
1660, époque de la mise sous presse de la première édition des cahiers.
(On s’en convaincra en jetant les yeux sur le Tableau comparatif qui
suit.) Or le travail d’analyse et de coordination accompli par de
savants académiciens pendant la longue période comprise entre 1635
et 1680, époque de l’apparition du Dictionnaire de Richelet, ainsi
que toutes les propositions acceptables des grammairiens réformateurs
étaient, pour ainsi dire, non avenues: l’Académie se croyait engagée
par les décisions grammaticales et orthographiques adoptées dans les
Cahiers, puis dans les premières lettres du Dictionnaire.

Il est résulté de cette lenteur du travail, très-explicable en pareille
matière, qu’au point de vue de l’usage, même en fait d’écriture,
l’œuvre académique s’est trouvée arriérée en naissant, et que
l’orthographe du Dictionnaire de Richelet de 1680, si raisonnable en
bien des points, n’a pu être sanctionnée en partie par l’Académie
qu’en 1740, en partie qu’en 1835, et qu’il en reste même une
certaine part en instance devant l’Académie de 1868.

En 1685 parut à Lyon chez Pierre Guillemin, en 1 vol. in-folio, un
_Dictionnaire général et curieux_, contenant les principaux mots et
les plus usitez en la langue françoise, leurs définitions, divisions
et étymologies par César de ROCHEFORT. L’ouvrage eut peu de succès, et
partant peu d’influence. Son orthographe ne se distingue par rien de
particulier de celle des dictionnaristes de son temps.

Antoine FURETIÈRE, chassé de l’Académie française en 1685 et mort en
1688, a laissé un _Dictionnaire universel_ qui ne parut qu’en 1690,
à Roterdam. Bien qu’il soit antérieur comme date de publication à
la première édition de l’Académie, il est facile de s’assurer qu’il
a beaucoup profité des discussions et des travaux de la compagnie
auxquels il avait eu part lui-même. Son orthographe, loin d’être, comme
celle de Richelet, en progrès marqué sur celle du Dictionnaire de
l’illustre Société, est plus inconséquente et moins régulière.


TABLEAU SYNOPTIQUE DU CHANGEMENT D’ORTHOGRAPHE DEPUIS LE XVe SIÈCLE
DANS LES MOTS DIFFICILES.

      [Titre inséré à la transcription d'après la Table des matières.]

Il m’a paru utile de résumer en un tableau synoptique les détails des
vicissitudes orthographiques de quelques-uns des mots difficiles quant
à l’écriture depuis 1420 jusqu’à nos jours, en extrayant la forme de
chacun d’eux des anciens lexiques, soit manuscrits, soit imprimés,
que je possède. Cette comparaison fait apparaître mieux qu’une longue
dissertation la nature des causes qui ont agi, la persistance de
certaines influences, et la raison du retour aux formes simplifiées.

      Note. Ce tableau a dû être divisé en quatre à la transcription.
      Pour faciliter la lecture les entrées ont été numérotées.

  [Partie 1]
  +--------------------------+-----------------+--------------+---------------+
  |                          |  FIRMIN LE VER  |  PALSGRAVE   |  CATHOLICON   |
  |     PRIMITIFS LATINS.    |  _Dictionarius  |   publ. en   |_Abbreviatum_  |
  |                          |    Lat.-Gal._,  |    1530,     |   de 1506     |
  |                          |    1420-1440    | mais antér.  |               |
  +--------------------------+-----------------+--------------+---------------+
  |Le _ch_ (χ) étymologique. |                 |              |               |
  |╭                         |                 |              |               |
  || 1 _character_           |caracter         |   »          |   »           |
  ||                         | (_caracter_)[95]|              |               |
  || 2 _cholera_             |colere           |   »          |   »           |
  ||                         | (_colera_)      |              |               |
  || 3 _corda_               |corde            |   »          |   »           |
  ||   _v. fr._ corde        | (_corda_)       |              |               |
  || 4 _schola_              |escole           |  id.         |   »           |
  ||   _v. fr._ escole       |                 |              |               |
  || 5 _chelidonia_          |   »             |   »          |celidoine      |
  || 6 _stomachus_           |_estomac_        |estomach      |estoumac       |
  ||                         |                 |              |               |
  || 7 _chirurgus_           |surgien          |cirurgien     |  id.          |
  ||   _v. fr._ cirurgien    | (_cirurgicus_)  |              |               |
  || 8 _chiromantia_         | (_ciromantia_)  |   »          |   »           |
  || 9 _chresma_             |cremme           |cresme        |   »           |
  ||   _v. fr._ creisme      | (_chrisma_)     |              |               |
  |╰                         |                 |              |               |
  |                          |                 |              |               |
  |Le _th_ (θ) étymologique  |                 |              |               |
  |╭                         |                 |              |               |
  ||10 _catholicus_          |_catholique_     |   »          |catolique      |
  ||11 _theatrum_            | (Le Ver en donne|   »          |   »           |
  ||                         |  la définition. |              |               |
  ||                         | _V._ au texte.) |              |               |
  ||12 _thema_               |theume           |   »          |   »           |
  ||13 _thesaurus_           |tresor           |   »          |tresor         |
  ||   _v. fr._ thesaur      |                 |              |               |
  |╰                         |                 |              |               |
  |                          |                 |              |               |
  |_th_ et _ph_              |                 |              |               |
  |╭                         |                 |              |               |
  ||14 _orthographo_         |ortografier      |   »          |   »           |
  ||                         | (_ortographo_)  |              |               |
  ||15 _orthographia_        |ortographiemens  |   »          |orthographie   |
  ||                         | (_ortographia_) |              |               |
  ||16 _orthographus_        |ortografieur     |   »          |   »           |
  ||                         | (_ortographus_) |              |               |
  |╰                         |                 |              |               |
  |                          |                 |              |               |
  |Le _ph_ (φ) étymologique  |                 |              |               |
  |╭                         |                 |              |               |
  ||17 _orphanus_            |orfelin          |   »          |_orphelin_     |
  ||   _v. fr._ orphenin     |                 |              |               |
  ||18 _physicus_            |fisicien         |   »          |phisicien      |
  ||   _v. fr._ fisicien     | (_fisicus_)     |              |               |
  ||19 _phthisicus_          |   »             |   »          |   »           |
  ||20 _phantasticus_        |fantasieux       |phantasticq   |   »           |
  ||   _v. fr._ fantastic    | (_fantasticus_) |              |               |
  ||21 _phlegmaticus_        |fleumatique      |   »          |fleumatique    |
  ||   _v. fr._ fleumatique  | (_flegmaticus_) |              |               |
  ||22 _phreneticus_         |frenetique       |   »          |frenetique     |
  ||   _v. fr._ frenasieux   | (_freneticus_)  |              |               |
  ||23 _phasianus_           |   »             |   »          |   »           |
  ||   _v. fr._ phaisan      |                 |              |               |
  ||24 _sulphur_             |_soufre_         |   »          |souffre        |
  ||25 _cophinus_            |cofin            |   »          |cophin         |
  ||   _v. fr._ coffin       | (_cofinus_)     |              |               |
  ||    et coffe             |                 |              |               |
  |╰                         |                 |              |               |
  |                          |                 |              |               |
  |L’_y_ étymologique.       |                 |              |               |
  |╭                         |                 |              |               |
  ||26 _hybernum_            |iuer             |yuer          |iuer           |
  ||   _v. fr._ iveir, iver, |                 |              |               |
  ||    yver                 |                 |              |               |
  ||27 _abyssus_             |abisme           |  id.         |  id.          |
  ||                         | (_abissus_)     |              |               |
  ||28 _tyrannus_            |tirans, tirannie |_tyran_       |tiran          |
  ||                         | (_tyrannus_)    |              |               |
  ||29 _mysterium_           |mistere          |   »          |mistere        |
  ||   _v. fr._ mistère      | (_misterium_)   |              |               |
  |╰                         |                 |              |               |
  | 30 _septimana_           |_semaine_        |   »          |sepmaine       |
  |    _v. fr._ sepmaine     |                 |              |               |
  |     septaine             |                 |              |               |
  | 31 _nepótem_             |nepueu           |neueu         |nepueu         |
  |    _v. fr._ neps-        |                 |              |               |
  |     nieps-niez           |                 |              |               |
  | 32 _subtrahere_          |soubtraire       |substrayre    |   »           |
  | 33 _auscultare_          |escouter         |escolter      |   »           |
  | 34 _póllicem_            |pauch            |poulce        |   »           |
  |    _v. fr._ poulce       |                 |              |               |
  | 35 _subridere_           |soubsrire        |soubzrire     |   »           |
  |    _v. fr._ souzrire     | (_surridere_)   |              |               |
  | 36 _suspicio_            |souspechon       |souspecionner |soupeconner    |
  |    _v. fr._ soupeson,    | (_suspicatio_)  |              |               |
  |     souspesson,          |                 |              |               |
  |     souppechon,          |                 |              |               |
  |     souspeçon, sopecon   |                 |              |               |
  | 37 _aurifaber_           |orfeure          |  id.         |  id.          |
  |    _v. fr._ orfebvre     |                 |              |               |
  | 38 _sponsus_             |espeux           |   »          |espoux         |
  |    _v. fr._ espous       |                 |              |               |
  +--------------------------+-----------------+--------------+---------------+
  |                          |  FIRMIN LE VER  |  PALSGRAVE   |  CATHOLICON   |
  |     PRIMITIFS LATINS.    |  _Dictionarius  |   publ. en   |_Abbreviatum_  |
  |                          |    Lat.-Gal._,  |    1530,     |   de 1506     |
  |                          |    1420-1440    | mais antér.  |               |
  +--------------------------+-----------------+--------------+---------------+
  | 39 _ptisana_             |tisenne          |tisanne       |_tisane_       |
  |                          | (_tipsana_)[96] |              |               |
  | 40 _ætas_ (_ætaticum_)   |aage             |aage          |  id.          |
  |    _v. fr._ aé, eage     | (de _etas_)     |              |               |
  | 41 _ostrea_              |oistre           |oystre        |  id.          |
  |    _v. fr._ oistre       |                 |              |               |
  | 42 _cochlear_            |cuillier         |cuillier      |cueillier      |
  |                          | (_coclear_)     |              |               |
  | 43 _paienor, paganus_    |paien            |   »          |payen          |
  |    _v. fr._ payen        |                 |              |               |
  | 44 _bovem, bóvem_        |beuf             |   »          |beuf           |
  |    _v. fr._ boef         |                 |              |               |
  | 45 _poma_                |pomme            |pomme         |  id.          |
  |    _v. fr._ pome ou pomme| (_pomum_)       |              |               |
  | 46 _bona_                |_bonne_          |   »          |   »           |
  | 47 _ratio--ratiocinium_  |_raison,         |resonnable    |raisonnement   |
  |    _v. fr._ reson--      |   raisonnable_  |              |               |
  |     resnable             |                 |              |               |
  | 48 _honórem_             |_honneur_        |honnieur      |honneur        |
  |    _v. fr._ honour       |                 |              |               |
  | 49 _abandonare_          |   »             |_abandonner_  |   »           |
  |    _v. fr._ abandoner    |                 |              |               |
  | 50 _fidelis_             |fidele           |   »          |   »           |
  | 51 _filiolus_            |fillœul          |filliol       |fileul         |
  |    _v. fr._ filleux      |                 |              |               |
  | 52 _auricula_            |_oreille_        |oraille       |oreille        |
  |    _v. fr._ oreille      |                 |              |               |
  | 53 _patrinus_            |parrin           |pairrayn      |patrain        |
  | 54 _matrina_             |marrine          |   »          |marrine        |
  | 55 _quadratum_           |quarre, quarement|   »          |quarre         |
  | 56 _scala_               |esquielle        |eschiel ou    |eschiale       |
  | _v. fr._ eschiele        |                 |  eschelle    |               |
  | 57 _lacteo_              |alaitier         |alaicter      |alaiter        |
  |    _v. fr._ alaiter      | (_lactare_)     |              |               |
  | 58 _carruca_             |carette          |   »          |charrete et    |
  |                          |                 |              |  charrette    |
  | 59 _stella_              |estoile          |estoille      |  id.          |
  |    _v. fr._ estelle      |                 |              |               |
  | 60 _batuere_             |   »             |   »          |   »           |
  |    (_v. fr._ abattre)    |                 |              |               |
  | 61 _abreviare_           |   »             |   »          |   »           |
  | 62 _condemnare_          |(condempnation)  |condampner    |   »           |
  | 63 _damnare_             |(dampnable)      |dampner       |_damner_       |
  |    _v. fr._ damner       |                 |              |               |
  | 64 _domare_              |   »             |   »          |_dompter_      |
  | 65 _sollennitas_ ou      |(solennel,       |solempite     |solennite      |
  |      _solemnitas_        |  solennelment)  |  (_sic_)     |               |
  |    _v. fr._ sollempniteit|                 |              |               |
  | 66 _columna_             |columne          |colomppe      |_colonne_      |
  |    _v. fr._ columbe      |                 |  columpne    |               |
  | 67 (_v. fr._             |   »             |   »          |   »           |
  |        contrerolleur)    |                 |              |               |
  | 68 _cognoscere_          |congnoistre      |cognoistre    |  id.          |
  |    _v. fr._ congnoistre  |                 |              |               |
  | 69 _parere_              |apparoir         |   »          |   »           |
  |    _v. fr._ parrer et    |                 |              |               |
  |     paroir               |                 |              |               |
  | 70 _insimul_             |ensamble         |_ensemble_    |   »           |
  |    _v. fr._ ensemble     |                 |              |               |
  | 71 _plenus_              |plain,           |plain         |  id.          |
  |    _v. fr._ plain        |  plainement     |              |               |
  | 72 _hedera_              |erre             |hierre        |   »           |
  |    _v. fr._ hieres,      |                 |              |               |
  |     hierre               |                 |              |               |
  | 73 _aqua_                |yaue             |eaue et _eau_ |eau            |
  |    _v. fr._ aage, aaige, |                 |              |               |
  |     aau, aigue, eaige,   |                 |              |               |
  |     effve, iaue, yaue,   |                 |              |               |
  |     eau                  |                 |              |               |
  | 74 _luscinia_            |lonseignol       |   »          |   »           |
  |    _v. fr._roxignous,    | (de _lucinia_)  |              |               |
  |     roxingnous,          |                 |              |               |
  |     rossignous           |                 |              |               |
  +--------------------------+-----------------+--------------+---------------+

      [95] Les mots latins de cette colonne qui sont en italique
      reproduisent exactement l’orthographe du manuscrit de Le Ver.
      Dans les autres colonnes, l’italique indique l’identité de
      l’orthographe des mots français avec celle de l’Académie en 1835.
      Le guillemet (») indique l’absence du mot.

      [96] TIPSANA, _ne, tisenne, id est succus ordei decoctus.
      Catholicon dicit ptisana. Prima producitur. Vide in p._

  [Partie 2]
  +---------------+---------------+---------------+---------------+
  |    ANTONIO    |    ROBERT     |  LAIMARIE     |    NICOT      |
  |  DE LEBRIXA   |   ESTIENNE    |               |               |
  |     1524      |     1549      |    1586       |     1613      |
  +---------------+---------------+---------------+---------------+
  |Le _ch_ (χ)    |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  | 1    »        |caractere      |   »           |  id.          |
  | 2    »        |cholere        |  id.          |cholére        |
  | 3 chorde      |corde          |  id.          |  id.          |
  | 4 escole      |escole         |eschole        |escole         |
  | 5 chelydoyne  |chelidoine     |  id.          |  id.          |
  | 6 estomach    |estomach       |  id.          |  id.          |
  | 7 cirurgien   |_chirurgien_   |  id.          |chirugien      |
  | 8    »        |chiromantie    |  id.          |  id.          |
  | 9 cresme      |cresme         |  id.          |cresme         |
  |               |  et mieux     |               |               |
  |               |  chresme      |               |               |
  |Le _th_ (θ)    |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |10    »        |catholique     |  id.          |  id.          |
  |11    »        |theatre        |  id.          |  id.          |
  |12    »        |tesme ou thesme|thesme         |tesme          |
  |13 tresor      |thresor        |  id.          |  id.          |
  |               |               |               |               |
  |_th_ et _ph_   |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |14    »        |ortografier    |   »           |   »           |
  |15 orthographie|ortographie    |   »           |ortographie    |
  |16    »        |ortografieur   |   »           |   »           |
  |               |               |               |               |
  |Le _ph_ (φ)    |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |17 orphelin    |orfelin        |  id.          |  id.          |
  |18    »        |_physicien_    |  id.          |  id.          |
  |19 ptisique    |ptisique       |   »           |   »           |
  |20 phantastique|_fantastique_  |  id.          |  id.          |
  |21 fleumatique |_flegmatique_  |phlegmatique   |  id.          |
  |22    »        |frenatique     |frenetique et  |frenatique et  |
  |               |               |  frenaisie    |  freaisie     |
  |23    »        |faisant        |_faisan_       |  id.          |
  |24 souffre     |soulfre        |  id.          |  id.          |
  |25    »        |_coffre_       |  id.          |  id.          |
  |               |               |               |               |
  |L’_y_          |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |26 yuer        |yuer ou hyuer  |  id.          |  id.          |
  |27    »        |abysme         |  id.          |  id.          |
  |28 tyrant      |tyrant         |tyran          |  id.          |
  |29    »        |mystere        |  id.          |  id.          |
  |30    »        |  »            |septmaine      |   »           |
  |31 nepueu      |nepueu         |  id.          |  id.          |
  |32 _soustraire_|soubtraire     |  id.          |  id.          |
  |33 escouter    |escouter       |  id.          |  id.          |
  |34 poux ou     |poulce         |  id.          |  id.          |
  |     poulce    |               |               |               |
  |35    »        |soubrire       |  id.          |  id.          |
  |36    »        |souspecon      |  id.          |_soupçon_      |
  |37 orfeure     |orfebure       |orfeure        |  id.          |
  |38 espoux      |espoux         |  id.          |  id.          |
  +---------------+---------------+---------------+---------------+
  |    ANTONIO    |    ROBERT     |  LAIMARIE     |    NICOT      |
  |  DE LEBRIXA   |   ESTIENNE    |               |               |
  |     1524      |     1549      |    1586       |     1613      |
  +---------------+---------------+---------------+---------------+
  |39 tisane      |tisanne        |tisane         |tisanne        |
  |40 eage        |aage           |  id.          |  id.          |
  |41 oistre      |huystre        |ouystre ou     |huitre         |
  |               |               |  huistre      |               |
  |42 coulliere   |cuilier        |cueillier      |cuilier        |
  |43    »        |payen          |   »           |payen          |
  |44 beuf        |beuf           |  id.          |  id.          |
  |45 pomme       |pomme          |  id.          |  id.          |
  |46 bonne       |bonne          |  id.          |  id.          |
  |47 raisonnable |raisonnement   |raisonner      |  id.          |
  |48 honneur     |  id.          |  id.          |  id.          |
  |49   »         |abandonner     |abandonner     |  id.          |
  |               |  (de bandon)  |               |               |
  |50   »         |fidele         |  id.          |fidele et      |
  |               |               |               |  fidelle      |
  |51 fillol      |_filleul_      |   »           |  id.          |
  |52 oureille    |oreille        |id.            |id.            |
  |53 parrin      |  id.          |  id.          |  id.          |
  |54 _marraine_  |marrine        |  id.          |  id.          |
  |55 quarre      |  id.          |  id.          |  id.          |
  |56 eschelle    |eschele        |  id.          |  id.          |
  |57    »        |allaicter      |  id.          |  id.          |
  |58 charete     |charette       |_charrette_    |  id.          |
  |59 estoille    |  id.          |  id.          |  id.          |
  |60    »        |abbatre        |  id.          |abatre         |
  |61    »        |abbreger       |  id.          |abreger        |
  |62    »        |_condamner_    |  id.          |  id.          |
  |63 damner      |  id.          |  id.          |  id.          |
  |64    »        |donter         |  id.          |  id.          |
  |65 solennite   |_solennité_    |  id.          |  id.          |
  |66 colonne     |colomne        |  id.          |  id.          |
  |67    »        |contrerolleur  |   »           |  id.          |
  |68 congnoistre |cognoistre     |  id.          |  id.          |
  |69 apparoir    |apparoir ou    |   »           |apparoir ou    |
  |               |  apparoistre  |               |  apparoistre  |
  |70    »        |ensemble       |id. ou         |  id.          |
  |               |               |  ensemblement |               |
  |71 plain       |_plein_        |  id.          |  id.          |
  |72    »        |hierre         |  id.          |  id.          |
  |73 eaue        |eaue et eau    |  id.          |eage ou eau    |
  |74    »        |_rossignol_    |  id.          |  id.          |
  +---------------+---------------+---------------+---------------+

  [Partie 3]
  +---------------+---------------+---------------+---------------+
  |   PH. MONET   |  N. DUEZ      |  ANT. OUDIN   |   RICHELET    |
  |      1630     |    1659       |     1660      |     1680      |
  +---------------+---------------+---------------+---------------+
  |Le _ch_ (χ)    |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  | 1 caractere   |charactere     |charactere     |caractêre      |
  | 2 cholere     |colere         |cholere et     |colére         |
  |               |               |   colere      |               |
  | 3 corde       |  id.          |  id.          |  id.          |
  | 4 escole      |escole         |  id.          |_école_        |
  | 5 chelidoine  |  id.          |  id.          |_chélidoine_   |
  | 6 estomac     |  id.          |estomac et     |estomac        |
  |               |               |  estomach     |               |
  | 7 chirurgien  |  id.          |  id.          |  id.          |
  | 8   »         |chiromantie    |  id.          |  id.          |
  | 9 creme       |chresme        |chresme        |_chrême_       |
  |               |  (lit.) et    |               |  et crême     |
  |               |  creme        |               |               |
  |               |  (cuisine)    |               |               |
  |Le _th_ (θ)    |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |10 catholique  |  id.          |  id.          |catolique      |
  |11 theatre     |  id.          |  id.          |téâtre         |
  |12 theme       |  id.          |  id.          |téme ou        |
  |               |               |               |  théme        |
  |13 tresor      |thresor        |  id.          |tresor         |
  |               |               |               |               |
  |_th_ et _ph_   |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |14   »         |   »           |   »           |   »           |
  |15   »         |ortographie    |  id.          |  id.          |
  |16   »         |   »           |   »           |   »           |
  |               |               |               |               |
  |Le _ph_ (φ)    |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |17 orfelin     |orphelin       |  id.          |  id.          |
  |18 physicien   |physicien      |  id.          |phisicien      |
  |19 _phthisique_|phtisique      |  id.          |  id.          |
  |20 fantastique |  id.          |  id.          |  id.          |
  |21 phlegmatique|flegmatique    |  id.          |flegmatique    |
  |22 phrenetique |phrenetique    |  id.          |phrénetique    |
  |               |  et phrenesie |               |  et phrénesie |
  |23 faisan      |phaisan        |  id.          |faisan         |
  |24 soufre      |soulphre       |  id.          |soufre         |
  |25 cofre       |coffre         |  id.          |cofre          |
  |               |               |               |               |
  |L’_y_          |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |26 hiuer       |hyuer          |hyver          |_hiver_        |
  |27 abyme       |abysme         |  id.          |_abîme_        |
  |28 tiran       |  id.          |tiran et tyran |tiran          |
  |29 mystere     |  id.          |mistere et     |mistere        |
  |               |               |   mystere     |               |
  |30 semaine     |  id.          |  id.          |  id.          |
  |31 neueu       |nepueu         |neveu          |  id.          |
  |32 soutraire   |soustraire     |  id.          |  id.          |
  |33 ecouter     |escouter       |  id.          |_écouter_      |
  |34 _pouce_     |poulce         |  id.          |pouce          |
  |35 _sourire_   |sousrire       |  id.          |sourire        |
  |36 soupçon     |  id.          |  id.          |  id.          |
  |37 orfeure     |orfeure        |orfebvre       |_orfèvre_      |
  |38 espous et   |espoux         |  id.          |_époux_        |
  |  epous        |               |               |               |
  +---------------+---------------+---------------+---------------+
  | PH. MONET     |   N. DUEZ     |  ANT. OUDIN   |  RICHELET     |
  |    1630       |    1659       |     1660      |    1680       |
  +---------------+---------------+---------------+---------------+
  |39 tisane      |  id.          |ptisanne       |tisanne        |
  |40 aage        |  id.          |  id.          |_âge_          |
  |41 huitre      |huistre        |  id.          |_huître_       |
  |42 cueillier   |cuillier       |_cuiller_      |cuilier        |
  |43 paien       |payen          |  id.          |_païen_        |
  |44 beuf        |_bœuf_         |  id.          |beuf           |
  |45 pomme       |  id.          |  id.          |  id.          |
  |46 bonne       |  id.          |  id.          |  id.          |
  |47 raisonner   |  id.          |  id.          |  id.          |
  |48 honneur     |  id.          |  id.          |  id.          |
  |49 abandonner  |  id.          |  id.          |  id.          |
  |50 fidele      |  id.          |fidelle        |fidéle         |
  |51   »         |filleul        |  id.          |  id.          |
  |52 oreille     |  id.          |  id.          |  id.          |
  |53 parrin      |_parrain_      |parrain        |parrein et     |
  |               |               |               |  parrain      |
  |54 marreine    |marraine       |  id.          |marreine et    |
  |               |               |               |  marraine     |
  |55 quarré      |quarré         |  id.          |  id.          |
  |               |               |               |               |
  |56 eschele et  |eschelle       |  id.          |_échelle_      |
  |  echele       |               |               |               |
  |57 _allaiter_  |allaicter      |  id.          |alaiter        |
  |58 charrete    |charette       |  id.          |  id.          |
  |59 estoile ou  |estoille       |  id.          |_étoile_       |
  |  etoile       |               |               |               |
  |60 abatre      |abbattre       |  id.          |abatre         |
  |61 abbreger    |  id.          |  id.          |abreger        |
  |62 condamner   |  id.          |  id.          |condanner ou   |
  |               |               |               |  condâner     |
  |63 damner      |  id.          |  id.          |dâner          |
  |64 domter      |dompter        |  id.          |domter         |
  |65 sollamnité  |solennité      |solemnité ou   |solennité      |
  |               |               |  solennité    |               |
  |66 colomne     |  id.          |  id.          |colonne        |
  |67 contreroleur|controlleur    |contrerolleur  |_contrôleur_   |
  |               |               |  et           |               |
  |               |               |  controolleur |               |
  |68 cognoitre,  |connoistre     |  id.          |connoître      |
  |  connoitre    |               |               |               |
  |69 apparoir    |apparoir et    |  id.          |aparoitre      |
  |               |   apparoistre |               |               |
  |70 ansemble et |ensemble       |  id.          |  id.          |
  |  ensemble     |               |               |               |
  |71 plein et    |plein          |  id.          |  id.          |
  |  pleinemant   |               |               |               |
  |72 hierre et   |lierre         |  id.          |  id.          |
  |  _lierre_     |               |               |               |
  |73 eau         |  id.          |  id.          |  id.          |
  |74 rossignol   |  id.          |  id.          |  id.          |
  +---------------+---------------+---------------+---------------+

  [Partie 4]
  +---------------+---------------+---------------+---------------+
  |   FURETIÈRE   |   ACADÉMIE    |   ACADÉMIE    |   ACADÉMIE    |
  |     1690      |     1694      |     1740      |     1835      |
  +---------------+---------------+---------------+---------------╢
  |Le _ch_ (χ)    |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  | 1 caractere   |  id.          |caractére      |_caractère_    |
  | 2 colere      |  id.          |_colère_       |  id.          |
  | 3 corde       |  id.          |  id.          |  id.          |
  | 4 escole      |  id.          |école          |  id.          |
  | 5 chelidoine  |   »           |   »           |chélidoine     |
  | 6 estomac     |  id.          |  id.          |  id.          |
  | 7 chirurgien  |  id.          |  id.          |  id.          |
  | 8 chiromance  |  id.          |  id.          |chiromancie    |
  | 9 chresme     |chresme        |chrême         |chrême         |
  |  et cresme    |  et créme     |  et crême     |  et _crème_   |
  |               |               |               |               |
  |Le _th_ (θ)    |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |10 catholique  |  id.          |  id.          |  id.          |
  |11 theatre     |  id.          |théatre        |_théâtre_      |
  |12 theme       |  id.          |_thème_        |  id.          |
  |13 tresor      |thresor        |_trésor_       |  id.          |
  |               |               |               |               |
  |_th_ et _ph_   |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |14 ortografier |orthographier  |  id.          |  id.          |
  |15 orthographe |orthographe    |  id.          |  id.          |
  |16   »         |   »           |   »           |   »           |
  |               |               |               |               |
  |Le _ph_ (φ)    |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |17 orfelin     |orphelin       |  id.          |  id.          |
  |18 physicien   |  id.          |  id.          |  id.          |
  |19 phtisique   |  id.          |phthisique     |  id.          |
  |20 fantastique |  id.          |  id.          |  id.          |
  |21 phlegmatique|  id.          |  id.          |flegmatique    |
  |22 frenetique  |  id.          |_frénétique_   |  id.          |
  | et frenesie   |               |  et           |               |
  |               |               | _frénésie_    |               |
  |23 faisan      |  id.          |  id.          |  id.          |
  |24 soulfre     |soufre         |  id.          |  id.          |
  |25 coffre      |  id.          |  id.          |  id.          |
  |               |               |               |               |
  |L’_y_          |               |               |               |
  |  étymologique |               |               |               |
  |               |               |               |               |
  |26 hiver       |  id.          |  id.          |  id.          |
  |27 abyme       |abysme         |abyme          |abîme          |
  |28 tyran       |  id.          |  id.          |  id.          |
  |29 mystere     |  id.          |_mystère_      |  id.          |
  |30 semaine     |  id.          |  id.          |  id.          |
  |31 neveu       |  id.          |  id.          |  id.          |
  |32 soustraire  |  id.          |  id.          |  id.          |
  |33 escouter    |  id.          |  id.          |écouter        |
  |34 poulce      |pouce          |  id.          |  id.          |
  |35 sousrire    |  id.          |sourire        |  id.          |
  |36 soupçon     |  id.          |  id.          |  id.          |
  |37 orfevre     |orfévre        |  id.          |  id.          |
  |38 espoux      |  id.          |époux          |  id.          |
  +---------------+---------------+---------------+---------------╢
  |   FURETIÈRE   |  ACADÉMIE     |  ACADÉMIE     |  ACADÉMIE     |
  |      1690     |    1694       |    1740       |    1835       |
  +---------------+---------------+---------------+---------------╢
  |39 tisane      |ptisanne       |  id.          |tisane         |
  |40 âge         |  id.          |  id.          |  id.          |
  |41 huistre     |  id.          |huitre         |  id.          |
  |42 cuiller ou  |cuillier ou    |  id.          |cuiller        |
  |  cuilliere    |  cuiller      |               |               |
  |43 payen       |  id.          |  id.          |païen          |
  |44 bœuf        |  id.          |  id.          |  id.          |
  |45 pomme       |  id.          |  id.          |  id.          |
  |46 bonne       |  id.          |  id.          |  id.          |
  |47 raisonner   |  id.          |  id.          |  id.          |
  |48 honneur     |  id.          |  id.          |  id.          |
  |49 abandonner  |  id.          |  id.          |  id.          |
  |50 fidelle     |  id.          |_fidèle_       |  id.          |
  |51 filleul     |  id.          |  id.          |  id.          |
  |52 oreille     |  id.          |  id.          |  id.          |
  |53 parrein     |parrain        |  id.          |  id.          |
  |  et parrain   |               |               |               |
  |54 marreine    |marraine       |  id.          |  id.          |
  |55 quarré      |quarré ou carré|_carré_        |  id.          |
  |56 eschelle    |  id.          |échelle        |  id.          |
  |57 alaiter     |allaicter      |allaiter       |  id.          |
  |58 charrette   |  id.          |  id.          |  id.          |
  |59 estoile     |  id.          |étoile         |  id.          |
  |60 abatre      |abbatre        |_abattre_      |  id.          |
  |61 abreger     |abbréger       |_abréger_      |  id.          |
  |62 condamner   |  id.          |  id.          |  id.          |
  |63 damner      |  id.          |  id.          |  id.          |
  |64 domter      |  id.          |  id.          |dompter        |
  |65 solemnité   |solemnité ou   |solennité      |  id.          |
  |               |  solennité    |               |               |
  |66 colomne     |  id.          |colonne        |  id.          |
  |67 controlleur |contrôleur     |  id.          |  id.          |
  |68 connoistre  |  id.          |connoître      |_connaître_    |
  |69 apparoistre,|apparoistre,   |apparoître,    |_apparaître_   |
  |  apparoître,  |  apparoir     |  apparoir     |               |
  |  apparoir,    |               |               |               |
  |  t. d. pal.   |               |               |               |
  |70 ensemble    |  id.          |  id.          |  id.          |
  |71 plein       |  id.          |  id.          |  id.          |
  |72 lierre      |  id.          |  id.          |  id.          |
  |73 eau         |  id.          |  id.          |  id.          |
  |74 rossignol   |  id.          |  id.          |  id.          |
  +---------------+---------------+---------------+---------------+


ORTHOGRAPHE DE L’ACADÉMIE EN 1694, DATE DE LA PREMIÈRE ÉDITION DU
DICTIONNAIRE.

Il n’est peut-être pas sans intérêt de rechercher quels principes
ont dirigé l’Académie française dans l’établissement des règles
d’orthographe adoptées dans la première édition de son Dictionnaire
en 1694. Ces règles sont, pour la plupart, tombées en désuétude sous
l’action du temps, mais il en reste encore des traces nombreuses dans
presque toutes les parties de la sixième édition.


Pour déterminer ces principes, je m’attacherai à trois documents
officiels:

La _Préface_ du Dictionnaire même;

Les _Cahiers de remarques sur l’orthographe françoise pour estre
examinez par chacun de messieurs de l’Académie_, sorte de mémento
particulier destiné à assurer une certaine unité dans la discussion
académique et à préparer la solution des difficultés grammaticales;

La _Grammaire de Regnier des Marais_, secrétaire perpétuel de la
Compagnie, et chargé par elle de rédiger la Grammaire mentionnée dans
les statuts de sa fondation.


1º _Préface du Dictionnaire de l’Académie_.

En 1694, l’Académie s’exprimait ainsi dans sa préface:

  «L’Académie s’est attachée à l’ancienne orthographe receuë parmi
  tous les gens de lettres, parce qu’elle ayde à faire connoistre
  l’origine des mots. C’est pourquoy elle a creu ne devoir pas
  authoriser le retranchement que des particuliers, et principalement
  les imprimeurs, ont fait de quelques lettres, à la place desquelles
  ils ont introduit certaines figures qu’ils ont inventées[97], parce
  que ce retranchement oste tous les vestiges de l’analogie et des
  rapports qui sont entre les mots qui viennent du latin ou de quelque
  autre langue. Ainsi elle a écrit les mots _corps, temps_ avec un _p_
  et les mots _teste, honneste_ avec une _s_ pour faire voir qu’ils
  viennent du latin _tempus, corpus, testa, honestus_... Il est vray
  qu’il y a aussi quelques mots dans lesquels elle n’a pas conservé
  certaines lettres caracteristiques qui en marquent l’origine, comme
  dans les mots _devoir, fevrier_, qu’on escrivoit autrefois _debvoir_
  et _febvrier_ pour marquer le rapport entre le latin _debere_ et
  _februarius_. Mais l’usage l’a decidé au contraire; car il faut
  reconnoistre l’usage pour le maistre de l’orthographe aussi bien
  que du choix des mots. C’est l’usage qui nous mene insensiblement
  d’une maniere d’escrire à l’autre, et qui seul a le pouvoir de le
  faire. C’est ce qui a rendu inutiles les diverses tentatives qui
  ont esté faites pour la reformation de l’orthographe depuis plus
  de cent cinquante ans par plusieurs particuliers qui ont fait des
  regles que personne n’a voulu observer[98]. Ce n’est pas qu’ils
  ayent manqué de raisons apparentes pour deffendre leurs opinions
  qui sont toutes fondées sur ce principe, qu’il faut que l’escriture
  represente la prononciation; mais cette maxime n’est pas absolument
  veritable; car si elle avoit lieu, il faudroit retrancher l’_r_
  finale des verbes _aymer, ceder, partir, sortir_[99], et autres de
  pareille nature dans les occasions où on ne les prononce point,
  quoy qu’on ne laisse pas de les escrire. Il en estoit de mesme dans
  la langue latine où l’on escrivoit souvent des lettres qui ne se
  prononçoient point. Je ne veux pas, dit Ciceron, qu’en prononçant on
  fasse sonner toutes les lettres avec une affectation desgoustante:
  _Nolo exprimi litteras putidius_ (3, _de Orat._). Ainsi on prononçoit
  _multimodis_ et _tectifractis_ quoy qu’on écrivist _multis modis_ et
  _tectis fractis_, ce qui fait voir que l’escriture ne represente pas
  tousjours parfaitement la prononciation; car comme la peinture qui
  represente les corps ne peut pas peindre le mouvement des corps, de
  mesme l’escriture qui peint à sa maniere le corps de la parole, ne
  sçauroit peindre entierement la prononciation qui est le mouvement de
  la parole. L’Académie seroit donc entrée dans un détail tres-long et
  tres-inutile, si elle avoit voulu s’engager en faveur des estrangers
  à donner des regles de la prononciation. Quiconque veut sçavoir la
  veritable prononciation d’une langue qui luy est estrangere, doit
  l’apprendre dans le commerce des naturels du pays; toute autre
  methode est trompeuse, et pretendre donner à quelqu’un l’idée d’un
  son qu’il n’a jamais entendu, c’est vouloir donner à un aveugle
  l’idée des couleurs qu’il n’a jamais veuës. Cependant l’Académie n’a
  pas negligé de marquer la prononciation de certains mots lors qu’elle
  est trop esloignée de la maniere dont ils sont escrits et l’_s_ en
  fournit plusieurs exemples; c’est une des lettres qui varient le plus
  dans la prononciation lors qu’elle precede une autre consone, parce
  que tantost elle se prononce fortement, comme dans les mots _peste,
  veste, funeste_, tantost elle ne sert qu’à allonger la prononciation
  de la syllabe, comme dans ces mots _teste, tempeste_; quelquefois
  elle ne produit aucun effet dans la prononciation, comme en ces mots,
  _espée, esternuer_; c’est pourquoy on a eu soin d’avertir le lecteur
  quand elle doit estre prononcée. Il y a des mots où elle a le son
  d’un _z_, et c’est quand elle est entre deux voyelles, comme dans ces
  mots _aisé, desir, peser_. Mais elle n’est pas la seule lettre qui
  soit sujette à ces changemens. Le _c_ se prononce quelquefois comme
  un _g_, ainsi on prononce _segret_ et non pas _secret_, _segond_
  et non pas _second_, _Glaude_ et non pas _Claude_, quoy que dans
  l’escriture on doive absolument retenir le _c_. Ainsi les Romains
  prononçoient _Gaius_, quoy qu’ils escrivissent _Caius_, _Amurga_ quoy
  qu’ils escrivissent _Amurca_, selon l’observation de Servius sur le
  premier livre des Georgiques; ce qui acheve de confirmer ce qu’on
  vient de dire que la prononciation et l’orthographe ne s’accordent
  pas tousjours et que c’est de la vive voix seule qu’on peut attendre
  une parfaite connoissance de la prononciation des langues vivantes
  et qu’on n’appelle vivantes que parce qu’elles sont encore animées
  du son et de la voix des peuples qui les parlent naturellement; au
  lieu que les autres langues sont appellées mortes, parce qu’elles ne
  sont plus parlées par aucune nation, et n’ont plus par consequent que
  des prononciations arbitraires au deffaut de la naturelle et de la
  veritable qui est totalement ignorée[100].»

      [97] Les accents.

      [98] Moins de cent ans après, l’Académie devait, conformément aux
      propositions de la plupart des novateurs, simplifier l’écriture
      de près de cinq mille mots et introduire les accents dans le
      corps d’une grande partie d’entre eux.

      [99] Par cet exemple, on voit que dans _partir, sortir_, on ne
      prononçait pas le _r_, de même que nous ne le faisons pas sentir
      dans _aimer, céder_ non suivis d’une voyelle.

      [100] La préface du premier Dictionnaire de l’Académie, en 1694,
      a été écrite par Regnier des Marais, et l’epître dédicatoire
      au Roi, par Perrault. On croit que les observations sur cette
      dédicace publiées par d’Olivet, à la fin de ses _Remarques sur
      les tragédies de Racine_ (Paris, Gandouin, 1738, in-12), sont
      dues à Racine et à Regnier des Marais.

      Dans cette préface comme dans les autres citations, j’ai suivi
      scrupuleusement l’orthographe même des textes. Quant à la
      ponctuation qui, n’étant soumise à aucune règle fixe, nuit
      parfois à l’intelligence du sens, j’ai dû la rétablir d’après
      l’usage des bonnes imprimeries. Le grand nombre des majuscules,
      employées souvent d’une façon arbitraire, est modifié selon
      habitudes actuelles.

      On doit cependant signaler dans cette préface l’emploi du (;)
      suivi d’une majuscule qui remplit la fonction d’une ponctuation
      intermédiaire entre le point-virgule (;) et le point. (Les deux
      points (:) remplissent une autre fonction.) Il est regrettable
      qu’on ait abandonné un secours utile quelquefois et qui, du
      reste, avait un précédent, ainsi qu’on en peut juger par les
      textes grecs de ma _Bibliothèque des auteurs grecs_. Cette
      ponctuation intermédiaire s’y trouve remplacée par l’emploi de
      la minuscule simple après le point, pour indiquer une suspension
      moins forte que lorsque le point est suivi de la majuscule.

      La comparaison de notre orthographe académique, d’après la
      dernière édition du Dictionnaire de 1835, avec celle du
      Dictionnaire de 1694, prête une grande force aux instances de
      ceux qui veulent améliorer l’état de choses actuel.

2º _Cahiers de remarques rédigés pour le Dictionnaire de 1694_.

Dans les _Cahiers_ dressés par l’Académie pour éclairer la
discussion des mots du Dictionnaire de 1694, se trouvent des règles
de détermination orthographique qu’elle n’a formulées nulle part
ailleurs. Ces Cahiers étaient tirés strictement à quarante exemplaires
au nom de chacun des membres. Il en existe deux éditions[101]. C’est
sur l’exemplaire de Racine de la première édition, conservé à la
Bibliothèque impériale, que j’ai transcrit ce qui suit. On y voit
établie la règle du doublement de la consonne avec ses nombreuses
exceptions, celle de la composition de nos mots avec les prépositions
latines. La loi de la configuration étymologique paraît déjà subir de
notables restrictions, faites au nom de l’usage. Voici l’analyse de
quelques-unes des principales remarques:

      [101] M. Ch. Marty-Laveaux a réédité en 1863, chez le libraire J.
      Gay, à trois cents exemplaires, ces deux éditions en les faisant
      précéder d’une intéressante introduction.

  «La premiere observation que la Compagnie a creu devoir faire est
  que, dans la langue françoise, comme dans la pluspart des autres,
  _l’orthographe n’est pas tellement fixe et determinée qu’il n’y ait
  plusieurs mots qui se peuvent escrire de deux differentes manieres,
  qui sont toutes deux esgalement bonnes, et quelquefois aussi il y en
  a une des deux qui n’est pas si usitée que l’autre, mais qui ne doit
  pas estre condamnée_.

  «Generalement parlant, la Compagnie prefere l’ancienne orthographe
  qui distingue les gens de lettres d’avec les ignorans, et est d’avis
  de l’observer par tout, hormis dans les mots où un long et constant
  usage en a établi une differente.

  «L’ancienne orthographe peche quelquefois en lettres superfluës;
  mais il ne faut pas les appeller ainsi quand elles servent à marquer
  l’origine, comme en ce mot _vingt_, qui s’escrit de la sorte,
  encore que le _g_ ne se prononce point, parce qu’il vient du latin
  _viginti_. Il n’en est pas de mesme quand l’usage a depuis long-temps
  reglé le contraire: ainsi on n’orthographie plus le mot _escripre_
  avec un _p_ ni _escripture_.»

Suivent quelques règles sur la permutation des consonnes ou le
maintien des consonnes caractéristiques, règles que l’usage a
consacrées ou que l’Académie a abrogées elle-même en 1740.

Cependant, le passage suivant est à noter particulièrement: il explique
et justifie l’abandon des caractères étymologiques dans les mots tirés
du grec et devenus d’un usage vulgaire: «Plusieurs aussi escrivent:
_fantaisie, fantastique, fantasque, fantosme_, mais d’autres veulent
un _ph_ à _phantaisie_, qui signifie cette faculté de l’ame que les
Latins appellent imagination; mais _fantaisie_ que signifie caprice,
bizarrerie, s’escrit avec _f_. _Ce n’est pas que les deux mots n’ayent
la mesme origine, mais le dernier, à force d’estre usité et de passer
dans les mains de tout le monde, a changé son_ PH _grec en un_ F
_françois_.»

C’est ce dernier précepte qui aurait dû être appliqué plus
rigoureusement dans les éditions successives du Dictionnaire.

  «On doit garder, ajoute le Cahier, les doubles consones aux mots
  où il y en avoit dans le latin, par example, deux _bb_, deux _cc_,
  deux _dd_, etc. D’autre costé, pour l’ordinaire la consone n’est pas
  double dans le françois quand elle ne l’estoit point dans le latin.»

Le Cahier, pour être conséquent avec l’exemple qu’il donne en écrivant
partout _consone_ avec un seul _n_, aurait dû supprimer la double
lettre à _persone_, à _sonette_, à _pome_, etc., etc.

  «Les composez et les derivez suivent l’orthographe de leurs simples.»

Le Cahier passe ensuite en revue les prépositions latines qui entrent
dans la composition des mots français. «Quand la preposition _a_
est suivie d’un _g_ ou d’une _m_, ces consones ne se doublent pas,
excepté pour le _g_ les mots où il est déja double en latin. Exemples:
_aggreger, aggresseur, aggraver, exaggerer_. Toute autre consone
que _g_ ou _m_ se double: _abbatre, abbonner, abbreuver, abbreger,
abbrutir_.» Il y a un certain nombre d’exceptions indiquées.

  «Avec la préposition _ad_ il y a à distinguer; quelques-uns enlèvent
  le _d_, mais la meilleure orthographe le conserve. Exemples:
  _addonner, adjoint, adjourner, adjouster, adjuger, adjuster,
  admettre, admirable, admiral_[102], _admis, admodier, admonester,
  addresser, advis, advocat_. Quelques-uns neantmoins escrivent
  ENCORE[103] _avis, avertissement, avertir_ et _avocat_ sans _d_.»

      [102] On a reconnu plus tard que le mot _amiral_ vient de l’arabe
      _émir_. La préposition _ad_ des Latins n’avait rien à faire ici.

      [103] L’habitude d’écrire simplement et d’essayer de figurer
      la prononciation plutôt que l’étymologie est plus ancienne en
      France que l’Académie de 1694 ne paraît le supposer, car cet
      usage remonte à l’époque même de nos plus anciens monuments
      écrits du XIe, du XIIe et du XIIIe siècle (_Lois de Guillaume,
      Apocalypse, Quatre Livres des rois_, etc.). Le mot _appellata_,
      que l’Académie de 1694 écrit _appellée_, est figuré ainsi,
      _apeled_ et _apelee_; le _tesmoignage_ (_testimonium_) est alors
      _testimoine_ ou _tesmoigne_; les _yeux_, comme écrivait R.
      Estienne, sont des _oils_, etc. Il est vrai que, depuis le XIVe
      siècle, les clercs, fort épris du latin, se sont donné carrière
      pour saupoudrer de plus en plus leurs transcriptions de lettres
      étymologiques et souvent de lettres qui ne le sont pas; mais
      c’est à partir de la Renaissance de l’antiquité que cette fièvre
      d’érudition a pris son plus grand développement. Voir plus haut,
      p. 112.

  «Preposition _e_. Devant un mot simple commençant par _f_, cette
  consone se double. Exemples: _effaroucher, effeminer_. Devant
  toute autre consone que _f_, on met aprés la preposition latine
  un _s_. Exemples: _esbattre, esmouvoir, espleurer, espris,
  esrailler, estester_, etc.

  «La preposition _sous_ garde son _s_. Exemples: _sousbarbe,
  souschantre, souslever, souspeser, souspir, soustenir,
  soustraire_. Quelques-uns neantmoins escrivent _soupir_ et
  _soutenir_.»

Mais l’Académie, en 1740, a décidé contrairememt à la plupart des
règles des Cahiers de 1694. Il suffit d’indiquer quelques mots extraits
des séries complètes du Cahier qu’elle a rectifiés dès sa troisième
édition: _appanage, appaiser, appercevoir_, etc.; _desboetter,
desbotter, desborder, desbourser, esbattre, esbranler, escarter_,
qu’elle écrit les uns par un seul _p_ et les autres sans _s_.

Dans le Cahier on autorise cependant d’écrire _deffaillir_ et
_defleurir, deffaire_ et _defricher_, et l’on remarque que quelques
mots qui n’avaient pas d’_h_ en latin en ont pris en français:
«_ululare_, hurler; _altus_, haut; _exaltare_, exhausser; _ostreum_,
huistre; _oleum_, huile; _ostium_, huis; _octo_, huit.»


Voici ce qui est dit à l’article DU CIRCONFLEXE:

  «Le circonflexe mis sur une syllabe marque bien qu’elle est longue;
  mais ce n’est pas pour cela qu’on l’y met, c’est pour montrer qu’on y
  a retranché une voyelle, comme on fait en grec aux verbes et aux noms
  contractes[104]. Par exemple, on le met en _bâiller, râiller_,
  contractes de _beailler_ et de _riailler_; à _âge, blessûre, j’ay
  pû, ingenûment, assidûment_, etc. Les novateurs de l’orthographe
  le veulent substituer à la place de l’_s_ muette, et escrivent
  _tempête, bête, ôter_, etc.»

      [104] Cet accent circonflexe joue encore dans notre orthographe
      le double rôle, de marquer la suppression d’une lettre, comme
      dans _affût, affûtage, aîné_, vous _arrivâtes_, nous
      _crûmes_, etc., et de rendre la syllabe longue, comme dans
      _bâche, bêche, bellâtre, câlin_, etc. Il y a là une source
      de nombreuses difficultés pour les étrangers.

L’opinion des novateurs a prévalu, et l’Académie a même retranché
l’accent circonflexe à la plupart des mots qui ont subi une
contraction: _railler, blessure, pu, ingénument_. Elle l’a
conservé à _assidûment_.


On lit à l’article de la DIVISION:

  «La division se met entre deux mots qui, en effet, ne font qu’un,
  mais qui ne sont pas entierement joincts; comme _eux-mesmes,
  re-saler, re-sumer, francs-fiefs, cordon-bleu, grand-croix,
  ciel-de-lict, entre-post_, etc. On la met aussi entre la troisieme
  personne singuliere tant du present de l’indicatif que du futur,
  et le pronom personnel _il_ et _elle_, et l’impersonnel _on_.
  Exemples: _parle-il, mange-elle, disne-on ceans, ira-il,
  dira-elle, sonnera-on_. C’estoit l’ancienne orthographe, dont la
  raison est assez connüe à ceux qui connoissent la langue françoise
  du quatorziesme et quinziesme siecle. Mais depuis quelques années
  on s’est advisé de mettre entre ces mots deux tirets et un _t_ au
  milieu, de cette sorte, _dira-t-il, ira-t-on_. Ie voy grand nombre
  de gents qui s’opposent à cet usage, et disent qu’il n’y en a aucune
  raison, ny aucun exemple chez nos anciens. Messieurs jugeront si leur
  opposition est bien fondée; et chacun marquera, s’il luy plaist, ce
  qu’il voudroit changer, corriger, retrancher et adjouster à tout ce
  Traitté, tant pour le gros et pour l’ordre, que pour le détail et
  pour les exemples.»


3º _Grammaire de Regnier des Marais_.

Dans sa _Grammaire_, publiée en 1706, Regnier des Marais, qu’on peut
supposer avoir été le rédacteur des Cahiers, expose les mêmes principes
avec plus de développements. (Voir plus loin l’analyse de cette
Grammaire, p. 136.)


Ainsi donc, l’Académie de 1694 procédait en matière d’orthographe,
sous l’influence gréco-latine, en vue d’une conformité aussi intime
que possible avec l’écriture du latin littéraire. Bien qu’elle tienne
peu de compte des concessions que le latin vulgaire, la basse latinité
et les écrivains français du XIIe au XVIe siècle avaient faites à la
prononciation, on remarque une tendance à s’écarter de l’orthographe
des Cahiers de remarques rédigés par Regnier des Marais; elle fait
quelques sacrifices à la nécessité de simplifier, qui est propre au
génie de notre langue et à sa prosodie. Aussi la lecture, d’après ces
principes mixtes de 1694, devait être fort difficile, par suite de la
multiplicité de ces consonnes ramenées du latin du siècle d’Auguste,
consonnes qui tantôt se prononçaient et tantôt ne se prononçaient
point. Ronsard, ainsi que le grand Corneille, tous deux véritablement
Français, avec des idées et des sentiments antiques, avaient mieux
compris l’organisme de notre langue. C’est un grand honneur pour
l’Académie d’avoir osé, dès 1740, se déjuger elle-même en renonçant
aux règles et aux idées théoriques qu’elle avait adoptées en 1694,
et d’avoir su rentrer dans la voie de la tradition et de la vérité
pratique.




APPENDICE _B_.

OPINION DE RONSARD SUR L’ORTHOGRAPHE ÉTYMOLOGIQUE.


Ronsard, par l’ampleur et la hardiesse de son esprit, devançant son
siècle et ceux qui l’ont suivi, a découvert en partie les différences
qui distinguent certaines de nos lettres de leurs correspondantes chez
les anciens, et affirmé les droits de notre langue à une orthographe
qui lui soit propre. Il se rencontre ainsi, à cent ans de distance,
avec Corneille, pour ouvrir la voie dans laquelle l’Académie devait
successivement entrer. Sans l’opposition de ses amis, il eût accepté
volontiers en grande partie les réformes de Meigret[105]; mais il
se borne pour le moment à l’expulsion de l’_y_ étymologique, à la
suppression des consonnes superflues, telles que le double _cc_ au
mot _accorder_ (qu’il écrit _acorder_), à l’adoption de l’accent aigu
dans nombre de cas, et au remplacement du _ph_ par un _f_. Il réclame
de nouveaux signes pour _i_ et _u_ consonnes (_j_ et _v_), pour _ll_
mouillé, _gn_ et _ch_, et la restitution de _k_ et _z_, qu’il demande
de _remettre en leur premier honneur_[106].

      [105] Joachim du Bellay témoigne le même regret (voir plus loin,
      App. D), et l’exprime avec une naïve énergie.

      [106] Préface de la _Franciade_.

Il s’exprime ainsi dans l’avertissement au lecteur placé en tête de
son _Abrégé de l’art poëtique_ (édit. de 1623, t. II, page 1616):

  «I’avois deliberé, lecteur, suiure en l’orthographe de mon liure
  la plus grand’part des raisons de Louys Meigret, homme de sain et
  parfait iugement (qui a le premier osé desiller les yeux, pour voir
  l’abus de notre escriture), sans l’aduertissement de mes amis,
  plus studieux de mon renom que de la verité; me peignant au deuant
  des yeux le vulgaire, l’antiquité, et l’opiniastre aduis des plus
  celebres ignorans de nostre temps; laquelle remonstrance ne m’a
  tant sceu espouuanter, que tu n’y voyes encore quelques marques de
  ses raisons (de Meigret). Et bien qu’il n’ait totalement raclé la
  lettre grecque Υ, comme il deuoit, ie me suis hazardé de l’effacer,
  ne la laissant seruir sinon aux propres noms grecs, comme en Tethys,
  Thyeste, Hippolyte, Vlysse, à fin qu’en les voyant, de prime face,
  on cognoisse quels ils sont et de quel païs nouuellement venus vers
  nous: non pas en ces vocables, _abisme, cigne, Nimphe, lire,
  sire_ (qui vient comme l’on dit de κύριος, changeant la lettre κ
  en σ[107]), lesquels sont desia receus entre nous pour françois,
  sans les marquer de cet espouuantable crochet de _y_, ne sonnant
  non plus en eux que nostre _i_ en _ire, simple, lice, lime_.
  Bref, ie suis d’opinion (si ma raison a quelque valeur), lors que
  tels mots grecs auront long-temps demeuré en France, les receuoir en
  nostre megnie[108], puis les marquer de l’_i_ françois pour monstrer
  qu’ils sont nostres, et non plus incogneus estrangers; car qui est
  celuy qui ne iugera incontinent que _Sibille, Cibelle, Cipris,
  Ciclope, Nimphe, lire_, ne soient naturellement grecs, ou
  pour le moins estrangers, puis adoptez en la famille des François,
  sans les marquer de tel espouuantail de Pythagore? Tu dois sçauoir
  qu’un peu devant le siecle d’Auguste, la lettre grecque Υ estoit
  incogneuë aux Romains, comme l’on peut voir par toutes les comedies
  de Plaute, où totalement tu le verras osté, ne se seruant point d’vn
  charactere estranger dans les noms adoptez, comme _Amphitruon_,
  pour _Amphitryon_: et si tu me dis qu’anciennement la lettre _y_ se
  prononçoit comme auiourd’huy nous faisons sonner nostre _u_ latin,
  il faut donc que tu le prononces encores ainsi, disant _Cubelle_
  pour _Cybelle_; mais ie te veux dire dauantage, que l’_y_ n’a pas
  esté tant affecté des Latins (ainsi qu’asseurent nos docteurs) pour
  le retenir comme enseigne en tous les vocables des Grecs tournez par
  eux en leur langue, mais ils l’ont ordinairement transformé, ores
  en _u_, comme μῦς, _mus_, ores en _a_, κύων, _canis_, ores en _o_,
  ὕπνος, _somnus_, tournant l’esprit aspre noté sur ὑ en _s_, comme
  estoit presque leur vieille coustume, auant que l’aspiration _h_ fust
  trouuée. Ie t’ay bien voulu admonester de cecy, pour te monstrer que
  tant s’enfaut qu’il faille escrire nos mots françois par l’_y_ grec,
  que nous le pouvons bien oster, suivant ce que i’ay dit, hors du nom
  naturel, pourueu qu’il soit vsité en nostre langue. Et si les Latins
  le retiennent en quelques lieux, c’est plus pour monstrer l’origine
  de leur quantité, que pour besoin qu’ils en ayent. S’il aduient que
  nos modernes sçauants se vueillent trauailler d’inuenter des dactyles
  et spondées en nos vers vulgaires, lors à l’imitation des Latins,
  nous le pourrons retenir dans les noms venus des Grecs, pour monstrer
  la mesme quantité de leur origine. Et si tu le vois encore en ce mot,
  _yeux_, seulement, sçache que pour les raisons dessus mentionnées,
  obeïssant à mes amis, ie l’ay laissé maugré moy, pour remedier à
  l’erreur auquel pourroient tomber nos scrupuleux vieillars, ayant
  perdu leur marque en la lecture des _yeux_ et des _jeux_ (_sic_): te
  suppliant, lecteur, vouloir laisser en mon liure la lettre _i_, en
  sa naïue signification, ne la deprauant point, soit qu’elle commence
  la diction, ou qu’elle soit au milieu de deux voyelles, ou à la
  fin du vocable, sinon en quelques mots, comme en _ie_, en _i’eus,
  iugement, ieunesse_, et autres, où abusant de la voyelle I, tu le
  liras pour I consonne inuenté par Meigret, attendant que tu receuras
  cette marque d’I consonne, pour restituer l’I voyelle en sa premiere
  liberté. Quant aux autres diphthongues[109], ie les ay laissées en
  leur vieille corruption, avecques insupportables entassemens de
  lettres, signe de nostre ignorance et de peu de iugement, en ce qui
  est si manifeste et certain: estant satisfait d’avoir deschargé mon
  liure, pour cette heure, d’vne partie de tel faix: attendant que
  nouueaux characteres seront forgez pour les syllabes _ll, gn,
  ch_ et autres. Quant à la syllabe _ph_, il ne nous faut autre note
  que nostre F, qui sonne autant entre nous que φ entre les Grecs,
  comme manifestement tu peux voir par ce mot φίλη, _feille_[110].
  Et si tu m’accuses d’estre trop inconstant en l’orthographe de ce
  liure, escriuant maintenant, espée, _épée_, accorder, _acorder_,
  vestu, _vétu_, espandre, _épandre_, blasmer, _blâmer_, tu t’en dois
  colerer contre toy mesmes, qui me fais estre ainsi, cherchant tous
  les moyens que je puis de seruir aux oreilles du sçauant, et aussi
  pour accoustumer le vulgaire à ne regimber contre l’éguillon, lors
  qu’on le piquera plus rudement, monstrant par cette inconstance, que
  si i’estois receu en toutes les saines opinions de l’orthographe, tu
  ne trouuerois en mon liure presque vne seule forme de l’escriture que
  sans raison tu admires tant.»

      [107] On a reconnu depuis la véritable origine, le latin
      _senior_, de ce mot sire. Il a été d’abord _senre_ ou _sendre_
      (_sendra_ dans le serment de 842), puis _sires_, et enfin
      _sire_, quand l’_s_ du cas-sujet eut disparu. L’accusatif
      _seniorem_ a donné le cas-régime _seignur, signor, seigneur_.
      Identiques à l’origine, comme _moindre_ et _mineur, mes
      sire_ et _mon seigneur_, ces deux cas d’un même mot ont été
      conservés dans la langue, avec des acceptions différentes. Mais,
      jusqu’au XIIIe siècle, ils étaient employés l’un comme sujet,
      l’autre comme régime. «Je me chevauchoie d’Amiens à Corbie;
      s’encontrai le roi et sa maisnie (maison, de _mansio_).--A cui
      es tu? dit-il.--_Sire_, je suis à mon _signor_.--Qui est tes
      _sires_?--Li barons me dame (le mari de ma dame).--Qui est ta
      dame?--La fame de mon _signor_.» (La _Riote del monde_, dans
      _Nouv. rec. de contes_, t. I, p. 473.)

      [108] Voir la note précédente.

      [109] Doubles consonnes, selon l’acception d’autrefois.

      [110] Peut-être faut-il lire φύλλον, _feuille_.




APPENDICE _C_.

OPINIONS DE PLUSIEURS MEMBRES DE L’ACADEMIE FRANÇAISE ET DE L’ACADÉMIE
DES BELLES-LETTRES SUR L’ORTHOGRAPHE ET LA RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE.

  (On trouvera plus loin, dans l’Appendice D, l’analyse des méthodes
  orthographiques proposées par plusieurs d’entre eux.)


Nicolas PERROT D’ABLANCOURT, membre de l’Académie en 1637. Partisan,
ainsi que Bossuet et Corneille, de la simplification de l’orthographe,
il s’exprime ainsi dans la préface de sa traduction de Thucydide
(Paris, 1622, in-fol.):

  «Avant que de finir il sera bon de mettre icy quelques remarques
  touchant l’Ortografe et la Grammaire..... Je suy l’ortografe
  moderne qui retranche les lettres superfluës et je ne mets qu’un
  T à _ataquer_, à _atendre_, pour empescher qu’on ne s’abuse à la
  prononciation. Et ceux qui soustiennent l’opinion contraire ne
  sçauroient nier que l’Ortografe ne se soit purifiée peu à peu puisque
  les langues ne sont jamais si parfaite que lorsqu’elles s’eloignent
  le plus de leur origine, et qu’elles ont perdu, s’il faut ainsi dire,
  les marques de l’enfance.»

Dans l’avertissement, qui n’a que six feuillets, j’ai recueilli des
mots ainsi écrits:

  _Acuser, afaire, afection, alumer, aparence, aparent,
  apeler, aprendre, aquerir, atacher, atribuer, avanture,
  condanner, le diférent, embaras, exemter, faloir_ (il a
  falu), _flater, flote, frase, lute, metempsycose, moquer,
  ocasion, ofrir, raport, raporter, soufrir, stile_; il
  écrit _modelle, fidelle, infidelle_; je _voy_, je _suy_; il
  supprime le _d_ à je _prens_, je _vens_; le _p_ à _tems_; il écrit
  _qu’ils vinsent_ et omet le _d_ et le _t_ dans les pluriels: les
  _grans hommes, les defaus_, etc. Il écrit aussi: _Philipe,
  Peloponese, Quersonese, Carès, Kios_ (l’île de Chio).


PIERRE CORNEILLE, membre de l’Académie française en 1647, s’est
beaucoup préoccupé de l’orthographe. Il désirait sinon une réforme
complète, du moins plus qu’une régularisation. Trente ans avant la
première édition du Dictionnaire de l’Académie, en tête de l’édition de
luxe donnée par lui-même en 1664 (le _Théâtre de P. Corneille, reveu
et corrigé par l’autheur_, impr. à Rouen, 2 vol. in-fol.), il s’exprime
ainsi dans un _Avis au lecteur_:

  «Vous trouuerez quelque chose d’étrange aux innouations en
  l’Ortographe que j’ay hazardées icy, et ie veux bien vous en rendre
  raison. L’vsage de nostre langue est à present si épandu par toute
  l’Europe, principalement vers le Nord, qu’on y voit peu d’Estats où
  elle ne soit connuë; c’est ce qui m’a fait croire qu’il ne seroit
  pas mal à propos d’en faciliter la prononciation aux estrangers,
  qui s’y trouuent souuent embarrassez par les diuers sons qu’elle
  donne quelquefois aux mesmes lettres. Les Hollandois m’ont frayé le
  chemin, et donné ouuerture à y mettre distinction par de differents
  caracteres, que jusqu’icy nos imprimeurs ont employé indifferemment.
  Ils ont séparé les _i_ et les _u_ consones d’auec les _i_ et les
  _u_ voyelles, en se seruant tousiours de l’_j_ et de l’_v_ pour
  les premieres, et laissant l’_i_ et l’_u_ pour les autres, qui
  jusqu’à ces derniers temps auoient esté confondus..... Leur exemple
  m’a enhardy à passer plus auant. I’ay veu quatre prononciations
  differentes dans nos _ſ_ et trois dans nos _e_, et j’ay cherché les
  moyens d’en oster toutes ambiguïtez, ou par des caracteres differens,
  ou par des régles generales, auec quelques exceptions. Ie ne sçay si
  j’y auray reüssi, mais si cette ébauche ne déplaist pas, elle pourra
  donner iour à faire vn trauail plus acheué sur cette matiere, et
  peut-estre que ce ne sera pas rendre vn petit seruice à nostre langue
  et au public.

  «Nous prononçons l’_s_ de quatre diuerses manieres: tantost nous
  l’aspirons, comme en ces mots, _peſte, chaſte_; tantost elle
  allonge la syllabe, comme en ceux-cy, _paſte, teſte_; tantost elle
  ne fait aucun son, comme à _eſblouïr, eſbranler, il eſtoit_;
  et tantost elle se prononce comme vn _z_, comme à _preſider,
  preſumer_. Nous n’auons que deux differens caracteres, _ſ_ et _s_,
  pour ces quatre differentes prononciations: il faut donc establir
  quelques maximes generales pour faire les distinctions entieres.
  Cette lettre se rencontre au commencement des mots, ou au milieu,
  ou à la fin. Au commencement elle aspire toujours: _ſoy, ſien,
  ſauuer, ſuborner_; à la fin, elle n’a presque point de son, et ne
  fait qu’allonger tant soit peu la syllabe, quand le mot qui suit se
  commence par vne consone, et quand il commence par vne voyelle, elle
  se détache de celuy qu’elle finit pour se joindre auec elle, et se
  prononce toûjours comme vn _z_, soit qu’elle soit précedée par vne
  consone ou par vne voyelle.

  «Dans le milieu du mot, elle est, ou entre deux voyelles, ou aprés
  vne consone, ou auant vne consone. Entre deux voyelles elle passe
  tousiours pour _z_, et aprés vne consone elle aspire tousiours,
  et cette difference se remarque entre les verbes composez qui
  viennent de la mesme racine. On prononce _prezumer, rezister_, mais
  on ne prononce pas _conzumer_, n’y _perzister_. Ces régles n’ont
  aucune exception, et j’ay abandonné en ces rencontres le choix des
  caracteres à l’imprimeur, pour se seruir du grand ou du petit, selon
  qu’ils se sont le mieux accommodez auec les lettres qui les joignent.
  Mais ie n’en ay pas fait de mesme, quand l’_ſ_ est auant vne consone
  dans le milieu du mot, et ie n’ay pû souffrir que ces trois mots,
  _reſte, tempeſte, vous eſtes_, fussent escrits l’vn comme l’autre,
  ayant des prononciations si differentes. I’ay reserué la petite _s_
  pour celle où la syllabe est aspirée, la grande pour celle où elle
  est simplement allongée, et l’ay supprimée entierement au troisiéme
  mot où elle ne fait point de son, la marquant seulement par vn accent
  sur la lettre qui la précede. I’ay donc fait ortographer ainsi les
  mots suiuants et leurs semblables, _peste, funeste, chaste, reſiste,
  espoir_; _tempeſte, haſte, teſte_; _vous étes, il étoit, ébloüir,
  écouter, épargner, arréter_. Ce dernier verbe ne laisse pas d’auoir
  quelques temps dans sa conjugaison où il faut lui rendre l’_ſ_,
  parce qu’elle allonge la syllabe, comme à l’impératif _arreſte, qui
  rime bien auec teſte_, mais à l’infinitif et en quelques autres où
  elle ne fait pas cet effet, il est bon de la supprimer et escrire,
  _j’arrétois, j’ay arrété, j’arréteray, nous arrétons_, etc.

  «Quant à l’_e_, nous en auons de trois sortes. L’_e_ feminin qui
  se rencontre tousiours ou seul, ou en diphtongue dans toutes les
  dernieres syllabes de nos mots qui ont la terminaison feminine, et
  qui fait si peu de son, que cette syllabe n’est iamais contée à rien
  à la fin de nos vers feminins, qui en ont tousiours vne plus que les
  autres. L’_e_ masculin qui se prononce comme dans la langue latine,
  et vn troisième _e_ qui ne va iamais sans l’_s_, qui luy donne vn
  son esleué qui se prononce à bouche ouuerte, en ces mots, _ſucces,
  acces, expres_. Or comme ce seroit vne grande confusion que ces
  trois _e_ en ces trois mots, _aſpres, verite_ et _apres_, qui ont
  vne prononciation si differente, eussent vn caractère pareil, il
  est aisé d’y remedier, par ces trois sortes d’_e_ que nous donne
  l’imprimerie, _e, é, è_, qu’on peut nommer l’_e_ simple, l’_e_
  aigu et l’_e_ graue[111]. Le premier seruira pour nos terminaisons
  feminines, le second pour les latines, et le troisième pour les
  esleuées, et nous escrirons ainsi ces trois mots et leurs pareils,
  _aſpres, verité après_, ce que nous estendrons à _ſuccès, excès,
  procès_, qu’on auoit jusqu’icy escrits auec l’_e_ aigu, comme les
  terminaisons latines, quoy que le son en soit fort different. Il est
  vray que les imprimeurs y auoient mis quelque difference, en ce que
  cette terminaison n’estant iamais sans _ſ_, quand il s’en rencontroit
  vne aprés vn _é_ latin, ils la changeoient en _z_ et ne la faisoient
  préceder que par vn _e_ simple. Ils impriment _veritez, deïtez,
  dignitez_ et non _verités, deïtés, dignités_, et j’ay conserué
  cette ortographe: mais pour éuiter toute sorte de confusion entre le
  son des mots qui ont l’_e_ latin sans _ſ_, comme _verité_, et ceux
  qui ont la prononciation éleuée comme _succès_, j’ay crû à propos
  de nous seruir de differents caracteres, puisque nous en auons, et
  donner l’_è_ grave à ceux de cette derniere espece. Nos deux articles
  pluriels, _les_ et _des_ ont le mesme son, quoy qu’écrits avec l’_e_
  simple: il est si mal-aisé de les prononcer autrement, que ie n’ay
  pas crû qu’il fust besoin d’y rien changer. Ie dy la mesme chose
  de l’_e_ deuant deux _ll_, qui prend le son aussi esleué en ces
  mots _belle, fidelle, rebelle_, etc., qu’en ceux-cy, _succès,
  excès_; mais comme cela arriue tousiours quand il se rencontre auant
  ces deux _ll_, il suffit d’en faire cette remarque sans changement
  de caractere. Le mesme arriue deuant le simple _l_, à la fin du mot
  _mortel, appel, criminel_ et non pas au milieu, comme en ces mots
  _celer, chanceler_, où l’_e_ auant cette _l_ garde le son de l’_e_
  feminin.

      [111] Il est regrettable que, dans cette excellente réforme,
      Corneille n’ait pas, tout au contraire, nommé grave l’_e_ que
      nous appelons _aigu_, et aigu celui que nous nommons _grave_;
      cela eût été plus logique, puisque la voix s’abaisse en pesant
      sur le premier et s’élève sur le second.

  «Il est bon aussi de remarquer qu’on ne se sert d’ordinaire de l’_é_
  aigu qu’à la fin du mot, ou quand on supprime l’_ſ_ qui le suit,
  comme à _établir, étonner_: cependant il se rencontre souuent au
  milieu des mots auec le mesme son, bien qu’on ne l’escriue qu’avec
  vn _e_ simple, comme en ce mot _seuerité_ qu’il faudroit escrire
  _séuérité_, pour le faire prononcer exactement, et peut-estre le
  feray-je obseruer en la premiere impression qui se pourra faire de
  ces recueils.

  «La double _ll_ dont ie viens de parler à l’occasion de l’_e_ a
  aussi deux prononciations en nostre langue, l’vne seche et simple,
  qui suit l’ortographe, l’autre molle qui semble y joindre vne _h_.
  Nous n’auons point de differents caracteres à les distinguer, mais
  on en peut donner cette régle infaillible. Toutes les fois qu’il
  n’y a point d’_i_ auant les deux _ll_, la prononciation ne prend
  point cette mollesse: en voicy des exemples dans les quatre autres
  voyelles, _baller, rebeller, coller, annuller_. Toutes les
  fois qu’il y a vn _i_ auant les deux _ll_, soit seul, soit en
  diphtongue, la prononciation y adjouste vne _h_. On escrit _bailler,
  éueiller, briller, chatoüiller, cueillir_ et on prononce
  _baillher, éueillher, brillher, chatouillher, cueillhir_.
  Il faut excepter de cette régle tous les mots qui viennent du latin
  et qui ont deux _ll_ dans cette langue, comme _ville, mille,
  tranquille, imbecille, distille, illustre, illegitime,
  illicite_, etc. Ie dis qui ont deux _ll_ en latin, parce que les
  mots de _fille_ et _famille_ en viennent et se prononcent auec cette
  mollesse des autres, qui ont l’_i_ deuant les deux _ll_ et n’en
  viennent pas; mais ce qui fait cette difference, c’est qu’ils ne
  tiennent pas les deux _ll_ des mots latins _filia_ et _familia_ qui
  n’en ont qu’vne, mais purement de nostre langue. Cette régle et cette
  exception sont generales et asseurées. Quelques modernes, pour oster
  toute l’ambiguïté de cette prononciation, ont escrit les mots qui se
  prononcent sans la mollesse de l’_h_ auec vne _l_ simple, en cette
  maniere, _tranquile, imbecile, distile_, et cette ortographe
  pourroit s’accommoder dans les trois voyelles _a, o, u_, pour
  escrire simplement _baler, affoler, annuler_, mais elle ne
  s’accommoderoit point du tout auec l’_e_ et on auroit de la peine à
  prononcer _fidelle_ et _belle_ si on escriuoit _fidele_ et _bele_;
  l’_i_ mesme sur lequel ils ont pris ce droit ne le pourroit pas
  souffrir tousiours et particulierement en ces mots _ville, mille_,
  dont le premier, si on le reduisoit à vne _l_ simple, se confondroit
  auec _vile_, qui a vne signification toute autre.

  «Il y auroit encor quantité de remarques à faire sur les differentes
  manieres que nous auons de prononcer quelques lettres en nostre
  langue; mais ie n’entreprends pas de faire vn traité entier de
  l’ortographe et de la prononciation, et me contente de vous auoir
  donné ce mot d’auis touchant ce que i’ay innoué icy. Comme les
  imprimeurs ont eu de la peine à s’y accoustumer, ils n’auront pas
  suiuy ce nouuel ordre si punctuellement qu’il ne s’y soit coulé bien
  des fautes: vous me ferez la grace d’y suppléer.»


On peut, en effet, juger du désordre orthographique qui s’était
introduit dans les imprimeries d’alors par la longue citation textuelle
que je viens de reproduire. Ce n’est donc point un faible service
que rendit la publication du Dictionnaire de l’Académie en apportant
quelque remède à cette anarchie.

C’est un grand mérite à Corneille d’avoir proposé, comme nous venons
de le voir, une accentuation régulière de l’_e_ plus de cent ans avant
que l’Académie l’introduisît complétement dans le Dictionnaire. Quant
à la distinction qu’il suggère de l’_ſ_ longue et de la petite _s_,
elle devint inutile dès 1740 par l’emploi de l’_é_ aigu et de l’_ê_
circonflexe, ces deux accents ayant remplacé l’_s_.

Il est regrettable que Corneille, sans doute à cause de son âge, n’ait
pu assister aux premières délibérations des Cahiers; son autorité,
secondée par celle de Bossuet, eût sans doute fait prévaloir beaucoup
d’améliorations dont quelques-unes ne sont pas encore réalisées.


Jacques-Bénigne BOSSUET, membre de l’Académie vers 1670, prit une
part active à la rédaction du Dictionnaire. Ses idées en matière
d’orthographe, dont on trouve quelques traces dans le manuscrit
existant à la Bibliothèque impériale des _Résolutions de l’Académie
françoise touchant l’orthographe_[112], sont aussi libérales que
progressives. On en jugera par les quelques passages suivants que
j’extrais de l’introduction des Cahiers dans l’édition donnée par M.
Marty-Laveaux:

      [112] C’est le titre primitif des Cahiers sur l’orthographe.

  «Parmi les lettres qui ne se prononcent pas et que l’Académie a
  dessein de retenir, il y en a qui ne seruent guere a faire connoistre
  l’origine; de plus il faut marquer de quelle origine on ueut parler,
  car l’ancienne orthographe retient des lettres qui marquent l’origine
  a l’egard des langues etrangeres, latine, italienne, alemande, et
  d’autres qui font connoistre l’ancienne prononciation de la France
  mesme. Il faut demesler tout cela. Autrement des le premier pas on
  confondra toutes les idées.»

  «On ueut suivre, dit-on, l’ancienne orthographe (art. Ier des
  Cahiers) et cependant on la condamne ici et ailleurs une infinité
  de fois. Ueut on ecrire _recebuoir, deub, nuict_, etc.? On
  les reiette. Ce n’est donc pas l’ancienne orthographe qu’on ueut
  suiure, mais on ueut suiure l’usage constant et retenir les restes
  de l’origine et les uestiges de l’antiquité autant que l’usage le
  permettra.»

On avait proposé de dire dans les _Résolutions_: «C’est une vilaine et
ridicule orthographe d’escrire par un _a_ ces syllabes qu’on a touiours
escrites _en_ et _ent_, par exemple d’orthographier _antreprandre,
commancemant, anfant, sansemant_, etc.» Bossuet, plus grammairien en
cette circonstance que Regnier des Marais, qui voulait qu’on passât à
l’ordre du jour, s’exprime en ces termes:

  «Il y a pourtant ici quelques regles a donner pour l’instruction.
  La regle la plus generale c’est de retenir _en_ par tout ou il y a
  _en_ ou _in_ en latin, comme dans _in, intra_ et leurs composez.
  Cependant dans les participes qui ont _ens_ en latin on ne laisse pas
  de dire en francois _lisant, peignant, oyant, feignant_, etc.,
  et de mesme pour les gerondifs _legendo, patiendo_, en _lisant_, en
  _pâtissant_, etc. Les mesmes participes deuenant adiectifs reprennent
  l’_e_ comme _intelligens_, intelligent, _patiens_, patient,
  _negligens_, negligent, et ainsi des autres. On pourroit donc donner
  pour regle que tous les participes et gerondifs ont _ant_, que tous
  les adverbes et noms en _mant_ s’escriuent _ment_, parce que les
  noms semblent uenir de quelques latins terminez en _mentum_, et les
  adverbes semblent uenir: _fortement_ de _forti mente_.....

  «Au reste, je ne uoudrois pas faire de remarques contre l’orthographe
  impertinente de Ramus, mais on peut faire uoir par cet excez l’equité
  de la regle que la Compagnie propose comme je dis a la fin.....

  «Le principal est de se fonder en bons principes et de bien faire
  connoistre l’intention de la Compaignie: qu’elle ne peut souffrir une
  fausse regle qu’on a uoulu introduire d’escrire comme on prononce,
  parce qu’en uoulant instruire les estrangers et leur faciliter la
  prononciation de nostre langue, on la fait mesconnoistre aux François
  mesmes. Si on ecrivoit _tans, chan, cham, emais_ ou _émês,
  anterreman, connaissais_[113], _faisaient_, qui reconnoistroit
  ces mots? On ne lit point lettre à lettre, mais la figure entiere
  du mot fait son impression tout ensemble sur l’œil et sur l’esprit,
  de sorte que quand cette figure est considerablement changée tout à
  coup, les mots ont perdu les traits qui les rendent reconnoissables
  a la ueüe et les yeux ne sont point contents[114]. Il y a aussi une
  autre ortographe qui s’attache scrupuleusement a toutes les lettres
  tirées des langues dont la nostre a pris ses mots, et qui ueut
  escrire _nuict, escripture_, etc. Celle la blesse les yeux d’une
  autre sorte en leur remettant en ueüe des lettres dont ils sont
  desaccoutumez et que l’oreille n’a iamais connus (_sic_)[115]. C’est
  la ce qui s’appelle l’ancienne orthographe uicieuse. La Compaignie
  paroistra conduite par un iugement bien reglé quand apres auoir
  marqué ces deux extremitez si manifestement uitieuses, elle dira
  qu’elle ueut tenir un juste milieu. Qu’elle se propose:

    «1º De suiure l’usage constant de ceux qui sçauent écrire;

    «2º Qu’elle ueut tascher de rendre autant qu’il se pourra l’usage
    uniforme;

    «3º De le rendre durable;

      [113] C’est pourtant ainsi que l’on écrit ce mot aujourd’hui.

      [114] Je n’ai pu vérifier sur l’original la manière dont ce
      mot est écrit par Bossuet, et cependant son esprit logique le
      conduisait à écrire _comme on prononce_: CONTANT. Ainsi, dans le
      manuscrit original de Bossuet du troisième sermon tout entier que
      j’ai examiné, il écrit, p. 37, _contanter_; p. 38, _contant_;
      p. 39, _contantement_; p. 45, pourvu que je sois _contant_.
      Ce n’est donc pas un _lapsus calami_, puisque jamais dans ces
      mots l’_a_ n’est remplacé par l’_e_. Il en est de même pour le
      mot _atantif_; ainsi on lit, p. 39 (_recto_), _atantions_ et
      (_verso_) _atantifs_; p. 40, _atantifs_ et _atantion_; p. 46,
      _atantif_; à la page 48 (_verso_), la raison touiours _atantive_
      et touiours _constante_. Ailleurs, il écrit avec un seul _t_:
      _ataque, flate, frote_, et sans _y_ les mots _tiran, mistere,
      misterieux_. Dans un autre sermon, p. 17, je lis: n’est-ce pas
      lui qui les a _assamblés_. Voir App. E.

      [115] On peut aujourd’hui, grâce au progrès des études
      philologiques, reconnaître tout ce que cette remarque ingénieuse
      de Bossuet a de profond et de juste. Le _ct_ des Latins s’était
      changé en français en _it_ et non en _ct_; exemple: _nuit, fait,
      trait, étroit, réduit, conduit_; _allaicter, nuict, faict,
      étroict_, etc., ne sont que de malencontreuses corrections des
      grammairiens du XVIe siècle.

  «Qu’elle a dessein pour cela de retenir les lettres qui marquent
  l’origine de nos mots, sur tout celles qui se uoyent dans les
  mots latins, si ce n’est que l’usage constant s’y oppose; que
  comme la langue latine ne change plus, cela servira à fixer nostre
  orthographe; que ces lettres ne sont pas superflües parce qu’outre
  qu’elles marquent l’origine, ce qui sert mesme a mieux apprendre
  la langue latine, elles ont diuers autres usages, comme de marquer
  les longues et les breues, les lettres fermées et ouuertes, la
  difference de certains mots que la prononciation ne distingue pas,
  etc. Que la Compaignie pretend retenir non seulement les lettres qui
  marquent l’origine, mais encore les autres que l’usage a conseruées,
  par ce qu’oultre qu’elle ne ueut point blesser les yeux qui y sont
  accoustumez, elle desire autant qu’il se peut que l’usage deuienne
  stable, ioint qu’elles ont leur utilité qu’il faudra marquer, etc.»

Ce juste milieu que Bossuet proposait à l’illustre Compagnie de
tenir entre l’orthographe ancienne, surchargée de lettres prétendues
étymologiques qui ne se prononçaient pas, et l’écriture des novateurs,
purement figurative de la prononciation, est encore aujourd’hui
le parti de la sagesse. L’Académie de 1694 ne s’en tint pas à ces
idées; elle se jeta alors, à la suite de Regnier des Marais et des
latinistes, et contrairement aux principes de Corneille et de Bossuet,
dans une voie hérissée de difficultés en voulant concilier à la fois
la tradition de la prononciation du français, l’usage qui tend sans
cesse à simplifier, et la conformité au latin, où, à défaut d’une
accentuation écrite, la duplication de la consonne semble avoir eu pour
but de rendre longue la syllabe qui la précède. En transportant ainsi
au français les règles de la quantité du latin, on s’exposerait à
méconnaître profondément le génie de notre langue.

Bossuet avait pressenti cet écueil, car on trouve encore cette note de
sa main:

  «Il faudroit expliquer a fond la quantité françoise en quelque
  endroit du Dictionnaire aussi bien que l’orthographe. La principale
  remarque à faire sur cela, c’est que la poesie françoise n’a aucun
  egard à la quantité que pour la rime et nullement pour le nombre et
  pour la mesure; ce qui fait soupçonner que nostre langue ne marque
  pas tant les longues a beaucoup pres que la grecque et la latine.»

Les travaux les plus récents ont encore une fois donné raison à Bossuet
en établissant qu’il n’existe pas en français de quantité métrique,
c’est-à-dire mesurable, mais bien un accent tonique, placé en général
sur la même syllabe qui le portait dans le mot du latin rustique dont
est sorti notre idiome.


L’abbé de DANGEAU, membre de l’Académie française en 1682.

  «Il y aurait, dit M. Gabriel Henry (_Hist. de la langue française_),
  de l’ingratitude à passer sous silence les services essentiels que
  l’abbé de Dangeau rendit à la langue en nous donnant une idée claire
  de ses sons originaires, en fixant irrévocablement la nature du
  son nasal, confondu si souvent avec les consonnes par nos anciens
  grammairiens, en examinant la nature des temps du verbe et en nous en
  faisant connaître les différentes propriétés. On regrette, pourtant,
  qu’il ne nous ait pas développé ses idées dans toute la suite d’un
  système grammatical; mais le peu qu’il nous a laissé lui assure une
  place distinguée parmi nos grammairiens. Ses successeurs n’ont eu
  qu’à le copier dans les articles qu’il a rendus publics.»

Dangeau reconnaît dans la langue française quinze voyelles ou sons
simples qu’il classe ainsi:

Cinq voyelles latines: _a, é, i, o, u_;

Cinq voyelles françaises: _ou, eu, au, è_ ouvert (comme dans
_cyprès_), _e_ muet (comme dans _juste_);

Cinq voyelles sourdes ou esclavones, ou nasales: _an, en, in, on, un_.

   «Chez les Latins, dit-il, des mots dérivés du grec sont écrits
  tantôt par _ph_ et tantôt par _f_. Preuve certaine qu’ils ne
  prononçoient pas le _ph_ comme l’_f_. Quand il leur est arrivé
  d’adoucir l’aspiration du φ grec, ils ne se sont plus servis du _ph_.
  Pourquoi donc ne pas imiter les Italiens et les Espagnols, qui n’ont
  pas crû être obligez à garder l’ortographe latine dans les mots venus
  du grec, et qui écrivent _teologo_ sans _h, filosofo et Filippo_
  par des _f_, etc.?»

Tout le travail de l’abbé Dangeau, qui occupe les pages 1 à 231 des
_Opuscules_ de d’Olivet, cités au bas de cette page, mérite d’être lu
avec attention: non-seulement on y trouve les vues les plus originales,
les plus justes et les plus profondes sur la classification des sons
du français, mais de curieux détails sur la prononciation de la fin du
dix-septième siècle. Voir à l’Appendice D l’analyse de la réforme de
Dangeau.


L’abbé de CHOISY, membre de l’Académie française en 1687.

En tête de son Journal de l’Académie françoise[116], il donne les
explications suivantes:

      [116] Ce journal, dont l’Académie ne voulut point permettre la
      publication, parce que cette société trouvait qu’il était d’un
      style trop libre et ressemblait trop à celui du _Journal de
      Siam_, du même auteur, a paru dans le volume publié en 1754 (par
      d’Olivet) sous le titre d’_Opuscules sur la langue françoise, par
      divers académiciens_, Paris, Brunet, in-12.

  «Au commencement de l’année 1696, l’Académie résolut, à la pluralité
  des voix, qu’on travailleroit en deux Bureaux; que, dans le premier,
  on reverroit le Dictionnaire, et que, dans le second, on proposeroit
  des doutes sur la langue, qui, dans la suite, pourroient servir de
  fondement à une Grammaire. Messieurs Charpentier, Perrault, Corneille
  (T.), et MM. les abbez de Dangeau et de Choisy promirent assiduité au
  second Bureau; c’est le dernier nommé (de ces membres) qui se chargea
  de tenir la plume pendant le reste du quartier.»

Suivent les questions rangées par chapitres, où l’abbé de Choisy expose
les diverses opinions de chacun pour et contre; il s’occupe plutôt
des difficultés grammaticales proprement dites, cependant il déclare
«que les caractères sont faits pour peindre les sons, et que, par
conséquent, l’orthographe la moins imparfaite est celle qui nous expose
le moins à prononcer mal.»


Voici au XIXe chapitre, relatif à l’_Orthographe_, un récit curieux des
difficultés qu’offrait ce genre de discussion dans l’Académie pour le
Dictionnaire de 1694, difficultés qui se reproduisirent pour l’édition
de 1740 et dont l’abbé d’Olivet nous a donné le récit.

  «Un de Messieurs, rapporte de Choisy, sur la fin de la séance
  précédente, avoit proposé de faire quelques changemens à
  l’orthographe de l’Académie, et, par exemple, de mettre une _s_, pour
  plus grande uniformité, à tous les pluriels (ce que Corneille avait
  proposé dès 1666). Un autre, qui abhorre les changemens, a commencé
  aujourd’hui par nous mettre devant les yeux ces deux vers d’_Athalie_:

        Quel est-il cet objet des pleurs que vous versez?
        Les jours d’Éliacin seroient-ils menacez?

  «Vous prétendez, nous a-t-il dit, qu’il est à propos que l’écriture
  fasse distinguer le verbe d’avec les substantifs, adjectifs et
  participes, ce qui sera très-aisé, lorsqu’on réservera l’_s_ pour les
  pluriels de tous ceux-ci, et le _z_ pour le verbe seul. Ainsi, selon
  vous, il faudra écrire:

        Quel est-il cet objet des pleurs que vous versez?
        Les jours d’Éliacin seroient-ils menacés?

  «Mais cette imagination n’est pas nouvelle, puisqu’il y a deux
  siècles qu’elle à été proposée, sans néanmoins que le public ait
  paru en faire cas. Il n’y a qu’à ouvrir les Grammaires de Ramus,
  de Pelletier et de bien d’autres qui s’érigèrent en réformateurs
  d’orthographe peu de temps après la mort de François Ier. On s’est
  moqué d’eux. Hé! depuis quand l’orthographe auroit-elle pour but de
  spécifier et de faire distinguer les parties d’oraison? Assurément,
  sur cent femmes qui parlent très-bien, et qui même écrivent
  correctement, il n’y en a pas dix qui sachent ce que c’est que
  participe. _Versez_ est un verbe, _menacez_ est un participe: donc il
  faut les écrire différemment? Pour moi, je ne vois ici qu’un principe
  qui soit également avoué, tant par ceux qui se plaisent à introduire
  des nouveautez, que par ceux qui tiennent pour l’usage ancien. Quel
  est ce principe? Que les caractères sont faits pour peindre les
  sons, et que, par conséquent, l’orthographe la moins imparfaite est
  celle qui nous expose le moins à prononcer mal. Or il est clair que
  ce mot, _menacez_, se prononce absolument de même, et sans la plus
  légère différence, soit qu’on le fasse verbe, comme quand je dis,
  _vous menacez_, soit qu’on le fasse participe, comme dans le vers de
  M. Racine, _seroient-ils menacez_. Pourquoi donc, où il ne s’agit
  que d’un seul et même son, employer deux signes différens? Une règle
  d’orthographe qui suppose qu’on sait toujours distinguer le verbe
  d’avec un nom, n’est bonne que pour ceux qui ont étudié; au lieu
  que celle qui fut adoptée par nos pères est à la portée de tout le
  monde. Personne, en effet, ne manque assez d’oreille pour confondre
  l’_è_ ouvert comme dans _procès, succès_, avec l’_é_ fermé, comme
  dans _aimé, bonté_. Voilà le cas où il est utile d’avoir deux
  signes, puisqu’il y a deux sons. Aussi prenons-nous l’_s_ pour le
  signe de l’_è_ ouvert, _procès, succès_; et le _z_ pour le signe
  de l’_é_ fermé, quand le mot est au pluriel, _vous aimez, vous
  êtes aimez_. Règle qui ne souffre aucune exception, qui se
  conçoit sans étude, qui se retient sans effort. On accentue l’_è_
  quand il est ouvert, _procès_, de peur qu’on ne le prenne pour un
  _e_ muet, comme dans _frivoles, paroles_, où l’_s_ n’a lieu que
  pour marquer le pluriel. Ajoutons que le _z_ a cela de commode, qu’il
  nous dispense de lever la main pour former un accent. On écrit tout
  de suite _bontez_; au lieu que pour écrire _bontés_, il faut que
  j’aie l’attention et la patience d’aller chercher la lettre qui doit
  recevoir l’accent, et que je risque encore de mettre un grave pour
  un aigu. Quoi qu’il en soit, l’Académie ne s’est jamais départie du
  _z_, et cette raison en vaudra toujours mille autres pour moi. Je
  ne dis point que pour observer cette belle uniformité dans tous les
  pluriels, il faudroit donc écrire, les _travaus_, les gens _heureus_,
  _nos vœus_. O! que nos livres en deviendroient bien plus _beaus_!»

  «Après avoir entendu ce que je viens de rapporter, et qui avoit été
  dit avec un peu de chaleur, tout le monde jugea que le mieux étoit
  d’abandonner la matière, parce qu’on a toujours vu que les disputes
  sur l’orthographe ne finissoient point, et que d’ailleurs elles n’ont
  jamais converti personne.»


  On traita ensuite cette question d’orthographe: «CHAPITRE XX. _J’ai
  été payé des sommes qu’on m’avoit données, ou, donné à recevoir d’un
  tel[117].

      [117] Après deux siècles, des questions quelque peu analogues
      sont encore en litige. _Et adhuc sub judice lis est._

  «Le premier opinant a dit qu’il falloit dire, _j’ai été payé des
  sommes qu’on m’avoit_ données _à recevoir_, parce que, les _sommes_
  étant au pluriel, _données_ y devoit être aussi.

  «Pour moi, a dit le second opinant, je suis d’un avis contraire.
  Les sommes sont reçues, et non pas données. Ce qu’on donne, c’est
  à recevoir: on reçoit les sommes. Ainsi il faut dire, _donné à
  recevoir_.

  «Un troisième, se rangeant du côté du second, a dit que, si l’on
  pouvoit renverser la phrase et dire, _à lesquelles recevoir on
  m’a donné_, on verroit bien que _recevoir_ régit _les sommes_, et
  que _donné_ régit _recevoir_. On m’a donné à faire quelque chose;
  l’action qu’on m’a donnée à faire, c’est de recevoir. Au lieu de
  _donner_, mettons le mot de _prier_; et au lieu de dire, _les sommes
  qu’on m’a donné à recevoir_, disons, _qu’on m’a prié de recevoir_;
  vous verrez que vous ne sauriez dire, _les sommes qu’on m’a priées de
  recevoir_, mais qu’il faut dire, _qu’on m’a prié de recevoir_.

  «Le quatrième opinant a été de même avis: que ce qu’on donnoit
  n’étoit pas les sommes, mais une action à faire. On me donne à
  recevoir ces sommes-là et l’on ne me donne pas ces sommes-là.

  «Ceux qui ont suivi ont dit qu’ils avoient bien vû d’abord qu’il
  falloit dire _donné à recevoir_, ne consultant que l’usage; et que ce
  qu’avoient dit les derniers opinans, les confirmoit dans un avis dont
  ils n’avoient pas examiné jusques-là toutes les raisons grammaticales.

  «Mais, Monsieur, a repris quelqu’un, si pour juger de la bonté d’une
  phrase, il est nécessaire d’examiner, comme viennent de faire ces
  Messieurs, et les verbes et leurs régimes, si c’est un participe, ou
  un gérondif, où en serons-nous? J’ai bien peur que ces Messieurs qui
  raisonnent tant, ne trouvent moyen de nous fournir aujourd’hui des
  raisons pour une opinion, et demain d’autres raisons aussi bonnes,
  peut-être meilleures, pour le sentiment contraire. Je me souviens
  d’avoir vû faire quelque chose de semblable à feu Monsieur de Marca
  dans nos assemblées du clergé: il soutenoit tantôt un avis, et tantôt
  un autre, selon les occasions; et il avoit toujours à nous alléguer
  quelque canon, qui paroissoit fait exprès pour lui. Ainsi, Messieurs,
  tous vos raisonnemens me paroissent fort suspects.

  «Hé bien, Monsieur, trouvons un moyen de nous accommoder, a dit
  un[118] de ceux qui est le plus accusé d’aimer à raisonner. Quand on
  vous présente une phrase, le grand usage que vous avez du beau monde,
  du monde poli, fait que vous prenez aisément le bon parti. C’est
  peut-être par un usage qui en approche, que nous nous déterminons
  aussi, ces autres Messieurs et moi. Mais après avoir porté notre
  premier jugement, et avoir dit, Cette manière de parler me plaît, ou
  me déplaît, nous rentrons un peu en nous-mêmes, et nous nous disons:
  Voyons un peu ce qui rend cette manière de parler vicieuse; voyons
  ce qui la rend bonne. Alors ayant recours à nos participes, à nos
  régimes, à nos gérondifs, et à tout cet attirail, que vous avez peur
  qui ne vienne du pays latin, nous tâchons de découvrir les raisons
  de notre premier goût, et nous sommes quelquefois assez hardis pour
  faire quelques petites règles générales, à l’occasion d’un sentiment
  particulier. Un homme voit un bâtiment: du premier coup d’œil il dit:
  Cela me plaît, cela me déplaît. Il y a tel homme de bon goût, qui par
  le grand usage qu’il a d’avoir vû des maisons, d’avoir connu celles
  qui plaisent et celles qui déplaisent aux connoisseurs, dit fort à
  propos: Cela me plaît, cela me déplaît. Demandez-lui-en la raison,
  il ne sauroit vous la dire. Mais faites venir M. Perrault: aussi-tôt
  Vitruve en campagne, les cinq ordres d’architecture, et tout ce qu’il
  sait par sa méditation, jointe à un grand usage des bâtimens.

      [118] M. l’abbé de Dangeau.

  «Voyons, avec vos règles, a dit l’homme[119] de Monsieur de Marca,
  que direz-vous de cette phrase: _Elle s’est laissée emporter à la
  colère_? Faut-il dire: _elle s’est laissé emporter_, etc.

      [119] M. l’abbé Testu, abbé de Belval.

  «Je ne blâmerois peut-être ni l’un ni l’autre, a-t-il répondu.
  Mais de grâce, lui a-t-on répliqué, rentrez un peu en vous-même,
  comme vous nous avez tout à l’heure si bien dit qu’il falloit
  faire quelquefois; et faites-nous voir sur quoi vous fondez votre
  indulgence, et pourquoi vous souffrez qu’on dise, _elle s’est_
  laissée _emporter à la colère_, et que vous ne voulez pas dire, _les
  sommes qu’on m’a_ données _à recevoir_.

  «En vérité, Monsieur, a-t-il répondu froidement, je suis las de
  raisonner. Permettez-moi de m’abandonner de temps en temps à mon
  instinct et à un peu de paresse, et de laisser en repos toutes mes
  règles de grammaire. Je vois ici tant d’honnêtes gens qui font la
  même chose, et qui ne font peut-être pas mal.

  «Hé bien, Monsieur, a dit celui qui avait cité Monsieur de Marca, je
  crois qu’il faut dire, _elle s’est_ laissée _emporter à la colère_;
  et puisque vous ne voulez pas nous en dire la raison, je m’en vais
  me mettre à votre place, et peut-être vous l’apprendre. _Elle
  s’est_ laissée _emporter_ se dit, parce qu’il est plus doux à la
  prononciation. La voyelle qui commence le mot d’_emporter_ mange la
  dernière du mot _laissée_, et empêche la rencontre de ces deux _e_,
  qui auroit quelque chose de trop languissant.

  «Mais, Monsieur, a dit un troisième, s’il y avoit _surprendre_ au
  lieu d’_emporter_, croiriez-vous qu’il fallût dire, _elle s’est_
  laissée _surprendre_? Pour moi, je ne le crois pas; et moins
  indulgent que Monsieur qui a parlé avant vous, je veux qu’on dise,
  _elle s’est_ laissé _emporter à la colère_, comme on dit, les _sommes
  qu’on m’a_ donné _à recevoir_.»


L’abbé GIRARD, membre de l’Académie française en 1744, publia, au
commencement du dix-huitième siècle, plusieurs ouvrages importants
sur la langue, et entre autres ses _Synonymes françois, leurs
différentes significations et le choix qu’il faut en faire pour parler
avec justesse_. C’était le premier ouvrage sur cette matière: son
succès fut très-grand et s’est perpétué jusqu’à nos jours, grâce aux
éditions qu’en ont données Beauzée et M. Guizot. Deux ans avant la
première édition, qui parut sous le titre de _Justesse de la langue
françoise_, il fit paraître un projet de réforme orthographique sous
ce titre: _L’ortografe française sáns équivoques et dàns sés principes
naturels, ou l’art d’écrire notre langue selon lés loix de la raison
et de l’usage, d’une manière aisée pour lés dames, comode pour lés
étrangérs, instructive pour lés provinciaux, et nécessaire pour
exprimer et distinguer toutes lés diférances de la prononciacion_,
Paris, Pierre Giffart, 1716, in-12. Je crois devoir reproduire ici en
partie l’introduction, en supprimant les exemples, pour me borner à
l’argumentation pour et contre la réforme:

  «Tout le monde convient assez que l’ortografe est la manière de
  représanter fidèlemànt à la vue par lés caractères qui sont en usage
  le son dés paroles que la voix fait entandre à l’oreille. Mais tout
  le monde, ce me samble, ne convient pàs égalemànt de ce qui doit
  régler la manière de le faire. Lés uns veulent que le seul usage
  en décide: ils nomment Usage ce qui est observé par le plus grand
  nombre, et par ceux qui, n’osant se doner aucune liberté raisonable,
  se font un scrupule de suivre tout ce qui a l’air de nouvauté. Lés
  autres prétandent corriger l’Usage par la Raison: ils nomment Raison
  tout ce que la netteté et la facilité leur inspirent d’observer
  dàns l’ortografe, indépandammànt de la pratique la plus générale
  et la plus universellemànt suivie par le commun dés écrivains. Cés
  deux partis ont doné la naissance à un troisième, qui, craignant de
  contredire la Raison et n’osant contrarier l’Usage, tantôt se done à
  celui-ci et quelquefois se prête à celle-là.

  «Les défanseurs de l’Usage ne sont pàs si fort lés antagonistes de
  la Raison, qu’ils ne prétandent aussi la mettre de leur côté. Ils
  disent que puisque lés mots et la prononciacion dépandent du seul
  Usage, la manière de lés écrire, qui ne parait qu’accessoire, doit
  entièremànt en dépandre. Que c’est, en effet, obéir à la Raison que
  de suivre l’Usage en cés sortes de matières. Qu’après tout il n’est
  pàs si contraire au bon sans qu’on voudrait le faire croire. Que s’il
  y a dés lettres inutiles pour la prononciacion, elles ne le sont pàs
  pour la distinction dés mots et pour la siance de l’Étimologie.....
  Enfin, ils ajoutent que l’Usage est tellemànt le maitre de la
  manière d’écrire qu’on ne peut l’abandoner et se faire une ortografe
  particulière, sàns s’attirer dés reproches d’ignorance ou de bizarre
  ridicule. Qu’écrire autremànt que lés autres, c’est vouloir n’être
  point lû. Que ce seroit même gâter l’écriture et la langue que d’ôter
  toutes les lettres inutiles à la prononciacion dés mots; il faudroit
  par cete raison bannir toutes lés _s_ finales, lés _r_ de la plu-part
  dés infinitifs, confondre lés singuliérs avec lés pluriels et faire
  un cahos de tout.

  «Lés partisans de la Raison disent à leur tour, que l’écriture
  n’étant faite que pour copier la parole, il y a une espèce de
  ridicule à écrire autremànt qu’on ne parle. Que tous lés diférans
  caractères dont on se sert n’ont été ou ne doivent avoir été
  invantés que pour marquer lés diférantes prononciacions dés mots et
  représanter sans équivoque par la diversité de leurs combinaisons
  celle dés sons de la voix. Qu’ainsi, c’est aller contre leur
  institucion et leur véritable usage que de lés confondre, en se
  servant dés mêmes caractères pour dés prononciacions diférantes,
  surtout y aïant d’autres caractères établis pour marquer cete
  diférance. S’il y a, disent-ils, une autre manière d’écrire que celle
  qui est conforme à la prononciacion, quelque commune et générale
  qu’elle soit, elle ne peut être bonne; ne la pàs suivre, c’est tout
  au plus pécher contre un mauvais usage, pour prandre le parti de
  la Raison, qui est toujours préférable à celui de la multitude. On
  avouera qu’on n’écrit pàs comme les autres; mais on écrit comme on
  doit écrire et lés autres écrivent mal. N’est-il pàs tout-à-fait
  déraisonable de marquer le son de l’_a_ par un _e_, qui est établi
  pour exprimer un son tout diférant? de prononcer un _c_ et d’écrire
  un _t_? d’ajouter jusqu’à trois et quatre lettres inutiles à la
  fin dés mots? d’en inserer dàns le milieu qu’il faille quelquefois
  exprimer dàns la prononciacion et d’autrefois supprimer, sàns aucune
  règle certaine? Doner à un caractère tantôt le son qui lui est
  propre, tantôt celui d’un autre, et cela seulement pour suivre le
  caprice d’une mauvaise coutume, dont on s’est randu l’esclave? Cette
  bizarre ortografe, disent-ils encore, empèche que lés étrangers qui
  ont quelque commancemant de notre langue ne puissent en aquerir une
  parfaite conaissance par la seule lecture de nos livres, parce qu’ils
  ne sauroient lés lire sàns savoir le français presqu’aussi bien que
  ceux à qui il est naturel. Car enfin ce n’est que par un long usage
  qu’on peut aprandre qu’une lettre prononcée dàns de certains mots
  ne l’est point en d’autres, ou qu’une même voyelle change souvànt
  de son... Enfin pour conaitre toutes cés étranges bizarreries, un
  étranger n’a d’autre secours que sa mémoire. S’il trouve dàns un
  livre un mot nouvau, qu’il n’ait point encore ouï prononcer, il
  hésite, il cherche, il ne sait à quoi s’en tenir: lés règles n’étant
  point certaines, rien ne le détermine.

  «De là vient encore, ajoutent lés partisans de la Raison, la peine
  que lés enfans ont pour aprandre à lire le français; qu’_on leur fait
  ordinairemànt commancer par le latin comme le plus aisé_, quoiqu’ils
  devroient avoir plus de facilité à lire leur langue naturelle, qu’ils
  savent et qu’ils parlent à tout momant, que celle qui leur est
  étrangère et qu’ils n’entandent point. Que non seulemànt lés enfans,
  mais encore lés persones raisonables sont extrèmemànt fatiguées de
  cette bizarre manière d’écrire. Qu’il y a peu de Français qui sachent
  bien lire leur propre langue. Que de très-habiles gens soufrent
  tous lés jours le reproche honteux de ne savoir pàs lire. Que lés
  provinciaux qui viènent à Paris avec dés prononciacions qui, pour
  être communes dàns leur province, n’en sont pàs moins contraires au
  bon usage, ont une peine infinie à se corriger, n’étant point aidés
  par une ortografe nette et juste, qui marque le propre son et la
  vraie prononciacion dés mots. Que quelques Parisiens même près de la
  cour, au çantre du bau langage, parlent quelquefois en provinciaux.
  Que le sèxe le plus poli qui entand le mieux à placer un mot dàns
  un discours, est celui qui sait le moins placer une lettre dàns un
  écrit.....

  «Telles sont lés principales raisons que chacun dés deux partis
  allègue en sa faveur. Pour lés troisièmes, il y a bien de l’aparance
  qu’ils n’en ont point eû d’autres qu’un panchant naturel, mais
  faible, pour randre justice à la Raison, et baucoup de timidité pour
  combattre l’Usage. Il étoit en effet bien dificile de ranverser
  l’un pour faire triompher l’autre. Commànt attaquer l’Usage! son
  pouvoir est tirannique, tout le monde l’avoue, lés plus indépandans
  le santent. Quel dangér de se déclarer son ênemi! Quelque injuste et
  ridicule qu’on le suppose, ne l’est-il pàs davantage de s’en séparer?
  Et n’est-ce pas une espèce de folie que de vouloir être sage parmi
  lés fous? A quoi ne s’expose-t-on pàs lorsqu’on s’en prand à ce qui
  se dit et à ce qui se fait? Il y a bien moins à craindre contre la
  Raison: c’est l’ênemi qu’on a toujours attaqué le plus inpunémànt
  quoiqu’avec moins de succès. Mais d’honêtes gens peuvent-ils
  l’abandoner? Sés attraits ne se font-ils pàs santir malgré toute la
  tirannie de l’Usage? Et ne doit-elle pàs triompher dàns lés siances,
  lorsqu’elle brïlle à la tête de l’État?

  «.....N’est-il pàs juste que puisque notre langue a secoué le joug
  de la latinité, nous en délivrions aussi notre ortografe? Si elle
  n’est qu’accessoire à la prononciacion, ne doit-elle pàs suivre tous
  lés changemans de celle-ci? Pourquoi l’Usage si inconstant de sa
  nature en toutes choses sera-t-il fixé pour la seule ortografe? Ne
  semble-t-il pàs qu’à force de vouloir la maintenir par l’autorité
  de l’Usage, au lieu de la soumettre à sés loix, on ne fait que
  l’en éxamter et conserver par là dàns nos écrits toute la barbarie
  gauloise?... Prolongez, de grace, vos jours de quelques siècles,
  placez-vous dàns ces tams reculés où le français, étint par tout
  ailleurs, ne vivra que dàns lés colèges, où Déspreaux, la Fontaine
  et Molière, qui divertissent aujourdui si agréablemànt les plus
  honêtes gens, ne seront peut-être que l’occupacion ennuyeuse des
  écoliers et le sujet fatiguant dés veilles de leurs maitres, où la
  langue française, ranfermée dàns lés ouvrages que la bauté sauvera
  de la fureur de l’oubli et de la voracité dés tams, ne pourra plus
  être aprise que par la lecture de nos auteurs. Alors point de cour,
  point d’académie, point d’oreille pour décider du bel usage: lés
  livres seuls présanteront aux yeux toute la pureté de la langue. Si
  nous n’écrivons pàs aujourdui comme on parle, alors on parlera comme
  nous aurons écrit: on cherchera dàns l’arrangement dés lettres celui
  dés sons de la voix; et ce sera dàns l’ortografe qu’on étudiera la
  prononciacion dés mots. Mais, hélàs! quelle horrible confusion ne me
  samble-t-il pàs voir! Ne vous figurez-vous pas ce cahos affreux et
  ce bouleversemant general de langage causé par cés lettres inutiles
  en mille endroits et necessaires en mille autres, par ce protéisme
  continuel dés caractères, par cés ambiguïtés et cés équivoques
  perpétuelles dàns le son et dàns la valeur dés lettres? Car cete
  langue si belle, si noble et si polie dàns la bouche n’est plus
  sur le papiér qu’un barbare langage, qui choque lés yeux, et que
  l’oreille ne pourroit soufrir si la langue prononçoit tout ce que la
  plume a dessiné.....»

On peut juger, par cette citation textuelle, du système orthographique
adopté par l’abbé Girard. Le contraste qu’il offrit, lors de son
apparition, dut être encore plus choquant qu’il ne l’est aujourd’hui
pour nous, puisque l’Académie, dans ses réformes successives, a adopté
quelques-unes de celles qu’il indique; elle aurait même dû en admettre
quelques autres, ne fût-ce qu’en raison de l’étymologie: _etint_ de
_extinctus, honète_ de _honestus_, etc. Toutefois, si l’on supprimait
cette forêt d’accents, fort inutiles pour la plupart, comme sur le mot
_extrèmemànt_, ce système, sauf quelques altérations inadmissibles,
telles que le monosyllabe _temps_ écrit _tams_, et d’autres corrections
prématurées, aurait pu obtenir l’assentiment de Voltaire, et il me
semble préférable à celui de Duclos. Je donne dans l’Appendice D
l’analyse de la réforme du savant auteur des _Synonymes_.


Charles-Irénée CASTEL, abbé de SAINT-PIERRE, nommé membre de l’Académie
française en 1695, est un des hommes dont on prononce le nom avec le
plus de reconnaissance et de respect. Au commencement du dix-huitième
siècle, il se montra l’un des premiers animé de cet amour profond de
l’humanité dont l’expression de _philanthropie_ donnait l’image et
s’alliait si bien avec ce mot _bienfaisance_, dont il est le créateur.
Exclu de l’Académie dès 1718, à cause des hardiesses politiques
contenues dans son _Discours sur la polysynodie_, il consacra sa
longue carrière à l’étude des améliorations pédagogiques, économiques,
sociales, gouvernementales que lui paraissait comporter l’état de la
société sous le règne de Louis XV.


On trouvera plus loin à l’Appendice D une analyse de son _Projet pour
perfectioner l’ortografe des langues d’Europe_, qu’il fit paraître
en 1730, à l’âge de soixante-douze ans, et des procédés imaginés par
lui pour figurer les différents sons qu’il croit avoir reconnus dans
les langues de l’Europe et particulièrement dans la langue française.
Je me contenterai de reproduire ici quelques-unes de ses idées sur
le _droit de néologisme_. En réfléchissant avec lui aux procédés par
lesquels s’enrichissent nos lexiques, on s’expliquera la source de
bien des contradictions orthographiques et la nécessité de régulariser
l’orthographe des mots récemment introduits, pour la faire concorder
avec celle des similaires déjà existants.

  «Le Dictionaire de Nicod, dit-il (p. 250), parut il y a environ
  cent cinquante ans; c’étoit le plus ample et le plus parfait de
  son tems: il comprend non-seulement lèz termes de l’uzaje comun de
  la conversation, de la chaire, dèz spéctacles et du bareau, mais
  encore lèz termes dèz arts et dèz siences. Or comparéz le avec le
  dictionaire de Trevoux, qui a suivi sajement le mème plan de metre en
  un mème dictionaire géneralement tous lèz mots fransois tanceux de
  l’uzaje comun que ceux dèz arts et dèz siences. Examinéz en quelques
  pages et vous trouverèz qu’en cent cinquante ans la langue est
  devenue au moins trois fois plus riche qu’elle n’étoit en nombre de
  mots sans compter qu’elle s’est aussi enrichie en nombre de frazes:
  le dictionaire de Nicod n’est pas la sixième partie du dictionaire de
  Trevoux imprimé en 1721 en cinq volumes, dont chaque volume a plus de
  1900 pages.

  «J’ai eu la curiosité de compter lèz mots depuis le mot BÉANT
  jusqu’au mot BEZOLE, poisson de Geneve, et au mot BEZOARD; j’en ai
  trouvé environ 110 dans Nicod et pres de 330 dans le dictionaire de
  Trevoux. Voilà une preuve du nombre prodigieux de mots qui étoient
  alors inuzitéz et qui se sont établis depuis cent cinquante ans dans
  notre langue, et la seule comparaison dèz dictionaires de divers
  siécles forme sur cela une demonstration complète que lèz langues
  peuvent s’enrichir trez-considerablement chaque siècle par la
  création et par l’uzaje de termes nouveaux...

  «N’est-il pas vrai que si lèz persones qui, dans la conversation,
  dans la chaire, dans lèz plaidoyers, sur lèz teatres et dans lèz
  livres ont uzé lèz premiers de çèz termes qui étoient inuzitéz du
  tems de Nicod n’avoient ozé rien hazarder, nous serions privéz encore
  aujourdui de plus de la moitié de notre langue? Je conviens que, dans
  la conversation et dans l’impression, ils ont hazardé quelques mots
  qui n’ont pas été adoptéz, mais ne leur devons-nous pas au moins
  ceux que lèz auditeurs et lèz lecteurs ont adoptés, et qui par cette
  adoption sont venus jusqu’à nous?

  «Nous leur devons même la hardièsse qu’ils ont eue d’en hazarder
  plusieurs qui ont été rejetéz et dont on s’est moqué. Or, n’est-il
  pas utile à notre nation et même aux autres nations qui étudient le
  fransois, que notre langue s’enrichisse, d’un coté, par dez mots
  qui signifient dez choses particulières, tandis qu’elle s’abrege de
  l’autre, par certains termes généraux qui embrassent plusieurs termes
  particuliers? Or, cela se peut-il faire autrement que par lez petites
  hardièsses de quelques persones et par lez adoptions insensibles dez
  autres?

  «...Tout le monde sait que lèz Anglois, soit dans la conversation,
  soit dans lèz livres, ne font nule dificulté de faire et de prézenter
  dez mots nouveaux, qui enrichissent tous lez jours leur langue; et
  hureuzement pour la langue angloize les auteurs anglois n’ont point
  eu jusqu’ici chez eux certains esprits mediocres qui ont sotement
  pris pour maximes que _tout mot nouveau est mauvais et ne doit jamais
  être adopté quoique nècessaire_. Un de nos écrivains dit que, pour
  avoir quelque place dans la literature, ils se sont faits _suisses
  du Dictionaire de l’Academie_; ils empêchent lez mots qu’ils ne
  conoissent point d’entrer dans le dictionaire.

  «...J’ai vu il y a quarante-cinq ans le mot _renversement_ frondé par
  un de çéz _suisses du Dictionaire_. Ce mot s’est trouvé comode et
  dans l’analogie de la langue et je le vois prezentement avec plaizir
  tout établi malgré sa malhureuze note de nouveauté...

  «De ce que toute nouveauté n’est pas bone et adoptée dans le langaje,
  s’ensuit-il qu’aucune nouveauté ne puisse être trèz-raizonable et
  trèz-_adoptable_?...

  «Si le publiq en avoit cru lèz ridicules railleries dèz _suisses du
  dictionaire_, qui écrivoient il i a cinquante ans, nous n’aurions
  pas mème dans le stile familier quantité de mots qui étoient alors
  inuzitéz, et qui sont prèzentement d’un aussi grand uzaje dans la
  langue que lez plus anciens. En voici quelques-uns:

  «Elle est encore dans l’_enivrement_ de la cour.--C’est une afaire
  _infaizable_ dans lèz conjonctures prézentes.--S’il a manqué à ce
  devoir, c’est pure _inatention_.--On l’a fort _desservi_ auprèz du
  ministre.--Il est à prezent fort _dezocupé_.--Il le reçut d’un air
  _gracieux_.--Il le _grazieuza_ fort durant le diner.--Cette nouvelle
  l’a fort _tranquilizé_...

  «Je ne raporte que huit ou neuf de çèz mots nouveaux, mais si l’on
  vouloit comparer le Dictionaire de ce tems-là avec notre dernier
  Dictionaire, je ne doute pas que l’on n’en trouvât cent autres que
  lèz courtizans, lèz dames, lèz savans et les autres hommes de toutes
  lèz professions ont établis depuis cinquante ans dans le stile de la
  conversation, d’où ils passent tous lèz jours dans lèz autres stiles
  et dans lèz livres...

  «Quelques persones croient que nous perdons peu-à-peu autant de vieux
  mots que nous en aquerons de nouveaux et que la moitié dèz mots
  d’Amiot, qui étoit contemporain de Nicod, ne sont plus uzitéz. Mais
  j’ai compté lèz mots dèz vint premieres lignes de la Vie de Thezée,
  in folio, de la traduction d’Amiot: il y en a environ 240, et je n’en
  ai trouvé que 6 qui ne sont plus uzitéz. Or sur ce pied là ce n’est
  que la quarantiéme partie de mots perdus et encore çèz 6 mots perdus
  sont-ils tous remplacéz par d’autres équivalens. _Verisimilitude_ est
  remplacé par _vraisemblance_. _Reale_ par _réelle_. _Trouve l’on_ par
  _trouve-t-on_. _Controuvé_ par _faussement inventé_. _Certaineté_ est
  remplacé par _certitude_. _Si ai pensé_ est remplacé par _et j’ai
  pensé_ ou par _j’ai même pensé_.

  «La langue n’a donq rien perdu depuis cent cinquante ans qu’elle
  n’ait reparé; elle a au contraire gagné la moitié et mème lèz deux
  tiers plus de termes qu’elle n’en avoit. Or çèz termes pouvoient-ils
  jamais servir à enrichir notre langue, s’ils n’avoient comencé d’y
  entrer comme nouveaux et comme inuzitéz?»


Si l’on remarque dans le passage qui précède certaines contradictions
orthographiques, cela tient à un système adopté par l’auteur et qui
consiste à varier de temps à autre l’écriture des mêmes mots pour
déshabituer l’œil du lecteur des formes graphiques consacrées par
l’usage et le préparer ainsi à l’adoption de son système.


DUCLOS, membre de l’Académie française en 1747 et secrétaire perpétuel
en 1755, joignant l’exemple au précepte orthographique, juge ainsi le
système de l’écriture étymologique (en 1754):

  «Le préjugé des _étimologies_ est bien fort, puisqu’il fait regarder
  come un avantage ce qui est un véritable défaut; car enfin les
  caractères n’ont été inventés que pour représenter les sons. C’étoit
  l’usage qu’en faisoient nos anciens: quand le respect pour eus
  nous fait croire que nous les imitons, nous faisons précisément le
  contraire de ce qu’ils faisoient. Ils peignoient leurs sons: si un
  mot ut alors été composé d’autres sons qu’il ne l’étoit, ils auroient
  employé d’autres caractères.

  «Ne conservons donc pas les mêmes caractères pour des sons qui sont
  devenus diférens. Si l’on emploie quelquefois les mêmes sons dans
  la langue _parlée_, pour exprimer des idées diférentes (_champ_,
  _chant_), le sens et la suite des mots sufisent pour ôter l’équivoque
  des homonimes. L’intelligence ne feroit-èle pas pour la langue
  _écrite_ ce qu’èle fait pour la langue _parlée_? Par exemple, si l’on
  écrivoit champ de _campus_, come chant de _cantus_, en confondroit-on
  plutôt la signification dans un écrit que dans le discours? L’esprit
  serait-il là-dessus en défaut? N’avons-nous pas même des homonimes
  dont l’ortografe est pareille? Cependant on n’en confond pas le sens.
  Tels sont les mots son (_sonus_), son (_furfur_), son (_suus_), et
  plusieurs autres.

  «L’usage, dit-on, est le maître de la langue, ainsi il doit
  décider également de la parole et de l’écriture. Je ferai ici une
  distinction. Dans les choses purement arbitraires, on doit suivre
  l’usage, qui équivaut alors à la raison: ainsi l’usage est le
  maître de la langue _parlée_. Il peut se faire que ce qui s’apèle
  aujourd’hui un livre s’apèle dans la suite un arbre; que vert
  signifie un jour la couleur rouge, et rouge la couleur verte, parce
  qu’il n’y a rien dans la nature ni dans la raison qui détermine un
  objet a être désigné par un son plutôt que par un autre: l’usage,
  qui varie la-dessus, n’est point vicieus, puisqu’il n’est point
  inconséquent, quoiqu’il soit inconstant. Mais il n’en est pas
  ainsi de l’écriture: tant qu’une convention subsiste, èle doit
  s’observer. L’usage doit être conséquent dans l’emploi d’un signe
  dont l’établissement étoit arbitraire; il est inconséquent et en
  contradiction, quand il done a des caractères assemblés une valeur
  diférente de cèle qu’il leur a donée et qu’il leur conserve dans leur
  dénomination, a moins que ce ne soit une combinaison nécessaire de
  caractères pour en représenter un dont on manque.

  «Le corps d’une nation a seul droit sur la langue _parlée_ et les
  écrivains ont droit sur la langue _écrite_. _Le peuple_, disoit
  Varron, _n’est pas le maître de l’écriture come de la parole_.

  «En effet, les écrivains ont le droit, ou plutôt sont dans
  l’obligation de coriger ce qu’ils ont corompu. C’est une vaine
  ostentation d’érudition qui a gâté l’ortografe: ce sont des savans et
  non des filosofes qui l’ont altérée: le peuple n’y a u aucune part.
  L’ortografe des fames, que les savans trouvent si ridicule, est plus
  raisonable que la leur. Quelques-unes veulent aprendre l’ortografe
  des savans; il vaudroit bien mieus que les savans adoptassent cèle
  des fames, en y corigeant ce qu’une demi éducation y a mis de
  défectueus, c’est-à-dire de savant. Pour conoître qui doit décider
  d’un usage, il faut voir qui en est l’auteur.» (Pages 44-46.)

(Voir à l’Appendice D, à la date de 1756, pour l’exposition de sa
réforme.)


NICOLAS BEAUZÉE, membre de l’Académie française depuis 1772, mort en
1789, s’était d’abord prononcé contre la réforme de l’orthographe. Dans
l’_Encyclopédie méthodique_, publiée chez Panckoucke, en 1789, revenant
sur ses premières opinions, il termine ainsi l’article NÉOGRAPHISME:

  «Il faut compter à l’excès sur l’aveugle docilité de ses lecteurs
  pour oser défendre les abus de notre orthographe actuelle par
  l’autorité des grands écrivains que l’on cite: comme s’ils avoient
  spécialement aprofondi et aprouvé formellement les principes
  d’orthographe qu’ils ont suivis dans leur temps, comme si celle que
  l’on suit et que l’on défend aujourd’hui étoit encore la même que la
  leur en tout point, et comme s’il suffisoit d’opposer des autorités à
  des raisons dans une matière qui doit ressortir nûment au tribunal de
  la raison.

  «Ces raffinements, dit-on, s’ils pouvoient jamais être adoptés,
  en produiroient d’autres; on perdroit toutes les étymologies; on
  obscurciroit le génie de la langue et l’histoire de ses variations;
  on défigureroit toutes les éditions qui ont paru jusqu’à nos jours;
  les auteurs et les lecteurs, accoutumés à l’ancienne orthographe,
  seroient réduits à se placer avec les enfants pour aprendre à lire et
  à écrire; la nouvelle méthode, pour être peut-être plus conforme à la
  prononciation du moment, n’en auroit pas moins combattu l’impression
  d’un long usage qui a subjugué l’imagination et les ieux... La
  lecture de cette orthographe est impossible à tout homme qui n’est
  pas disposé à changer de tête et d’ieux en sa faveur.» Ce sont les
  propres termes d’un journaliste dans les annonces qu’il a faites des
  deux premières éditions de ma traduction des _Histoires de Salluste_,
  où j’avois suivi quelques-uns seulement de mes principes de réforme.

  «Ces changements, dit-il, en produiroient d’autres. Oui, j’en
  conviens; l’art de lire, réduit à un nombre déterminé d’éléments
  précis, seroit mis par sa facilité à la portée des plus stupides, et
  s’aprendroit en peu de temps; l’orthographe, simplifiée et réduite
  à des principes clairs et généraux, n’embarrasseroit plus que ceux
  qui ne voudroient pas s’en occuper quelques semaines. Oh! voilà, je
  l’avoue, d’affreux bouleversements!

  «On perdroit toutes les étymologies. Oui, on perdroit les traces
  incommodes des étymologies; mais les savants, que cet objet regarde
  uniquement, sauroient bien les retrouver. La langue appartient à la
  nation; la multitude n’a nul besoin de remonter aux étymologies, qui
  sont même perdues pour elle, malgré les caractères étymologiques dont
  on l’embarrasse dans les livres destinés à son instruction.

  «Mais passons à ce qui choque réellement le plus les défenseurs de
  l’ancienne orthographe; c’est qu’ils seroient réduits à se placer
  avec les enfants pour aprendre à lire et à écrire, et qu’il leur
  faudroit changer de tête et d’ieux. Eh! messieurs, n’en changez pas;
  gardez votre ancienne orthographe, puisqu’elle vous plaît: mais
  permettez aux générations suivantes d’en adopter une autre, qui leur
  coutera moins que la vôtre ne vous a couté, qui leur sera plus utile,
  qui servira, au contraire de ce que vous dites, à fixer notre langue,
  à la répandre, à la faire adopter par les étrangers.» (Voyez à
  l’Appendice D, p. 295, l’analyse de la réforme proposée par Beauzée.)


Noel-François de WAILLY, membre de l’Institut dès sa création, en
1795. Esprit sage et modéré, il s’oppose aux systèmes des novateurs
trop hardis et propose une reforme néographique ayant la prononciation
pour base. Ses idées, analogues à celles de d’Olivet, de Girard et de
Duclos, sont développées dans deux ouvrages, _De l’Orthographe_, Paris,
1771, in-12; _L’Orthographe des dames, ou l’Orthographe fondée sur la
bonne prononciation, démontrée la seule raisonnable_, Paris, 1782,
in-12. (Voir à l’Appendice D l’exposition de sa méthode orthographique.)

Je crois devoir transcrire ici, malgré leur étendue, les passages les
plus importants d’une sorte de philippique en faveur de la réforme
que le savant académicien adresse, par la bouche des dames, aux corps
savants qui ont autorité sur la langue (_Orth. des dames_, p.35-44):

  «Nous vous prions, Messieurs, de nous donner un plan d’orthographe,
  raisonné, simple, uniforme; de conformer l’orthographe à la bonne
  prononciation. Plus vous examinerez cette matiere, plus vous verrez,
  comme nous, que la bonne prononciation est le seul guide raisonnable.
  N’est-il pas ridicule qu’ayant adouci notre prononciation, vous
  conserviez encore dans l’écriture les lettres qui ne se prononcent
  plus, et que nos peres n’ont employées que parce qu’ils les
  prononçoient? Vous prononcez à la moderne, et vous orthographiez à
  l’antique. La langue écrite suppose nécessairement la langue parlée.
  La perfection, l’essence même de la premiere, consiste sans doute
  à représenter la seconde avec toute l’intégrité et la précision
  possible. Or, quelle est l’orthographe qui représente au naturel
  les traits de la parole? C’est sans contredit celle qui prend pour
  guide la bonne prononciation. Comme peintres de la pensée et de la
  parole, ne devez-vous pas, Messieurs, faire dans la langue écrite les
  changements qu’exige la langue parlée, afin de représenter au naturel
  les traits de cette dernière?

  «L’Académie, dans la dernière édition de son Dictionnaire, sans avoir
  égard à l’étymologie, a retranché d’un fort grand nombre de mots
  des lettres qu’on n’y prononçoit pas; mais, d’un autre côté, elle a
  laissé dans une autre foule de mots des lettres tout aussi inutiles
  que celles qu’elle a supprimées en de pareilles occasions. Nous avons
  fait voir les inconvénients de ces défauts d’uniformité: nous prions
  l’Académie de les faire disparoître dans la première édition qu’elle
  donnera. Particulièrement consacrée à l’étude, à la perfection
  de notre langue et de notre orthographe, cette savante compagnie
  rendroit un service important à la nation, si, par ses réflexions sur
  la langue et l’orthographe, elle éclairoit l’usage, le dirigeoit, le
  perfectionnoit. Ce travail nous paroit vraiment digne des philosophes
  et des grammairiens qui composent cette illustre société.

  «Quelques personnes à qui nous avons lu cet article, nous ont dit:
  «Messieurs les Académiciens savent bien que notre orthographe est
  fort difficile, pleine de bisarreries et d’inconséquences; mais ils
  savent aussi qu’ils se rendroient ridicules de vouloir la changer.»

  «Cette réflexion est-elle vraie? C’est ce que nous allons examiner.
  «Oui, nous répond un savant: Il faut pour l’orthographe, comme pour
  la prononciation, reconnoître l’autorité de l’usage; et il est aussi
  ridicule de vouloir changer l’orthographe, qu’il le seroit de vouloir
  changer la prononciation.»

  «Voici, Messieurs, notre réponse à cette assertion.

  «Il y a une grande différence entre ces deux objets. A la vérité,
  ceux qui ignorent les langues savantes doivent, comme les savants,
  se conformer aux lois du bon usage pour la prononciation, et ils se
  rendroient ridicules dans les sociétés polies, s’ils ne le faisoient
  pas. Par exemple, vous nous blâmeriez avec raison de prononcer comme
  faisoient nos pères, _em, en_, avec le son de l’_e_ fermé nasal, dans
  _empressement, entendement, ardemment, emportement_, etc. Vous ririez
  si vous nous entendiez prononcer _oi_ dans _l’Anglois, le François,
  le Polonois, je paroissois, qu’il paroisse_, etc., comme ces lettres
  se prononçoient autrefois, et comme elles se prononcent encore
  aujourd’hui dans _le Danois, S. François, la paroisse_, etc. Pourquoi
  cela? C’est que les lois de l’usage pour la prononciation sont à
  notre portée. En effet, nous avons, comme les savants, des organes
  pour entendre et pour rendre les sons. Il n’en est pas de même de
  l’orthographe actuelle: fondée sur la connoissance de plusieurs
  langues qu’on ne nous a pas apprises, ses lois sont au dessus de
  notre portée; et, comme vous l’avez assuré, il nous est moralement
  impossible de les observer. Voilà pourquoi nous vous en demandons
  la réforme. Ne demanderiez-vous pas à un législateur la réforme de
  ses lois, s’il vous étoit moralement impossible de les suivre? Qui
  pourroit en ce cas blâmer votre demande? Qui oseroit la traiter de
  ridicule? Il est sans contredit louable en fait d’orthographe, comme
  en autre chose, de quitter une mauvaise habitude pour en contracter
  une bonne. Un usage qui n’est pas à la portée du plus grand nombre
  de ceux qui doivent l’observer, est contraire à la raison. C’est une
  erreur, un abus qui doit être corrigé avec empressement. L’erreur,
  quelque invéterée qu’elle soit, demeure toujours erreur: la multitude
  de ses sectateurs ne sauroit lui donner le glorieux titre de la
  vérité, qui mérite seule les respects et les hommages des vrais
  philosophes.

  «Ce qui nous fait croire, Messieurs, que notre demande n’est pas
  ridicule, c’est qu’elle est conforme aux désirs des auteurs qui
  méritent le plus de considération sur cet objet; nous voulons dire
  de ceux qui, ayant écrit sur la langue, l’ont étudiée plus à fond.
  Or, presque tous les grammairiens ont désiré la réforme de votre
  orthographe. Sans parler de ceux qui ont vécu avant le siècle de
  Louis-le-Grand, tels sont, dans le dernier siècle et dans le nôtre,
  Messieurs de Vaugelas, Thomas Corneille, Richelet, La Touche, de
  Dangeau, de Saint-Pierre, Buffier, Dumas, Girard, Dumarsais, Boindin,
  Restaut, Douchet, Valart, Duclos, Cherrier, Mannori, Voltaire,
  Beauzée, de Wailly, etc. Ce vœu presque unanime est un grand préjugé
  en notre faveur. Ces Messieurs sont des juges très-compétents en
  cette matière, et leurs suffrages doivent être du plus grand poids.
  Vous savez, Messieurs, que dans chaque matière on doit sur-tout
  s’en rapporter aux maîtres de l’art, qui, sur cet objet, sont les
  grammairiens: au lieu que les auteurs les plus estimables, quelque
  nombreux qu’ils soient, ne doivent pas emporter la balance, quand
  les matières qu’ils traitent n’ont pas de rapport à la langue, quand
  la grammaire n’a pas été l’objet de leurs études. Pourquoi cela?
  C’est qu’ils n’ont guère qu’une orthographe d’habitude et de simple
  copie; c’est qu’ils ne doivent pas plus se piquer de connoître les
  principes et les défauts de l’orthographe, qu’ils ne se piquent
  d’être géomètres et architectes, s’ils ne se sont appliqués ni à la
  géométrie, ni à l’architecture. D’après ces raisons et ces autorités,
  ne pouvons-nous pas conclure qu’il n’est pas ridicule de demander la
  réforme de l’orthographe actuelle?

  «N’est-il pas ridicule, au contraire, de prescrire des lois que
  le plus grand nombre ne sauroit observer? La raison ne veut-elle
  pas qu’on les réforme avec empressement? Nous l’avons déjà dit,
  les auteurs sont les vrais législateurs en cette matière. Usez de
  vos droits, Messieurs; travaillez à éclairer de plus en plus la
  nation, à lui faciliter l’acquisition des connoissances. Loin de
  vous rendre ridicules en mettant à la portée de tout le monde une
  connoissance aussi utile que celle de l’orthographe, vous rendrez
  par cette réforme un service signalé à la nation. Quel est l’homme
  raisonnable qui taxera de ridicules les savants grammairiens que nous
  venons de citer? Qui osera faire un pareil reproche aux Académies
  d’Italie et d’Espagne, qui ont fait pour leurs langues la réforme
  que nous désirons pour la nôtre? Pourquoi l’Académie françoise et
  les autres sociétés littéraires seroient-elles blâmables de suivre
  de pareils exemples? Ne seroit-ce pas suivre la raison, dont les
  droits sont imprescriptibles? Les Académies ne doivent-elles pas
  sur l’orthographe, comme sur les autres objets, se servir de son
  flambeau pour faciliter une connoissance vraiment utile, et qui est,
  pour ainsi dire, la clef de toutes les autres? Ceux qui prétendent
  qu’on doit suivre sans examen l’orthographe actuelle veulent
  donc que l’Académie et les autres sociétés littéraires obéissent
  aveuglément à un usage bisarre qui varie continuellement, à un tyran
  déraisonnable et injuste dont les lois ne sont pas à la portée du
  plus grand nombre des François? Messieurs les académiciens doivent
  donc s’interdire l’usage de la raison, et constater servilement une
  orthographe remplie de contradictions? Qui osera soutenir un pareil
  paradoxe? Seroit-il possible, dit très-bien sur cet objet M. Duclos,
  qu’_une nation reconnue pour éclairée, et accusée de légèreté, ne fût
  constante que dans les choses déraisonnables_?

  «Qui est-ce qui forme l’usage actuel? Ce sont surtout les
  compositeurs et les protes (lisez les _correcteurs_) dans les
  imprimeries. Nos bons livres se réimpriment souvent. Lorsqu’un
  libraire veut donner une nouvelle édition d’un livre, il l’envoie à
  l’imprimerie: les compositeurs et les protes y mettent l’orthographe
  à laquelle ils sont habitués. Ainsi ce sont eux sur-tout qui forment
  l’usage actuel. Parmi ces personnes, il y en a sûrement plusieurs qui
  sont instruites, témoin Le Roi, prote à Poitiers, qui fut le premier
  auteur du _Dictionnaire d’Orthographe_, etc. Mais les protes n’ont
  pas assez de temps pour se former un systême suivi et bien raisonné.
  L’orthographe qu’ils ont adoptée est souvent dérangée par celle
  des différents auteurs; ce qui les fait varier dans la leur, et les
  oblige ensuite à des corrections dans les épreuves. Cet inconvénient
  et cette perte de temps n’auroient pas lieu, si les auteurs, les
  protes et les compositeurs suivoient une orthographe raisonnée et
  conforme à la bonne prononciation. Les compositeurs feroient moins
  de fautes en arrangeant les lettres; les protes et les auteurs
  auroient moins de peine à lire leurs épreuves; ils y feroient moins
  de corrections; et le compositeur attentif ne seroit plus obligé
  de passer beaucoup de temps à supprimer des lettres en différents
  endroits, à en ajouter dans plusieurs autres, etc. Ainsi l’auteur,
  le prote et le compositeur trouveroient également leur avantage dans
  cette orthographe.

  «L’Académie, jusqu’à présent, nous le savons, s’est contentée d’être
  le témoin de l’usage, et de le consigner dans son Dictionnaire. Mais
  n’est-ce pas renverser l’ordre, que de prétendre que cette illustre
  et savante société ne doit rien faire autre chose?»


Les maîtres imprimeurs, les protes, les correcteurs, les ouvriers
compositeurs, ont dû se conformer à une règle uniforme, car ils ne
pouvaient s’astreindre aux caprices orthographiques de chacun des
auteurs écrivant diversement les mêmes mots, d’où résultaient des
hésitations, des pertes de temps considérables en corrections, soit
de la part des auteurs, soit des correcteurs. Cette règle fut donc,
et avec raison, le Dictionnaire de l’Académie, tel que l’illustre
Compagnie le modifiait à chaque édition.

La responsabilité incombe donc tout entière à l’Académie, et l’_usage_
en fait d’orthographe, devenu un non-sens, ne peut désormais être
invoqué par elle.


VOLTAIRE, membre de l’Académie française depuis le 9 mai 1746, revient
sans cesse sur la critique du vicieux système de notre orthographe. Il
dit, entre autres observations, dans le _Dictionnaire philosophique_,
article ORTHOGRAPHE:

  «L’orthographe de la plupart des livres français est ridicule.
  Presque tous les imprimeurs ignorants impriment _Wisigoths,
  Westphalie, Wittemberg, Wétéravie_, etc.

  «Ils ne savent pas que le double _V_ allemand qu’on écrit ainsi _W_
  est notre _V_ consonne et qu’en Allemagne on prononce _Vétéravie,
  Virtemberg, Vestphalie, Visigoths_.

  «Pour l’orthographe purement française, l’habitude seule peut en
  supporter l’incongruité. _Emploi-e-roient, octroi-e-roient_, qu’on
  prononce _emploiraient, octroiraient_; _paon_, qu’on prononce
  _pan_; _Laon_, qu’on prononce _Lan_, et cent autres barbaries
  pareilles font dire:

        Hodieque manent vestigia ruris.

  «Les Anglais sont bien plus inconséquents; ils ont perverti toutes
  les voyelles; ils les prononcent autrement que toutes les autres
  nations. C’est en orthographe qu’on peut dire avec Virgile:

        Et penitùs toto divisos orbe Britannos.

  «Cependant ils ont changé leur orthographe depuis cent ans: ils
  n’écrivent plus: _loveth, speaketh, maketh_, mais _loves, speaks,
  makes_.

  «Les Italiens ont supprimé toutes les _h_. Ils ont fait plusieurs
  innovations en faveur de la douceur de leur langue.

  «_L’écriture est la peinture de la voix; plus elle est ressemblante,
  meilleure elle est._»

Me trouvant en possession d’un grand nombre de lettres autographes de
Voltaire, et particulièrement de sa correspondance, en partie inédite,
avec d’Alembert, j’ai été curieux de confronter son orthographe avec
celle de l’Académie de 1740. C’est surtout à partir de 1752 que devient
plus sensible la modification apportée sous ce rapport par Voltaire
dans sa correspondance, surtout alors qu’il s’occupait de la rédaction
des articles qu’il envoyait à d’Alembert pour le _Dictionnaire
philosophique_. Il supprime le plus souvent les lettres doubles qui ne
se prononcent pas. Il écrit _pardonait_, et d’un autre côté _guai_,
il _éguaiera_. Il affecte le plus profond dédain peur l’étymologie.
On voit alors s’échapper de sa plume tantôt le mot _philosophe_ et
tantôt _philosofe_, ce dernier plus fréquemment que l’autre; il écrit
même quelquefois _filosofe_, et veut que ce mot soit rangé à la lettre
F, au _Dictionnaire philosophique_. Dans sa lettre datée des Délices,
le 2 décembre 1755, que j’ai sous les yeux, il écrit: «ennemi de la
philosofie» et «persécuteur des philosofes.» Il met partout ainsi:
_enciclopédie, dictionaire_. Dans une lettre datée du 24, il écrit: «Je
voudrais que votre _tipografe_ Briasson pensast un peu à moy.»... «Vous
avez des articles de _téologie_ e de _métaphisique_.» Dans d’autres,
il écrit plusieurs fois: _Athène, autentique, entousiasme, têse,
historiografe, bibliotèque, téologien, crétien_ et _cristianisme_,
s’écartant ainsi, avec une intention évidente, de l’orthographe de
l’Académie, dont il était membre depuis 1746. (Voir le texte de ces
lettres avec leur orthographe à l’Appendice E.)

En comparant les lettres de Voltaire avec les éditions imprimées, on
voit que l’habitude _typographique_ de tout ramener à l’orthographe
du Dictionnaire de l’Académie a fait supprimer celle que Voltaire
préférait[120]. Il eût pourtant été intéressant de suivre, dans ses
nombreux écrits, aussi bien les modifications de son orthographe que
celles de sa pensée. Peut-être, à un certain moment, la popularité
immense dont il jouissait eût-elle pu faciliter quelques-unes des
réformes déjà proposées.

      [120] Dans la grande édition de Beuchot, que nous avons imprimée
      en 1834, on n’a conservé de l’orthographe de Voltaire que ses _a_
      au lieu des _o_, et je _fesais_, nous _fesons_, du verbe _faire_.
      Et en effet, puisqu’on écrit je _ferai_, la prononciation demande
      que l’on écrive aussi _fesons_.

Le service rendu par Voltaire, de faire accepter généralement la
réforme des imparfaits en _oi_ et de ce même _digramme_ dans le corps
du mot, comme dans _connoître_, a obtenu le suffrage de tous, et cette
réforme, que l’abbé Girard avait inutilement préconisée dès 1716, a été
un acheminement à d’autres régularisations.


FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU, membre de l’Institut national, ministre de
l’intérieur, après s’être préoccupé pendant une partie de sa vie des
moyens d’apprendre à lire au peuple des campagnes, émettait, en 1799,
une opinion qui impliquerait de notables simplifications dans notre
orthographe:

  «Au premier coup d’œil, on croirait que rien n’est plus simple,
  plus trivial, plus vulgaire que ce que l’on nomme l’ABC, mais les
  meilleurs esprits en jugent bien différemment. _Non sunt contemnenda
  quasi parva, sine quibus magna constare non possunt_, a dit saint
  Jérôme. Le célèbre Rollin, dans son _Traité des études_ (ch. Ier,
  § II), avoue qu’il serait bien embarrassé s’il se trouvait dans
  le cas d’apprendre à lire à des enfants. En effet, les auteurs de
  méthodes n’ont eu en vue que des éducations privées, celles des
  enfants des classes privilégiées. Locke se propose de former un
  jeune gentilhomme, _Télémaque_ est composé pour un prince, l’_Émile_
  lui-même encourt en grande partie le même reproche.

  «Je pose deux principes, ajoute ce ministre ami des lettres, qui me
  semblent démontrés: le premier, que _jamais on n’apprendra à lire aux
  enfants des pauvres, surtout dans les campagnes, s’il faut consacrer
  des années entières à cette seule partie de l’instruction_; et le
  second, qu’il importe beaucoup de n’astreindre les enfants à se
  procurer aucun de ces livres d’école dont on les embarrasse et que la
  plupart perdent ou déchirent.....»

C’est pourquoi ce sage ministre, si dévoué aux lettres, se faisait
rendre compte des méthodes de simplification de la lecture par le
perfectionnement de l’alphabet, et les expérimentait lui-même, afin
qu’en France on pût arriver au même degré d’instruction primaire que
la plupart des nations du continent. (Voyez Dieudonné Thiébault,
_Principes de lecture et de prononciation à l’usage des écoles
primaires_. Paris, 1802, in-8.)


URBAIN DOMERGUE, membre de l’Institut de France (classe de la langue et
de la littérature françaises), est l’auteur d’une réforme plus absolue
que celles qu’on a proposées de nos jours.

Après avoir énoncé les deux obstacles qui s’opposent à ce que notre
belle langue devienne familière aux étrangers: la détermination
du genre des substantifs et l’écart entre l’orthographe et la
prononciation, l’académicien de 1803, plus novateur que Meigret, ajoute:

  «Le second obstacle est de nature à être levé; l’orthographe d’une
  langue n’est pas de son essence, comme la syntaxe. Faite pour
  réfléchir les sons, elle est une glace fidèle, lorsque les écrivains
  d’une nation se sont abandonnés à la nature; infidèle, lorsque,
  ébloui par le faux éclat d’un savoir déplacé, détournant les signes
  de leur véritable institution, on a modelé l’écriture de la langue
  dérivée sur la prononciation de la langue primitive.

  «Le retour aux principes est désiré par tous les bons esprits. Mais
  quelle autorité fera triompher la raison? Quel pouvoir fera rentrer
  dans ses limites l’érudition, toujours prête à les franchir? Quelle
  voix imposera silence au préjugé? Cette heureuse révolution peut être
  opérée par le concert de la force, à qui rien ne résiste, et des
  lumières, à qui rien n’échappe. Que le gouvernement dise à la classe
  de l’institut national chargée du dépôt de la langue française:

  «Je demande que les sons de la langue soient tous appréciés et
  reconnus; que chaque son simple ait un signe simple qui lui soit
  exclusivement affecté; en un mot, que la langue écrite soit l’image
  fidèle de la langue parlée.

  «Et je promets que l’orthographe sanctionnée par l’Académie française
  sera sur-le-champ adoptée:

  «Dans tous les actes émanés des autorités constituées;--dans tous les
  journaux soumis à l’inspection de la police;--dans toutes les écoles
  nationales;--dans tous les établissements payés des deniers publics.»

  «La raison et l’exemple auroient bientôt achevé une révolution
  commencée sous des auspices aussi imposants.»

Puis dans une prosopopée adressée à celui qui semblait personnifier le
génie de la France, il s’écrie:

  «O Bonaparte[121], jette un regard sur ces lignes, elles t’appellent
  à la gloire, non à celle du guerrier, tes exploits ont lassé la
  renommée; non à celle de l’homme d’État, la France te bénit et
  l’univers t’admire..... La gloire que je t’offre est pure et
  n’appartiendra qu’à toi seul. Ose ordonner la réforme de notre
  orthographe; et le mensonge abécédaire, qui prépare à tous les
  mensonges, ne déformera plus les jeunes esprits, et l’immense famille
  dont tu es le chef parlera partout le même langage, et les monuments
  immortels du génie et du goût de nos écrivains se présenteront
  d’eux-mêmes à l’étranger reconnaissant. Élevé au faîte du pouvoir
  par ta valeur, ta sagesse et notre amour, déploie ta force pour la
  propagation des idées justes, mets ta gloire dans le triomphe de la
  vérité.»

(Voir plus loin, pour son plan de réforme, Appendice D, à la date de
1806.)

      [121] Domergue écrivait ceci en 1803, sous le Consulat.


VOLNEY, de l’Académie française, qui s’est livré à une étude toute
spéciale des langues et de l’orthographe, formule ainsi son opinion
sur notre manière de représenter les sons, dans son ouvrage intitulé:
_L’Alfabet européen appliqué aux langues asiatiques_ (p. 21):

  «On peut dire que depuis l’adoption, et en même temps la modification
  de l’alphabet phénicien par les Grecs, aucune amélioration, aucun
  progrès n’a été fait dans la chose. Les Romains, vainqueurs des
  Grecs, ne furent à cet égard, comme à bien d’autres, que leurs
  imitateurs. Les Européens modernes, vainqueurs des Romains, arrivés
  bruts sur la scène, trouvant l’alfabet tout organisé, l’ont endossé
  comme une dépouille du vaincu, sans examiner s’il allait à leur
  taille. Aussi les méthodes alfabétiques de notre Europe sont-elles
  de vraies caricatures: une foule d’irrégularités, d’incohérences,
  d’équivoques, de doubles emplois se montrent dans l’alfabet même
  italien ou espagnol, dans l’allemand, le polonais, le hollandais.
  Quant au français et à l’anglais, c’est le comble du désordre:
  pour l’apprécier, il faut apprendre ces deux langues par principes
  grammaticaux; il faut étudier leur orthographe par la dissection de
  leurs mots.»

(Voir Appendice D, à la date de 1821.)


FORTIA D’URBAN, membre de l’Institut, Académie des inscriptions
et belles-lettres, s’exprime ainsi dans son _Nouveau Système de
bibliographie alphabétique_, 2e édit., 1822, p. 9:

  «Un principe, dont je crois que tout le monde reconnaîtra l’évidence,
  doit sans doute diriger ceux qui voudront raisonner sur notre
  orthographe et sur les innovations que l’on peut y apporter.
  Cet axiome, c’est qu’_il faut écrire comme on parle_. En effet,
  l’écriture n’étant que le signe du langage, plus l’image est
  fidèle, mieux elle atteint son but. C’est un avantage que la langue
  _allemande_, l’_espagnole_ et l’_italienne_ ont sur les langues
  anglaise et française; nous devons nous efforcer de le partager.»


DESTUTT DE TRACY, de l’Académie française, émet sur ce grave sujet un
jugement remarquable par sa netteté:

  «Nos alphabets, vu leurs difficultés et le mauvais usage que nous en
  faisons, c’est-à-dire nos vicieuses orthographes, méritent encore à
  peine le nom d’écriture. Ce ne sont que de maladroites tachygraphies
  qui figurent tant bien que mal ce qu’il y a de plus frappant dans le
  discours, et en laissent la plus grande partie à deviner, quoique
  souvent elles multiplient les signes sans utilité comme sans motif.

  «Que se passe-t-il avec l’alphabet actuel? On enseigne d’abord à
  connaître les lettres, et la facilité qu’y apportent les plus jeunes
  et les plus inappliqués des élèves prouve que l’obstacle n’est pas
  là. Il faut ensuite apprendre à épeler, c’est-à-dire à les réunir.
  Ici commencent des difficultés sans nombre. Elles sont véritablement
  infinies avec l’alphabet français, puisque personne ne peut deviner
  l’orthographe d’un mot nouveau ou d’un nom propre. C’est par ce motif
  que beaucoup de personnes renoncent à faire épeler les enfants, et
  préfèrent leur apprendre les mots entiers, écrits sur des cartes,
  comme avec l’écriture idéologique des Chinois. C’est assurément là
  une preuve irrécusable des vices et des difficultés que présente
  notre alphabet irrationel.»

  «La mémoire seule peut servir à l’étude de l’orthographe; aucun
  raisonnement ne peut guider; au contraire, il faut à tout moment
  faire le sacrifice de son bon sens, renoncer à toute analogie, à
  toute déduction, pour suivre aveuglément l’usage établi, qui vous
  surprend continuellement par son inconséquence, si, malheureusement
  pour vous, vous avez la puissance et l’habitude de réfléchir.

  «Et j’en appelle à tous ceux qui ont un peu médité sur nos facultés
  intellectuelles: y a-t-il rien au monde de plus funeste qu’un ordre
  de choses qui fait que la première et la plus longue étude de
  l’enfance est incompatible avec l’exercice du jugement? Et peut-on
  calculer le nombre prodigieux d’esprits faux que peut produire une si
  pernicieuse habitude, qui devance toutes les autres?»

  Destutt de Tracy fut un des partisans les plus convaincus de la
  proposition faite par Volney d’appliquer à l’écriture des langues
  orientales l’alphabet latin complété.


JOUY, membre de l’Académie française, en 1829, acceptait l’idée
fondamentale de la réforme dans sa réponse à l’_Appel aux Français_ de
M. Marle:

  «J’ai moi-même, écrit-il, exprimé plusieurs fois le désir de voir
  opérer dans l’orthographe de la langue française une foule de
  changements que le plus simple bon sens réclame. L’emploi des
  voyelles inutiles et des doubles consonnes dans les mots où la
  prononciation n’en fait sentir qu’une seule est un reste de barbarie
  que l’étymologie n’excuse pas même toujours.»


CHARLES NODIER, de l’Académie française en 1833, l’un des hommes les
plus compétents dans la question, n’hésite pas dans l’expression de son
sentiment:

  «Je place au premier rang des plus honorables ouvriers de
  la littérature les grammairiens, les lexicographes, les
  _dictionnaristes_. Si leurs dictionnaires sont mauvais, ce n’est
  presque jamais leur faute. C’est d’abord celle de la langue, qui
  n’est pas bien faite; celle de l’alphabet, qui est _détestable_;
  celle de l’orthographe, qui est _une des plus mauvaises et des plus
  arbitraires de l’Europe_. C’est ensuite celle de la routine qui est
  une loi en France. C’est peut-être enfin celle des institutions
  littéraires préposées à la conservation de la langue, et qui ont fait
  de cette routine un fatal monopole.»

Malgré ces aveux significatifs contenus dans la préface de l’_Examen
critique des dictionnaires de la langue françoise_, publié en 1829, on
doit convenir que Nodier, devenu membre de l’Académie française, fut
un des adversaires les plus redoutables du néographisme absolu, contre
lequel il épuisait les traits les plus acérés de sa verve spirituelle.
(Voir plus loin, Appendice D, à l’article d’Honorat Rambaud, p. 200.)


ANDRIEUX, secrétaire perpétuel de l’Académie française, esprit
judicieux, bon grammairien et littérateur de premier ordre, s’exprimait
ainsi de son côté en 1829, dans sa lettre à M. Marle:

  «Il est d’un bon esprit de désirer la réforme de l’orthographe
  française actuelle, de vouloir la rendre conforme, autant que
  possible, à la prononciation; il est d’un bon grammairien, et
  même d’un bon citoyen, de s’occuper de cette réforme; mais il est
  difficile d’y réussir. Voltaire, après soixante et dix ans de
  travaux, est à peine parvenu à nous faire écrire _français_ comme
  _paix_ et non pas comme _François_ et _poix_. On trouve encore des
  gens qui répugnent à ces changements si raisonnables et si simples.
  Les routines sont tenaces; le succès vous en sera plus glorieux,
  si vous l’obtenez. Vous vous proposez de marcher lentement et avec
  précaution dans cette carrière assez dangereuse: c’est le moyen
  d’arriver au but. Puissiez-vous l’atteindre!»

(Voir plus loin, Appendice D, à la date de 1829, la réclamation de M.
Andrieux contre M. Marle.)


Le professeur LAROMIGUIÈRE, membre de l’Académie des sciences morales
et politiques, écrivait à M. Marle à propos de son système:

  «Je pense, après Molière, Montesquieu, Du Marsais, que rien n’est
  plus désirable que l’exécution de votre projet. En rapprochant
  l’orthographe de la prononciation, vous nous apprendrez en même temps
  à lire, à parler et à écrire la langue française; ce sera un service
  signalé rendu à tous les Français et aux nombreux étrangers qui
  aiment notre littérature.»


DAUNOU, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et
belles-lettres, membre de l’Académie des sciences morales et
politiques, membre du Comité d’instruction publique de l’Assemblée
nationale, s’exprimait ainsi à propos des moyens de faciliter la
lecture aux enfants:

  «... J’invoque donc une réforme d’un plus grand caractère que celles
  qui ont été introduites jusqu’ici dans l’enseignement de la lecture.
  Je réclame, comme un moyen de raison publique, le changement de
  l’orthographe nationale, et je ne crois pas cette proposition indigne
  d’être adressée à des législateurs qui compteront pour quelque chose
  le progrès, ou plutôt, si je puis m’exprimer ainsi, la santé de
  l’esprit humain. Il n’est point question ici de quelques corrections
  partielles, semblables à celles que l’on a tentées, et qui ne sont
  bien souvent que de nouvelles manières de contrarier la nature.
  Je demande la restauration de tout le système orthographique, et
  que, d’après l’analyse exacte des sons divers dont notre idiome se
  compose, l’on institue entre ces sons et les caractères de l’écriture
  une corrélation si précise et si constante que, les uns et les autres
  étant égaux en nombre, jamais un même son ne soit désigné par deux
  différens caractères, ni un même caractère applicable à deux sons
  différens. Cette analyse des sons de notre langue, la philosophie
  l’a déjà faite, ou l’a du moins fort avancée. Cette correspondance
  invariable entre la langue parlée et la langue écrite, il ne faut
  plus que la vouloir pour l’établir avec succès. Nous ne pouvons pas
  désirer pour cette réforme importante une plus favorable époque que
  celle où les préjugés se taisent, où les habitudes s’ébranlent, où
  l’on travaille enfin à régénérer l’instruction.

  «On suppose qu’un tel changement dans l’orthographe doit entraver ou
  abolir l’usage des livres écrits selon la méthode ordinaire, ou du
  moins que la lecture de ces livres deviendrait presque inaccessible
  aux enfans accoutumés à un autre système graphique. Il ne s’agit,
  pour dissiper cette objection, que de bien expliquer ce que je
  propose. Assurément, je ne demande point que l’on n’imprime plus
  aucun livre avec notre orthographe actuelle, ni même que les lois
  soient écrites avec l’orthographe philosophique que j’ai indiquée.
  Les livres classiques que les enfans auront entre les mains, dans les
  écoles nationales, sont les seuls que j’aie ici en vue. A l’égard
  de tous les autres, il faut laisser agir le temps, la liberté et la
  raison.»


M. LITTRÉ, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et
juge si compétent en cette matière, s’exprime ainsi dans son _Histoire
de la langue française_, tome Ier, p. 327:

  «L’habitude commune dans les anciens textes de ne pas écrire les
  consonnes doublées qui ne se prononcent pas et de mettre _arester,
  doner, apeler_, etc., mériterait d’être transportée dans notre
  orthographe. On écrit dans les anciens textes au pluriel sans _t_ les
  mots _enfans, puissans_, etc.: cette orthographe, depuis longtemps
  proposée par Voltaire, est un archaïsme bon à renouveler. Ceux qui
  s’effrayeraient du changement d’orthographe ne doivent pas se faire
  illusion sur l’apparente fixité de celle dont ils se servent. On
  n’a qu’à comparer l’orthographe d’un temps bien peu éloigné, le
  dix-septième siècle, avec celle du nôtre, pour reconnaître combien
  elle a subi de modifications. Il importe donc, ces modifications
  étant inévitables, qu’elles se fassent avec système et jugement.
  Manifestement, le jugement veut que l’orthographe aille en se
  simplifiant, et le système doit être de combiner les simplifications
  de manière qu’elles soient graduelles et qu’elles s’accordent le
  mieux possible avec la tradition et l’étymologie...»

Dans un autre passage, le savant philologue constate ainsi l’influence
de l’orthographe sur le langage parlé et par suite l’importance d’une
écriture régulière pour le maintien même de la langue.

  «Notre langue fourmille de mots où l’écriture a fini par tuer la
  prononciation, c’est-à-dire que des lettres écrites, il est vrai,
  mais non prononcées, ont fini par triompher de la tradition et se
  faire entendre à l’oreille comme elles se montrent à l’œil.»


M. MAX MÜLLER, correspondant de l’Institut de France et l’un des
linguistes les plus éminents de l’Europe, écrivait, en 1863[122], à
propos de la réforme orthographique de la langue anglaise, les lignes
suivantes, qui s’appliquent, sous plus d’un rapport, à diverses
tentatives faites chez nous dans ces derniers temps:

      [122] _Nouvelles leçons sur la science du langage, cours professé
      à l’Institution royale de la Grande-Bretagne en l’année 1863, par
      M. Max Müller, et trad. de l’anglais par MM. Georges Harris et
      Georges Perrot._ Paris, A. Durand, 1867, in-8, t. Ier.

  «Je ne dois pas manquer ici à appeler l’attention sur les importants
  services qu’ont rendus ceux qui, pendant près de vingt ans, ont
  travaillé en Angleterre à faire passer dans la pratique les résultats
  de la recherche scientifique, en composant et en cherchant à propager
  un nouveau système «d’écriture abrégée et d’orthographe rationnelle»,
  plus connu sous le nom de _Réforme phonétique_. Je suis loin de me
  dissimuler les difficultés qui s’opposent au prompt succès d’une
  pareille réforme, et je ne me flatte pas de l’espoir qu’elle sera
  réalisée par quelqu’une des trois ou quatre générations qui nous
  suivront immédiatement. Mais je me sens convaincu du caractère de
  vérité et de raison que présentent les principes sur lesquels repose
  cette réforme: or le respect que nous inspirent naturellement la
  raison et la vérité, quoiqu’il puisse être endormi ou intimidé par
  instants, a toujours fini par avoir le dernier mot, et par peser dans
  la balance d’un poids irrésistible. Il a rendu les hommes capables
  de renoncer à leurs préjugés les plus chers, et à leurs cultes les
  plus sacrés, qu’il s’agît des lois sur les céréales, de la dynastie
  des Stuarts ou des idoles du paganisme; et je ne doute pas que
  notre orthographe irrationnelle n’ait le même sort que toutes les
  superstitions dont les hommes ont fini par se débarrasser. Il est
  déjà arrivé que des nations ont changé leurs signes de numération,
  leurs lettres, leur chronologie, leurs poids et leurs mesures.
  Peut-être M. Pitman ne vivra-t-il pas assez longtemps pour voir le
  résultat de ses efforts persévérants et désintéressés; mais on n’a
  pas besoin d’être prophète pour assurer que ce qui maintenant est hué
  par la foule devra l’emporter un jour ou l’autre, à moins que l’on ne
  trouve, pour combattre ce système, autre chose que quelques mauvaises
  plaisanteries déjà usées. Il y a, parmi les objections que l’on fait
  à ces projets de réforme orthographique, un argument qui devrait,
  à ce qu’il semble, avoir grand poids aux yeux du linguiste: cette
  réforme, dit-on, ferait, dans un grand nombre de cas, disparaître
  des lettres qui témoignent de l’étymologie des mots. Je ne puis
  pourtant prendre cet argument très au sérieux. Dans les langues, la
  prononciation change d’après des lois déterminées, tandis que, dans
  les idiomes modernes, pour ne parler que de ceux-ci en ce moment,
  l’orthographe a changé de la manière la plus arbitraire, de sorte que
  si notre orthographe suivait la prononciation des mots, elle serait
  en réalité plus utile à celui qui étudie le langage au point de vue
  critique que notre système actuel d’orthographe, avec ce qu’il y a
  d’incertain, d’arbitraire, d’étranger à toute méthode scientifique.»


M. L. QUICHERAT, membre de l’Académie des inscriptions, accepterait
volontiers une régularisation et quelques réformes de détail dans
le sens étymologique. Il s’exprime ainsi dans la préface de son
_Dictionnaire français-latin_, 1864:

  «J’ai suivi constamment pour guide le Dictionnaire de l’Académie,
  dont une longue pratique m’a fait de plus en plus apprécier le
  mérite. Il est facile de réunir contre un ouvrage si étendu un
  certain nombre de critiques de détail: ces petites imperfections ne
  sauraient déformer l’ensemble: _Ubi plura nitent, non ego paucis
  offendar maculis_.....

  «J’ai suivi presque toujours son autorité sous le rapport de la
  grammaire et de l’orthographe, bien que parfois je ne fusse pas
  satisfait de ses solutions. Ainsi je faisais tout bas mes réserves
  quand j’indiquais comme étant du masculin le mot _quadrige_, et du
  féminin le mot _exemple_ (d’écriture). Je trouvais assez singulier
  qu’on écrivît _dyssenterie_, quand on écrit tout de suite après
  _dysurie_. Je ne m’explique point par quelle subtilité on a établi
  entre _Zéphire_ et _zéphyr_ une distinction que l’étymologie condamne
  et dont les poëtes ne tiennent aucun compte. Je ne comprends rien à
  la bizarrerie qui conserve l’adjectif invariable dans cette locution:
  Ils se faisaient _fort_ de, elle se fait _fort_ de.

  «Pour l’orthographe, je n’entrerai point dans une foule de petites
  discussions que je laisse aux grammairiens. Seulement j’oserai blâmer
  l’Académie quand elle a la faiblesse d’abandonner un principe général
  pour se conformer à une erreur vulgaire. En somme, elle oublie trop
  qu’_elle a le droit et le devoir de dicter la loi_. Par exemple,
  je ne vois pas pourquoi, infidèle à ses propres traditions, elle a
  fini par accepter la nouvelle manière d’écrire le mot _terrain_, que
  certains étymologistes dérivent sans doute de _terra_ ou de je ne
  sais quel adjectif _terraneus_, faisant pendant à _subterraneus_.
  Mais l’Académie de 1694 écrivait _terrein_, comme l’exige la racine
  _terrenum_. Si l’on prétend établir une règle nouvelle, il faut
  au moins décréter que _plenus_ donnera le mot français _plain_,
  _serenus_, _serain_, etc. De même, l’esprit rude sur la voyelle
  initiale se représente en français par une _h_. La logique réclame
  une application universelle d’un principe aussi simple. Or, si
  l’on écrit _holocauste_, pourquoi _olographe_? pourquoi encore
  _erpétologie_?

  «Néanmoins, je me suis incliné devant toutes ces anomalies, et je
  n’ai fait cause à part que deux ou trois fois. Les mots _roide,
  roideur, roidir_, ont été omis, je ne sais pourquoi, dans la
  réforme voltairienne qui a conformé l’écriture à la prononciation.
  Dans la septième édition du Dictionnaire de l’Académie, je ne fais
  pas de doute que cela sera réformé. J’ai maintenu l’orthographe
  _disyllabe_, au lieu de _dissyllabe_, que j’avais déjà introduite
  dans d’autres ouvrages. Cela m’a paru nécessaire pour conserver la
  brève de l’adjectif latin, et pour qu’on ne crût pas voir dans ce mot
  un composé de _dissos_. Je puis dire que le savant et regrettable
  Boissonade avait applaudi à cette petite révolte contre l’autorité.»


M. Charles-Auguste SAINTE-BEUVE, membre de l’Académie française depuis
1845, a bien voulu consacrer dans le _Moniteur_ du 2 mars dernier
à la première édition du présent ouvrage un de ces articles où une
science profonde quoique toujours aimable se cache sous la forme la
plus séduisante. Je ne puis résister au désir de citer l’analyse
historique que le savant académicien a faite de la question, à propos
de mon travail, tout en passant sous silence les encouragements si
bienveillants qu’il veut bien donner à mes efforts.

  «Notre langue française, dit-il, vient en très-grande partie du
  latin. C’est un fait reconnu et que les philologues et critiques
  qui se sont occupés de l’histoire de la langue et qui ont étudié la
  naissance de la romane, d’où la nôtre est dérivée, ont mis de plus en
  plus en lumière. L’un de ces derniers historiens et qui s’est dirigé
  d’après la méthode et par les conseils des vrais maîtres, M. Auguste
  Brachet, a parfaitement exposé[123] cette formation de notre idiome.
  Mais ce n’est pas du latin savant, du latin cicéronien, c’est du
  latin vulgaire parlé par le peuple et graduellement altéré, que sont
  sortis, après des siècles de tâtonnement, les différents dialectes
  provinciaux dont était celui de l’Ile-de-France, lequel a fini par
  se subordonner et par supplanter les autres; lui seul est devenu la
  langue, les autres sont restés ou redevenus des patois.

      [123] _Grammaire historique de la langue française_, par M.
      Auguste Brachet; 1 vol. in-18, à la librairie Hetzel, 18, rue
      Jacob.

  «Quand je dis que cette langue romane des onzième et douzième
  siècles est sortie du latin vulgaire et populaire graduellement
  _altéré_, j’ai peur de me faire des querelles; car, d’après les
  modernes historiens philologues, les transformations du latin
  vulgaire ne seraient point, à proprement parler, des altérations:
  ce seraient plutôt des développements, des métamorphoses, des
  états successifs soumis à des lois naturelles, et qui devinrent
  décidément progressifs à partir d’un certain moment: il en naquit
  comme par voie de végétation, vers le dixième siècle, une langue
  heureuse, assez riche déjà, bien formée, toute une flore vivante
  que ceux qui l’ont vue poindre, éclore et s’épanouir, sont presque
  tentés de préférer à la langue plus savante et plus forte, mais
  plus compliquée et moins naïve, des âges suivants. Je n’ai point à
  entrer dans cette discussion, ni à chicaner sur cette préférence; ce
  que je voulais seulement remarquer, c’est que, sous cette première
  forme lentement progressive et naturelle, tous les mots français qui
  viennent du latin et par le latin du grec ont été adoucis, préparés,
  mûris et fondus, façonnés à nos gosiers, par des siècles entiers de
  prononciation et d’usage: ils sont le contraire de ce qui est calqué
  et copié artificiellement, directement. Ils n’ont pas été transportés
  d’un jour à l’autre et faits de toute pièce, tout raides et tout
  neufs, d’après une langue savante et morte, que l’on ne comprend que
  par les yeux et plus du tout par l’oreille.

  «A ce vieux fonds de la langue française il y a peu à réformer pour
  l’orthographe. Les mots en ayant été prononcés et parlés par le
  peuple, des siècles durant, avant d’être notés et écrits, toutes
  ou presque toutes les lettres inutiles ont eu tout le temps de
  tomber et de disparaître. Quand ils ont été écrits pour la première
  fois, ils ne l’ont pas été par les savants. L’usage a donc amené et
  produit pour ce vieux fonds domestique la forme qui, ce me semble,
  est définitive. La difficulté est surtout pour les mots savants
  et d’origine plus récente, importés à partir du seizième siècle,
  depuis l’époque de la Renaissance, et la plupart tirés du grec
  avec grand renfort de lettres doubles et de syllabes hérissées.
  Ces mêmes historiens de la langue et qui l’admirent surtout aux
  douzième et treizième siècles, dans sa première fleur de jeunesse
  et sa simplicité, sont portés à proscrire, à juger sévèrement toute
  l’œuvre de la Renaissance, comme si elle n’était pas légitime à
  son moment et comme si elle ne formait pas, elle aussi, un des
  âges, une des saisons de la langue. M. Auguste Brachet, qui n’est
  nullement favorable aux néologismes du seizième siècle, déclare
  en même temps absurde la tentative qui consisterait aujourd’hui à
  réduire et à simplifier, en les écrivant, bon nombre des doctes mots
  introduits alors. «Puisque l’orthographe du mot, dit-il, résulte
  de son étymologie, la changer, ce serait lui enlever ses titres de
  noblesse.» Telle cependant n’a pas été et n’est point l’opinion de
  beaucoup d’hommes instruits et d’esprits philosophiques depuis le
  seizième siècle jusqu’à nos jours.

  «Sans doute l’introduction de la plupart de ces mots s’étant faite
  par les savants et d’autorité pour ainsi dire, non insensiblement et
  par le peuple, ce ne saurait être à la manière du peuple et comme
  cela s’est passé pour le premier fonds ancien de mots latins,
  par une usure lente et continuelle, que la simplification peut
  s’opérer. Mais la même autorité qui a importé les mots et vocables
  scientifiques peut intervenir pour les modifier. Ainsi rien n’oblige
  d’user perpétuellement de cette orthographe grecque si repoussante,
  dans les mots _rhythme, phthisie, catarrhe_, etc.; et il y a
  longtemps que Ronsard et son école, tout érudits qu’ils étaient,
  avaient désiré affranchir et alléger l’écriture courante de cet
  «insupportable entassement de lettres». Ils n’y étaient point
  parvenus.

  «L’histoire des tentatives faites depuis le seizième siècle pour la
  simplification de l’orthographe nous est présentée fort au complet
  par M. Didot en son intéressante brochure, et il en ressort que pour
  réussir à obtenir quelque chose en telle matière et pour triompher
  de l’habitude ou de la routine, même lorsque celle-ci est gênante et
  fatigante, il ne faut pas trop demander, ni demander tout à la fois.

  «Joachim Du Bellay le savait bien, lui qui dans son _Illustration et
  Défense de la Langue_, où il proposait en 1549 tant d’innovations
  littéraires, n’a pas voulu les compliquer de l’emploi de
  l’orthographe nouvelle de Louis Meigret qu’il approuvait en principe,
  mais qu’il savait trop dure à accepter des récalcitrants.

  «Ces projets de réforme radicale dans l’orthographe, mis en avant
  par Meigret et par Ramus, ont échoué; Ronsard lui-même recula devant
  l’emploi de cette écriture en tout conforme à la prononciation:
  il se contenta en quelques cas d’adoucir les aspérités, d’émonder
  quelques superfétations, d’enlever ou, comme il disait, de _râcler_
  l’_y_ grec: il avait d’ailleurs ce principe excellent que «lorsque
  tels mots grecs auront assez longtemps demeuré en France, il convient
  de les recevoir en notre _mesnie_ et de les marquer de l’_i_
  français, pour montrer qu’ils sont nôtres et non plus inconnus et
  étrangers.»--Et pour le dire en passant, cette règle est celle qui
  se pratique encore et qui devrait prévaloir pour tout mot ou toute
  expression d’origine étrangère. Ainsi pour _à parte_: un _a-parte_,
  des _a-parte_; on l’écrivait d’abord en deux mots, et le pluriel
  ne prenait pas d’_s_; mais l’expression ayant fait assez longtemps
  quarantaine et ayant mérité la naturalisation, on en a soudé les
  deux parties, on en a fait un seul mot qui se comporte comme tout
  autre substantif de la langue, et l’on écrit: un _aparté_, des
  _apartés_.--C’est ainsi encore qu’il est venu un moment où les
  _quanquam_ sont devenus les _cancans_. Mais les _errata_, bien que si
  fort en usage et qui devraient être acclimatés, ce me semble, n’ont
  pu encore devenir des _erratas_, comme on dit des _opéras_[124].

      [124] «Chose bizarre! _errata_ employé au singulier est devenu un
      mot français puisqu’on dit un errata; et au pluriel, il est resté
      un mot étranger et latin, puisqu’il ne prend pas d’_s_ et qu’on
      écrit des _errata_ et non des erratas. C’est à des irrégularités
      de ce genre que les décisions de l’Académie peuvent porter
      remède.»

  «Corneille, après Ronsard, apporte à son tour son autorité en cette
  question de la réforme de l’orthographe. Dans l’édition qu’il
  donna en 1664 de son _Théâtre_ revu et corrigé, il mit en tête un
  Avertissement où il exposait ses raisons à l’appui de certaines
  innovations qu’il avait cru devoir hasarder, afin surtout, disait-il,
  de faciliter la prononciation de notre langue aux étrangers. Ces
  idées et vues de Corneille, excellentes en principe, me paraissent
  avoir été un peu compliquées et confuses dans l’exécution. Le grand
  poëte n’était pas un esprit pratique.

  «Ce qui est certain, c’est qu’une extrême irrégularité
  orthographique, une véritable anarchie s’était introduite dans les
  imprimeries pour les textes d’auteurs français au dix-septième
  siècle: il était temps que le Dictionnaire de l’Académie, si
  longtemps promis et attendu, vînt y mettre ordre.

  «Dans la préparation de ce premier Dictionnaire, et dans les cahiers
  qui en ont été conservés, on a les idées de Bossuet qui sont fort
  sages et fort saines. Il est pour une réforme modérée. Il est d’avis
  de ne pas s’arrêter sans doute à l’orthographe _impertinente_ de
  Ramus, mais aussi de ne pas s’asservir à l’ancienne orthographe «qui
  s’attache superstitieusement à toutes les lettres tirées des langues
  dont la nôtre a pris ses mots»; il propose un juste milieu: ne pas
  revenir à cette ancienne orthographe surchargée de lettres qui ne se
  prononcent pas, mais suivre l’usage constant et retenir les restes
  de l’origine et les vestiges de l’antiquité autant que l’usage le
  permettra.

  «Le premier Dictionnaire de l’Académie, qui parut en 1694, ne se
  contint point tout à fait, à ce qu’il semble, dans les termes où
  l’aurait voulu Bossuet, et l’autorité de Regnier des Marais, qui
  accordait beaucoup à l’archaïsme, l’emporta.

  «Ce ne fut qu’à la troisième édition de son Dictionnaire, celle qui
  parut en 1740, que l’Académie se fit décidément moderne et accomplit
  des réformes décisives dans l’orthographe. Il y avait eu Fontenelle
  et La Motte, avec leur influence, dans l’intervalle. Si l’on compare
  cette troisième édition à la première, elle offre, nous dit M. Didot,
  qui y a regardé de près, des modifications orthographiques dans
  cinq mille mots, c’est-à-dire dans le quart au moins du vocabulaire
  entier. Il se fit un grand abatis de superfluités de tout genre: «des
  milliers de lettres parasites disparurent.» C’est à cette troisième
  édition, où pénétra l’esprit du dix-huitième siècle, qu’on dut de ne
  plus écrire _accroistre, advocat, albastre, apostre, bienfaicteur,
  abysme_, etc.; toutes ces formes surannées et gothiques firent place
  à une orthographe plus svelte et dégagée. L’abbé d’Olivet eut la
  principale part dans ce travail; il fut en réalité le secrétaire et
  la plume de l’Académie; elle avait fini, de guerre lasse, par lui
  donner pleins pouvoirs.»

  «..... Le seizième siècle avait été hardi; le dix-septième était
  redevenu timide et soumis en bien des choses; le dix-huitième
  reprit de la hardiesse, et l’orthographe, comme tout le reste, s’en
  ressentit: elle perdit ou rabattit quelque peu, dès l’abord, de
  l’ample perruque dont on l’avait affublée. L’abbé de Saint-Pierre,
  qui fut le premier à réagir contre la mémoire de Louis XIV, faisait
  imprimer ses écrits dans une orthographe simplifiée qui lui était
  propre; mais le bon abbé tenait trop peu de compte, en tout, de la
  tradition, et on ne le suivit pas. D’autres esprits plus précis et
  plus fermes étaient écoutés: Du Marsais, Duclos,--n’oublions pas un
  de leurs prédécesseurs, le père Buffier, un jésuite doué de l’esprit
  philosophique,--l’abbé Girard,--mais Voltaire surtout, Voltaire le
  grand simplificateur, qui allait en tout au plus pressé, et qui, en
  matière d’orthographe, sut se borner à ne demander qu’une réforme
  sur un point essentiel, une seule: en la réclamant sans cesse et en
  prêchant d’exemple, il finit par l’obtenir et par l’imposer.

  «Cette réforme, toutefois, qui consistait à substituer l’_a_ à l’_o_
  dans tous les mots où l’_o_ se prononçait _a_, ne passa point tout
  d’une voix de son vivant: elle n’était point admise encore dans la
  quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie qui parut en 1762.
  Ce ne fut que dans la sixième édition, publiée de nos jours, en
  1835, que l’innovation importante, déjà admise par la généralité des
  auteurs modernes, trouva grâce aux yeux de l’Académie, et que la
  réforme prêchée par Voltaire fut consacrée.

  «Il y eut des protestations individuelles remarquables. Charles
  Nodier, par inimitié contre Voltaire d’abord, par l’effet d’un
  retour ultraromantique vers le passé, par plusieurs raisons ou
  fantaisies rétrospectives, continua de maintenir et de pratiquer
  l’_o_. Lamennais aussi, radical sur tant de points, était rétrograde
  et réactionnaire sur l’_o_: il affectait de le maintenir.
  Chateaubriand de même; c’était un coin de cocarde, un lien de plus
  avec le passé. Au reste, notre dix-neuvième siècle a présenté sur
  cette question de l’orthographe, et comme dans un miroir abrégé,
  le spectacle des dispositions diverses qui l’ont animé en d’autres
  matières plus sérieuses: il a eu des exemples d’audace et de
  radicalisme absolu, témoin M. Marle; une opposition ou résistance
  soi-disant traditionnelle, témoin Nodier et son école; un éclectisme
  progressif, éclairé et assez large, témoin le Dictionnaire de
  l’Académie de 1835; mais, depuis lors, il faut le dire, le siècle
  ne paraît point s’être enhardi: il y aura de l’effort à faire pour
  introduire dans l’édition qui se prépare toutes les modifications
  réclamées par la raison, et qui fassent de cette publication nouvelle
  une date et une étape de la langue. C’est à quoi cependant il faut
  viser.

  «Ne nous le dissimulons pas: il s’est fait depuis quelques années, et
  pour bien des causes, une sorte d’intimidation générale de l’esprit
  humain sur toute la ligne. La réforme de l’orthographe elle-même
  y est comprise et s’en ressent; on est tenté de s’en effrayer, de
  reculer à cette seule idée comme devant une périlleuse audace. Tout
  le terrain gagné en théorie depuis Port-Royal jusqu’à Daunou semble
  perdu. Nous avons à prendre sur nous pour redevenir aussi osés en
  matière de mots et de syllabes que l’était l’abbé d’Olivet.

  «On objecte toujours l’usage; mais il y a une distinction à faire
  et que Du Marsais dès le principe a établie: c’est la prononciation
  qui est un _usage_, mais l’écriture est un _art_, et tout art est
  de nature à se perfectionner. «L’écriture, a dit Voltaire, est la
  peinture de la voix: plus elle est ressemblante, meilleure elle est.»
  Il importe sans doute, parmi tous les changements et les retouches
  que réclamerait la raison, de savoir se borner et choisir, afin
  de ne point introduire d’un seul coup trop de différences entre
  les textes déjà imprimés et ceux qu’on réimprimerait à nouveau;
  il faut les réformer, non les travestir. J’ai sous les yeux les
  deux premiers livres du _Télémaque_, un texte classique imprimé
  selon les modifications que M. Didot propose à l’Académie. On
  peut différer d’avis sur tel ou tel point; mais mon œil n’est
  nullement choqué de l’ensemble. Il y a, d’ailleurs, quantité de
  corrections à introduire dans le nouveau Dictionnaire et qui ne
  sauraient faire doute un moment. Pourquoi, dans le verbe _asseoir_,
  l’Académie ne met-elle l’_e_ qu’à l’infinitif, et pourquoi, dans
  le verbe _surseoir_, met-elle l’_e_ à l’infinitif et de plus au
  futur et au conditionnel?--Pourquoi écrit-elle _abattement,
  abattoir_, avec deux _t_, et _abatis_ avec un seul?--Pourquoi
  _charrette, charretier_, avec deux _r_, et _chariot_ avec une
  seule?--Pourquoi _courrier_ encore avec deux _r_, et _coureur_ avec
  une seule?--Pourquoi _banderole_ avec une seule _l_ et _barcarolle_
  avec deux?--Pourquoi _douceâtre_ et non _douçâtre_, comme si l’on
  n’avait pas le _c_ avec cédille, etc., etc.[125]? Le Dictionnaire
  écrit _ostrogot_: pourquoi alors écrire _gothique_? Ce sont là des
  inconséquences ou des distractions qu’il suffit de signaler et qui
  sont à réparer sans aucun doute.

      [125] «Il y a un fort bon écrit d’un grammairien estimable, feu
      M. Pautex, _Errata du Dictionnaire de l’Académie_ (1862). Ce
      travail, fait sans aucune malveillance, est un des instruments
      les plus utiles à avoir sous la main pour l’édition nouvelle.»

  «L’introduction de l’_f_ au lieu de _ph_ dans quelques mots
  compliqués est plus capable de faire question. Il est bien vrai
  qu’autrefois, dans sa première édition, l’Académie avait écrit
  _phantosme, phantastique, phrenesie_, et que depuis elle a osé
  écrire _fantôme, fantastique, frénésie_, etc. Osera-t-elle
  bien maintenant appliquer la même réforme à d’autres mots et faire
  une économie de tous ces _h_ peu commodes et peu élégants, écrire
  _nimfes, ftisie, diftongue_.....? Je vois d’ici l’étonnement
  sur les visages. Et l’étymologie? va-t-on s’écrier. Mais, cette
  étymologie, on s’en est bien écarté dans les exemples cités tout à
  l’heure. Et puis cette raison qu’il faut garder aux mots tout leur
  appareil afin de maintenir leur étymologie est parfaitement vaine;
  car, pour une lettre de plus ou de moins, les ignorants ne sauront
  pas mieux reconnaître l’origine du mot, et les hommes instruits la
  reconnaîtront toujours. Ce sont là toutefois des questions de tact et
  de convenance où il importe d’avoir raison avec sobriété.

  «Je ne puis tout dire et je ne prétends en ce moment que signaler
  l’estimable et utile travail, depuis longtemps réclamé, que
  l’Académie vient d’entreprendre, en l’exhortant (sous la réserve du
  goût) à oser le plus possible; car ses décisions, qui seront suivies
  et feront loi, peuvent abréger bien des difficultés, et, notre
  génération récalcitrante une fois disparue, les jeunes générations
  nouvelles n’auront qu’à en profiter couramment.

  «Une innovation toute typographique que M. Didot propose et qui
  est aussi ingénieuse que simple, c’est que de même qu’on met une
  cédille sous le _c_ pour avertir quand il doit se prononcer avec
  douceur, on en mette une aussi sous le _t_ dans les cas où il est
  doux et où il doit se prononcer comme le _c_: _nation, patience,
  plénipotentiaire_, etc. Je ne crois pas qu’il puisse y avoir
  d’objection contre cette heureuse idée toute pratique et qui parle
  aux yeux.»

M. Sainte-Beuve émet ensuite une opinion aussi judicieuse
qu’éloquemment exposée sur l’admission d’un certain nombre de
néologismes dans l’édition du Dictionnaire que l’Académie prépare. Je
regrette de ne pouvoir reproduire ici ce passage qui sort de mon sujet
et qu’il faudra lire en entier dans le _Moniteur_. L’éminent critique
conclut ainsi:

  «Je ne fais que poser des questions sans prétendre le moins du monde
  les résoudre. Il y aura de quoi occuper, on le voit, et passionner
  innocemment bien des séances de l’Académie. Car, selon la remarque
  de l’abbé de Choisy, ces disputes sur la langue et l’orthographe
  ne finissent point; et il ajoute «qu’elles n’ont jamais converti
  personne». Ici pourtant il convient qu’elles aboutissent et que
  l’on conclue: la moindre partie des réformes proposées sera déjà un
  progrès, si on l’accepte.

  «M. Didot, pour revenir à lui, le sait bien: il demande le plus
  pour obtenir le moins. Sans doute il a raison et mille fois raison.
  Mais depuis quand a-t-il suffi dans les choses humaines, et même
  dans les choses littéraires, d’avoir cent mille fois raison? C’est
  déjà beaucoup si l’on ne vous donne pas tout à fait tort. Il en est
  de l’orthographe comme de la société: on ne la réformera jamais
  entièrement; on peut du moins la rendre moins vicieuse. Parmi les
  regrets de M. Didot et dont il faut qu’il fasse son deuil, l’un des
  plus vifs est sur ce mot même d’_orthographe_: en effet, il n’y eut
  jamais de mot plus mal formé. Il fallait dire _orthographie_, comme
  on dit _philosophie, biographie, télégraphie, photographie_,
  etc. Que dirait-on si le nomenclateur de ces derniers arts avait
  imaginé de les intituler la _photographe_, la _télégraphe_? Mais
  commettre cette ânerie pour le mot même qui répond juste à bien
  écrire, convenez que c’est jouer de malheur. L’ironie est piquante.
  Qu’y faire? Tous les décrets académiques ou autres n’y peuvent rien.
  Tirons-en une leçon. Cette espèce d’accident et d’affront qui a
  défiguré tout d’abord d’une manière irréparable le mot même exprimant
  l’art d’écrire avec rectitude nous est un avertissement qu’en telle
  matière il ne faut pas ambitionner une réforme trop complète, que la
  perfection est interdite, qu’il faut savoir se contenter, à chaque
  reprise, du possible et de l’à-peu-près.»




APPENDICE _D_.

HISTORIQUE DES RÉFORMES ORTHOGRAPHIQUES PROPOSÉES OU ACCOMPLIES.


Après avoir fait connaître, dans un rapide exposé, l’opinion des
membres de L’_Académie française_ et de l’Académie des inscriptions et
belles-lettres, je vais essayer, dans l’historique qui va suivre, de
donner une juste idée des changements et des progrès tentés et parfois
réalisés, dans la voie du perfectionnement de notre orthographe, sous
l’influence des hommes les plus instruits depuis la renaissance des
lettres. En constatant l’étendue des services déjà rendus à la langue
par les novateurs, on ne saurait, sous prétexte que plusieurs auraient,
dans leur amour de la perfection, dépassé les bornes du possible et
encouru la qualification d’utopistes, dédaigner complétement les
opinions et les vœux émis pendant quatre cents ans par des hommes zélés
pour le bien public, et des esprits éminents.

Frappés, au premier abord, de l’aspect inusité d’une page écrite
dans le système des néographes absolus (système qui depuis longtemps
toutefois sert de base à la sténographie), nous repoussons avec
un répugnance instinctive un résultat qui nous semble donner aux
productions de l’intelligence moderne le vêtement d’un idiome enfantin
et barbare. Dans l’état actuel de notre civilisation, on ne saurait
concevoir la pensée de remplacer ou même de métamorphoser notre
antique alphabet, quels que soient d’ailleurs, dans bien des cas, son
insuffisance et ses vices. L’étude de la néographie, néanmoins, n’est
point à dédaigner de la part des esprits sérieux. Nous ne sommes point
parvenus, sous le rapport des méthodes d’enseignement, et spécialement
de la lecture et de la grammaire, à l’idéal de la perfection: il y
a peu de nations du continent qui ne soient en avance sur nous de
ce côté. Il est donc utile de se rendre compte des critiques dont
notre langage, et surtout notre orthographe, sont passibles, afin de
reconnaître la voie dans laquelle on doit s’avancer pour distinguer,
mieux qu’on ne l’a fait jusqu’ici, le bon du mauvais usage, et
découvrir quelquefois la raison même de l’usage.

A n’envisager maintenant que les critiques de détail, que les réformes
partielles, que les compromis entre l’étymologie et la prononciation,
que la mise en ordre de l’accentuation, qui composent en majorité les
travaux entrepris sur l’orthographe, il y a beaucoup à profiter dans
l’étude des contradictions et des irrégularités de notre écriture,
ainsi que dans celle des moyens proposés pour en diminuer le nombre.
Cet examen nous force à réfléchir sur la constitution de notre
idiome, sur son histoire, sur la validité de certains préceptes de la
grammaire et sur les solutions qui doivent prévaloir. La persistance
des réclamations depuis le seizième siècle, malgré le peu de succès
du plus grand nombre d’entre elles, semblerait montrer qu’en matière
d’écriture, comme en tout autre art ou toute autre science, l’ordre
et la logique sont un besoin fondamental de l’esprit. En tout état de
cause, notre langue ne saurait que gagner à s’individualiser davantage,
en se dégageant de plus en plus de ses langes originaires, d’additions
de lettres inutilement scientifiques et de date récente, enfin en
se préservant de la funeste influence du néologisme chimique ou
médical[126], non moins que de l’invasion des locutions étrangères.

      [126] Il suffira d’un simple coup d’œil sur les dernières
      éditions du nouveau _Dictionnaire de médecine_ de Nysten, si
      savamment complété par MM. Littré et Ch. Robin, pour se rendre
      compte de la destruction imminente dont notre langue est menacée
      de ce côté. Le lexicographe enregistre, bien malgré lui, des mots
      inutiles ou mal formés. Les savants, en effet, forgent sur le
      type grec des mots français qu’ils croient appropriés à l’énoncé
      de leurs systèmes, sans trop s’inquiéter si dans notre langue
      n’existent pas déjà des expressions capables de rendre leur idée.
      D’autres, pour faire parade d’une érudition qui leur manque, nous
      apportent des barbarismes ou des solécismes, comme _œnophile,
      bibliophile, lithontriptiques, orthopnée, apyre, hydroscope_,
      etc. Voyez B. Jullien: _Les principales étymologies de la langue
      française_, Paris, Hachette, 1862, in-12.

Je crois donc rendre un véritable service à l’étude de notre idiome
par l’esquisse de la réforme depuis son origine, esquisse qui pourra
plus tard être étendue et transformée en une véritable histoire.

J’ai marqué d’un astérisque, au commencement des titres, les ouvrages
que je n’ai pu voir et que j’ai seulement trouvés cités dans les
auteurs.


AU SEIZIÈME SIÈCLE.

    GEOFROY TORY. _Champ fleury_, etc. Acheue dimprimer le xxviij Iour
    du mois Dapuril Lan mil cincq cens XXIX pour maistre Geofroy Tory
    de Bourges, autheur dudict liure. Paris, in-4.

Dans cet ouvrage, dont le privilége est du 5 septembre 1526, Tory
réclame (fol. 52 recto, 56 verso) l’emploi des accents et de
l’apostrophe. Dès qu’il fut imprimeur, il ne tarda pas à introduire
dans ses éditions plusieurs de nos signes orthographiques. Dans
l’_Adolescence clementine_ de Clément Marot, imprimée le 7 juin 1533,
Tory annonce ainsi cette réforme: «Auec certains accens notez, cest
assauoir sur le _é_ masculin different du feminin, sur les dictions
ioinctes ensemble par sinalephes, et soubz le _ç_ quand il tient de la
prononciation de le _s_, ce qui par cy deuant par faulte daduis n’a
este faict au langaige françoys, combien qu’il y fust et soyt tres
necessaire.»


* JEAN SALOMON s’est, dans le cours de la même année 1533, servi
du _ç_ dans une dissertation intitulée: _Briefue doctrine pour
deuement escripre selon la propriete du langage francoys_, reliée
dans l’exemplaire de la Bibl. imp. du _Miroir de l’ame pecheresse_
de Marguerite de Navarre, édition sans lieu, sans date et sans nom
d’imprimeur. Voir _Geofroy Tory_, par M. Auguste Bernard, 2e édition,
Paris, Tross, 1865, in-8º, p. 374.

    * _Tresvtile. Et. cõ | pendieulx Traicte de lart et science dorto
    | graphie Gallicane | dedans lequel sont com | prinses plusieurs
    choses necessaires | curieuses | nouvelles | et dignes de scauoir
    | non veues au | parauant. Auec une petite introdouction pour |
    congnoistre a lire le chiffre._ (A la fin:) _Imprime a Paris pour
    Jehã Saĩt denis | libraire demourãt a Paris_, etc. (s. d.), pet.
    in-8, goth. de 18 ff. (Cet opuscule commence par une épître à
    _Jacques Daoust, bailly d’Abbeuille_, pièce datée de cette ville,
    _le XXII de septembre. Mil cinq centz vingt neuf._)

Il m’a été impossible de me procurer ce livre introuvable, qui est
le premier traité de l’orthographe, ou plutôt, comme dit logiquement
l’auteur lui-même, de l’_Ortographie_ française, écrit en français. Le
seul exemplaire connu a figuré à la vente Veinant.


    GILLES DU WÈS (ou DEWES, ou DU GUEZ). _An Introductorie for to
    lerne, to rede, to pronounce and to speke french trewly, compyled
    for the right high, exellent and most vertuous lady the lady Mary
    of Englande, doughter to our most gracious soverayn lorde kyng
    Henry the eight._ (A la fin:) Printed at London by Thomas Godfray
    (vers 1527), in-4, goth.

Les deux premiers ouvrages de quelque importance sur notre orthographe
sont sortis de la cour des rois d’Angleterre, qui déjà, trois siècles
et demi auparavant, avaient été les mécènes des auteurs des premiers
poëmes de la Table ronde rédigés en français.

L’auteur de cette grammaire, qui s’est nommé dans un acrostiche,
rédigea son ouvrage vers 1527, et il l’a dédié à la princesse Marie,
fille de Henri VIII, alors âgée de douze ans et devenue plus tard
Marie la Sanglante. Il emploie quelques accents pour faciliter la
prononciation, et il les marque sous les voyelles et non au-dessus.
Voici un spécimen de son orthographe, tiré d’une pièce de vers
adressée à sa royale élève pour s’excuser de ne pouvoir continuer ses
leçons à cause de la goutte qui le tourmente:

        «A uous, tressouueraine maistresse,
        jenvoy ces uerse, uoullant sinifiér
        ma grand doulleur et que plus mopresse
        ne uous pouoir seruir et enseygnér
        que de souffrir maladie et dangiér;
        pourquoy, sil plaist tant faire a uostre grace
        les uoulloir lire quelque petitte espace
        mon espoir est que mieulz uous en vauldrés
        et par ce point aussi mescuserés.

        «Entre les mois qui accomplissent lan
        deux en y a espéciallement
        qui mont fait deul, grant ennuy et ahan,
        estre ne peult que je die aultrement;
        souvent ay ueu leur maniere et comment
        ilz mont traicte, sans lauoir deseruy
        pour ce quilz sont de courage asseruy,
        naimant jamais les œuures de printemps
        ains sans cessér leur font mal en tous temps.

        «Le principal duquel plus je me plains
        en son blason se fait nommér Décembre;
        par luy ay fait pleurs et soupirs mains
        ja ne sera que ne men remembre;
        luy et Januiér mont tollu ung membre
        qui me fera que tant que je uiuray
        en grant doulleur doresnauant iray
        pourquoy je crains quen grant merencolie
        en fin fauldra que jen perde la uie.»

On voit que l’orthographe de du Guez, venu trop tôt pour s’inspirer de
l’exubérance de lettres qui, à partir de la Renaissance jusqu’à la fin
du XVIIe siècle, s’est montrée dans l’écriture, est demeurée presque
aussi sobre que l’est devenue aujourd’hui la nôtre.

Fr. Génin croit que le livre de du Guez n’a été publié qu’après
l’ouvrage de Palsgrave qui suit.


    JEHAN PALSGRAVE. _Lesclarcissement de la langue francoyse, compose
    par maistre Iehan Palsgrave Angloys, natyf de Londres et gradue de
    Paris._ Neque luna per noctem. Anno uerbi incarnati M.D.xxx (avec
    privilége de 1531). (A la fin:) _The imprintyng fynysshed by Iohann
    Haukyns the_ XVIII _daye of Iuly_. _The yere of our lorde God._
    MCCCCC _and_ XXX. In-fol. goth.

Ce second ouvrage, bien plus important, est dédié à Henri VIII. Dans sa
préface l’auteur dit s’être conformé pour le plan de son livre à celui
de la Grammaire grecque de Théodore de Gaza. Par les exemples qu’il
donne et par l’accent tonique qu’il place sur les voyelles, on voit que
sa prononciation différait notablement de la nôtre et qu’elle était
parfois beaucoup moins douce. Voici comment il marque pour un lecteur
anglais la prononciation des vers qui commencent le _Roman de la Rose_:

        Maintes gentes dient que en songes
        _Máinto jan díet kan sóungos_
        Ne sont que fábles et mensonges
        _Ne soun ko fábles e mansongos_
        Mais on peult telz songes songier
        _Mays oun peut tez sóungo soungiér_
        Que ne sont mye mensongier.
        _Ke ne soun myo mansoungiér_.

Il place l’accent tonique de la façon la plus correcte. Il formule
ainsi son précepte: «Règle unique. Les mots dans la langue française
ont leur accent sur la dernière syllabe (masculine).» Ex.:
_honorablemént, paróy, cordelíer_, ils _áyment_, ils _aymérent_, vous
_parlástez_ (_parlâtes_), _cest ung terríble cás_. Les enclitiques
n’ont jamais l’accent. Il écrit sans division et ainsi accentués:
_souventesfóys, aulcunefóys, plusieursfóys, dixfóys, troysfóys,
quattrefóys, entredeúx, paradventúre, à lencóntre, jusquadíx,
jusquaumourír_.

On voit par ces exemples combien l’ouvrage de Palsgrave est précieux
pour nous faire connaître les véritables traditions de la prononciation
du français, mieux conservées au commencement du seizième siècle
qu’après le mouvement littéraire de la Renaissance.

Fr. Génin a donné, dans les _Documents inédits pour servir à l’histoire
de France_, une bonne réimpression des ouvrages de Palsgrave et de du
Guez.


    JACQUES SYLVIUS (Dubois). _In linguam gallicam Isagωge._ Parisiis,
    ex officina Roberti Stephani_, 1531, in-4 de VIII ff. et 159 pp.

Dans ce traité, Jacques Sylvius, un des hommes les plus érudits
de son temps, a présenté, pour la première fois, des artifices
très-ingénieux mais peu pratiques, pour bien faire comprendre aux
latinistes, c’est-à-dire à tous les étrangers instruits, auxquels il
se propose d’apprendre le français, le mécanisme de la prononciation.
Avec un certain nombre d’accents ^, ̄ , ̑ , ´, `, détermine la
valeur phonique des voyelles digrammes, mal dénommées sous le nom de
diphthongues, _ai, ei, oi, au, eu, ou_. Il écrit _cͪeu-al_[‡]
de _caballus, cͧeûr, meu͒rt, limac͌on_[‡]. Nous avons vu Geofroy
Tory, aussi habile artiste que savant typographe, remplacer ce dernier
signe par l’emploi de la cédille, qui, placée sous le _c_, ne défigure
en rien l’aspect de nos impressions.

      [‡] Nous représentons ici par cͪ un c surmonté d'un petit h, par
      cͧ un c surmonté d'un petit u, par u͒ un u surmonté d'un
      macron ̄  et d'une brève inversée ᵔ, et par c͌ un c surmonté de
      deux petits s.

Sylvius distingue le _j_ consonne de l’_i_ voyelle, et le _v_ de l’_u_,
ce qui n’est pas un faible mérite, puisque cette confusion a duré près
de deux siècles après lui, et n’a cessé qu’après avoir été adoptée par
les Hollandais[127].

      [127] Voyez la Préface de Corneille, dans la grande édition qu’il
      a donnée de ses œuvres en 1664, et reproduite ci-dessus, p. 125.

Dubois fut un des précurseurs de la philologie moderne. Son chapitre
de l’étymologie contient une foule d’excellentes observations sur
les mutations des lettres latines en lettres françaises et sur
la dérivation de nos vocables. On comprend que, par suite de ces
recherches, son orthographe soit plus étymologique que celle d’une
grande partie des auteurs de son époque. L’usage judicieux qu’il a fait
du patois picard donne à sa méthode un grand intérêt historique.

      [Note de transcription.] L'Errata contient la note additionnelle
      suivante: Les signes orthographiques adoptés par Sylvius et
      placés au-dessus des lignes ne doivent être considérés que comme
      système pédagogique pour indiquer la prononciation de son temps
      et non comme méthode orthographique.


    ÉTIENNE DOLET. _La maniere de bien traduire d’une langue en aultre,
    de la ponctuation françoyse, des accens d’ycelle_, s. l. n. d.
    (1540), in-8 de 20 ff. (_Souvent réimprimé._)

Les imprimeurs ont été de tout temps émus plus que d’autres des vices
de l’écriture française et désireux d’y apporter remède. Étienne Dolet,
imprimeur de Lyon, helléniste et latiniste consommé, préparait depuis
plusieurs années, sous le titre de l’_Orateur_, un traité complet de la
langue, de l’orthographe et de la poésie françaises. Sa fin déplorable
l’empêcha de le mettre au jour. Dans plusieurs de ses éditions, et
notamment dans l’opuscule que je cite, il put du moins compléter en
partie les perfectionnements apportés quelque temps auparavant par
Geofroy Tory.

Nous devons à Dolet d’avoir inauguré l’usage de l’accent grave sur _à_
préposition, _là_ adverbe. L’apocope ^ qu’il propose, particulièrement
en poésie, dans les mots _mani^ment_ pour _maniement, lai^rra,
pai^rra, vrai^ment, hardi^ment_, est le premier germe de notre
accent circonflexe, dont l’emploi, tardif en grammaire, pourrait être
étendu avec tant d’avantages.

Il a enseigné l’usage du tréma: _païs, poëte_, sans en faire
précisément la même application que de nos jours.

Il ne veut pas, devançant ainsi une réforme qui ne s’est généralisée
que deux siècles plus tard, qu’on écrive des _dignitez_, des
_voluptez_, mais bien _dignités, voluptés_, réservant la lettre _z_
pour la terminaison de la seconde personne du pluriel des verbes. Il
rétablit le _t_ au pluriel des mots terminés en _ant_, et complète
cette judicieuse réforme en écrivant _touts_ (_omnes_).

Bien qu’étymologiste en matière d’orthographe, comme les Estienne, il
admet comme eux d’indispensables simplifications. Son orthographe est
malheureusement un peu irrégulière, comme celle de tous les écrivains
qui ont précédé l’Académie française. Tandis qu’il écrit _aureilles,
quelcque, maling, soubdain, rhithme_ (pour rime), il corrige
ainsi: _cinqiesme, alaine_ (_halitus_), _haren, j’exepte,
r’imprimer, r’ouvrir_, et quelquefois _home_.

Un de ses principaux titres à l’estime des grammairiens sera peut-être
de s’être prononcé, d’après l’exemple des Grecs et des Latins,
contre l’emploi de l’accent qu’il appelle _enclitique_, et que nous
représentons aujourd’hui par le trait d’union. (Voir plus haut, p. 58,
la _Notice_ sur ce sujet.)


    ROBERT ESTIENNE. _Dictionaire francois latin, autrement dict
    les mots francois, auec les manieres dvser diceulx, tournez en
    latin, corrigé et augmenté._ Paris, de l’imprimerie de Robert
    Estienne, 1549, pet. in-fol. de 676 pp. (La première édition
    est de 1539.)--_Traicté de la grammaire francoise._ L’Oliuier
    de Rob. Estienne (1557), pet. in-8 de 110 pp.; _ibid._, 1569,
    in-8 de 128 pp.

Les services que ce savant imprimeur a rendus à la langue sont
immenses. J’ai montré plus haut, p. 108, l’importance du premier
dictionnaire complet français-latin qu’il a publié. Ses presses
multiplièrent à l’infini ces traités de grammaire, ces lexiques qui
fixaient et vulgarisaient les principes de la langue. Pendant ses
veilles laborieuses, il rédigeait, sous toutes les formes, des livres
élémentaires que ses ouvriers imprimaient aussitôt. Pour en rendre
l’utilité plus générale, il publiait en latin et en français des
grammaires et de petits écrits, dont il donnait des éditions séparées.
Écrivant sous l’influence latine, et voulant vulgariser l’étude du
français dans une population naguère demi-latine, on conçoit qu’il
employa de préférence l’orthographe la plus généralement répandue parmi
les savants. Toutefois la sienne est meilleure et plus logique que
celle de la plupart des écrivains de son temps.

En voici un spécimen, tiré de l’avis au lecteur placé en tête de la
première édition de sa Grammaire:

  «Pourtant que plusieurs desirans auoir ample cognoissance de nostre
  langue francoise, se sont plains a nous de ce qu’ils ne pouoyent
  aiseement saider de la Grammaire francoise de maistre Lois Maigret
  (a cause des grans changements qu’ils y voyoyent, fort contraires a
  ce qu’ils en auoyent ia apprins, principalement quant a la droicte
  escripture), ne de l’introduction a la langue francoise composee par
  M. Iaques Syluius medecin (pourtant que souuent il a meslé des mots
  de Picardie dont il estoit), nous ayans diligemment leu les deus
  susdicts autheurs (qui pour certain ont traicté doctement pour la
  plus part, ce qu’ils auoyent entrepris), auons faict ung recueil,
  principalement de ce que nous auons veu accorder a ce que nous auions
  le temps passé apprins des plus scauans en nostre langue, etc.....»

On doit regretter qu’il n’ait pas, non plus que son fils, pris de
Sylvius la distinction du _v_ d’avec l’_u_, du _j_ d’avec l’_i_; de
Dolet l’accent sur _a_ préposition; de Tory l’apostrophe dans tous les
cas et la cédille. Ces derniers perfectionnements ne se rencontrent
que dans la seconde édition de sa Grammaire. En fait d’écriture et
d’orthographe, il n’y a pas de minimes économies de temps à négliger:
l’utilité pratique qui résulte de la moindre amélioration profite aux
générations qui se succèdent, et ces changements épargnent des peines
inutiles à des millions de personnes.

Étymologiste comme Dolet, il a fait peu de chose pour la
simplification, et n’a guère innové en fait d’orthographe. Il écrit
_roole, aage, aiseement_. Il propose un instant de distinguer
le son du _g_ doux par un autre caractère, et d’employer le I
majuscule à cette fonction. C’est ainsi qu’il écrit _paIe_ (_pagina_),
_simIe_ (_simia_), _vendemIe_ (_vendemia_), que nous écrivons
aujourd’hui _page, singe, vendange_. Le signe _i_ figurait alors
indistinctement le son _j_ ou le son _i_. En remplaçant par un _I_
capital le _g_ (ayant le son de _j_), R. Estienne assignait à cet
_I_ le son du _j_; et il est probable que si cette lettre _j_ eût
alors été connue, son adoption eût prévalu sur celle du _g_ doux, ce
qui nous aurait évité l’obligation d’ajouter un _e_ parasite à la
suite du _g_, lorsque nous voulons lui donner le son du _j_, comme
dans _vendangeons_; mais ensuite, abandonnant cet emploi insolite de
l’_I_, il écrivit dans son Dictionnaire _page, singe, vendenge_
et _vendengeons_. Cette grande lettre pour remplacer le _g_, placée
d’une manière si bizarre au milieu des mots, avait, en effet, un aspect
déplaisant qui dut lui en faire abandonner l’emploi.

  Robert Estienne se montre par moments quelque peu esclave de la
  routine: «Nos anciens ont escript,» dit-il dans sa Grammaire (page
  6-7), «_vng_ auec _g_ en la fin, de peur qu’en escriuant _vn_, ne
  semblast estre le nombre VII; toutesfois cela ne plaist a plusieurs.
  Nous scauons que _g_ en ce lieu ne sert de rien, sinon pour ceste
  cause: si ailleurs ils l’admettent ou il y a moins de cause, qu’ils
  l’admettent aussi en ce petit et court mot: s’il ne leur plaist,
  ie ne veulx estre contentieux, qu’ils escriuent _vn_ et moy _vng_.
  Ils ont qui les suyuent, et ie m’arreste aux ancien scauans qui en
  scauoyent plus que nous[128].»

      [128] Dans l’édition de 1569, Robert Estienne, tout en conservant
      ce passage, écrit _un_ sans _g_ final.

On voit par cette citation que Robert, _laudator temporis acti_,
et chez qui l’usage de la langue grecque et latine se confondait
avec celui du français, n’éprouvait pas plus que la plupart de ses
contemporains le besoin de l’uniformité orthographique.


    LOUIS MEIGRET. _Traité touchant le commun usage de l’escriture
    francoise; auquel est debattu des faultes et abus en la vraye
    et ancienne puissance des letres._ Auecq priuilege de la court
    (de 1542). Paris, Jeanne de Marnef, 1545, in-8 de 64 ff. non
    chiff.--_Le Trette de la Grammaire françoeze_. Paris, Wechel,
    1550, in-4 de 144 ff.--GUILLAUME DES AUTELS. _Traité touchant
    l’ancien ortographe françois et écriture de la langue françoise,
    contre l’ortographe des Meygretistes, par Glaumalis de Vezelet._
    Lyon, 1548, in-8 et 1549, in-16.--_Defenses de_ LOUIS MEIGRET,
    _touchant son livre de l’ortographe françoise, contre les censures
    et calomnies de Glaumalis de Vezelet (Guillaume des Autels) et
    ses adherans_. Paris, Wechel, 1550, in-4 de 18 ff.; Lyon, 1550,
    in-8.--_Replique de_ GUILLAUME DES AUTELZ _aux furieuses defenses_
    de Louis Meigret. Lyon, Iean de Tournes et Guill. Gazeau, 1551,
    pet. in-8 de 127 pp. (La _Replique_ finit à la p. 74.)--_Réponse
    à la dézesperée replique de Glaumalis de Vezelet, transformé en
    Gyllaome des Aotels._ Paris, 1551, in-4 de 95 pp.

Meigret est un de ces esprits rigides qui n’admettent pas de compromis
entre la configuration étymologique et la configuration de la
_prolation_, comme on disait de son temps. Contrairement à l’école
toute-puissante des érudits de la Renaissance, il annonce qu’il a
travaillé pour _le commun peuple_.

  «Ie ne voy point, dit-il, de moyen suffisant ny raisonnable excuse
  pour conseruer la façon que nous auons d’escrire en la langue
  françoyse... Notre écriture, pour la confusion et commun abus des
  letres, ne quadre point entierement à la prononciation.

  «Les voix, ajoute-t-il, sont les elemens de la prononciation, et les
  letres les marques ou notes des elemens..... Puisque les letres ne
  sont qu’images de voix, l’escriture deura estre d’autant de letres
  que la prononciation requiert de voix; si elle se trouve autre, elle
  est faulse, abusiue et damnable.»

Meigret a proposé d’excellentes simplifications que l’usage a
sanctionées pour quelques-unes, comme l’emploi de _ç_ qu’il emprunte,
dit-il, aux Espagnols[129], la suppression du _g_ dans les mots où
il n’est pas prononcé, tels que _cognoistre, ung, besoing_, etc., où
il n’était qu’un signe orthographique usité au siècle précédent pour
indiquer la nasalité. Il biffe le _d_ de _advenir, advisé_. Il veut
qu’on écrive _dit, fait_, et non _dict, faict_; _bete, fete_ et non
_beste, feste_.

      [129] Voir plus haut, p. 177, l’article de Geofroy Tory.

D’autres modifications qu’il a proposées n’ont pas prévalu, ce qui
est regrettable pour quelques-unes, telles que _dixion_ ou _diccion_,
au lieu de _diction_; _manifestacion, annonciacion_, etc.; le _n_ à
jambage pour _gn_ mouillé.

Il ne se fait pas illusion sur les chances de succès de sa réforme:

  «La plus part de nous, François, usent de cette superfluité de letres
  plus POUR PARER LEUR ESCRITURE que pour opinion qu’ilz ayent qu’elles
  y soient necesseres... sans avoir égard si la lecture, pour laquelle
  elle est principallement inuentée, en sera facile et aisée. I’ose
  bien d’auantage asseurer que c’est bien l’vne des principales causes
  pour laquelle ie n’espère pas iamès, ou pour le moins il sera bien
  dificile, que la superfluité de letres soit quelquefois corrigée,
  quoy qu’il s’ensuyue espargne de papier, de plume et de temps, et
  finablement facilité et aisance de lecture à toutes nations.»

Meigret eut l’honneur de faire école. Pendant plusieurs années on
parla beaucoup des _meigreitistes_ et l’on rompit des lances, dont le
fer n’était pas toujours émoulu, contre eux ou en leur honneur[130].
Ronsard, du Bellay et Baïf se déclarèrent partisans du système. Mais ce
mouvement dut bientôt s’assoupir.

      [130] Voir _Replique de Guillaume des Autelz_.

Tout novateur en fait d’orthographe échouera s’il porte un trouble trop
grand dans les habitudes, et s’il veut atteindre sur-le-champ un but
dont on ne peut approcher qu’avec l’aide du temps. En effet, Meigret
fut forcé plus tard d’abandonner son propre système dans sa traduction
du livre des _Proportions du corps humain_, d’Albert Dürer, et il ne
fut repris complétement par personne.

Quel qu’ait été le sort de ces systèmes, aujourd’hui tombés dans
l’oubli ou dépassés, ils ne méritent ni la dérision ni le blâme. Les
luttes ardentes qu’ils ont provoquées ont servi à l’élucidation et à
l’affermissement des principes qui ont porté si haut l’éclat de notre
littérature. Plusieurs modifications de détail longtemps dédaignées ont
été d’ailleurs reprises dans des temps plus favorables.


    JOACHIM DU BELLAY. _La Defense et illustration de la langue
    françoise_, par I. D. B. A. Paris, A. L’Angelier, 1549 et 1557 pet.
    in-8; _ibid_, F. Morel, 1561, in-4, et autres. (Réimprimée aussi
    sous le titre d’_Apologie pour la langue françoise_.)

Dans ce célèbre plaidoyer, où du Bellay revendique pour notre langue
la supériorité que lui assurerait surtout son «recours à ses origines
nationales», tout ce qu’il dit pour faciliter l’étude du français
s’applique naturellement à l’orthographe, et dans son _Avis au lecteur_
il s’exprime ainsi:

  «Quant à l’orthographe, j’ai plus suivy le commun et antique usage
  _que la raison_, d’autant que cette nouvelle (mais légitime à mon
  jugement) façon d’escrire est si mal reçüe en beaucoup de lieux,
  que la nouveauté d’icelle eust pu rendre l’œuvre, non gueres de soy
  recommandable, mal plaisant, voire contemptible aux lecteurs.»

Et ailleurs il dit:

  «J’entends bien que sur ce qui reste à faire, les professeurs des
  langues ne seront pas de mon opinion, encore moins les vénérables
  Druydes, qui, pour l’ambitieux désir qu’ilz ont d’estre entre nous ce
  qu’estoit le philosophe Anacharsis entre les Scythes, ne craignent
  rien tant que le secret de leurs mystères, qu’il faut apprendre
  d’eux, soit descouvert au vulgaire.» Dans un autre endroit, en
  parlant «de la similitude de son et de la dissemblance d’orthographe
  des _ei_ et _oi_ (écrits maintenant _ai_) et des mots _maistre_ et
  _preste_, de _Athenes_ et _fonteines_ (maintenant écrit _fontaines_),
  _cognoistre_ et _naistre_», il dit «qu’il doit suffire aux poëtes que
  les deux dernières syllabes soient uniformes; ce qui arriveroit en
  la plus grande part, tant en voix qu’en escripture, si l’orthographe
  françoise n’eût point esté dépravée par les praticiens. Et pour
  ce que Meigret, non moins amplement que doctement, a traité ceste
  partie, lecteur, je te renvoye à son livre.»

Ainsi on voit que s’il osait le faire, il suivrait Meigret dans son
système, qui a le défaut d’être trop hardi, et, cette opinion, il la
confirme de nouveau dans sa postface avec une naïveté toute gauloise:

   «_I’approuve et loue grandement les raisons de ceux qui ont voulu
  reformer l’orthographie._ Mais voyant que telle nouueauté desplaist
  aux doctes comme aux indoctes, i’aime beaucoup mieux louer leur
  inuention que de la suyure, pource que ie ne fay pas imprimer mes
  œuures en intention qu’ilz seruent de cornetz aux apothiquaires ou
  qu’on les employe à quelque autre plus vil mestier.»


    JACQUES PELLETIER, du Mans. _Dialoguę[131] dę l’Ortografę e
    Prononciation Franço̱esę, departì an deus liuręs_. A Poitiers, par
    Ian e Enguilbert dę Marnef, a l’anseignę du Pelican, 1550 (privil.
    de 1547), pet. in-8 de VIII ff. et 216 pp.[132]; Lyon, Iean de
    Tournes, 1555, pet. in-8 de IV et 136 ff.--_L’Art poëtiquę, departì
    an deus liuręs._ Lyon, Iean de Tournes, 1555, in-8, de 118 pp.

      [131] L’_e_ muet, que nous figurons ici avec une cédille, est
      représenté dans ce volume par un _e barré_.

      [132] Les 37 premières pages sont consacrées à une _Apologie à
      Louis Meigret Lionnoes_, datée de Poitiers le 5 janvier 1549.
      Pelletier, sans partager en tout l’opinion de Meigret, se montre
      très-favorable à sa réforme. Cet opuscule lui a valu _la Reponse
      de L. Meigret à l’apologie de Iacques Pelletier_. Paris, Wechel,
      1550, in-4 de 10 ff.

Le petit volume de Pelletier est intéressant et instructif. La forme
d’entretiens, qu’il a adoptée, où chacun de ses interlocuteurs,
Jean Martin, Denys Sauvage, Théodore de Bèze, le seigneur Dauron,
combat ou défend, avec clarté et une parfaite bonne foi, la réforme
orthographique de l’auteur, nous permet de juger quelles étaient,
à l’époque de la Renaissance, les idées des hommes instruits sur
l’écriture française et ses principes; et, bien que les systèmes
plus ou moins absolus de Sylvius, de Meigret, de Pelletier, de Baïf,
n’aient point été adoptés, on se félicite de voir tout le chemin que
depuis le seizième siècle l’écriture a fait pour se rapprocher de la
prononciation.

On écrivait par exemple, comme nous le voyons dans l’ouvrage de
Pelletier, _soubcontrerolleur_, que nous écrivons aujourd’hui
_sous-contrôleur_, et que nous pourrions écrire _soucontrôleur_, comme
nous écrivons _soutenement, soucoupe_, etc. On prononçait _sou, mou,
cou, pou_, et l’on écrivait _sol, mol, col, pol_. Bien qu’on prononçât
_dîne ti, ira ti_, on écrivait _dîne il, ira il_. Nous avons fait
depuis ce temps un commencement de retour à la forme primitive du
présent de l’indicatif en écrivant _dîne-t-il, ira-t-il_.

Pelletier supprimait les lettres étymologiques de provenance grecque et
écrivait _teologie, teze, filosofie, cretien_, etc.

L’écriture figurative de la parole proposée par Pelletier ayant, comme
celle des autres réformateurs de son époque, l’inconvénient de donner
un aspect étrange et désagréable à l’impression, ne fut accueillie ni
par les gens de cour ni par les imprimeurs.


    JOACHIMI PERIONII _benedictini cormœriaceni Dialogorum de linguæ
    gallicæ origine, eiusque cum græca cognatione, libri quatuor_.
    Parisiis, apud Sebastianum Niuellium, 1555, in-8, de XXXVI et 149
    ff.

Périon a écrit en latin un ouvrage dont le plan a beaucoup d’analogie
avec la _Conformité du language françois avec le grec_ de Henri
Estienne. La recherche des étymologies et d’une parenté chimérique avec
le grec l’a beaucoup plus occupé que le perfectionnement de l’écriture
de son temps, surchargée, comme on sait, d’une si grande quantité
de lettres superflues. Étranger, aussi bien que ses contemporains,
à l’exception de Sylvius, à toute critique philologique, il admet,
au milieu de judicieuses découvertes, des explications qui feraient
sourire à bon droit les linguistes de nos jours.

Ainsi il est plus latiniste et helléniste en orthographe française
qu’aucun de ses émules. Il écrit _achapter_ (acheter), _acouter_
(ἀκούειν), _præteur_ (prætor), _pœne_ (peine, de pœna), _sœur_ (soror),
pour distinguer ce mot de _seur_ (sûr, _securus_), _aglanthier_
(églantier, de ἄκανθα), _basme_ (baume, de _balsamum_), _contendents,
coulteau_ (cultellus), _droëct_ (_jus_), _hostruche_ (autruche,
de ὁ στρουθός). Il recommande même _onnyon_ (oignon, de κρομμυών),
_egraphigner_ (égratigner), _grephyer_ (greffier), _thuer_ (occire, de
θύειν ), etc.

La direction exclusivement hellénique de son travail, qui l’entraîne
à ne tenir aucun compte de la provenance germanique ou celtique, ou
même de la basse latinité, l’amène à écrire _buthyner_ (de βουθυνεῖν),
au lieu de _butiner_, de l’ancien allemand _büte, büten_; _mokker_,
de μωκκάσθαι, tandis qu’on a découvert en gallois le radical celtique
_moc_, d’où _moquerie_; _gambe_ et _gambon_ (_jambe, jambon_) de
καμπή, au lieu du celtique (en écossais, _gamban_, en irlandais,
_gambun_); _Ianthil homme_, dont l’étymologie _gentilis_ était pourtant
si claire; enfin _non cheillant_ (de νωχελής), au lieu de l’ancien
verbe _chaloir_, qui nous a laissé cette locution: _Il ne m’en chaut_.

Périon nous offre un curieux exemple des inconvénients de la méthode
étymologique poursuivie inconsidérément et à outrance en matière
d’orthographe.

Il propose de supprimer l’_s_ dans _hoste_, et voudrait que la lettre
_a_ remplaçât la lettre _e_ partout où _e_ se prononce _a_, attendu,
dit-il, qu’il n’y a que les _sapientes_ qui sachent qu’il faut écrire
_science_ ce qui se prononce _sciance_. Il voit avec peine les savants
écrire _escrivents, oïents_ et _proueoents_ (_scribentes, audientes,
providentes_), tandis que certains participes sont écrits par _a_.

Il admet les accents sur les voyelles, mais il en fait un emploi
différent de celui auquel l’usage s’est fixé. Il se sert de l’accent
circonflexe, avec d’autres savants du seizième siècle que je cite,
devançant ainsi les grammairiens de près d’un siècle et demi. Il écrit
_aîse, boúrgois_ (civis) et _bourgoîse, françoîse_ (française),
_croîstre_ et _cognoîstre_.


    JEHAN GARNIER. _Institutio gallicæ linguæ ad usum juventutis
    germanicæ, ad illustrissimos juniores principes landtgravios Hæssiæ
    conscripta. Authore Ioan. Garnerio._ Marpurgi Hæssorum, ap. Io.
    Crispinum, 1558, pet. in-8.

M. Ch.-L. Livet a donné une analyse très-étendue de ce livre dans
son ouvrage intitulé: _La Grammaire française et les Grammairiens
au_ XVIe _siècle_[133]. Garnier, dans ce traité très-utile pour
l’histoire des variations de l’orthographe, se plaint amèrement des
lettres étymologiques inutiles et du contraste de l’écriture avec la
prononciation, ce qui répugne aux étrangers et à tout lecteur: «_Quod
tædiosum valde molestumque fuit lectoribus; atque linguam ipsam odiosam
et difficilem omnibus peregrinis reddidit. Siquidem merito omnes
conquerentur, et ab ejus lectione abhorrent quod aliter scribamus,
aliter vero pronuntiemus._»

      [133] Paris, Auguste Durand, 1859, in-8.


    JEAN PILLOT. _Gallicæ linguæ institutio, latino sermone conscripta,
    per Ioannem Pilotum, barrensem_. Parisiis, apud A. Wechelum, seu
    Steph. Groulleau, 1561 (privil. de 1557), pet. in-8, de 268 pp. et
    2 ff. (Souvent réimprimé.)

L’ouvrage de Pillot, analysé avec soin par M. Livet, p. 270 de son
livre cité page 190, n’est utile que pour la constatation de l’écriture
et de l’orthographe à la fin du XVIe siècle. L’abus des lettres
majuscules était devenu tel que Pillot, voulant régler leur emploi,
l’étend au point qu’il aurait mieux fait d’énumérer les mots qui
devraient n’en pas prendre.


    ABEL MATHIEU, natif de Chartres. _Devis de la langue françoyse, à
    Jehanne d’Albret, royne de Navarre, duchesse de Vendosme_, etc.
    Paris, imprimerie de Richard Breton, 1559-60, 2 part. en 1 vol.
    pet. in-8 de 44 et 39 ff. (en caractères de civilité).--_Devis de
    la langue francoise_....., par A. M., _Sieur des Moystardières_.
    Paris, veufue Richard Breton (et Jean de Bordeaux), 1572, pet.
    in-8, de IV ff. prél. et 64 ff. (Le _Devis de la langue_ finit au
    f. 35 verso.)

L’auteur n’est point un grammairien, mais un gentilhomme devisant de
la langue pour le plaisir des dames. Sans être réformateur, il est
indépendant. «Notre langue est à nous, dit-il; les Grecs et les Latins
n’ont rien à y voir.»

Il n’approuve l’emploi du _s_ long, du _h_ et de l’_y_ que parce que
«ces lettres, par leur forme, servent d’ornement et d’ampliation à
l’escripture et lui donnent de la grace suivant la similitude dont il a
usé de l’œil à la peinture[134].»

      [134] Et en effet, si l’on jette les yeux sur les spécimens
      de calligraphie du XVIe siècle et même sur les chefs-d’œuvre
      d’écriture de Jarry au XVIIe, on voit que les artistes se
      complaisaient dans la belle forme qu’ils donnaient aux lettres
      longues, et particulièrement à l’_y_.


    PIERRE RAMUS (la Ramée). _Gramerę._ Paris, André Wechel, 1562, pet.
    in-8, de 126 pp. et 1 f. d’errata. (1re édit. anonyme.)--_Grammaire
    de P. de la Ramee, lecteur du roy, etc._ Paris, A. Wechel, 1572,
    pet, in-8, de 9 ff. prél. et 211 pp.; _ib., Denys du Val_, 1587,
    pet. in-8, de 223 pp.

La Ramée, plus connu sous le nom de Ramus, lecteur du roi en
l’Université de Paris, savant latiniste, helléniste et hébraïsant,
auteur d’ouvrages fort appréciés de son temps sur la dialectique, les
mathématiques, la langue latine et la langue grecque, est peut-être
le plus érudit des auteurs de réformes de l’écriture française.
Son système a pour but de représenter avec une fidélité absolue la
prononciation par l’écriture, et l’on peut dire qu’il y réussit presque
aussi bien peut-être que ses représentants de nos jours, M. Marle et M.
Féline. Grâce à son petit livre, nous sommes en mesure de prononcer le
français comme un orateur au temps de Henri III. Ce n’est pas un faible
service rendu à la philologie, et nous serions heureux qu’il y eût eu
un Ramus dans Athènes au temps de Périclès, et dans Rome sous Auguste.

A l’exception de l’_e_ muet, qu’il représente par un _e_ à boucle
inférieure et que je représenterai par ε; de _l_ et _ll_ mouillé, qu’il
écrit par _l_ à boucle et que je figurerai par λ; du _ch_, qu’il figure
par _c_ avec boucle et que je remplace par ξ; de _gn_, par η, et de
_nt_, qu’il écrit par _n_ à boucle dans les mots en _ant_ final, Ramus
n’introduit dans son écriture aucun caractère nouveau, ni étranger au
français. Il met ainsi un signe simple à la place des signes binaires
ou _digrammes_, et il donne à toutes ses lettres une prononciation
constante et unique. Le _c_ se prononce comme le _cappa_, le _g_ comme
le _gamma_ des Grecs. Le _s_, si embarrassant pour les étrangers, n’a
qu’une seule valeur, celle du _sigma_. Toute lettre nulle dans la
prononciation disparaît de son écriture, et il se passe même d’accents,
simplification qui n’est pas à dédaigner pour l’écriture cursive.
Il résulte de cette méthode une grande économie dans l’écriture et
l’impression, comme on va en juger:

  «Apres avoer rεconu (ami lecteur) sε cε j’avoe publie dε la Gramerε
  tan’ grecε cε latinε, j’e prin’ plezir a considerer selε dε ma
  patriε: dε lacelε (comε jε puis estimer par le’ livrε’ publies
  environ dεpui’ trent’ ans ensa) lε premier auteur a ete Jacε’ du Boes
  (Sylvius), exelen’ profeseur dε medεsinε, ci entr’ autre’ ξozεs a
  taξe a reformer notr’ ecriturε e la ferε cadrer a la parolε. Etienε
  Dolet a fet celcε trete, comε de’ poins et apostrofε: mes lε batiment
  dε set’ euvrε plu’ haut e plu’ maηificε, e dε plu’ riξε e divers’
  etofε, e’ proprε a Loui’ Megret: Toutεfoes il n’a pas persuade a
  un ξacun sε c’il pretendoet touξan’ l’ortografε: Jacε Pelεtier a
  dεbatu sε point en deu’ dialogεs subtilεment e doctεment: Giλaumε des
  Autes (Autels) l’a fort combatu pour defendrε e meintεnir l’ansien’
  ecriturε. Le’ plu’ nouveaus ont evite setε controversε, e on’ fet
  celcε formε dε doctrinε ξacun a sa fantaziε, Jan Pilot en latin,
  com’ avoe’ fet Jacε’ du Boes au paravant, Robert Etienε en fransoes,
  le’celz tous jε louε et prizε ξacun pour son meritε, en sε c’ilz sε
  sont eforse dε nou’ doner sε pourcoe nous maηifion’ la langε grecε e
  latinε, s’et a dirε la loe dε bien parler.»

On jugera, par cette citation, des avantages et des vices du système de
Ramus. Toute méthode phonétique doit être absolue comme son principe,
pour remplir complétement son objet: la certitude de la prononciation,
la facilité et la rapidité de l’écriture. Celle de Ramus ne l’est
pas. Il eût fallu se décider, dans cette voie, à écrire _prεmie,
batiman, subtilεman_, et non _premier, batiment, subtilεment_, comme
le fait l’auteur; _mintεnir_, et non _meintεnir_. Autrement on laissé
subsister, en même temps que le doute dans la lecture, toute la
subtilité des distinctions d’origine et d’étymologie. L’écriture, d’un
autre côté, comme l’ont si bien remarqué les sténographes, ne peut
être facile et prompte qu’à condition de supprimer les _levées_ de la
main nécessitées par toutes ces apostrophes prodiguées par Ramus, plus
longues à former que les lettres muettes dont elles tiennent la place.
A ce point de vue, tout trait nouveau ajouté à une lettre entraîne
un retard équivalant au bénéfice de la suppression d’une lettre ou
d’un accent. Les réformateurs phonographes, y compris Ramus (excepté
Domergue et Marle), ont reculé devant cette nécessité, inhérente à
leur méthode, qui forcerait d’abandonner la marque du pluriel quand
elle ne se fait pas sentir à l’oreille, et le public, avec son bon
sens pratique, a dédaigné des systèmes entachés d’inconséquence, qui
mutilaient la grammaire sans grand profit comme économie de temps et
comme simplicité.

Pierre Ramus a le mérite d’avoir, deux siècles avant nos grammairiens
et nos dictionnaires, distingué le _v_ de l’_u_, le _j_ de l’_i_, et
ces deux consonnes ont porté longtemps le nom de consonnes _ramistes_,
en souvenir de leur célèbre patron.

Dans l’édition de 1572, l’auteur, pour remédier sans doute à la
difficulté que les gens du monde avaient éprouvée à lire son écriture,
a placé dans une colonne en regard son texte orthographié selon la
manière ordinaire.

ÉTIENNE PASQUIER[135], dans une de ses «Lettres à M. Ramus, professeur
du Roy en la philosophie et les mathématiques», combat avec raison
l’excès dans lequel ce savant, renchérissant sur Meigret et Peletier,
était tombé, en bouleversant notre orthographe, et, par suite de cet
excès même, Pasquier se prononce encore plus fermement pour le maintien
des anciens usages. Tel est l’effet ordinaire de toute exagération en
matière de réformes.

      [135] Les _Œuvres d’Estienne Pasquier_, 2 vol. in-fol.,
      Amsterdam, 1723, t. II, p. 55.

On lira avec intérêt cette longue Lettre, où, après avoir réfuté
le système de Ramus, il traite particulièrement des diphthongues.
Malheureusement, nous ne possédons plus le texte _original_
de Pasquier; mais dans l’impression, qui est de près de cent
soixante-quinze ans postérieure à l’époque où il écrivait, on paraît
s’être attaché en grande partie à suivre celle de l’ancienne édition.
On en pourra juger par ce que je transcris ici de cette lettre, où
d’ailleurs Pasquier consent que, «s’il se trouve dans notre orthographe
quelques choses aigres, on y puisse apporter quelque douceur et
attrempance».

  «Or sus, je vous veux denoncer une forte guerre, et ne m’y veux pas
  presenter que bien empoint. Car je sçay combien il y a de braves
  capitaines qui sont de vostre party. Le premier qui de nostre temps
  prit ceste querelle en main contre la commune, fut Louys Meigret,
  et aprés luy Jacques Peletier, grand poëte, arithmeticien, et bon
  medecin, que je puis presque dire avoir esté le premier qui mit
  nos poëtes françois hors de page. A la suitte desquels vint Jean
  Antoine de Baïf, amy commun de nous deux, lequel apporta encores
  des regles et propositions plus estroites. Et finalement vous[136],
  pour clorre le pas, avez fraischement mis en lumière une grammaire
  françoise, en laquelle avez encores adjousté une infinité de choses
  du vostre, plus estranges que les trois autres. Je dy nommément plus
  estranges; car plus vous fourvoyez de nostre ancienne ortographe
  (_sic_) et moins je vous puis lire. Autant m’en est-il advenu voulant
  donner quelques heures à la lecture de vos partisans. Je sçay que
  vostre proposition est trés-précieuse, de prime rencontre; car si
  l’escriture est la vraye image du parler, à quoy nous pouvons nous
  plus estudier que de representer par icelle en son naïf, ce pourquoy
  elle est inventée? Belles paroles vrayement. Mais je vous dy que
  quelque diligence que vous y apportiez, il vous est impossible à
  tous de parvenir au dessus de vostre intention. Je le cognois par
  vos escrits: car combien que vous décochiez toutes vos fleches à un
  mesme blanc, toutes fois nul de vous n’y a sçeu attaindre (_sic_):
  ayant chacun son orthographe particuliere, au lieu de celle qui est
  commune à la France. Comme de faict nous le voyons par l’Apologie que
  Peletier a escrit encontre Meigret, où il le reprend de plusieurs
  traits de son orthographe. Et vous mesmes ne vous rapportez presque
  en rien par la vostre à celle, ny de Meigret, ny de Peletier, ny
  de Baïf. Qui me faict dire que pensant y apporter quelque ordre,
  vous y apportez le desordre: parce que chacun se donnant la mesme
  liberté que vous, se forgera une orthographe particuliere. Ceux qui
  mettent la main à la plume prennent leur origine de divers païs de
  la France, et est mal-aisé qu’en nostre prononciation il ne demeure
  tousjours en nous je ne sçay quoy du ramage de nostre païs. Je le
  voy par effect en vous, auquel, quelque longue demeure qu’ayez faite
  dans la ville de Paris, je recognois de jour à autre plusieurs traits
  de vostre picard, tout ainsi que Pollion recognoissoit en Tite-Live
  je ne sçay quoy de son padouan. J’adjouste que soudain que chacun
  en son particulier se faict accroire estre quelque chose entre
  nous, aussi nous veut-il servir de mots non meilleurs, ains qu’il
  nous debite, par une faulse persuasion, pour tels. Le courtisan
  aux mots douillets nous couchera de ces paroles, _reyne, allét,
  tenét, venét, menét_: comme nous vismes un des Essars, qui,
  pour s’estre acquis quelque reputation par les huit premiers livres
  du roman d’Amadis de Gaule, en ses dernieres traductions de Josephe
  et de Dom Flores de Gaule, nous servit de ces mots, _amonester,
  contenner, sutil, calonnier, aministration_. Ni vous ni moy (je
  m’asseure) ne prononcerons, et moins encores escrirons ces mots de
  _reyne, allét, tenét, venét_, et _menét_, ains demeurerons en nos
  anciens qui sont forts, _royne, alloit, venoit, tenoit, menoit_. Et
  quant à mon particulier, des à present, je proteste d’estre resolu
  et ferme en mon ancienne prononciation, d’_admonnester, contemner,
  subtil, calomnier, administrer_. En quoy mon orthographe sera autre
  que celle de des Essars, puis que ma prononciation ne se conforme
  pas à la sienne. Peletier, en son dernier livre de l’Orthographe et
  prononciation françoise, commande d’oster la lettre G des paroles
  esquelles elle ne se prononce, comme en ces dictions, _signifier,
  regner, digne_; quant à moy je ne les prononçay jamais qu’avecques
  le G. En cas semblable Meigret, en sa Grammaire françoise,
  escrit, _pouvre_ et _sarions_; d’autant que vray-semblablement sa
  prononciation estoit telle, et je croy que celuy qui a la langue
  françoise naïfve en main, prononcera, et par consequent escrira
  _pauvre_ et _sçaurions_. A tant puis que nos prononciations sont
  diverses, chacun de nous sera partial en son escriture. La volubilité
  de la langue est telle, qu’elle s’estudie d’addoucir, ou pour mieux
  dire, racourcir ce que la plume se donne loy de coucher tout au
  long par escrit. Et de fait, n’estimez pas que les Romains en ayent
  usé autrement que nous: car quand je ly dans Suetone qu’Auguste
  fust du nombre de ceux qui pensoient qu’il falloit escrire comme on
  prononçoit, je recueille que l’escriture ne symbolizoit (_sic_) en
  tout au parler, ains qu’Auguste, par une opinion particuliere, telle
  que la vostre, estoit d’un advis contraire à la commune, toutesfois
  si ne le peut-il gaigner: d’autant que du temps mesmes de Neron,
  Quintilian nous enseigne que l’on escrivoit autrement qu’on ne
  prononçoit.....»

      [136] Il paraîtrait par ce passage que Pasquier n’avait pas
      connaissance de la première édition de la Gramère de la Ramée,
      publiée en 1562 chez Wechel, sans nom d’auteur: autrement
      il n’eût pas été assez injuste pour donner la priorité à la
      tentative faite par Jean-Antoine de Baïf dans les _Etrennes
      de poezie françoise_, dont le privilége est de 1571 et
      l’édition datée de 1574. L’antériorité de Ramus, appuyée sur le
      rapprochement des dates, ne saurait être un moment douteuse.
      D’ailleurs, dans l’énumération que ce savant fait, dans
      l’édition de 1562, de tous ses prédécesseurs dans la carrière
      de la réforme, énumération que j’ai transcrite plus haut (p.
      192), il n’est nullement question de Baïf. Toutefois, dans sa
      seconde édition, datée de 1572, Ramus ajoute, après l’énoncé des
      écrivains indifférents ou même hostiles à ses idées, ce passage:

      «Naguère I. A. de Baif a doctement et vertueusement entreprins
      le poinct de la droicte escripture, et la fort esbranlé par ses
      viues et pregnantes persuasions.»

      Comme il ne peut être ici question de l’édition des _Etrennes_
      datée de 1574, c’est-à-dire mise au jour deux ans après la
      deuxième édition de la _Gramère_ de la Ramée, il est à croire
      que le poëte Baïf aura publié quelque chose sur ce sujet dans
      l’intervalle compris entre 1562 et 1572, ou bien qu’il existe une
      édition des _Étrennes_ publiée l’année même du privilége (1571)
      et complétement inconnue aux bibliographes.

  La lettre de Pasquier se termine ainsi: «..... A quel propos donc
  tout cela? Non certes pour autre raison, sinon pour vous monstrer
  qu’il ne faut pas estimer que nos ancestres ayent temerairement
  orthographié, de la façon qu’ils ont faict, ny par consequent
  qu’il falle (_sic_) aisément rien remuer de l’ancienneté, laquelle
  nous devons estimer l’un des plus beaux simulachres qui se puisse
  presenter devant nous, et qu’avant que de rien attenter au prejudice
  d’icelle, il nous faut presenter la corde au col, comme en la
  republique des Locriens: et à peu dire que tout ainsi qu’anciennement
  en la ville de Marseille ils executoyent leur haute justice avec
  un vieux glaive enroüillié, aymans mieux user de celuy-là que d’en
  rechercher un autre qui fust franchement esmoulu, aussi que nous
  devons demeurer en nostre vieille plume. Je ne dy pas que s’il se
  trouve quelques choses aigres, l’on n’y puisse apporter quelque
  douceur et attrempance, mais de bouleverser en tout et par tout sens
  dessus dessous nostre orthographe, c’est, à mon jugement, gaster
  tout. Les longues et anciennes coustumes se doivent petit à petit
  desnoüer, et suis de l’opinion de ceux qui estiment qu’il vaut mieux
  conserver une loy en laquelle on est de longue main habitué et
  nourry, ores qu’il y ait quelque defaut, que, sous un pretexte de
  vouloir pourchasser un plus grand bien, en introduire une nouvelle,
  pour les inconveniens qui en adviennent auparavant qu’elle ait pris
  son ply entre les hommes. Chose que je vous prie prendre de bonne
  part, comme de celuy, lequel, combien qu’il ne condescende à vostre
  opinion, si vous respecte-t-il et honore pour le bon vouloir qu’il
  voit que vous portez aux bonnes lettres. A Dieu.»


    HENRI ESTIENNE. _Traicté de la conformité du language françois
    auec le grec_ (sans lieu ni date, mais Genève, 1565), pet. in-8
    de 16 ff. prél. et 159 pp.; Paris, Rob. Estienne, 1569, pet.
    in-8 de 18 ff. prél. et de 171 pp.; _nouvelle édit., accomp. de
    notes, et précéd. d’une étude sur cet auteur, par L. Feugère_.
    Paris, Delalain, 1853, in-8 de CCXXXVI et 223 pp.--_Deux dialogues
    du nouveau langage francois italianizé, et autrement desguizé,
    principalement entre les courtisans de ce temps_ (Genève, 1578),
    pet. in-8 de 16 ff. prél. et 623 pp.; Anvers, Guill. Niergue, 1579
    et 1583, in-16.--_Proiet du liure intitulé_ DE LA PRECELLENCE DU
    LANGAGE FRANÇOIS. Paris, Mamert Patisson, 1579, pet. in-8 de 16 ff.
    et 295 pp.; _nouvelle édit. accomp. d’une étude sur cet auteur et
    de notes, par L. Feugère_. Paris, Delalain, 1850, in-8 de XLIV et
    400 pp.--_Hypomneses de gallica lingua peregrinis eam discentibus
    necessariæ; quædam vero ipsis Gallis multum profuturæ._ (Genevæ),
    1582, pet. in-8 de 6 ff. prél., 215 et 11 pp.

Quoique Henri Estienne, fils de Robert, par la disposition hellénique
de son esprit[137] et sous l’influence de ses études, ait en général
rapproché l’orthographe française de l’orthographe grecque, il
reconnaît la nécessité de simplifier notre écriture. Dans son _Traité
de la conformité du language françois avec le grec_, p. 159, il termine
ainsi l’avis au lecteur:

      [137] Son père lui fit apprendre le grec avant le latin.

  «I’ay aussi vn mot à dire touchant l’orthographe de ce liure:
  c’est que ie ne l’approuue pas du tout comme elle est: ains que
  ma deliberation estoit de faire tailler quelques poinçons expres
  pour les lettres superflues quant à la prononciation, et toutesfois
  characteristiques. Mais ayant eu le temps trop court pour ce faire,
  i’ay remis telle entreprise iusques à l’autre liure françois promis
  ci-dessus: lequel surpassera ma promesse... s’il plaist à Dieu me
  prester la vie encores quelques mois.»

La multiplicité des travaux de Henri lui aura fait ajourner ce projet,
car toute trace de ce passage a disparu dans les réimpressions de ce
livre. Je le regrette, car je ne doute pas qu’il ne s’agisse ici de
modifier le _ch, ph, th, st_ helléniques, qu’il eût ramenés à des
formes simples comme χ, φ, θ, ς.

Ce docte imprimeur a compris, mieux qu’on ne l’a fait de son temps,
le mode de formation des mots que le français emprunte aux langues
anciennes. Il a bien vu que _blâmer_ et _blasphémer_ sont un même mot
βλασφημεῖν, l’un sous sa forme française, l’autre sous la forme grecque.

Bien qu’il ait fixé l’origine des mots suivants, il admet par renvoi
seulement l’orthographe rigoureusement étymologique ainsi indiquée par
lui dans la troisième colonne:

  caresser        de χαρίζεσθαι        charesser
  cédule             σχέδη             schédule
  cerfeuil           χαιρέφυλλον       cherfueil
  chicorée           κιχώριον          cichorée
  esquinancie        συνάγκη           squinancie
  dyssenterie        δυσεντερία        dysentérie[138]
  migraine           haêmikrania       hémicranie
  orthographe        ὀρθογραφία        orthographie
  fiole              φιάλη             phiole
  seringue           σύριγξ            syringue
  rime               ῥύθμος            ╭ rhythme
                                       ╰ qu’il écrit rythme
  autruche[139]     ὁ στρουθός         ostruche
  sciatique[140]    ἰσχιάς             ischiatique

      [138] C’est ainsi que ce mot devrait être écrit.

      [139] Il écrit avec raison _ostruche_, ὁ στρουθός. Il écrit
      _troter, raptasser_, qu’il fait venir de ῥάπτειν; utilisant le
      _z_, il écrit _gargarizer, ozeille, pezer, pindarizer, riz_; il
      écrit _mistère_ sans _y_, et _sifler_, que l’étymologie erronée
      qu’il invoque, σιφλοῦν aurait dû lui faire écrire avec _ph_.

      [140] Il blâme dans cette orthographe la suppression, à
      contre-sens, de l’_i_.

Dans les mots dérivés du latin, il propose la suppression de certaines
lettres muettes, abusivement employées de son temps sous couleur
d’étymologie. Telles sont _l_ dans _chevaulx, animaulx, aulcun,
maulx_. «Notre _au_, dit-il, tient lieu du _al_ primitif. Mais il faut
conserver cet _l_ dans _coulpe_ (culpa), _poulpe_ (aujourd’hui _pulpe_,
de pulpa).» Comme Ronsard et autres, il écrit _aureilles_.

On voit par ces exemples quel esprit de sage critique et de fine
observation philologique avait su déployer déjà le savant helléniste
typographe qui nous a laissé, dans ses _Dialogues du nouveau langage
françois italianizé_, un document si curieux pour l’histoire du
français et un si brillant témoignage d’une érudition spirituelle et de
bon aloi.


    JEAN-ANTOINE DE BAÏF. _Etrénes de poézie fransoęze an vęrs
    mezurés._ Paris, Denys du Val, 1574, pet. in-4, de 16 ff. non
    chiff. et 20 ff. chiff.

L’insuccès de ses devanciers ne rebuta pas ce poëte. Dans son
système de l’orthographe il est plus novateur que Ramus, auquel il
n’emprunte que ses lettres avec cédille (_c, l, n_). Il distingue
trois _e_: _bref_ (muet), _long_ (ouvert), qu’il figure par un _e_
avec cédille[141], et _commun_ (fermé) représenté par un _e_ avec
une apostrophe. Partant du principe que chaque son devrait être
représenté par un signe particulier, il substitue aux diphthongues
ou triphthongues _œu_ ou _eu_, _ou_ et _au_ et _eau_, de nouveaux
caractères inventés par lui. Le premier est un _e_ dont le trait
se prolonge de manière à former un _v_; le second ressemble au ȣ
grec[142]; le troisième n’est que la lettre _a_ modifiée de la même
façon que l’_e_ dans le cas précédent. Le _c_ dur est remplacé par
le _k_, et les consonnes _h_ muet, _q_ et _x_ sont proscrites comme
inutiles. Il est supérieur à Ramus en ce qu’il remplace partout
_em, en_, par _an_. Il supprime comme lui les lettres doubles qui
ne se prononcent pas; mais, pour les syllabes finales, il est moins
_phonographe_ que Ramus, et, sans faire, comme lui, disparaître la
marque du pluriel, il se borne à remplacer l’_e_ muet final par une
apostrophe, lorsque le mot suivant commence par une voyelle. Ce qu’il
y a de curieux dans son système, c’est qu’il écrit d’un seul mot les
adverbes composés de plusieurs membres, mais exprimant une seule idée,
comme _ojȣrdui_ (aujourd’hui), _tȣdemème_ (tout de même), _tȣtalantȣr_
(tout à l’entour), _sansèsse_ (sans cesse).

      [141] Notre diphthongue _ai_ est considérée par lui comme _e_
      long.

      [142] Dans les idées phonographiques c’est une heureuse
      innovation. La voyelle que nous faisons figurer par le double
      signe _ou_, et qui n’est qu’un son simple, est représentée dans
      toutes les langues de l’Europe, excepté le grec, par un seul
      signe.

Il écrit _duk d’Alanson, egzakte ekriture, élémans, anploiér,
komansant_.

A la fin de sa préface, il promet au lecteur un _Avęrtisemant tant sur
la prononsiasion fransoęze[143] ke sur l’art métrik_, qui n’a point
paru.

      [143] A son époque l’_oi_ se prononçait comme _oè_.


    HONORAT RAMBAUD, maistre d’eschole à Marseille. _La declaration des
    abus que l’on commet en escriuant, et le moyen de les euiter et
    representer nayuement les paroles: ce que iamais homme n’a faict._
    Lyon, Iean de Tournes, 1578, pet. in-8, de 351 pp.

L’auteur de cet ouvrage, en créant, au grand étonnement de l’œil et
sans grand profit pour la lecture, un alphabet de sa façon, où toutes
les lettres sont changées, s’est efforcé de donner une image d’une
fidélité absolue de la prononciation. Voici comment il expose lui-même
ses principes (p. 6):

  «Vous sçauez bien, lecteurs, que l’escriture est le double et
  coppie de la parolle, et que le double doit estre du tout semblable
  à l’original. Tellement que tout ce qui se treuue en l’original
  se doit trouuer en la coppie, et rien plus: autrement la coppie
  est fausse. Par quoy faut conclurre que l’escriture doit estre
  totalement semblable à la parolle, et qu’en l’escriture se doit
  trouuer tout ce que la bouche a prononcé, et rien plus: autrement est
  fausse, et trompe les lecteurs et auditeurs, comme disent fort bien
  Quintilien, Nebrisse, et plusieurs autres, lesquels se faschent, et
  non sans cause, de ce que ne representons pas les parolles comme les
  prononçons, et semble que le facions par despit et tout expres, pour
  mettre en peine tous hommes, femmes et enfans, presens et aduenir.
  Les susnommés nous ont laissé par escrit plusieurs remonstrances
  qu’ils en ont faict, par lesquelles leur sommes obligés, et mesmes
  à Nebrisse, lequel nous donne esperance, disant, _Quod ratio
  persuaserit, aliquando fiet._ C’est à dire que: Ce que raison
  approuuera, en quelque saison se fera. Et pource que raison, dame
  et princesse des hommes, approuue et nous commande de representer
  les parolles tresnayuement et tout ainsi que la bouche les prononce,
  luy voulant obeïr, comme humble et tresobeïssant seruiteur, me suis
  efforcé, selon mon petit pouuoir, d’accomplir son commandement, comme
  verrez presentement, pourueu qu’il vous plaise lire et bien entendre
  mon dire.»

  Il ajoute, p. 26: «Escrire est faire un chemin, par et moyennant
  lequel voulons conduire et guider nous mesmes, et les autres aussi.
  Et puis qu’il est necessaire que tous hommes, femmes et enfans,
  presents et advenir, y passent, il est tresnecessaire qu’il soit
  bien aisé. Et l’on a faict tout au rebours: tellement que peu de
  gents y peuuent passer: _et quasi tous ceux qui y passent le font par
  contrainte et à force de coups_. Et ie n’en parle pas par ouïr dire:
  car il y ia trentehuict ans que je contrains les enfans à passer
  par ledit chemin; durant lesquels ayant eu loisir de contempler les
  tourmens qu’ils endurent, et endureront, si l’on ne repare ledit
  chemin.....»

Dans l’extrait du privilége donné le 18 mai 1577 par le roi Henri III,
on lit: «Notre cher et bien amé Honoré Rambaud... ayant, pour la
commodité d’un chacun qui voudra apprendre de luy et pour la sienne
aussi, composé un alphabet de quelques charactères qui pourront seruir
grandement à soulager les personnes, mesmes les petits enfans, de lire
et escrire. L’inuention duquel Alphabet il luy a esté ja permis de
faire imprimer et mettre en lumiere, tant à Tholouze qu’à Lyon...»

Ce qui dut contribuer surtout au peu de succès de l’écriture phonétique
de Rambaud, c’est que dans son ouvrage elle représente, du moins je
suis fondé à le croire, la prononciation française au seizième siècle
dans le midi de la France.

Charles Nodier, oubliant qu’un art très-important, la sténographie,
est fondé sur le perfectionnement de l’écriture phonétique, et qu’il
a quelques chances de pénétrer dans l’éducation de la jeunesse,
s’exprimait ainsi en 1840, à propos du livre de Honorat Rambaud:

  «Le maître d’école de Marseille n’étoit pas un de ces
  révolutionnaires circonspects qui marchent à pas mesurés dans la
  réforme et qui soumettent le désordre et la destruction à une
  apparence de loi. Radical en néographie, il débute modestement par la
  suppression de l’alphabet, et lui en substitue un nouveau, composé
  tout d’une pièce pour cet usage. Cette manière de procéder prouve du
  moins que Rambaud avoit la conscience de son entreprise, et qu’il
  savoit apprécier à leur juste valeur les ridicules tentatives de
  ses prédécesseurs et de ses émules. Aussi n’hésiterai-je pas à le
  regarder comme l’homme de génie de la bande, et le seul qui offre
  dans son fatras quelques vues ingénieuses et fortes. _La question de
  savoir si l’alphabet usuel est bon ou mauvais n’étoit pas difficile à
  résoudre; le fait est qu’il est détestable dans la figure des signes,
  dans leurs attributions et dans leur ordre, et qu’il en est de même
  de tous les alphabets anciens et modernes._ Mais la difficulté n’est
  pas là. La difficulté n’est pas même de créer un alphabet meilleur
  que le nôtre, et besoin n’étoit pour cela des doctes labeurs d’un
  maître d’école. Le moindre de ses écoliers y auroit suffi de reste.
  Ce qu’il y a d’embarrassant, ce n’est pas de faire, tant bien que
  mal, une espèce d’alphabet rationnel et philosophique, propre à
  faciliter l’enseignement de la lecture et à rendre peu sensibles
  et même tout à fait nulles les équivoques et les ambiguïtés de
  l’orthographe. C’est d’appliquer cet alphabet à une langue écrite,
  sans altérer, sans détruire peut-être son esprit et son caractère.
  C’est surtout de le faire accepter par le peuple auquel on le
  destine, comme la forme d’un chapeau ou la coupe d’un habit. Voilà
  ce qui n’arriva jamais, et ce qui jamais n’arrivera. La religion
  en sait, je crois, la raison. Si la philosophie en sait une autre,
  qu’elle la dise.» (_Description raisonnée d’une jolie collection de
  livres_, p. 83.)

Nodier, un peu injuste dans ses dédains irréfléchis, a oublié de dire
que le digne maître d’école est le premier qui ait proposé et développé
la nouvelle épellation: _be, ce, de, fe, ge, le, me_, etc.


    LAURENT JOUBERT, médecin ordinaire du Roi de France et du
    Roi de Navarre, premier docteur, régent, chancelier et juge
    de l’Université en médecine de Montpellier. _Dialogue sur la
    cacographie fransaise, avec des annotacions sur l’ortographie de
    M. Joubert_ (_par Christophe de Beauchatel_) (à la suite de son
    _Traité du ris_. Paris, Nicolas Chesneau, 1579, pet. in-8 de 15 ff.
    prél., 407 pp. et 8 pp.)

On sait que le docte chancelier de l’Université de Montpellier, médecin
ordinaire du roi Henri III, a pratiqué une orthographe réformée dans
la plupart de ses ouvrages, dont plusieurs renfermaient des doctrines
très-remarquables pour son temps. Homme d’esprit et de grand savoir,
_vir acuti ingenii_, comme le qualifie Haller, il a combattu et détruit
plus d’un préjugé scientifique, consacré par les siècles. La routine
qu’il appelle _cacographique_ présentait plus de résistance et a
surmonté ses efforts.

A la suite de son _Traité du ris_, p. 376, Laurent Joubert a inséré
un _Dialogue sur la cacographie fransaize expliquant la cause de
sa corruption_. Les deux _antre-parleurs_ (sic) sont Fransais et
Wolffgang. Voici un spécimen de leurs propos qui donnera une idée de
l’orthographe du savant docteur:

  «FRANSAIS..... Il y a ha defaut à ne pouvoir, ou ne savoir
  represanter par ecrit ce qu’on prononce; il y a ha du dommage bien
  grand, pour ceus qui veulet apprandre ce langage: d’autant qu’il leur
  faut à chaque mot une observacion, de savoir dissimuler quelques
  lettres an prononsant, lèquelles on ne veut toutesfois permettre ætre
  omises de l’ecrivain.

  «WOLFFGANG. J’an ay eté an fort grand’peine, l’espace de sis ans,
  durant lequel tams j’ay merveilleusemant travalhé à comprandre la
  droite prolacion de ce langage, pour ansegner par apres les miens
  avec plus grande facilité. Car il y a ha plusieurs Alemans qui vienet
  an France expressemant pour apprandre sa langue: lèquels voyans
  l’ecriture si repugnante au parler, s’an degoutet, & perdet courage
  d’y proufiter, sinon par trop long tams. Car ils voyet qu’il faut
  oblier l’ecriture pour la bien prononcer, & la prolacion pour ecrire
  à la mode des Fransais. A cause dequoy certains princes d’Alemagne
  m’ont donné charge d’essayer à comprandre exactemant ce langage,
  pour le savoir par apres communiquer aus leurs, & an parlant, & an
  ecrivant, ainsi qu’il le faut prononcer. Et pource j’ay meprisé tous
  livres ecris an fransais, & me suis contraint d’apprandre le langage,
  an conversant familieremant avec ceus qui parlet mieus, observant
  træ-sogneusemant la vraye prolacion. De laquelle m’etant bien assuré,
  j’ay commancé d’exprimer par ecrit le naïf parler du fransais: de
  sorte que (à mon avis) le plus nouveau & etrangier, qui sache lire an
  latin, ou an autre langage de ceus qui uset de semblables lettres, il
  le prononcera dans peu de jours, aussi bien que moy. Ainsi j’espere
  de contanter ceus de ma nacion, qui attandet ce bien de moy: & par
  mæme moyen feray satisfaccion à la Fransaise, laquelle se peut
  plaindre que l’Alemande a causé la corrupcion de son ecriture.»

A la page 390 de ce volume, Christophe de Beauchatel, neveu et disciple
de Joubert, a résumé ainsi «l’orthographie» de son maître:

  «Premieremant il tient cette maxime qu’il faut ecrire tout ainsi que
  l’on parle et prononce, comme il èt trè-bien remontré an l’Apologie
  de son orthographie par Isaac, son fils ainé.

  «..... M. Ioubert difere de ses predecesseurs, an ce principalemant
  qu’il ne change pas de lettres, qu’il ne tranche les siennes, ne
  les charge d’acsans, ne les marque de crocs, autremant que fait
  le commun: dont sa lettre èt fort courante et ne retarde point le
  lecteur.»


    CLAUDII SANCTO A VINCULO _de Pronuntiatione linguæ gallicæ libri_
    II, _ad illustrissimam simulque doctissimam Elizabetham, Anglorum
    Reginam_. Londini, excud. Th. Vautrollerius, 1580, in-8, de 199 pp.

L’auteur de cette grammaire, Claude de Saint-Lien (_a Vinculo_),
professeur de latin et de français à Londres, raconte qu’ayant
été admis auprès d’Élisabeth, à Lewsham (_cum tu nuper Lewshamiæ
rusticareris_), il l’entendit dans la conversation qu’il eut avec elle
parler très-bien français. Il croit donc devoir lui dédier son Traité
de l’orthographe, et prie la reine d’excuser sa hardiesse, en lui
rappelant des souvenirs tirés de l’histoire ancienne.

Parmi les difficultés de l’orthographe, il cite surtout celle qui
résulte de l’emploi du _s_ au milieu des mots, difficulté que
l’Académie fit cesser cent soixante ans après dans la troisième édition
en supprimant les _s_ parasites. Voici comment il s’exprime à ce sujet:
«_Quam crucem hæc litera fixerit auditorum animis, noverunt qui nostræ
linguæ operam dederint._» Tels sont, comme exemple: _désastre_ et
_folastre_, etc.

Il signale surtout le grand nombre de lettres inutiles qui surchargent
les mots et qui ne se prononcent pas. Aussi, pour faciliter la lecture
et la prononciation, il place sous toute lettre inutile un point qui
signale cette superfluité. Il écrit donc ainsi:

        «Ceulx q̣ui m’entendent sçavent bien si je ments.»
            .   .           ..  .   ..               .

Quant à remplacer par un _a_ l’_e_ dans _entendent_, et écrire
_antandent_, il s’y oppose, attendu que le son de l’_e_ suivi de l’_n_
est (ou du moins était) intermédiaire entre _a_ et _e_.

Il admet le _ç_ et distingue les _j_ des _i_ et les _v_ des _u_, et
voudrait qu’on écrivît _diccion_ et _imposicion_, et non _diction_ et
_imposition_.

Il désirerait que le _k_ remplaçât le _qu_ qu’il voudrait «voir exilé à
jamais». Ses dialogues, placés sur six colonnes, sont curieux et pour
l’orthographe et aussi pour les locutions qui sont encore usitées en
Normandie. En voici un exemple:

  _Latine._--_D._ Ut vales hoc mane?--_R._ Non ita quidem ut vellem.

  _Antiqua orthographia._--_D._ Comment vous portez-vous à ce
  matin?--_R._ Non pas si bien comme je voudrois.

  _Neotericorum._--_D._ Comman’ vou’ porte’ vous à ce matin?--_R._ Non
  pa’ si bien comme je voudroé.

  _Authoris._--_D._ Comment vous portez-vous à ce matin?--_R._ Non pas
  si bien comme je vouldroye.

  _Modus loquendi._--_D._ Comman vou porté vouz à ce matin?--_R._ Non
  pas si bien comme je voudroé.


    * CLAUDE MERMET. _La Pratique de l’orthographe françoise, avec
    la manière de tenir livre de raison... composé par Cl. Mermet,
    escrivain de S. Rambert en Savoie._ Lyon, Basile Bouquet, 1583,
    in-16, de 315 pp.

Je n’ai pu prendre connaissance du contenu de cet ouvrage, qui paraît
d’une assez grande rareté.


    MONTAIGNE, au verso du frontispice d’un exemplaire (appartenant
    à la bibliothèque de Bordeaux) de la cinquième édition de ses
    _Essais_, in-4, Paris, l’Angelier, 1588, a écrit quelques
    instructions pour l’impression d’une nouvelle édition.

Ces instructions ont été reproduites dans l’édition des _Essais_ donnée
par Naigeon (Paris, 1802, 4 vol. in-8). J’en extrais un passage relatif
à l’orthographe:

  «_Montre, montrer_, etc., escrives les sans _s_ a la differance de
  _monstre, monstrueus_.

  «_Cet home, cette fame_, escrives le sans _s_ a la differance de
  _c’est, c’estoit_.

  «_Ainsi_, mettes le sans _n_ quand une consonante suit et aueq _n_ si
  c’est une uoyelle; _ainsi marcha, ainsin alla_[144].

      [144] C’est ainsi que les Grecs font emploi du ν euphonique ἐστὶ,
      ἐστὶν.

  «_Campaigne, Espaigne, Gascouigne_, etc.; mettez un _i_ devant le
  _g_ comme a _Montaigne_[145].

      [145] Cette prononciation devait être celle de la Gascogne.

  «Mettez _regles, regler_, non pas _reigles, reigler_.»

Dans la suite de cet avis à l’imprimeur, Montaigne donne des
instructions pour la ponctuation, pour l’emploi des lettres majuscules,
qu’il réserve seulement aux noms propres; pour les dates, à mettre en
toutes lettres et sans chiffres, et pour l’espacement des mots, etc.

Montaigne écrit ainsi les mots: _come, differant_ (adj.), _comancemans_
(au pluriel), _lexamplere, lorthografe, imprimur, aus_ (aux), _stile,
deus_ (deux), _paranthese, aueq_. Dans beaucoup de mots il a devancé
son époque, où l’on écrivait _escript_.

Par la manière dont il orthographie ces mots: _come, home_ et _fame,
differant_ (adjectif), _comancemans, paranthese_, on voit qu’il voulait
qu’on imprimât son livre d’une manière plus conforme à la prononciation;

Qu’il remplaçait dans les pluriels l’_x_ par le _s_: _aus, deus_;

Qu’il simplifiait l’orthographe dans _examplere, stile, ortographe_;

Enfin que pour les mots _monstre, monstrer, cest_, pronom
démonstratif, _reigle_, la correction qu’il indiquait a été adoptée par
l’Académie.

Le manuscrit original déposé à la bibliothèque de Bordeaux, qu’un
de mes amis vient d’y consulter, est écrit dans le même système:
la suppression des doubles lettres inutiles, et l’emploi de l’_a_
substitué à l’_e_, pour conformer l’écriture à la prononciation. (Voir
App. _E_.)


    DE PALLIOT, secrétaire ordinaire de la chambre du Roy. _Le
    vray Orthographe françois, contenant les reigles et preceptes
    infaillibles pour se rendre certain, correct et parfaict à bien
    parler françois._ Paris, Nicolas Rousset, 1608 (priv. du 24 avril
    1600), in-4 oblong de 35 ff. chiff. et 1 f. pour le privil.

Palliot, qui prend le titre de secrétaire ordinaire de la chambre du
roi, est un ennemi acharné de toute innovation orthographique. Son
argumentation reproduit, sauf la modération de la forme et l’élégance
du style, celle de Pasquier dans sa lettre à Ramus (voir p. 194).
Abandonnant ce que son émule appelle «la vraye nayveté de nostre
langue», il tombe dans l’affectation et le langage pédantesque,
dangereux écueil sur lequel était en péril de sombrer le génie de la
Renaissance dans l’excès de son zèle de restauration archaïque, si
Rabelais n’eût montré le ridicule de la _verbocination latiale_ en la
plaçant, d’une façon si comique, au VIe livre de son _Pantagruel_, dans
la bouche de l’écolier limousin. On jugera la manière de raisonner de
Palliot et son orthographe par la citation suivante:

  «J’inféreray de là que, quelque confusion qu’il y ayt aux dictions
  proférées, la distinction s’en recognoist à l’orthographe bien
  reglé, dont le jugement et r’apport s’en fera (affin que ce ne soit
  point une _regula Lesbia_, qui se conforme à la diversité de ses
  applications) sur la déduction de ses motz les uns des autres, par
  leurs conjugaisons et déclinaisons: ou sur la dérivation du grec
  et du latin, d’où nous tenons la plus-part de nos termes; voire
  que nous en tenons des lettres mesmes qui servent de toute notoire
  distinction en l’escriture, qui est néantmoins toute confuse en sa
  prolation. Ainsi le _z_ que nous tenons des Grecz parmy nos lettres
  faict différer _noz_ de _nos_: l’vn qui sera françois avec ce _z_,
  l’aultre qui sera latin avec son _s_. Ainsi que l’_y_ adverbe de
  lieu en nostre langue _vas-y_ fera la différence de l’_i_ simple qui
  sera en latin impératif d’_ire_: _i tu_. Ainsi tenans et noz lettres
  mesmes et noz accentz et noz distinctions et punctuations, comme
  la plus-part de nos dictions, de ces langues certaines et reglées,
  la vraye pierre de touche, qui servira à faire recognoistre nostre
  orthographe plus reglé, sera à ces dérivations, et nous arrester en
  cela à ce qui en a esté suyvy jusques icy par toute l’antiquité, sans
  vaciller à l’inconstance et incertitude des nouvelles préscriptions
  de ces innovateurs, d’un tas de caractêres nouveaux, de nouvelles
  escrivacheries et telles autres broüilleries modernes, qu’ilz veulent
  mesmement fonder sur un pilotis si mal asseûré que seroit le commun
  langage, qui peut estre perverty et corrompu d’ailleurs, soit par
  l’asnerie des vns, soit par l’insolence des aultres, s’il n’est
  retenu en bride et en son entier par ceste antienneté d’escriture,
  sans laquelle nostre langage seroit mesmement desja autant dépravé
  que noz mœurs.

  «..... Ainsi, l’vn de ces desordres provenant de l’aultre, je me
  serois indifféremment laissé porter de la compassion que j’avois de
  celuy de nostre orthographe, à la passion de veoir regner ces excês
  parmi nous, qui m’auroit faict ainsi transporter à les attacquer
  tout d’vne mesme escarmouche, jusques à charger aussi bien sur le
  mal-faire et mal-vivre comme sur le mal-dire et mal-escrire. Leur
  insolence m’ayant poussé à m’en stomacquer si insolemment que de
  n’avoir pas à moindre contre-cœur l’vn que l’aultre, dont les excez
  ne cesseront pas plus tost, que je cesseray incontinênt d’estre plus
  si excessif en telles criticques censures. Esquelles je suppli’ray
  que l’on ayt plustost esgard à ces recherches et galanteries des motz
  où je me suis donné libre carrière jusques au bout que non pas aux
  recharges et contre-battries des maulx, etc.....»

On voit par cette citation, qui eût été inintelligible si je n’avais
pris le soin de la ponctuer à la manière actuelle, que l’orthographe
de Palliot est aussi lourde et hérissée que son raisonnement et qu’ils
sont l’un et l’autre entachés d’une affection aveugle pour les usages
surannés.


DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

    ROBERT POISSON. _Alfabet nouveau de la vrée et pure ortografe
    fransoize et modèle sus iselui en forme de Dixionére. Dedié au
    roi de Franse et de Navarre Henri IIII, par Robert Poisson équier
    (Auvile) de Valonnes, en Normandie._ Prezenté au roi par l’auteur,
    se 25 jour d’Aut l’an de Grase 1609. A Paris chez Jérémie Perier,
    livrère és petis degrez du Palæs, 1609, avec privileje du Roi, pet.
    in-8.

Parmi les pièces de vers en tête de cet ancien traité d’orthographe, où
sont indiquées la plupart des modifications adoptées par l’auteur, on
lit ce quatrain:

        Vantez tant que voudrez de Ronsard les éqris,
        De Ramus, Péletier, Baif, Robert Etiene,
        Leurs réformassions d’ortografe ansiene,
        Poisson en a l’onneur, le profit et le pris.
              _Apointons noise._

Plusieurs des changements qu’il indique ont été adoptés plus tard:
telle est la suppression des _s_, des _d_, des _p_, etc. L’introduction
qu’il propose du _t̂_ surmonté d’un accent pour indiquer la suppression
de l’_s_, comme dans _bast̂on_, dut être sans objet, puisque cet _s_
est maintenant supprimé. Le seul signe nouveau qu’il introduit est un
_ch_ peu gracieux (nous le représentons par _cꜧ_[‡]), pour distinguer
la prononciation du _ch_ dans _cher_, qu’il écrit _cꜧer_, de _écho_,
_cꜧose_ de _chœur_.

      [‡]ꜧ représente un h avec un crochet au jambage de droite.

Au-dessous de chaque lettre de l’alphabet, il indique dans un quatrain
sa valeur et l’emploi qu’il en fait, justifié, à la suite de chacun
d’eux, par une longue liste d’exemples. Voici quelques-uns de ces
quatrains:

        Bé

        Bé qi vaut le béta des Grez, et beth ébrieuze,
        Je ne poze en tez mos qe sont les ensuivans,
        _Devoir, féve, février_, car superstisieuze
        I seroit comme à _lævre, livrere_ & _ovians_[146].

      [146] Dans ces trois mots, en latin _labra, librarius_ et
      _obviare_, l’auteur prononçait donc le _b_ comme _v_ (comme le β
      en grec). Nous ne prononçons plus _livraire_, mais _libraire_,
      quoique nous écrivions et que nous prononcions _livre_; nous ne
      prononçons plus _ovier_, mais _obvier_.

        Cꜧé

        Cꜧé, nouvelle inventée æt propre et nésésére
        Pour fére _cꜧer, cꜧoisir, cꜧarité, cꜧicꜧe, cꜧois_,
        Car _ch_ a un son totalement contrére.
        Preuve: _écho, cheur_, et _chorde, écholier, échosois_.

        Dé

        Dé jamés ne se doit prononser ni écrire
        En ses mos: _avocat, ajourner_, ni _avis_,
        _Avouer, avenu_: car leur son il empire,
        Més _admettre, admirable_, avec lui bien écris.

        Fé

        Fé vaut la _fi_ des Grez, et bien ne se peut prendre
        Pour les _ph_, ainsi comme font les Latins,
        Et des nôtres seus là, qi deus se veulent rendre
        Les vrez imitateurs, se faizant mal aprins.

        Si bien et^oient[‡] écris ainsi _philozophie_,
        _Phosion, nimphe, phlegme_, et _phare_, et _phrijien_,
        Aussi bien le seroient _phransois, philh’e, pholie_,
        Qe jamés on ne vit écris par se moien.

      [‡] t^ représente un t avec un accent circonflexe dessus.

        Hé

        Hé pour lettre æt^ isi non aspirassion
        & ou n’en æt^ bezoin jamés je ne l’apliqe,
        Jécri _’ommaje, ’onneur, ’omme_, en sete façon,
        Non _homme_, non _honneur_, comme on fet à l’antiqe.

        Apres _l_, je la més pour bien écrire _filh’e_,
        _Pilh’ard, perilh’eus_: qi n’auroient autrement
        Qe le propre son q’a _vile, indosile, abile_.
        D’autant que la double _ll_ ni fet le beg’ement.

        Ka, Qé ou Cu

        Ké æt^ réprézenté desous triple figure
        Q’on prenoit si devant pour trois lettres formal (_sic_),
        Car elles n’ont q’un son, q’un ton, q’une mezure,
        Leur pourtret seulement se rencontre in-égal.

        Més pour ofenser moins la vieille uzaje mæme
        Et ne poin égarer les lizeurs mal instruis,
        Par sete _ké_, jécri _keur, kalendrier, karæme_,
        Ainsi _contre, couleur_: ainsi _qiqonqe_ et _qis_.

        Lé ou el

        Lé ou el, je n’i més jamés superflüment
        Cõme en ses mos suivans: _sieus (cieux), mieus, fourmile,
              vile_,
        _Poudre, outre, moudre, veut, peut_, et pareillemẽt
        _Pélétier, apelant_; la double æt^ inutile.

        Mé ou em

        Mé ou em, nous trouvons æt^re mieus jéminëe
        En ses mos: _Romme, somme, ’omme, pommier, sommier_,
        Car la prolassion en æt^ mieus ordonnëe,
        Nous écrivons à tard (_sic_): _’ome, some, pomier_.

Selon lui, l’_n_ et le _p_ ne doivent pas être doublés dans certains
mots, comme dans _aviéne, miéne, tiéne_; et dans _apointer, apelant,
aparant_; selon lui aussi on doit écrire _rétorique, réteur_.

        Sé ou es

        Sé ou es ne si met jamés isi pour zedde
        Comme en ses mos: _dézert, dezir, maizon, raizon_,
        Tout de mæme la ké (le _c_) jamés ne lui fet edde,
        Comme en seus-si: _Fransois, léson, ranson, fason_.

        Té

        Té ne si voit jamés pour le son de _sé_ fére,
        Comme à _devotieus, gratieus, otieus_,
        _Pronontiation, pétition_: me tére,
        D’ortografe si fause, en se lieu je ne peus.


    PIERRE LE GAYGNARD. _L’Apprenmolire françois, pour apprendre les
    ieunes enfans et les estrangers a lire en peu de temps les mots des
    escritures françoizes, avec la vraye ortographe françoize._ Paris,
    Jean Berjon, 1609, in-8.

L’auteur réforme à sa manière l’orthographe sans introduire de nouveaux
signes. Son ouvrage, écrit de la façon la plus confuse et d’un style
boursouflé et pédantesque, se refuse à toute analyse.


    ÉTIENNE SIMON, docteur-médecin. _La vraye et ancienne orthographe
    françoise restauree. Tellement que desormais l’on aprandra
    parfetement à lire et à escrire et encor auec tant de facilité et
    breueté que ce sera en moins de mois que l’on ne faisoit d’années._
    Paris, Jean Gesselin, 1609, in-4 de 14 ff., 680 pp. et 7 ff. de
    table.

Simon est un réformateur hardi; mais, voulant éviter de créer de
nouveaux signes ou d’employer les accents déjà connus de son temps, il
s’est jeté, pour figurer la prononciation, dans une voie plus mauvaise
qu’aucun de ses devanciers; il redouble les voyelles et les consonnes
de la façon la plus fastidieuse, sans parvenir à distinguer la valeur
phonique des syllabes.

Voici un exemple tiré des poésies de du Bartas:

        Profane qi t’anqieers qeel important afeere
        Peut l’esprit et lees meins de sse Dieu ssoliteere
        Occupeer ssi long tans? Qeel ssoussi l’eexerssa
        Durant l’eeternite qi sse tout deuanssa?
        Veu q’à ssi grand puissansse, à ssi grande ssajeesse,
        Rien ne ssied point ssi mal, q’une morne pareesse,
        Ssache, o blasfeemateur, q’avant sseet univeers
        Dieu baatissoeet anfeer, pour punir les peerueers
        Dont le ssans orgeilheus an jugemant apeele
        Pour ssanssureer sees fees la ssajeesse eetérneelle.

Malgré les vices évidents d’un tel système, il faut reconnaître une
bonne inspiration dans la simplification du double signe _qu_ en _q_,
et dans la permutation du signe binaire _ge_ en _j_.


    * CLAUDE EXPILLY, président au parlement de Grenoble. _L’Ortographe
    françoise selon la prononciation de notre langue._ Lyon, 1618,
    in-fol.

Malgré toute l’obligeance qu’ont mise dans leurs recherches MM.
les conservateurs de notre Bibliothèque impériale, de celle de
Sainte-Geneviève, de la Mazarine, de l’Arsenal, de l’Institut de
France et autres grandes bibliothèques de Paris, il m’a été impossible
de me procurer cet ouvrage. J’ai eu recours alors à M. Monfalcon,
conservateur de la bibliothèque de Lyon, espérant que le livre imprimé
en cette ville s’y trouvait; les recherches ne se sont pas bornées à
la bibliothèque de Lyon, et se sont étendues à deux autres grandes
bibliothèques, mais inutilement. Ce livre in-folio d’un savant
distingué, et que M. Brunet déclarait être devenu rare, serait-il
devenu introuvable?


    JEAN GODARD. _L’H françoise._ Lyon, 1618, in-12 (et aussi à la fin
    de sa _Nouvelle Muse_, Lyon, Cl. Morillon, 1618, pet. in-8).--_La
    Langue françoise de Iean Godard Parisien: ci-devant lieutenant
    General au Bailliage de Ribemont._ Lyon, Nicolas Jvllieron, 1620,
    in-8.

Jean Godard, à la fois érudit et d’un esprit enjoué, dédie à du Vair,
garde des sceaux de France, un traité de la langue française plus
particulièrement consacré à l’orthographe et qui contient des détails
instructifs. Sans qu’on puisse le déclarer novateur, puisque alors une
grande liberté orthographique était admise, on jugera de celle qu’il
adopte dans son livre et de l’esprit dans lequel il est écrit. Je me
bornerai à reproduire le chap. VI, consacré à l’A, p. 61, et le ch. IX,
p. 91, consacré à l’F françoise. Mais, comme entrée en matière, voici
ce qu’il dit au chapitre de l’S:

  «Ce ne m’êt pas vn petit contentemãt que Pollio ait bien daigné faire
  en la langue latine deuant moi, ce que ie fais en la langue françoise
  aprés luy, ecriuant des traitez sur nos lettres, comme il fit sur
  les lettres latines. Mais ancore, mon contantemant redouble quand ie
  viens à considerer que Messala, grand au barreau, grand à la guerre,
  homme de langue et de main, avocat et capitaine, se contanta bien de
  laisser par ecrit[147] vn liure de l’S latine sans toucher aux autres
  lettres. Car il samble par là que c’êt vne jantille et genereuse[148]
  entreprise, de traiter la plus grande part de nos lettres, puisque
  vn si grand personnage a creu qu’vne seule lettre peut seruir de
  carriere à un bel esprit, pour y faire sa course, et pour amporter la
  bague que les Muses donnent à leur cavalier, qui court le mieux dans
  leurs lices. Mais cette ioye êt suyuie de la tristesse que j’ay de ce
  que nous n’auons pas ces deux ouurages de ces deux grãs Romains. Ie
  n’aurois point de peur de m’egarer, ie ne crandrois ni vãt ni vague,
  si ie les voyois marcher deuant moi ou tenir derriere moi le timon
  desus la poupe. N’estoit que nos Muses francoises cherissent leurs
  bonnes seurs, ie les accuserois volontiers de neglijance, et d’auoir
  permis au Tans par leur mausoin d’anlever de leur cabinet deux ioyaux
  si precieux et deux pieces si belles. Il ne nous reste de leur nom
  que la seule souuenance, et du desir de les voir que le regret de
  leur perte.»

      [147] Dans beaucoup de mots, Godard a devancé son époque, où l’on
      conservait cette forme: _escript_.

      [148] Puisqu’il écrit _jantille, jans, neglijance_, il aurait dû
      remplacer partout le _g_ doux par _j_.


_L_’=A= _françois_.

  «Nous auons assez demeuré deuant le logis; il êt bien tans que nous
  antrions dans la maison, où nôtre langue françoise nous attand de
  pié ferme. Voici l’vn de ses jans qu’elle anuoye au deuant de nous.
  C’êt son A qui nous ouure la porte, et qui vient pour nous receuoir.
  Car c’êt luy qui a la charge d’accueillir les amis et les etrangers
  qui veulent venir visiter sa maitresse. Saluons-le: mais plutôt
  ecoutons comme il nous salue luy même d’vne voix claire, argentine,
  eclatante. C’êt le capitaine de tous les caracteres de la langue
  Françoise, et certes meritoiremãt. D’autant qu’il tient cette charge
  plus par merite que par faueur, passant en grace de beauté et en
  vigueur de force naturelle tous les autres caracteres, qui sont
  assez honnorez de suyure son etandard. Car autant que les voyelles
  passent les consonnes, l’A passe autant les voyelles: à cause que
  sa pronontiation êt plus mâle, plus franche, plus haute, et plus
  aigue, que celle de toutes les autres voyelles. Il veut son passage
  libre et que la bouche luy fasse place à leures ouuertes, quand il
  luy plait de sortir. Il êt fort, il êt valeureux, il êt bruyant.
  C’êt luy qui fait nos chamades, nos chariuaris, nos tintamarres.
  Comme prince et capitaine il a de la majesté sur les siens, et de
  l’espouuante sur les autres. Anciennement, à cause de cela, quand
  il faisoit sa demeurance en Grèce, il etoit fort cheri et fort
  honnoré des Lacedemoniens, les plus guerriers de tous les Grecz.
  Car il batoit leurs annemis par l’oreille de la seule pronontiation
  de leur nom, qu’il armoit et randoit epouuantable, par la pointe
  de son seul son. C’êtoit sur cet estoc que brilloit l’émeri des
  Antalcidas, des Brasidas, des Isadas. Mais ce sont plutôt effetz de
  valeur que d’affection de carnage. Car au reste il êt plein d’vne
  grande courtoisie et d’vne grande bonté. On ne doute point que ce
  ne fût luy qui sauuoit les criminelz à Rome plus souuant que les
  vestales. Aussi ces pauures criminelz cherissoient et benissoient
  autant cette lettre-là, qu’ilz redoutoient et detestoient le C,
  lettre de condamnation, de malheur et de malle heure. La langue
  françoise, reconnoissant son merite ancore mieux que la gréque et
  la latine, l’amploye en beaucoup de charges. Car outre ce qu’elle
  l’a fait la première de ses lettres, elle l’a fait ancore article,
  verbe, et preposition. Premieremant, di-ie, il êt article, voire
  article si general, qu’il a lieu au singulier et au pluriel, et
  autant au genre feminin qu’au masculin. Car nous disons, _il êt
  à Pierre, il êt à Perrette_. _J’en ai parlé à quelques-vns_;
  _j’en ai parlé à quelques-vnes_. Mais il ne sert pas seulemant en
  cette façon-là d’article à nôtre langue, pour ses noms, pronoms et
  participes; il sert ancore d’article à l’infinitif de nos verbes,
  et prand lors le lieu et la signification de l’article _de_: comme
  en ces examples, _ie commence à lire, ie commance à comprandre_,
  c’êt à dire, _ie commance de lire, ie commance de comprandre_.
  Ainsi nous disons, _Nicolas tâche à paruenir_, c’êt à dire, _de
  paruenir_. Il êt preposition et tient en nôtre langue la place de
  la preposition latine _ad_, en plusieurs façons de parler comme aux
  suyuantes: _Le roi a enuoyé des ambassadeurs à l’ampereur_. Rex misit
  legatos ad imperatorem. Ad quem finem, _à quelle fin_. _Je retourne
  à mon propos_, ad propositum redeo. Aucune fois il tient le lieu de
  la preposition latine _in_, comme ici: Manet in nostris ædibus, _il
  demeure à nôtre maison_. Je ne veux pas nier qu’on ne puisse pas
  bien dire aussi: _il demeure en nostre maison_. Mais neammoins la
  premiere façon parler me samble plus nayue et plus douce, comme il
  se pourra peut-être montrer en vn autre androit. Mais outre cela
  il se prand aussi quelquefois pour cette dictiõ françoise _pour_.
  Car quand nous disons, _à dire vrai, à prandre l’affaire de bon
  biais_, c’êt à dire, _pour dire vrai, pour prandre l’affaire de bon
  biais_. Nous le mettons ancore bien souuant au lieu de la preposition
  _auec_, comme quand nous disons: _c’êt un fruit qu’il faut cueillir
  à la main, on le court à toute force_, c’êt à dire, _cueillir auec
  la main, on le court auec toute force_. Sa derniere signification,
  c’êt qu’il êt verbe comme j’ai dit. Car il signifie cette troisiéme
  personne _habet_, comme en cet example: _Pierre a le liure que vous
  cherchez_. Mais au reste il suit la premiere personne au singulier,
  et la troisième personne au pluriel du preterit indefini de nos
  verbes, que nous pouuons appeller aoriste, à la façon des Grecz,
  empruntant ce terme-là d’eux. Je parle des verbes qui font leur
  infinitif en _er_; car il faut dire, _j’aimé, tu aimas, il aima,
  nous aimâmes, vous aimâtes, ilz aimerent_, et non pas, _j’aima, ilz
  aimarêt_. Neammoins qui voudra pourra bien aussi, ce me samble,
  ecrire, _j’aimai_. Quant à ces autres voix, _nous aimissions, vous
  aimissiez_, qui sont du même verbe, c’êt ainsi qu’il faut dire, à
  mon auis, plutôt que, _aimassions, aimassiés_[149], qui au hasard
  pourroient être tolerables. Toutefois ne les condannãt pas, ie ne
  veux pas aussi les absoudre.»

      [149] Cette observation ne manque pas de justesse. Quoi de
      plus fâcheux que l’existence de ces imparfaits du subjonctif
      en _assions, assiez_, que nos grammairiens nous enjoignent
      d’employer, et dont personne n’ose se servir, ni dans le
      discours, ni dans les livres, afin de ne pas blesser les oreilles
      délicates.


_L_’=F= _françoise_.

  «Voici la pauure déualisée, qui se plaind, et qui a iuste cause de se
  plaindre du tort qu’on luy fait, de lui ôter ce qui luy appartient.
  Mais ce qui la fâche ancore dauantage, c’êt que ce tort là, qu’on
  luy fait, viẽt d’un autre tort precedant, qu’elle souffre auec
  impatiance, pource que il touche à sa reputation. Et tout ce mal luy
  viẽt, à cause qu’on lui impute la faute d’autruy, ayãt êté condamnee
  sans être ouye. Mais le bon droit de sa cause luy conseille d’être
  appellante de la sentance que l’vsage a randue contre elle et de
  releuer son appel au siege de la Raison, où sans doute les griefs que
  luy fait l’vsage luy doiuent être reparez. C’êt un tort manifeste
  qu’on luy fait de la priuer de ses droitz, et de luy ôter ce qui
  luy appartient, sous couleur qu’on luy veut faire accroire qu’elle
  n’êt pas capable d’en iouyr, la chassant de chez elle, et mettant
  des etrangers en sa maison. Car à toute heure l’vsage la chasse de
  sa place, et met un P et vne H en son lieu, par toutes les dictions
  gréques, desquelles nous nous seruons. C’êt un abus en nôtre langue,
  qui proviẽt de l’example et de l’imitation des Latins, qui en ce
  voyage-là nous seruent de mauuais guides, et nous détournent du
  grand chemin. Quelque artifice que la langue latine puisse auoir
  iamais eu par l’industrie de ses orateurs et bien disans, si êt-ce
  pourtant que la nôtre en cet androit la passe beaucoup par sa douceur
  naturelle. Car les Romains n’ont iamais eu, comme nous auons, aucune
  lettre qui ait peu exprimer seule la nayueté et la douceur du Φ
  des Grecz. Cette difficulté là les a long tans tenus en peine de
  chercher le moyen d’y paruenir. Mais ilz n’en sont iamais venus à
  bout. Car ce seroit bien se tromper, de croire que l’F latine ait
  le son du Φ. Si cela eût été, les Romains n’eussent pas manqué
  d’amployer et de mettre en besogne leur F, laquelle êt de son naturel
  si rude et si âpre, qu’il n’y a point de lettre qui le puisse être
  dauantage. Quintilian s’en plaind bien fort[150]: d’autant que ce
  n’êt pas vne voix, mais plutôt vn sifflemant qu’on pousse et met
  dehors à trauers les dantz, que les Romains tenoient serrées en
  faisant ce soufflemant ou ce sifflemant, comme des serpans ou des
  oyes. Voilà pourquoi, a mon auis, Ciceron dit que c’êt vne lettre
  fort deplaisante. Cette F romaine, dont le son êt si desagreable
  et si sifflant, êtant toute éloignée de la douce voix du Φ, et
  n’ayant rien de commun ni de samblable auec luy, n’a iamais osé se
  presanter pour le represanter. Les anciens Latins voyant cela,
  et qu’il n’y auoit aucune correspondance de l’vne à l’autre, ne
  peurent trouuer aucune lettre chez eux, plus approchante du Φ que
  leur P: occasion qu’ilz l’amployerent au commancemant au lieu du Φ,
  et disoient, _tropæum, triompus_. Mais il êt vrai que c’etoit cette
  lettre latine qui approchoit le plus du Φ: neanmoins elle en êtoit
  toûiours si loing qu’elle ne pouuoit pas l’approcher. Cela fut cause
  que, l’oreille s’offansant d’une telle pronontiation, qui n’auoit
  aucune iuste proportion ni conuenance auec la gréque, les Romains
  furent contraintz d’ajoûter une H à leur P, pour represanter par ce
  moyen, le mieux qu’ilz pouuoient, la force et la pronontiation du
  Φ; ce que Ciceron fut luy-même forcé de faire, comme les autres, se
  laissant amporter à l’vsage, qui êtoit appuyé sur la douceur de la
  pronontiation et sur le iugemant de l’oreille. Nôtre vulgaire suyuãt
  cette façon romaine s’êt fouruoyé, prenant vn long détour, au lieu
  du grand chemin plus court et plus assuré. _Car puisque nôtre _F_ êt
  toute douce, qu’elle a le son du _Φ_ des Grecz, et rien de l’âpreté
  de l’_F_ latine, nous deuons nous en seruir aux mots grecz_, et non
  pas du P et de l’H, à l’example des Romains, duquel nous n’auons que
  faire. On ne doit iamais mandier d’autruy ce qu’on a dans la maison.
  C’êt manque de iugemant ou pure moquerie aux sains de chercher
  guerison et aux riches d’amprunter. Quant à moi, c’êt bien mon auis
  que l’F françoise soit reintegree dans tous les lieux et dans toutes
  les places gréques desquelles le P et l’H l’ont chassee par voye de
  fait, sous la faueur de l’vsage, qui, pour ce faire, leur a preté
  main forte. Ce sera chose plus gratieuse que nôtre ortografe soit
  françoise; il nous sera plus commode d’écrire vne lettre que deux;
  et sera plus raisonnable de randre à nôtre P ce qui luy appartient.
  Voila pourquoy nous la deuons remettre et rétablir en ses droitz,
  puisque la bienseance le requiert, la commodité le persuade et la
  raison l’ordonne. Ie croi qu’ainsi le prononceroit l’equité, même par
  la bouche des peuples les plus etrangers. Car qui a l’eil capable
  de iuger du blanc et du noir, il a l’esprit capable de prandre
  connoissance et de iuger du tort qu’on fait à nôtre F, tant il êt
  manifeste et palpable. A plus forte raison doit-elle obtenir sa
  reintegrande, par le iugemant de la France, puisque la raison y êt,
  et puisque la France êt si obligee à cette F-ci, qu’antre toutes les
  lettres qui luy ont donné un nom si glorieux, c’êt sa principale
  marraine. Sa douce nayueté, qu’elle prete à l’F latine, lorsque nous
  prononçons le latin, en adoucit beaucoup ce langage-là, qui n’a
  pas de luy-même vne pronontiation si douce, pour le regard de cette
  lettre-ci, ni en tout et par tout vne voix si douce que le nôtre,
  pour le regard du general. C’êt bien vne mauuaise fortune à nôtre F,
  qu’elle adoucit celle des Latins, et cepandant son malheur vient de
  l’F latine: tandis qu’on pratique en la nôtre iniustemant, ce qui êt
  raisonnable en l’autre, et tandis que la nôtre luy tandant du bien
  auec la main droite, l’autre luy rand du mal avec la main gauche.
  Mais au moins la pauurette a cette consolation en son infortune,
  que l’F latine, qui êt cause qu’à tous coûs elle êt mise hors de sa
  maison, êt elle-même à toute heure bannie de son pays. Car son apreté
  la rand si odieuse à ceux de sa langue même, aussi bien qu’aux autres
  peuples, qu’ilz la chassent et bannissent à tout propos. Car les
  Romains les premiers, annuyez de sa dureté farouche, l’ont chassée
  de plusieurs motz, comme de ceux-ci _fordeum_ et _fœdus_; car au
  bout d’un tans ilz aimerent mieux dire, _hordæum_ et _hœdus_. Autant
  en ont fait les Espagnols et les Gascons, qui presque en toutes les
  dictions qu’ilz tiennent des Latins ont chassé l’F dehors, et mis
  l’H en son lieu, comme fait aussi quelquefois la langue françoise,
  même en ce mot _hors_, qui vient de _foris_; étant iugé par la voix
  commune de tous les peuples, que l’aspiration êt beaucoup plus douce
  que l’F latine. Mais ayant fait elle seule toute la faute, elle fait
  pourtant souffrir à la nôtre grand’part de sa punition.»

      [150] Quintilien, après avoir regretté l’absence en latin des
      lettres grecques φ et υ, s’exprime ainsi: «Quæ si nostris literis
      (_f_ et _u_) scribantur, surdum quiddam et barbarum efficient,
      et velut in locum earum succedent tristes et horridæ quibus
      Græcia caret. Nam et illa quæ est sexta nostratium (_f_) pœne non
      humana voce, vel omnino non voce potius, inter discrimina dentium
      efflanda est; quæ etiam cum vocalem proxima accipit, quassa
      quodammodo, utique quoties aliquam consonantem frangit, ut in hoc
      ipso _frangit_, multo fit horridior.» (_Inst. orat._, XII, 10,
      28, 29.)


    Charles SOREL, auteur de la _Bibliothèque françoise_, semble s’être
    prononcé pour la réforme dans le passage suivant du livre V de
    l’_Histoire comique de Francion_, Paris, 1622, in-8.

La scène se passe chez un libraire de la rue Saint-Jacques, où se
réunissent quelques poëtes du temps pour lire leurs vers et discuter
sur les principes de la langue poétique.

  «Ils vinrent à dire beaucoup de mots anciens, qui leur sembloient
  fort bons et très-utiles en notre langue, et dont ils n’osoient
  pourtant se servir, parce que l’un d’entre eux, qui étoit leur
  coryphée (Malherbe), en avoit défendu l’usage. Tout de même en
  disoient-ils beaucoup de choses louables, nous renvoyant encore
  ce maître ignare dont ils prenoient aussi les œuvres à garant,
  lorsqu’ils vouloient autoriser quelqu’une de leurs fantaisies. Enfin
  il y en eut un plus hardi que tous, qui conclut qu’il falloit mettre
  en règne, tous ensemble, des mots anciens que l’on renouvelleroit,
  ou d’autres que l’on inventeroit, selon que l’on connoîtroit qu’ils
  seroient nécessaires; et puis, qu’il falloit aussi retrancher de
  notre orthographe les lettres superflues, et en mettre en quelques
  lieux de certaines mieux convenantes que celles dont on se servoit;
  car, disoit-il, sur ce point, il est certain que l’on a parlé avant
  que de sçavoir écrire, et que, par conséquent, l’on a formé son
  écriture sur sa parole, et cherché des lettres qui, liées ensemble,
  eussent le son des mots. Il m’est donc avis que nous devrions
  faire ainsi, et n’en point mettre d’inutiles; car à quel sujet le
  faisons-nous? Me direz-vous que c’est à cause que la plupart de nos
  mots viennent du latin? Je vous répondrai que c’est là une occasion
  de ne le suivre pas: il faut montrer la richesse de notre langue
  et qu’elle n’a rien d’étranger. Si l’on vous faisoit des gants qui
  eussent six doigts, vous ne les porteriez qu’avec peine et cela vous
  sembleroit ridicule. Il faudroit que la nature vous fît à la main un
  doigt nouveau ou que l’ouvrier ôtât le fourreau inutile; regardez
  si l’on ne feroit pas ce qui est le plus aisé. Aussi, parce qu’il
  n’est pas si facile de prononcer de telle sorte les mots que toutes
  leurs lettres servent, que d’ôter ces mêmes lettres inutiles, il
  est expédient de les retrancher. En pas une langue vous ne voyez de
  semblable licence, et, quand il y en auroit, les mauvais exemples ne
  doivent pas être suivis plus que la raison. Considérez que la langue
  latine même, dont, à la vérité, la plupart de la nôtre a tiré son
  origine, n’a pas une lettre qui ne lui serve.»


    _De l’Orthographe françoise_, à la fin de l’ouvrage intitulé: _Le
    Grand Dictionnaire des rimes françoises selon l’ordre alphabetique_
    (dissertation attribuée à Pierre de la Noue, Angevin). Geneve,
    Matthieu Berjon, 1623, pet. in-8.

L’auteur est un néographe modéré. «Ie sçay, dit-il, qu’il semblera
à beaucoup trop audacieuse entreprise de blasmer ce que la plus
part trouuent bon.» Il n’a pas l’intention de condamner purement et
simplement notre orthographe, mais de «l’étaler à la vue» en en notant
les défauts, de façon que chacun en soit juge. Il ne doute pas que,
si l’on se décidait à une réforme aussitôt qu’on aurait reconnu le
besoin que nôtre écriture en a, en peu de temps nous écririons «plus
proprement et plus brièvement». Ce serait au grand bénéfice de nos
voisins, qui, apprenant notre langue artificiellement, la parleraient
comme nous la parlons et non comme nous l’écrivons. En effet, bien que
notre commerce leur fasse corriger beaucoup de mots, il leur en reste
tant de vicieux qu’il semble souvent qu’ils parlent un autre langage,
bien qu’ils aient appris ce que nous leur enseignons. Il ne faudrait
pas dire qu’un tel inconvénient résulte d’une mauvaise prononciation
locale, «car l’escriture est une image de la parole, comme la peinture
des corps visibles. Or est-il que celuy qui a bonne veuë voyant un asne
peint en un tableau seroit bien asne luy mesme s’il le prenoit pour
un cheual: aussi ceux qui donnent aux lettres la mesme vertu que nous
leur attribuons en nostre alphabeth (chose qui tient semblable rang
pour l’intelligence de ce qui est escrit, que fait la veuë pour les
pourtraits), s’ils lisoyent un mot pour l’autre, ils seroyent à bon
droit reprehensibles: mais si nous mesmes leur escrivons ou par maniere
de dire leur peignons un asne pour leur faire accroire apres que c’est
un cheual, ie ne sçay comment nous pouuons excuser nostre tort.»


    ANTOINE OUDIN, secrétaire interprète du roi. _Grammaire françoise,
    rapportée au langage du temps._ Paris, 1633, in-12; nouvelle
    édition, revue et augmentée. Douay, veuve Marc Wion, 1648, in-12,
    de 4 ff. prélimin. et 288 pag.

Oudin, qui suit l’orthographe de Robert Estienne dans ses
dictionnaires, est un adversaire déclaré de la réforme phonographique.
Voici l’avis à ce sujet qu’il a placé à la fin de sa Grammaire:

  «Ie m’estonne de quelques modernes qui, sans aucune consideration,
  se sont meslez de reformer, mais plustost de renuerser nostre
  orthographe; et, bien que leurs escrits, dignes d’admiration,
  tesmoignent vn grand iugement, ce defaut, qui en rabbat une bonne
  partie, nous descouure de la presomption ou de la broüillerie.

  «Ie ne m’attache pas à vn seul: Il y en a trop qui pechent maintenant
  en cela. Mais je rougis pour des pedants, qui, sortis des frontieres
  où le parler n’a point de raison establie, nous donnent à connoistre
  qu’ils sont plus habiles en latin qu’en leur propre langue.

  «Qui sera-ce d’entre-eux qui, bannissant les lettres radicales, vray
  fondement de l’origine de nos dictions, nous tirera des confusions
  où nous iette leur impertinente façon d’escrire qu’ils accommodent à
  la prononciation? Comment discernera-on _an_ (_annus_) d’auec _en_
  (_in_), preposition; _amande_ (_amigdala_) et _amende_ (_mulcta_);
  _accord_ (_contractus_) et _accort_ (_prudens_); _ambler_, aller
  à l’amble (_tollutim incedere_), et _embler_ (_furari_); _autel_
  (_altare_) et _hostel_ (_domicilium_); _aulx_, pluriel d’ail
  (_allium_), et _os_ (_ossa_).--_Balet_ (_genus choreæ_) et _balay_
  (_scopæ_).--_Chaisne_ (_catena_) et _chesne_ (_quercus_); _cents_
  (_centum_) et _sens_ (_sensus_); _clerc_ (_clericus_) et _clair_
  (_clarus_); _chœur_ (_chorus_) et _cœur_ (_cor_); _comte_ (_comes_),
  _compte_ (_computatio_) et _conte_ (_narratio_); _ceps_ (_compedes_),
  _seps_ (_vites_).

  «..... _Fraiz_ (_sumptus_), _frais_ (_recens_); _lacer_ (_ligare_),
  _lasser_ (_fatigare_); _lys_ (_lilium_) el _licts_ (_lecti_); MEURS
  (_maturi_) et _mœurs_ (_mores_); _nœud_ (_nodus_) et NEUF (_nouus_
  ou _nouem_); _or_ (_aurum_) et ORD (_sordidus_); _quoy_ (_quid_)
  et _coy_ (_quietus_); _rets_ (_retia_), _rais_ (_radius_), _rez_
  (_rasus_).

  «SEUR (_securus_), _sœur_ (_soror_) et _sur_ (_super_); SIX (_sex_)
  et _sis_ (_iacens_); _souris_ (_mus_) et _sousris_ (_subrisus_).
  _Teint_ (_color vultus_) et _thim_ (_thymus_). _Vœu_ (_votum_), VEU
  du verbe _voir_ (_visus_).

  «Et vne infinité d’autres, qui, s’escriuans d’vne mesme sorte, nous
  embroüilleroient estrangement.

  «Il est bien vray que les habiles qui sont ennemis des nouueautez
  et de telles ignorances, escriuent indifféremment plusieurs paroles
  françoises, comme _connoistre_ et _cognoistre_, _proufit_ et _profit,
  souscrire_ et _soubscrire_, _debuoir_ et _deuoir_. Encore voudrois ie
  qu’on obseruast en ces derniers vne différence, car _deuoir_ sans
  _b_ se rapporte à _officium_ et l’autre à _debere_; _distiller_ et
  _distiler_, _porreaux_ et _pourreaux_, etc.

  «D’auantage on retrenche maintenant beaucoup de lettres qu’on
  escriuoit autresfois sans aucune raison, comme le _b_ de _prestre_,
  le _g_ d’_un_, et plusieurs autres que la memoire ne me peut fournir
  à cette heure. Ne vous arrestez donc pas aux nouuelles escritures:
  car ie vous asseure que les plus renommez du temps n’ont point
  d’autre opinion que celle que ie vous mets ici.»

Il est à croire, dans l’ordre d’idées, saines sous plusieurs rapports,
où se place le docte interprète du roi pour l’italien et l’espagnol,
que l’orthographe devait être tout aussi difficile à apprendre par sa
méthode et dans ses grammaires qu’elle l’est de nos jours dans les
nôtres.


    * Le P. ANTOINE DOBERT, Dauphinois, religieux minime. _Récréations
    littérales et mystérieuses, où sont curieusement estalez les
    principes et l’importance de la nouvelle orthographe, avec un
    acheminement à la connoissance de la poësie et des anagrammes._
    Lyon, de Masso, 1650, in-8.

Je n’ai pas pu voir cet ouvrage. L’abbé Goujet déclare qu’il ne connaît
rien de plus ridicule et de plus burlesque.


    DU TERTRE. _Méthode universelle pour apprandre facilemant les
    langues, pour parler puremant et escrire nettemant en françois,
    recueillie par le S. Du Tertre._ Paris, Iean Iost, 1651 et 1652,
    in-12.

Ouvrage sans valeur, sans intérêt, et qui dénote, de la part de son
auteur, une complète ignorance des données de son sujet.


    Le P. LAUR. CHIFLET. _Essay d’une parfaite grammaire de la langue
    françoise: où le lecteur trouvera en bel ordre tout ce qui est de
    plus necessaire, de plus curieux et de plus elegant en la pureté,
    en l’orthographe et en la prononciation de cette langue (première
    édition)._ Anvers, 1659, in-12; Paris, Maugé, 1668, in-12; _sixième
    édition_, Cologne, chez Pierre le Grand, 1680, in-12 de 4 ff.
    prél., 295 pp. plus 3 ff. de table; réimprimée sous le titre de
    _Nouvelle et parfaite Grammaire, etc._ Paris, 1680, et Jean Pohier,
    1687, in-12 de 8 ff. prél. et 295 pp.; ibid., 1722, in-12.

L’ouvrage du savant jésuite a dû jouir d’une grande célébrité, si l’on
doit en juger par les nombreuses éditions qu’on en a faites depuis
1659 jusqu’en 1722. C’est pourquoi il n’est pas étonnant de retrouver
en partie l’application des principes de ce grammairien, en fait
d’orthographe, dans la première édition du dictionnaire de l’Académie.
Cette conformité d’opinions ne se rencontre cependant que dans les
questions où Chifflet ne fait qu’enregistrer les règles consacrées par
l’usage.

Chifflet cependant est loin dans ses principes d’être conservateur
absolu. Ennemi de l’innovation en matière de prononciation, il
professe, d’un autre côté, que c’est cette dernière qui doit régler
l’écriture, sans qu’on doive trop se soucier des questions purement
étymologiques.

Il est à regretter que l’Académie, dans son premier travail
lexicographique, n’ait pas suivi de plus près les propositions de
Chifflet; les changements apportés dans les éditions suivantes du
dictionnaire en ont montré la justesse.

Je vais exposer rapidement celles de ses règles qui n’ont pas été
admises dans la première édition du dictionnaire de l’Académie et
celles où ce grammairien peut être considéré comme novateur, même
aujourd’hui.

  «En écrivant, dit-il (p. 257), certains mots françois, qui naissent
  des langues étrangères, l’hébraïque, la grecque et la latine, et où
  le _cha, cho, chu_ se prononcent comme _ka, ko, ku_, il est meilleur
  de n’y point mettre d’_h_, comme: _arcange, escole, colere, Baccus,
  ecô, caractère, pascal, cicorée, estomac_. Excepté _chœur_, que l’on
  _est contraint_ d’écrire avec un _h_ pour le distinguer de _cœur_.»

  «Aux noms terminez en _ect_, le _c_ ne se prononce pas, comme
  _effect, respect_, etc. Lisez, et, _pour mieux faire_, écrivez aussi
  _effet, respet, suspet_, etc. Ecrivez aussi _saint, instint, distint,
  défaut_ (p. 239).»

  «N’écrivez pas _subjection_, ny _sujettion_, mais _sujetion_, comme
  il se prononce. Et généralement où le _c_ ne se prononce pas devant
  le _t_, les sçavans, pour la plûpart, ne l’écrivent plus (p. 258).»

  «On écrit mieux _soûmettre_, que _soubmettre_ ou _sousmettre_[151].
  L’on dit et l’on écrit maintenant _omettre_ et _omission_, et non pas
  _obmettre_[152], ny _obmission_[153]. Cette mauvaise prononciation de
  quelques-uns estoit venuë de l’ignorance de ceux qui n’entendoient
  pas l’étymologie latine de ce mot, qui vient du verbe _omitto_, où la
  première syllabe est briève et non pas _obmitto_ qui ne fut jamais
  latin. Mais les sçavans ayant tenu bon, cet _obmettre_ a perdu son
  crédit (p. 256).»

      [151], [152], [153] Orthographe adoptée dans la 1re édition du
      Dictionnaire de l’Académie.

  «Voicy les mots où le _d_ ne se prononce pas et les plus sçavans
  ne l’y écrivent plus: _ajourner, ajournement, ajouter, ajuster,
  amodier, avancer, avantage, avenir, aventurier, avertir, avis,
  avouër, aveu, avocat_, etc. Il faut dire et écrire _amiral_ et non
  pas _admiral_ (p. 239).»

Pour les mots terminés en _ent_ il est contraire à leur changement en
_ant_, «car il y a, dit-il, grande différence entre les _ant_ ou _ent_
briefs et les longs, comme entre _parent_ et _par an_ ou _parant_ de
_parer_, entre _contant son argent_ et _content de son argent_. Et
l’on voit pour cela que quelques grammairiens, même des plus nouveaux,
qui ont voulu reformer l’orthographe, n’ont pas bien rencontré, en
conseillant d’écrire tous ces _ent_ par un _a_, par exemple _puremant_
et _nettemant_, comme ils l’ont pratiqué eux-mêmes dans le titre de
leurs grammaires. Que n’ont-ils considéré que cela causeroit mille
fausses prononciations, puisque tous les _ant_, écrits par _a_, sont
longs, sans aucune exception? En un mot, leur zèle est bon, mais certes
il est peu judicieux, et il seroit à désirer que quelqu’un de ces
messieurs de l’Académie en prononçast un bel arrest, qui auroit, sans
doute, une grande authorité sur tous les gens d’esprit (p. 211).»

Je n’ai pas besoin d’insister sur l’inanité d’une objection qui, fondée
sur la quantité latine, n’est point applicable au français.

  «C’est maintenant, dit-il encore plus loin (p. 274), une bonne
  coûtume de plusieurs sçavans de ne point écrire l’_s_ en beaucoup
  de mots où elle ne se prononce pas. On n’écrit plus _deuxiesme,
  escrire_, mais _deuxieme_[154], _écrire_: mais, à dire vray, tout
  cela n’estant qu’un trop petit remede à la bizarrie (_sic_) qu’il y
  a en nostre orthographe. Au sujet de l’_s_, s’il la faut prononcer
  ou non, je ne vois autre moyen d’en faire une parfaite distinction,
  que d’écrire une double _s_, au lieu d’une simple, quand elle se
  doit prononcer devant les consones (_sic_). Par exemple: _déscrire_
  une seule _s_, puisqu’elle est muette, _desscription_ avec deux _s_
  pour signifier que l’_s_ y doit estre prononcée. Ce seroit un remede
  infaillible, mais je n’oserois commencer le premier un si grand
  changement en nostre orthographe.»

      [154] Plus loin cependant il abandonne même cette dernière
      orthographe, et se prononce pour le remplacement de l’_x_ par
      le _z_. «Les mieux entendus n’écrivent plus _deuxiéme, sixiéme,
      dixiéme_, mais comme il se prononce (sic) _deuziéme, siziéme,
      diziéme_.» Il est à regretter qu’on n’ait pas adopté cette
      orthographe qui aurait fait disparaître la bizarrerie dans
      l’écriture de ces quelques adjectifs ordinaux, comme _deuxième,
      troisième, douzième_, dont la prononciation est identique malgré
      leur triple forme.

La proposition du bon père ne devait pas être acceptée. On ne revient
jamais, heureusement, sur une amélioration accomplie.

Il dit qu’il est beaucoup de mots où le _ti_ devrait plutôt s’écrire
_ci_, comme il se prononce. «Ce sont les mots qui naissent de ceux
qui se terminent en _ce_. Par exemple: de _vice_, _vicieux_, par un _c_
plûtost que par un _t_.» L’Académie a partagé à cet égard l’opinion
du savant grammairien, sauf pour les mots _essentiel, pestilentiel,
substantiel_, qui attendent encore la réforme.

Enfin, en ce qui concerne les doubles lettres, il paraît favorable au
retranchement de la consonne muette pour rendre l’écriture conforme à
la prononciation, car il écrit _flame, consone_, etc. Cependant à cet
égard il ne suit aucune règle fixe et les exemples qu’on pourrait citer
ne sont que des exceptions.


    _Grammaire générale et raisonnée contenant les fondemens de l’art
    de parler, expliqués d’une maniere claire et naturelle_ (par MM. de
    Port-Royal). Paris, Pierre Petit, 1660, in-12; Bruxelles, Fricx,
    1676, pet. in-12.

Il serait à désirer, selon les savants auteurs:

  «1º Que toute figure marquast quelque son, c’est à dire qu’on
  n’écriuist rien qui ne se prononçast;

  «2º Que tout son fust marqué par vne figure: c’est à dire qu’on ne
  prononçast rien qui ne fust ecrit;

  «3º Que chaque figure ne marquast qu’vn son, ou simple ou double.
  Car ce n’est pas contre la perfection de l’écriture qu’il y ait des
  lettres doubles, puisqu’elles la facilitent en l’abrégeant;

  «4º Qu’vn mesme son ne fust pas marqué par de différentes figures.»

Voir plus loin l’analyse de l’édition de 1756, annotée par Duclos.


    ANTOINE BODEAU DE SOMAIZE. _Le grand Dictionnaire des Prétieuses,
    historique, poétique, géographique, cosmographique, chronologique
    et armoirique, où l’on verra leur_ _antiquité, costume, devise,
    etc._ Paris, Jean Ribou, 1661, 2 vol. petit in-8.

M. Francis Wey, dans son ouvrage intitulé _Remarques sur la langue
française_, a épuisé toutes les formules de l’indignation contre
les «mutilations» que la «coterie» des Précieuses a fait éprouver à
l’orthographe traditionnelle. Je ne saurais, sans de nombreuses et
très-importantes restrictions, me ranger à son sentiment; le temps,
d’ailleurs, a donné raison aux Précieuses sur bien des points. Voici ce
qu’il dit à ce sujet (page 38 et suiv.):

  «Ce n’est pas ici le lieu de débattre la valeur littéraire de cette
  coterie célèbre des Précieuses; nous devons nous borner à constater
  leur influence énorme sur l’orthographe, à raconter ce qu’elles
  firent, et comment les choses se sont passées. L’aventure est narrée
  par Somaize[155]. Les conséquences de l’incident qu’il rapporte ont
  été si extraordinaires, l’incident lui-même est si peu connu, que
  nous le reproduirons en entier.

      [155] M. Wey n’indique pas de quel ouvrage il tire la citation
      suivante, mais on la trouve au mot ORTOGRAPHE du célèbre
      dictionnaire satirique devenu aujourd’hui si rare et si recherché
      des bibliophiles. Il a été réédité par M. Ch.-L. Livet dans la
      _Bibliothèque elzévirienne_ de M. P. Jannet.

  «L’on ne sçauroit parler de l’ortographe des pretieuses sans
  rapporter son origine, et dire de quelle maniere elles l’inventerent,
  qui ce fut et qui les poussa à le faire. C’estoit au commencement que
  les pretieuses, par le droit que la nouveauté a sur les Grecs[156],
  faisoient l’entretien de tous ceux d’Athenes[157], que l’on ne
  parloit que de la beauté de leur langage, que chacun en disoit son
  sentiment et qu’il faloit necessairement en dire du bien ou en dire
  du mal, ou ne point parler du tout, puisque l’on ne s’entretenoit
  plus d’autre chose dans toutes les compagnies, L’éclat qu’elles
  faisoient en tous lieux les encourageoit toutes aux plus hardies
  entreprises, et celles dont je vais parler, voyant que chacune
  d’elles inventoient de jour en jour des mots nouveaux et des phrases
  extraordinaires, voulurent aussi faire quelque chose digne de les
  mettre en estime parmy leurs semblables, et enfin, s’estant trouvées
  ensemble avec Claristene[158], elles se mirent à dire qu’il faloit
  faire une nouvelle ortographe, afin que les femmes peussent écrire
  aussi asseurement et aussi corectement que les hommes. Roxalie[159],
  qui fut celle qui trouva cette invention, avoit à peine achevé de
  la proposer que Silenie[160] s’écria que la chose estoit faisable.
  Didamie[161] adjoûta que cela estoit mesme facile, et que, pour peu
  que Claristene leur voulut aider, elles en viendroient bien-tost à
  bout. Il estoit trop civil pour ne pas repondre à leur priere en
  galand homme; ainsi la question ne fut plus que de voir comment on se
  prendroit à l’execution d’une si belle entreprise. Roxalie dit qu’il
  faloit faire en sorte que l’on pût écrire de mesme que l’on parloit,
  et, pour executer ce dessein, Didamie prit un livre, Claristene prit
  une plume, et Roxalie et Silenie se preparerent à decider ce qu’il
  faloit adjouster ou diminuer dans les mots pour en rendre l’usage
  plus facile et l’ortographe plus commode. Toutes ces choses faites,
  voicy à peu près ce qui fut decidé entre ces quatre personnes: _que
  l’on diminueroit tous les mots et que l’on en osteroit toutes les
  lettres superflues_. Je vous donne icy une partie de ceux qu’elles
  corrigerent, et, vous mettant celuy qui se dit et s’écrit communement
  dessus celuy qu’elles ont corrigé, il vous sera aisé d’en voir la
  difference et de connoistre leur ortographe:

      [156] Les Français.

      [157] De Paris.

      [158] M. Le Clerc.

      [159] Mme Le Roy.

      [160] Mlle Saint-Maurice.

      [161] Mlle de la Durandière.


  teste                    esvaporez              reconnoistre
  _téte_                   _évaporez_             _reconnétre_
  prosne                   sixiesme               maistre
  _prône_*[162]            _sixiéme_              _maître_*
  autheur                  desbauchez             tasche
  _auteur_*                _debauchez_            _tâche_*
  hostel                   taist                  caresme
  _hôtel_*                 _taît_                 _caréme_
  raisonne                 diadesme               despit
  _résonne?_               _diadéme_              _dépit_*
  supresme                 estoit                 catéchisme
  _suprême_*               _étoit_                _catechîme_
  meschant                 masles                 descouvre
  _méchant_*               _mâles_*               _découvre_*
  troisiesme               adjouste               folastre
  _troisiéme_              _adjoûte_              _folâtre_*
  deffunct                 lasches                advis
  _défunt_*                _lâches_*              _avis_*
  patenostre               esblouis               naistre
  _patenôtre_*             _éblouis_*             _naître_*
  dis-je                   veu                    brusle
  _dî-je_                  _vû_                   _brûle_*
  pressentiment            chrestien              doutast
  _présentiment_           _chrétien_*            _doutât_*
  esclairée                paroist                connoist
  _éclairée_*              _parêt_                _conaît_
  extraordinaire           accommode              souffert
  _extr’ordinaire_         _acomode_              _soûfert_
  efficace                 grands                 gastoit
  _éficace_                _grans_                _gâtait_*
  respondre                defferat               vouste
  _répondre_*              _déferat_              _voûte_*
  extresme                 thresors               bastit
  _extréme_                _trésors_              _bâtit_*
  s’esleve                 entousiasme            quester
  _s’éleve_                _entousiâme_           _quéter_
  esloigner                huictiesme             roideur
  _éloigner_*              _huictiéme_            _rédeur_
  seureté                  escuelle               nopces
  _seûrté_                 _écuelle_*             _nôces_
  resjouissances           jeusner                faicts
  _réjouissances_*         _jûner_                _faits_*
  escloses                 blesmir                l’esté
  _écloses_*               _blémir_               _l’été_*
  s’esvertue               effroy                 dosme
  _s’évertue_*             _éfroy_                _dôme_*
  flustes                  empesche               opiniastreté
  _flûtes_*                _empéche_              _opiniâtreté_*
  tousjours                aage                   qualité
  _toûjours_               _âge_*                 _calité_
  goust                    plaist                 froideur
  _goût_*                  _plaît_*               _frédeur_
  d’esclat                 crespules              vieux
  _d’éclat_*               _crépules_             _vieu_
  escrits                  coustoit               effects
  _écrits_*                _coûtoit_              _éfets_
  solemnité                mesler                 desplust
  _solennité_*             _méler_                _déplût_*
  estale                   chaisne                coustume
  _étale_*                 _chaîne_*              _coûtume_
  establir                 mesconnoissante        fantosmes
  _établir_*               _méconnoissante_       _fantômes_*
  eschantillon             paroistre              avecque
  _échantillon_*           _parêtre_              _avéque_
  l’aisné                  eslargir               indomptable
  _l’aîné_*                _élargir_*             _indontable_
  effarez                  espoux                 attend
  _éfarez_                 _epoux_*               _atten_
  plust                    vostre                 sçait
  _plût_*                  _vôtre_*               _sait_*
  s’esriger                mesme                  aisles
  _s’ériger_*              mesme                  _aîles_
  nostre                   apostre                aspre
  _nôtre_*                 _apôtre_*              _âpre_*
  mareschal                estre                  vistres
  _maréchal_*              _étre_                 _vîtres_
  des-ja                   fleschir               triomphans
  _dé-ja_                  _fléchir_*             _trionfans_
  estrange                 mettre                 advocat
  _étrange_*               _métre_                _avocat_*
  espanouir                tantost                pied
  _épanouir_*              _tantôt_*              _pié_
  aussi-tost               unziesme               reprend
  _aussi-tôt_              _unziéme_              _repren_
  tesmoigner               menast                 sçavoir
  _témoigner_*             _menât_*               _savoir_*
  esclaircissement         chasteau
  _éclaircissement_*       _château_*
  treize                   laschement
  _tréze_                  _lâchement_*

      [162] Je marque d’un astérisque les mots dont l’usage et
      l’Académie ont complétement ratifié la correction. Certaines
      simplifications, comme _entousiame, catéchîme, frédeur_,
      constatent une prononciation exceptionnelle alors, et restreinte
      peut-être au cercle des _Prétieuses_. Elle n’a pas prévalu.

Il ressort du curieux document de Somaize que la prononciation tendait,
vers la seconde moitié du dix-septième siècle, à s’amollir par suite de
l’influence de la cour et des cercles de la haute société. L’Académie,
dans sa sixième édition seulement, a commencé à inscrire _raideur_,
conformément à la prononciation des _Prétieuses_, qui prévaut
aujourd’hui pour ce mot et non pas pour _frédeur_.

Ainsi qu’on le voit, une grande partie des réformes opérées par les
_Précieuses_ ont été sanctionnées par l’Académie, et un plus grand
nombre encore l’eussent été, si l’on avait dès cette époque su faire
un emploi judicieux de l’accent grave et de l’accent circonflexe. A ce
titre, malgré l’affectation d’un langage prétentieux et quintessencié,
la coterie présidée par Voiture et Sarasin a rendu de véritables
services à la langue française.


    SIMON MOINET, principal correcteur pour le français dans
    l’imprimerie des Elseviers, voulant faciliter aux étrangers la
    lecture des livres en cette langue, eut en 1663 l’idée d’imprimer
    à ses frais un petit poëme: _La Rome ridicule du sieur de
    Saint-Amant, travêstië à la nouvêle ortografe, pure invanţiön de
    Simon Moinêt, Parisiïn._ A Amstredan, aus dêpans ê de l’inprimerië
    de Simon Moinêt, 1663, in-12, de 40 pag.

Les lignes qui commencent sa dédicace à Guillaume III peuvent donner
une idée de sa méthode phonétique:

  _Ce que pêrsone n’a ancore su, ni ouï, ni vu_,
  L’ORTOGRAFE FRANÇOISE,
  ou la siänce de lire é d’êcrire françois.

  «Monsêgneur, si ce qui se dit êt vêritable, qu’_à gran sêgneur,
  peu de paroles_, il sera aussi vrai de dire _à gran sêgneur peu
  d’êcriture_, puisque l’êcriture reprêsante la parole, é toutes deus
  sont l’image de la panséë. Mais je ne croi pas que pêrsone, depuis
  que l’on parle françois, l’ait faite si courte que moi, qui l’abrêge
  an sorte que je le fai touchér à l’eull é au doit.»

Simon Moinet propose le _ll_ mouillé des Espagnols dans les mots
_mail, bail_, le _t_ à cédille pour le _t_ adouci et sifflant:
_suprémaƫie_. Malheureusement son écriture est hérissée d’accents,
comme c’est le cas de tous ceux qui veulent déterminer exactement le
son des voyelles sans introduire de nouveaux caractères alphabétiques.


    * JACQUES D’ARGENT, gramairien. _Traité de l’ortographe françoise
    dans sa perfection, dédié à M. Colbert fils, seigneur de
    Seignelai._ Paris, 1666, in-12.

Il ne m’a pas été possible de me procurer cet ouvrage.


    DE BLEIGNY, maître écriuain iuré de Paris. _L’Ortografe francoise
    ou l’unique metode contenant les regles qu’il est necessaire de
    sauoir pour écrire correctement._ Paris, Gilles André, 1667, in-12,
    de 6 ff. et 155 pp.

Bleigny n’arbore le drapeau de la réforme orthographique que dans son
titre. Son petit livre est une grammaire pour les enfants, sans aucune
velléité de critique ni d’amélioration de la mauvaise écriture de son
temps.


    * JACQUES DE GEVRY, seigneur de Launay. _Les Principes du
    déchifrement de la langue françoise, ou l’art de déchifrer
    toutes sortes de lettres en cette langue, en quelques figures et
    caracteres qu’on les puisse composer._ Dedié à monseigneur messire
    Pierre de Cambout de Coeslin, evesque d’Orléans. Paris, Denis
    Pellé, 1667, in-8.

Je ne suis pas certain que cet ouvrage ait directement trait à la
réforme.


    LOUIS DE L’ESCLACHE. _Les véritables Règles de l’ortografe
    francéze, ou l’Art d’aprandre en peu de tams à écrire côrectemant._
    Paris, l’auteur, 1668, in-12.

Le travail de l’Esclache a fait beaucoup de bruit au moment de sa
publication. J’en connais trois ou quatre réfutations sorties des
presses parisiennes en l’espace de peu d’années. De son temps on ne
s’aperçut pas qu’il s’était inspiré en grande partie des réformes
proposées un siècle auparavant par Meigret, Pelletier et Ramus.
Bien qu’il n’ait introduit aucune lettre ni aucun signe nouveau
dans l’écriture, il a prêté le flanc à la critique par la profusion
d’accents dont il a surchargé ses lignes. Voici un échantillon de ses
idées et de son orthographe:

  «Les opinions des hommes sont trés-diferantes, touchant l’ortôgrafe
  francéze. Les uns pansent qu’éle doit étre conforme à la parole; et
  les autres âsûrent qu’éle doit marquer l’origine des mos que nous
  emploïons pour exprimer nos pansées. Ceus qui ne savent pas la langue
  latine et qui ont de l’esprit dizent que nous devons écrire comme
  nous parlons; mais quelques savans soûtiénent que céte metôde, nous
  faizant perdre l’origine des paroles, nous ampécherét d’an conétre la
  propre significacion.

  «Il samble que les premiers, qui n’ont pas âsés de force pour bien
  établir leur opinion, n’aient pas âsés d’autorité pour nous oblijer
  à la suivre. Comme les autres ne peuvent soûfrir que l’on face
  injure à la langue latine, ni à la grèque, ils s’atachent à leurs
  santimans avec beaucoup d’opiniâtreté. Je ne veus pas condamner ces
  deus langues, puîqu’éles ont leur beauté, aûsi bien que leur üzaje,
  mais je puis dire (sans m’élogner de la vérité) que ceus qui ont
  un atachemant particulier pour éles ne sont pas ordinairemant les
  plus éclairés dans la langue francéze. Ils sont semblables à ceus
  qui parlent continuélement de ce qui regarde les autres sans panser
  à leurs propres âfaires et il ârive souvant que dans le chois des
  chozes qui sont utiles pour le bien public, le jujement de ceus qui
  ont beaucoup de lumière sans étude doit étre préféré à l’opinion de
  ceus qui ont une bibliotéque antière dans leur tête.»

Louis de l’Esclache écrit: _peis, sajese, ajant, dilijant, relijion,
vanjance, nonse, prononse, consevoir, acses, acsant, filozofie,
fizique, axion, dixion, choze, uzaje, nacion, cieus, dieus, deus,
dis_ (dix), _moien, voiant, calité_, etc.


    (Sieur de MAUCONDUIT.) _Traité de l’orthographe; dans lequel on
    établit, par une methode claire et facile, fondée sur l’usage et
    sur la raison, les regles certaines d’écrire correctement. Et où
    l’on examine par occasion les regles qu’a données M. de Lesclache_
    (par le sieur de Mauconduit). Paris, Jacques Talon, 1669, in-12, de
    4 ff. et 232 pp.

Ce petit traité, remarquable par son exécution typographique, ne
s’occupe pas de la régularisation de l’écriture française. L’auteur
s’élève même avec beaucoup de force contre le système d’écriture
semi-phonétique proposé par de l’Esclache. Il nous sert simplement
à constater l’état de la question au moment où l’Académie française
allait s’en emparer.


    LARTIGAUT. _Les progrês de la véritable ortografe, ou l’ortografe
    francêze fondée sur ses principes, confirmée par démonstracions.
    Ouvrage particuliër et nécésêr à toute sorte de persones qui
    veulent_ LIRE, PRONONCER _ou_ ÉCRIRE _parfêtemant par rêgles_.
    Paris, Laurent Ravenau et Jean d’Ouri, 1669, in-12.--_Principes
    infaillibles et regles assurées de la juste prononciation de la
    langue françoise._ Paris, 1670, in-12.

Le premier ouvrage de Lartigaut offre un grand intérêt. Contemporain
de Corneille, de la Fontaine, de Molière, de Racine, il possède à fond
la langue élégante et correcte de son temps, et nous indique aussi
exactement que possible la prononciation de la cour de Louis XIV.
L’accentuation forte qui y est figurée me confirme dans l’idée que je
m’étais formée de la prononciation du Théâtre-Français au temps de
Corneille et de Racine, et dont Larive avait conservé la tradition[163].

      [163] Je l’ai souvent entendu réciter des vers chez mon père,
      et je l’ai vu au Théâtre-Français jouer le rôle de Philoctète
      dans l’_Œdipe_ de Voltaire avec une accentuation bien plus
      _chantée_, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’elle ne l’a été
      après lui, surtout par Talma qui a changé, sous le rapport de la
      déclamation, la manière de scander les vers.

Voici une page de l’_avis important_ placé en tête du livre. Je
souligne les différences de la lecture avec celle de nos jours:

  «Cête matière et pluz délicate[164] qu’èle ne parêt: il faut être
  antièrement détaché, et avoir un _dezir_ sincer de recevoir ce qui
  peut persuader an _quéque_ part qu’il se _treuve_. Car pour peu que
  l’on se plêze à contredire, on se rant incapable d’en juger; dautant
  qu’il y a pluzieurs chozes qui ne dépendent que de la délicatêse de
  l’orêlle, où l’opiniatreté et le _dezir_ de s’opozer à tout peuvent
  _treuver_ de coi flater un esprit de contradixion. Ne lire un livre
  que dan_z_ le dêsein d’y _treuver_ à redire, ce n’et paz être tout à
  fêt sage; et c’et fêre le critic à contretams: il faut être du moinz
  indiférant, et ne rien condaner sanz avoir sur le cham des rêzons
  contrêres à ce que l’on reprant. Je condane moi-même les fautes que
  je puis avoir lêsé couler (ou l’inprimeur) contre les principes
  qu’il faut suivre: et je puis dire san vanité que je suis le seul
  qui n’établis rien qui leur _sét_[165] opozé, et qui ne me contredis
  pa_z_; qui et asurément le plu_z_ grant point que l’on puise et
  que l’on doive garder, mês que persone n’a pu ancor observer sur
  ce sujêt: et voici come une persone qui ne cherche sinplemant que
  l’utilité dan_z_ toute choze peut rêzoner.

      [164] Dans ces mots _délicate, èle, antièrement_, etc., l’auteur
      emploie l’_e_ moyen avec accent droit. Mon père et mon oncle
      en avaient reconnu l’utilité dans beaucoup de mots, tels que
      _collége, séve, entièrement_, etc., et plusieurs livres ont été
      imprimés ainsi; mais on dut en abandonner l’usage, par suite
      de la confusion et de l’embarras qui en résultaient dans la
      composition et la distribution typographique. Les lettres se
      brouillaient dans les cases, surtout les petits caractères. On
      dut donc, à regret, renoncer à un système si simple, lequel, sans
      apporter aucun trouble à la vue, guidait la prononciation.

      [165] J’ai entendu, dans ma jeunesse, M. de Tracy prononcer il
      _crait_ (_il croit, credit_), et _endreit_.

  «Je conês que l’ortografe vulguêre et ambarasante pour la lecture,
  contrêre à la véritable prononciacion qu’èle doit exprimer et
  _prèque_ inposible à savoir san_z_ la conêsance du grec et du latin;
  ancor y-an a-t-il tre_z_ peu qui la sachent parfêtemant avec tout
  cela. Je ne doute pa_z_ que si l’on pouvêt _treuver_ le moyen de
  randre l’écriture conforme à la parole avec une tèle modéracion qu’on
  pùt suivre des principes asurés et des rêgles constantes, san_z_
  tomber dans aucune absurdité, et san_z_ rien changer inutilemant, il
  faudrêt san_z_ doute le prandre pour pluzieurs rêzons: 1º afin de
  savoir l’ortografe avec plus de facilité, et avec plus de certitude;
  2º afin de ne paz être obligé d’aprandre le grec et le latin pour
  seulemant ortografier; 3º parce que c’et une choze indubitable que
  tout le monde an lira mieuz, et que l’on ne poura prononcer mal; 4º
  pour randre la Langue francêze pluz universèle par la facilité que
  tous les étrangers _treuveront_ dans la lecture de nos livres, et
  plus recomandable par la douceur _prèque_ divine de son élocance,
  qui se comuniquera par tout.»

Convenons-en, on ne saurait, dans la thèse de l’auteur, plus simplement
ni mieux dire. La prononciation, telle qu’il est parvenu à nous la
figurer en n’introduisant qu’un seul signe nouveau (l’_e médiocre_,
qu’il figure, comme je l’ai dit, par l’accent droit), est presque la
nôtre, et nous donne occasion de constater sa fixité depuis le grand
siècle. Il supprime la lettre _k_, comme étrangère au français, le _ç_
cédille comme inutile en présence de l’_s_ ramenée à une seule valeur,
celle qu’elle a dans _salon, silence_.

Il fait en passant quelques remarques sur l’orthographe des mots où
figure le χ grec. _Achaïe, saint Roch, Zacharie, chronique, archange_.
Il propose de les écrire _Acaïe, saint Roc, Zacarie, cronique, arcange_.

A propos de la lettre _q_ (ou plutôt des deux lettres _qu_, puisqu’on
représente par ce signe binaire le son du _c_ dur ou du _k_), il
s’exprime ainsi: «Ecrivez par la même rêzon: _quécun_ aussi bien
qu’_aucun_. Pourêt-on bien doner rézon pourcoi l’on doit ècrire
_aucun, chacun_ par un _c_ et _quelquun_ par un _qu_? Je voudrês
avoir cette obligation à QUELQUUN.»


Pour lui, l’_œ_, déjà supprimé dans _œconomie_, est une lettre
parasite: il écrit _eil_ (prononcé aujourd’hui _euil_), _euvre,
beuf, seur_, et en effet, dans le français, le son et le signe
_eu_ représentent régulièrement l’_o_ des mots latins, exemple:
_dolor, douleur, flos, fleur_; la vicieuse prononciation du _c_ rend
quelquefois l’emploi de l’_œ_ nécessaire, comme dans _cœur_, qui ne
peut être écrit _ceur_, à moins, comme dans _cueillir_, de faire
précéder _eu_ d’un _u_.

Il critique l’emploi de l’_x_ dans les mots _deuxième, sixain,
dixième_. Il y met le _z_, d’accord en cela avec la prononciation.

Il chasse du dictionnaire cette «diftongue» _ao_, qui n’est pas
«francêze», et au lieu de _paon, Laon, faon, taon_, il écrit
_pan, Lan, fan_[166], _tan_.

      [166] Ronsard l’écrit ainsi:

          ..... ravit le _fan_ d’une biche legère.

          (Édit. de 1623, t. I, col. 2.)

      Dans le glossaire ms. de la Bibl. imp. nº 7684, _taon_ est
      écrit _taan_; peut-être devrait-on écrire _tân_ et _fân_, de
      sorte qu’il n’y aurait d’exception que pour le mot _Laon_ qu’on
      écrirait _Lâon_.

On jugera, par ces quelques citations, que l’auteur est un observateur
délicat et en même temps un bon esprit, défenseur intrépide des
prérogatives du français, qu’il voudrait voir vivre par lui-même sans
qu’on dût l’affubler d’une enveloppe grecque et latine.


    GILLES MÉNAGE. _Observations sur la langue françoise._ Paris,
    1673, in-12; Cologne, P. Du Marteau, 1673, pet. in-12. _Seconde
    édition._ Paris, Claude Barbin, 1675-1676, 2 vol. in-12; 1re part.
    de 16 ff. prél., 609 pp. plus 21 ff. pour la table, les errata et
    le privilége; 2e part. de 18 ff. prél., 502 pp. plus 11 ff. pour la
    table, etc.

Le célèbre érudit a rendu des services incontestables à la langue
française. Une pièce de vers, intitulée la _Requête des Dictionnaires_,
écrit satirique dirigé contre les académiciens à propos du choix des
mots du dictionnaire, le fit échouer dans sa candidature au fauteuil
d’académicien, malgré le conseil de Hubert de Montmor qui insistait
pour qu’on l’adoptât, «comme on force un homme qui a déshonoré une
fille à l’épouser.»

L’orthographe que Ménage adopte dans ses _Observations_ a eu des
partisans et des imitateurs, en tout ou en partie. D’un côté, elle se
rapproche autant que possible de la prononciation, sans chercher à
être phonétique; d’un autre, elle tend à la simplification de quelques
règles de grammaire, comme la formation du féminin et du pluriel, et,
pour y parvenir, il remplace presque toujours l’_x_ final par l’_s_.
Exemples: _religieus, ceus, aus, je veus, injurieus_. Il
remplace aussi le _z_ dans les mots _assés, nés_ (nez).

Il supprime un grand nombre de doubles lettres et de lettres
étymologiques, et il écrit: _ataquer, pouroient, courous, aquise, cors_
(corps), _il faloit, la goute_, etc.

Le son nasal _an, em, en_ est le plus souvent représenté par _an_.
Par exemple: _il a commancé, long-tans, de tans en tans_.

Il remplace l’_y_ par l’_i_ dans les mots _stile, païs_; il écrit _je
fesois, chemin fesant_, etc.

En ce qui concerne l’_h_, il se guide dans son emploi par l’étymologie
et il conseille d’écrire _Antoine, Maturin, ermite, intimé, postume,
amarante, ebreu_, mots dont les primitifs n’ont pas d’_h_. Il paraît
favorable à la suppression de cette lettre aux mots: _huis, huile_
et _huitre_, où elle ne fut mise, suivant l’opinion de Théodore de
Bèze[167], que pour empêcher qu’on ne lût _vis, vile_ et _vitre_, à
l’époque où le _v_ et l’_u_ étaient représentés par le même signe.

      [167] Aspiratio quiescit in his dictionibus: _huis_, ostium,
      cum derivatis; _huile_, oleum, cum derivatis; _huit_, octo;
      _huistre_, ostrea, quoniam alioqui legi sic possent hæ dictiones
      quasi _v_ esset digamma, non vocalis, nempe pro _huis_, vis:
      sic etiam pro _huile_, vile, etc. (_De francicæ linguæ recta
      pronunciatione tractatus._)

Mais ce qu’il y a de plus curieux dans son système, c’est la
suppression fort rationnelle de la lettre _e_ dans le participe _eu_
et dans les temps qui en dérivent, et l’agglutination des expressions
prépositives ou adverbiales, exprimant des idées simples.

Il écrit donc: _il a u, ç’ust esté, si je l’usse su, la vénération
que j’ai ue_; et _acause, alaverité, apeine, apeuprês, aprêsdemain,
aucontraire, aulieu, aureste, avanthier, demesme, desorte, malapropos,
toutafait_.


    FRANÇOIS CHARPENTIER, de l’Académie française. _De l’Excellence
    de la langue françoise._ Paris, Vve Bilaine, 1683, 2 t. en 1 vol.
    in-12 de 9 ff. et 1110 pp.

Ce docte académicien, qui partage en matière d’orthographe les idées de
Regnier des Marais, appliquées plus tard dans la première édition du
_Dictionnaire de l’Académie_, est, comme Henri Estienne, un défenseur
de la _précellence_ du langage français, non plus sur l’italien, mais
sur le latin lui-même.

Il établit dans le cours de son livre que notre langue n’est nullement
inférieure au latin sous le rapport de l’euphonie et de l’harmonie
imitative, qu’elle a produit non moins de chefs-d’œuvre, et qu’elle est
parvenue de son temps à une perfection égale à celle du langage des
Romains au siècle d’Auguste.

Il cite un certain nombre de vocables français plus doux, plus brefs
que leurs correspondants en latin. S’il eût poussé plus loin ses
investigations, il fût sans doute arrivé à reconnaître la supériorité,
sous le rapport de la rapidité et même de l’euphonie, des mots du latin
vulgaire transformés par le peuple avant la Renaissance, sur ceux
forgés depuis par les savants sur le type primitif. Voici quelques
points de comparaison:

  Primitif latin.        Mots du vieux            Mots de latin
                         français.                francisé.

  _quadragesima_         caresme, carême          quadragésime
  _claudicare_           clocher, clochement      claudication
  _capillus_             cheveu, chevelu          capillarité
  _carcer_               chartre                  incarcération
  _coctus_               cuit, cuisson            coction
  _dulcis_               doux, adoucir            édulcoré
  _fructus_              fruit, fruitaison        fructification
  _fluctus_              flot, flottaison         fluctuation
  _hirundo_              aronde                   hirondelle
  _macer_                maigre, maigreur         émaciation
  _maturus_              mûr, mûrir               maturation
  _scandalum_            esclandre                scandale
  _separare_             sevrer, sevrage          séparation
  _species_              espèce et épice          spécification
  _siccitas_             sécheresse               siccité
  _strictus_             étroit                   strict
  _cubare_               couver                   incubation
  _redemptio_            rançon                   rédemption
  _sacramentum_          serment                  sacrement
  _acceptare_            acheter                  accepter
  _captivus_             chétif                   captif
  _fragilis_             frêle                    fragile
  _nativus_              naïf                     natif
  _rhythmus_             rime                     rhythme
  _sarcophagus_          cercueil                 sarcophage
  _porticus_             porche                   portique
  _organum_              orgue                    organe
  _mobilis_              meuble                   mobile
  _alumine_              alun                     alumine
  _debitum_              dette                    débit
  _examen_               essaim                   examen

Si donc le français a son individualité, s’il est riche de sa beauté
propre, si ses vocables surpassent souvent pour la simplicité, la
rapidité, l’euphonie, leurs correspondants latins, pourquoi s’attacher,
comme on le voulait au temps de Charpentier, et comme il n’en reste
que trop de vestiges, à défigurer notre orthographe, dont on fait
un pastiche de celle du latin et du grec, en y introduisant tant de
consonnes doubles inutiles et même incompatibles avec le génie simple
de notre ancienne langue[168]?

      [168] Voir sur la comparaison des mots du vieux français avec
      ceux forgés depuis le XVIe siècle: _Étude sur le rôle de
      l’accent latin dans la langue française, par M. Gaston Paris._
      Paris, Franck, 1862, in-8.--_Notions élémentaires de grammaire
      comparée_, par E. Egger. Paris, Durand, 1865, in-12.--_Grammaire
      historique de la langue française, par M. Auguste Brachet._
      Paris, Hetzel, 1867, in-12.--Et plus haut (p. 167) l’article de
      M. Sainte-Beuve.


    J.-B. BOSSUET, membre de l’Académie française. Voir plus haut, aux
    Opinions des académiciens, p. 130.

Je dois faire figurer Bossuet parmi les novateurs, puisque son esprit
logique voulait la régularisation et non le désordre. On a vu son
opinion au sujet d’un parti à prendre pour les mots dont la désinence
est écrite sans motif tantôt en _ant_ et tantôt en _ent_ bien qu’ils
dérivent également de participes latins en _ens_. (Voir p. 130.)

Les exemples extraits des manuscrits de ses sermons attestent sa
propension à conformer l’orthographe à la prononciation sans se soucier
de l’étymologie. Pour donner une meilleure idée de son orthographe, je
donne à l’Appendice E quelques passages de ses sermons tirés de ses
manuscrits déposés à la Bibliothèque impériale.


    (JEAN HINDRET.) _L’Art de bien prononcer et de bien parler la
    langue françoise, dédié à Monseigneur le duc de Bourgogne, par le
    sieur J. H._ Paris, Ve Cl. Thiboust, 1686, in-12; _ibid._, 1696, 2
    vol. in-12.

Quoique ce petit traité de grammaire ne contienne aucune innovation
orthographique (mot qu’il écrit _ortographique_), et qu’il ait pour but
uniquement d’enseigner la prononciation reçue, il manifeste le désir du
perfectionnement.

  L’auteur s’y plaint de notre écriture, qu’il déclare défectueuse.
  «Ce n’est pas sans raison, dit-il, que les étrangers nous reprochent
  tous les jours le peu de soin que nous avons de bien prononcer notre
  langue, comme une chose qui l’empêche d’être aujourd’hui la plus
  parfaite de toutes celles de l’Europe.»

  «On apprend, ajoute-t-il, avec beaucoup de soin aux enfants les
  principes des langues mortes ou étrangères, et, pour ce qui regarde
  leur langue naturelle, on l’abandonne au hazard de l’usage.»


    * JEROME-AMBROISE LANGEN-MANTEL. _L’Ortographe de la langue
    françoise._ In-12.

L’abbé Goujet considère comme inutile ce livre rare, que je n’ai pu
rencontrer.


    * DE SOULE. _Traité de l’ortographe françoise, ou l’Ortographe en
    sa pureté._ Paris, 1692, in-12.

Goujet porte à peu près le même jugement sur ce traité que sur le
précédent.


    * RENÉ MILLERAN (de Saumur), professeur des langues françoise,
    allemande et angloise. _Nouvelle Grammaire françoise._ Marseille,
    1692, in-12.--_Les deu_x_ gramair_es_ fransaize_s_, l’ordinaire
    d’aprezant et la plus nouvelle qu’on puise faire sans altere_r_
    ni change_r_ le_s_ mo_ts_, par le moyen d’une nouvelle ortografe
    si juste et si facile qu’on peut aprandre la bõté et la pureté
    de la prononciation en moins de tans qu’il ne fôt pour lire cet
    ouvrage, par la diférance des karactere_s_ qui sont osi bien dans
    le cors des regle_s_ que dan_s_ leurs exanple_s_, ce qui es_t_
    d’otant plu_s_ particulie_r_ qu’elle_s_ son_t_ tre_s_ facile_s_
    et incontestable_s_, la prononciation etan_t_ la partie la plus
    esancielle de toute_s_ le_s_ langue_s. Marseille, Brebion, 1694, 2
    parties en un vol. in-12.

Je n’ai pu me procurer ni même voir ce volume, que je ne trouve indiqué
que dans le Catalogue de Ch. Nodier de 1844. Ce spirituel académicien
reproche à l’auteur d’avoir proposé la réforme de l’_oi_, préconisée un
siècle plus tard par Voltaire. La manière dont Nodier a figuré le titre
et que je reproduis ne donne qu’une idée trop imparfaite de la méthode
de Milleran. Les lettres romaines sont celles qui ne se prononcent pas.
Par cet exemple, on peut se figurer toutes celles qui peuvent ainsi
être indiquées.


    (RODILARD.) _Doutes sur l’ortographe franceze._ Paris, 1693, in-12;
    et s. l. n. d. (vers 1750), in-12, de 192 pp.

L’auteur, qui se cache sous l’anagramme de _Trilodrad_, peut être
classé parmi les novateurs, bien que la plupart des réformes qu’il
demande aient été accomplies dans les éditions successives du
Dictionnaire de l’Académie. On en jugera par ce début:

  _Aus Maitres Imprimeurs._

  «Messieurs, il y a longtèms que je suis dans plusieurs doutes sur
  l’ortographe desquels je souhaiterois pouvoir être éclairci...
  J’ai cru qu’il étoit plus à propos de m’adresser aus maitres
  imprimeurs... Car je puis dire qu’autant qu’il y a d’imprimeries en
  France, ou peu s’èn faut, autant il y a de diférèntes ortographes.

  «Ce sens seul est peu favorable au savoir des maitres imprimeurs qui
  (dit-il) ne savent pas l’ortographe et moins encore la ponctuation!
  et s’ils raisonent de l’imprimerie et de l’ortographe, ce n’est que
  comme les aveugles font des couleurs.

  «C’est une chose honteuse à nous de voir que les étrangers nous
  aprenent à écrire nôtre langue naturele: car on ne peut pas
  disconvenir que les Holandez (ou du moins des Francez qui se sont
  retirés en Holand) ne nous ayent apris a metre les _v_ ronds et
  les _j_ longs, puisque pour marque de cela on les apèle dans
  l’imprimerie des _v_ et _j_ à la Holandeze: ce sont èncore eux
  qui nous ont ènseigné à retrancher les letres superflûes de nôtre
  langue: enfin ils nous ènseignent ce que nous leur devrions ènseigner
  et à toute la terre, puisqu’on n’aprend l’ortographe que par le
  moyen des impressions et à quoi tout le monde se raporte, et non
  pas aus manuscrits; cela étant, pourquoi n’a-t-on pas soin de bien
  ortographer, et de ne rien faire paroître au public qui ne soit dans
  sa perfection? Il faut que ce soit, non seulement les etrangers,
  mais tout le monde, jusques à un chétif ecrivain, qui à grand peine
  sait-il lire, nous ènseigne l’ortographe..... Il est vrai que j’ai
  été longtèms à me pouvoir persuader qu’il fut permis de retrancher
  aucune letre dans le francez lorsqu’elle venoit du latin, que les
  _s_; mais pour les doubles _bb_, les doubles _cc_, les doubles _dd_,
  doubles _ff_, doubles _mm_, doubles _nn_, doubles _pp_ et autres
  letres qui sont dans le latin, je ne pouvois me resoudre; mais aprez
  y avoir fait reflexion et consideré qu’on estranchoit partout les
  _s_ inutiles à la prononciation, aussi bien que d’autres letres,
  quoiqu’elles vinssent du latin, j’ai cru qu’on pouvoit aussi ôter les
  letres doubles, et toutes celles qui sont parèllement superflûes et
  inutiles à la prononciation aussi bien qu’on fait le _s_.»


    Louis de COURCILLON, abbé de DANGEAU. _Lètre sur l’ortografe à
    Monsieur de Pontchartrain, conseiller au Parlement_ (1694), in-12
    (sans nom d’auteur, avec privilége du Roi de 1693).--_Essais
    de granmaire_ (1694-1722), comprenant les discours suivants:
    _Prèmier discours qui traite des voyèles_.--_Discours II, qui
    traite des consones._--_Discours III. Suplèmant aus deus
    prèmiers discours._--_Discours IV. Lètre sur l’ortografe
    écrite en 1694_ (réimpression avec changements de la
    lettre qui précède).--_Discours V. Suplèmant a la lètre
    prècèdante._--_Discours VI. Sur l’ortografe fransoise._--_Discours
    VII. Sur la comparaison de la langue fransoise avec les autres
    langues._ (Les discours VIII à XIV n’ont trait qu’à la grammaire.)
    Ces opuscules ont été imprimés en partie et avec une orthographe
    moderne dans _Opuscules sur la langue françoise par divers
    académiciens_ (publiés par l’abbé d’Olivet). Paris, Bernard Brunet,
    1754, et réédités plus fidèlement en 1849 par M. B. Jullien aux
    frais de la Société des méthodes d’enseignement.

Saint-Simon, dans ses _Mémoires_, dit en parlant de l’abbé de Dangeau:
«Les bagatelles de l’orthographe et de ce qu’on entend par la matière
des rudiments et du Despautère furent l’occupation et le travail
sérieux de toute sa vie.» Saint-Simon parle de ces bagatelles en
homme qui ne s’y entendait guère: autrement il eût compris que c’est
du studieux abbé que datent les progrès sérieux dans l’étude des
sons de notre langue, dont il a donné le premier une classification
satisfaisante.

Les modifications introduites par Dangeau ont pour but de peindre
exactement la prononciation, en supprimant toutes les lettres qui ne
s’entendent pas ou ne sont pas nécessaires; de changer toutes celles
qui n’ont pas dans le lieu où elles se trouvent leur son naturel,
n’exceptant de cette règle que les consonnes finales et les lettres
caractéristiques des nombres, des genres, des personnes.

  Il supprime l’_h_ à _théorie_, et écrit _filosofe_, attendu, dit-il
  qu’il a «cru devoir laisser aux lettres françoises le son qu’elles
  ont naturellement, pensant que si les Latins ont écrit certains mots
  dérivés du grec, c’est qu’elles gardoient une aspiration differente
  et qu’ils prononsoient les premieres silabes de _philosophia_ et
  de _character_ autrement que celles de _figura_ et de _caput_.
  Aparemment, s’ils les avoient prononcées de la même manière, ils les
  auroient exprimées aussi par les mêmes letres, etc... Pourquoi ne pas
  imiter les Italiens et les Espagnols, qui n’ont pas cru être obligés
  a garder l’ortografe latine dans les mots venus du grec? Si on en
  avoit toujours usé de cette sorte, Madame de.... n’auroit pas été si
  scandalisée contre Eliogabale. «O que ces empereurs Romains ètoient
  cruels! s’écria-t-elle un jour en bonne compagnie, ils faisoient
  prendre des paysans et leur faisoient aracher la langue pour s’en
  nourrir.» Elle venoit de voir un livre qui disoit que cet empereur
  mangeoit des pâtés de langues de phaisans, et s’imaginant qu’un _p_
  se prononçoit toujours _p_ elle avoit lu des _langues de paysans_ au
  lieu de _langues de faisans_.»

Voici l’extrait d’un passage dans lequel le savant abbé expose et
pratique en partie son système. On remarquera l’emploi de l’accent
grave dans une foule de cas où on ne l’admettrait pas aujourd’hui,
ce qui semblerait indiquer sinon de sensibles différences dans
la prononciation, du moins un emploi peu judicieux des signes
d’accentuation:

  «_Remèdes aus dèfauts de la vieille ortografe._ On poûroit avoir un
  alfabet fait exprès, et qui donât a chaque son simple un caractère
  simple; et l’on en poûroit venir a bout sans avoir besoin de recourir
  a des caractères absolumant nouveaus. Peut-être même que le public
  n’auroit pas beaucoup de peine a recevoir ces changemans: on a bien
  introduit dans le siècle passé l’_j_ consone difèrant de l’_i_
  voyelle, et l’_v_ consone difèrant de l’_u_ voyèle.

  «Mais en atandant qu’on puisse introduire cet alfabet rèformé, il
  faut tâcher a coriger les dèfauts les plus sansibles. C’est ce que
  j’ai tâché a faire jusqu’ici. On poûroit aler ancore plus loin que
  je n’ai èté, sans être obligé a introduire des caractères absolumant
  nouveaus.

  «On demande un alfabet qui fournisse un caractère particulier pour
  chacun des trente-trois sons simples ausquels on peut rèduire tous
  ceus que nous avons dans notre langue; et qui s’éloigne le moins
  qu’il se poûra des caractères dont nous nous servons aujourd’hui.

  «Pour satisfaire a cète demande, j’ai dressé le mèmoire suivant, ou
  j’ai marqué de quèle manière on pouvoit exprimer les trente-trois
  sons de notre langue, sans se servir de caractères absolumant
  nouveaus.

  «J’ai mis au comancemant de chaque ligne les sons simples qu’il
  s’agit de signifier; j’ai ajouté pour èxample a chacun de ces sons
  simples un mot fransois ou se trouve le son simple; et a la fin de
  la ligne j’ai mis le caractère dont on peut se servir pour l’exprimer.

  «L’ordre dans lequel j’ai mis ces sons simples est conforme au
  système que j’ai tâché à ètablir dans mes _Essais de Granmaire_, et
  dans la suite que j’y ai ajoutée: _a_ come dans _paroître_, _a_; _o_
  come dans _colère_, _o_; _u_ come dans _batu_, _u_; _ou_ come dans
  _poulet_, _ou_; si l’on vouloit, on prandroit de l’alfabet grec le
  caractère ȣ.

  «Les imprimeurs poûront avoir des caractères ou ces deus lètres
  seront acolées; et pour l’ècriture on ne doit craindre aucune
  èquivoque, parce que ces deus lètres ne se prononcent sèparèmant
  que dans quelques noms propres venus du grec ou du latin, come
  _Piritoüs_; et l’on se prescrira une règle gènèrale, de mètre
  toujours deus points sur cèle des deux voyèles qui comance une
  nouvèle silabe.

  «_Eu_ come dans _feu_, dans _bonheur_, _eu_; si l’on vouloit, on
  prandroit des Grecs le caractère ευ. Les imprimeurs poûront avoir des
  caractères ou ces deux lètres seront acolées; et pour l’ècriture,
  quand il se trouvera des mots ou _e_ et _u_ garderont chacun leur
  son, on mètra deus points sur l’_u_, de cète manière, _rèüssir,
  rèünir_.

  «J’ai remarqué dans mes autres discours que cète voyèle (_eu_)
  a quelquefois un son ouvert, comme dans _bonheur_, dans _peur_;
  alors on poûra se servir de l’accent grave sur l’_e_, en cète sorte
  _bonhèur_.

  «_E_ fèminin, come dans _porte_, _e_; _è_ ouvert come dans _après_,
  _è_; _é_ fermé come dans _bonté_, _é_; ces trois _e_ sont distingués
  l’un de l’autre en ce que le _e féminin_ n’a point d’accent, _è
  ouvert_ a un accent grave, et _é fermé_ a un accent aigu.

  «_I_ come dans _lire_, _i_.

  «Pour les voyèles nazales, ou esclavones, on les distinguera des
  voyèles simples dont èles aprochent le plus, ou par une petite ligne
  au dessus come on en voit en quelques anciens livres, ou par une
  petite ligne qui les tranchera a la manière de l’alfabet polonois,
  de la manière suivante: _an_ come dans le mot _danser_, ã; _en_ come
  dans _bien_, ẽ; _in_ come dans _ingrat_, ĩ: _on_ come dans _bonté_,
  õ; _un_ come dans _comun_, ũ.

  «Pour prononcer chacun des sons des simples consones, il n’y a
  qu’a joindre la prononciation d’un _e féminin_ a la consone ou aus
  consones que j’ai marquées en lètres capitales. Ainsi le nom du
  prèmier son consone qui est marqué ici se trouvera come la dernière
  silabe de _tombe_, et celui du second son se prononcera come la
  seconde silabe de _trompe_, et ainsi du reste: _be_ come dans
  _tomber_, _b_; _pe_ come dans _tromper_, _p_; _ve_ come dans _venir_,
  _v_; _fe_ come dans _finir_, _f_; _me_ come dans _mourir_, _m_; _de_
  come dans _dire_, _d_; _te_ come dans _tirer_, _t_; _gue_ ou _g_ dur
  come dans _galant_, _g_; _ke_ come dans _capable_, _k_; _ne_ come
  dans _nier_, _n_; _ze_ come dans _zèle_, _z_; _se_ come dans _salut_,
  _s_; _je_ come dans _jalous_, _j_.

  «_Che_ come dans _chariot_, _c_; le _c_ ne s’amployant plus, selon
  ce projet-ci, ni pour faire le son _ke_, comme il fait a prèsant
  devant un _a_, un _o_, un _u_ dans _cavalier_, dans _colère_, dans
  _curieus_; ni pour faire le son _se_, come il fait aujourd’hui
  devant un _e_, ou devant un _i_, dans _cèrèmonie_, dans _cièl_, ne
  servira plus que pour le son du _che_ que nous lui donons ici. Le son
  de _ke_ et le son de _se_ ont dans la table prècèdante chacun son
  caractère propre, et le caractère _c_ ne servira plus qu’a marquer la
  lètre siflante que nous exprimons prèsantemant par _ch_, come dans
  _chariot, cherté_.

  «_Le_ come dans _lire_, _l_; _re_ come dans _rire_, _r_; _lle_ ou _l
  mouillée_ come dans _vaillant_, dans _fille_; _gne_ ou _n mouillée_
  come dans _vigne_, dans _soigneus_; je marque ces deus consones
  _mouillées_ par de petites lignes qui les traversent.

  «Si l’on ne veut pas se servir de ces deus lètres qui sont traversées
  par de petites lignes, on poûra se servir pour l’_l mouillée_ de deus
  _ll_ acolées; et quand on ècrira des mots ou l’on prononce deus _l_,
  come _Pallas_, on aura soin de sèparer les deus _l_ et de ne les pas
  acoler.

  «Pour exprimer le son de l’_n_ mouillée, on poûra se servir de l’_ñ_
  avec un trait dessus, comme s’en servent les Espagnols qui la noment
  _n con tilde_: que s’il se trouvoit quelques mots ou l’on prononsât
  sèparèment le _g_ et l’_n_, come on les prononce en latin, on se
  serviroit du _g_ et de l’_n_.

  «_He_ aspiration come dans _hazard_, _h_.

  «On aura soin de n’amployer jamais aucun caractère pour un son
  difèrant de celui auquel nous le destinons ici.

  «Il reste deus choses a marquer pour randre l’ècriture plus conforme
  a la prononciation:

  «1º La longueur des voyèles. Come je ne crois pas qu’il soit
  nècessaire de marquer quand la voyèle est brève, on marquera
  seulement cèles qui sont longues, par les chevrons (^) ausquels on
  est acoutumé.

  «Il y a un inconvéniant auquel il est aisé de remèdier. Cet
  inconvéniant est que le chevron qu’on met sur l’_e_ long, come
  dans _èvêque, prêtre_, marque en même tams qu’il est ouvert. Mais
  nous avons des _e_ fermés qui sont longs come dans _ils alérent,
  ils marchérent_. Si pour marquer cète longueur, on se servoit d’un
  chevron, il seroit a craindre qu’on ne donât a ces _e_ le son de
  _è_ ouvert. Il est aisé de remèdier a cet inconveniant. Ces _é
  fermé_ (sic) dont la prononciation est longue ne se trouvent que
  dans quelques troisièmes persones du pluriel des verbes, come _ils
  alérent, ils trouvérent_, et dans quelques adverbes en _mant_, come
  _comunémant, aveuglémant_, et l’on poûra dans ces ocasions marquer la
  longueur de l’_é_ fermé par des accents aigus un peu plus longs que
  les accents aigus ordinaires.

  «2º La seconde chose que l’ècriture doit marquer pour faciliter la
  lecture consiste en ceci: il y a des lètres qu’on ècrit et qui ne
  se prononcent jamais, come le _b_ dans _plomb_: il y en a d’autres
  qui varient selon les ocasions: dans quelques ocasions èles se
  prononcent, dans d’autres èles ne se prononcent point. Par èxample le
  _t_ final; car il y a des ocasions ou il se prononce, et d’autres ou
  il ne se prononce pas, come je l’expliquerai en parlant des consones
  finales.

  «On poûroit règler que les lètres qui ne se prononcent jamais come le
  _b_ de _plomb_ ne s’ècrivissent jamais; et pour cèles qui varient,
  on poûroit règler qu’on mètroit un point sous la lètre qui ne se
  prononce pas, par èxample: _Je lui ai parlé come iḷ faut_.

  «Moyènant ces prècautions, on ècrira en notre langue de manière que
  ceus qui liront ne poûront jamais se tromper. Ceus qui savent lire
  prèsantemant trouveront peu de changemant dans nos caractères; et
  ceus qui ne savent pas lire poûront en moins d’un mois aprandre la
  valeur de tous nos caractères et lire sans faire de fautes.

  «A l’ègard des livres qui sont dèja imprimés, quand on saura
  l’ècriture nouvèle et règuliêre que je propose, on aprandra bientôt a
  lire ce qui est imprimé selon l’ècriture irrègulière et dèraisonable
  dont on se sert prèsantemant.

  «Quelques gens qui ont vu mon projet tel que je viens de l’expliquer
  l’ont trouvé fort raisonable, et conviènent qu’il seroit utile; et
  la dificulté qu’il y a a le faire recevoir par tout le monde, leur
  fait dire que le succès est plus a souhaiter qu’a espèrer. Mais il
  faut que les gens charitables et bien intantionés pour les intérêts
  du public prènent courage. Il faut du tams, je l’avouë, pour faire
  rèüssir ce projet dans toute sa perfection: mais ne peut-on pas au
  moins l’acheminer tout doucemant en atandant quelque secours inespèré?

  «_Il ne faut pas croire que le public soit ènemi de tous les
  changemans. N’a-t-on pas reçu come d’un consantemant unanime dans la
  plus grande partie de l’Europe, les J consones et les V consones?
  N’y a-t-il pas un grand nombre de gens èclairés qui ont retranché
  les S qui ne se prononcent pas, et qui ont admis les accents (^)
  pour marquer la longueur des silabes?_

  «L’Acadèmie èle-même, si atachée aus anciens usages, n’a t èle pas
  amployé ces chevrons en quelques ocasions? N’a t èle pas admis
  les accens sur les _e_ qui ne sont pas fèminins? Les plus atachés
  à la conservation des lètres caractèristiques ne les ont ils pas
  retranchées de plusieurs mots? Pandant ce siècle et pandant la fin du
  siècle prècèdant, combien a t on imprimé de livres ou l’on suit en
  partie notre ortografe rèformée?

  «Il faut que ceus qui conviènent qu’une antière rèformation, selon
  mon projet, seroit utile, la suivent dans les choses les plus
  faciles. On parviendra peu a peu a la faire recevoir par le grand
  nombre, et alors nous aurons pour nous l’usage qu’on nous objecte si
  souvant. Si nous avons raison, espèrons tout du bon esprit de gens
  qui ne sont pas prévenus; faisons de notre côté ce que nous poûrons,
  et laissons faire au tams; il fera le reste.»

On voit par ce qui précède que Dangeau est un néographe très-prononcé
et qu’il a tracé la voie à Wailly, Beauzée, etc. J’aurai occasion de
discuter son système à propos de ces derniers.


    * _Alphabet ingénieux pour le françois._ Bourdeaux, 1694, in-12.

Je n’ai pu encore prendre connaissance de cet opuscule, cité par Goujet.


    * ANDRÉ RENAUD, prêtre, docteur en théologie. _Traité de
    l’Ortographe et de la prononciation françoise._ (A la suite de sa
    _Maniere de parler la langue françoise selon ses différens styles_.
    Lyon, 1694, in-12.)

Je n’ai pu savoir si cet ouvrage intéresse l’histoire de la réforme.


    CÉSAR-PIERRE RICHELET. _Dictionnaire françois contenant les mots et
    les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise,
    etc._ Genève, Jean Herman Wiederhold, 1680, 2 vol. in-4. (Réimprimé
    plusieurs fois.)--_La connoissance des genres françois tirée de
    l’usage et des meilleurs auteurs de la langue._ S. l. ni date
    (achevé d’imprimer le 10 mai 1695), in-12.

Richelet est un des réformateurs les plus prudents et les plus
logiques. Il s’est beaucoup plus occupé d’étymologies que la plupart
des auteurs contemporains. Il fut un des premiers à développer la
réforme proposée par Le Clerc et les Précieuses. (Voir plus haut, p.
111, l’examen de son Dictionnaire.)


    _Projet d’un Esei de granmére francéze de laqele on ôte toutes
    lés letres inutiles, é où l’on ficse la prononsiasion de
    celes qi sont néceséres: par le moyen de qoi l’on aprendra
    le francéz pluz facilement, é an moins de tans qe par
    l’ortografe ordinére._--_Remarques sur ce projet, en forme de
    lettre._--_Réponse de l’Auteur du projet à cette lettre._ (Le
    projet parut d’abord à Genève en 1704, et ensuite avec les deux
    pièces suivantes dans le Mercure de Trévoux, Novembre et Décembre
    1708, p. 165.)

Ce titre seul suffit pour indiquer que le système de l’auteur se
rapproche de celui des novateurs le plus avancés. Voici comment il
entre en matière:

  «Le publiq doit être bien rasazié dés _Granmères_ q’on fét depuis
  qeqe tans, cepandant an voici ancore une dont on veut le surcharjer,
  mes on souëte de savoir avant cela son santimant sur celeci, dans
  laqel’ on prand une route bien diferante de celes que les autres
  _fezeuz_ de granmères ont tenu. Si qeq’un montre qe le sisteme n’an
  soit pas bien lié, on promet par avanse de le corijer ou de le
  suprimer.

  «El’ aura deuz parties, la premiere dés qeles ne tretera que de
  l’uzage q’on devrét fere des letres de nôtre alfabét, de qele maniere
  il faut se servir des trois acsans, é de qeqes autres marques qon
  observe dans la lecture é dans l’écriture, come sont les poins de
  separasion q’on apele aussi diéreze. Cete partie aura six diâloges.
  La derniere partie contiendra aussi six diâloges, dans les qels on
  egspliquera, a-peu-prés come dans les autres granmères, les neuf
  parties du discours. Je dis a-peu-prés, parcqu’il y aura qeqes
  chanjemans q’on croit necesères pour randre les regles de notre
  langue plus asurées.»

On voit que ce système se rapproche de celui préconisé plus tard par M.
Marle; l’auteur termine par cette maxime:

        _Temporibus errata latent et tempore patent._
        Le tans cache é decouvre tout.

Ce projet de réforme, qui, tout en ayant des inconvénients, n’en a pas
moins quelques mérites, n’a eu aucun succès, bien qu’il ne manquât pas
d’être favorisé, comme on peut s’en rendre compte par quelques passages
tels que celui-ci, tiré des _Remarques_, etc.

  «Il y auroit de la temerité, Monsieur, a vous assûrer que vôtre
  nouveau projet de grammère sera generalement approuvé. Il n’est pas
  aisé de faire revenir de leur entêtement certains gens, a qui une
  prevention chimerique fait rejeter tout ce qui a un air de nouveauté,
  le bon come le mauvais. Cependant pour ce qui regarde l’ortografe,
  on ne voit pas grand risque à vous prometre le sufrage de la plus
  belle moitié du monde françois; dautres oseront peut être en dire
  davantage, persuadés que les Dames, dont jentens ici parler, ont le
  discernement très-juste. Eles vous aplaudiront sans doute, èles qui
  conformement à vôtre dessein ecrivent come èles parlent, et èles
  parlent bien.

  «Vous devez encore avoir les étrangers dans vôtre parti, car ils
  trouveront plus de facilité à lire et à écrire en nôtre langue. Pour
  les savants la nation n’en est pas si traitable: mais ils ne seront
  peut-être pas tous si infatués du pedantisme, qu’ils ne renoncent a
  ce fatras d’étymologies, de multiplicité inutile de letres, etc.,
  qui jusquici n’a servi qu’à ambarasser et l’ecrivain et le lecteur,
  et ils voudront bien enfin reconoître que l’ecriture ne servant qu’à
  exprimer et peindre la parole, c’est une injustice de la vouloir plus
  parfaite que son original.»

L’auteur de cet article, dont l’orthographe est moins téméraire, nous
dit avoir parlé sur ce même sujet dans le _Journal de Trévoux_ de mai
1705.

Il regrette le double emploi du _c_ et du _q_, et celui de l’_s_ et
du _z_; il écrit au singulier _nagét_, avec accent aigu, et _nagêt_,
avec l’accent circonflexe pour le pluriel. «Quatre lettres retranchées
tout d’un coup, _oien_ (nageoient). Quel abatis! s’écrie-t-il, mais il
est bien comode.» Et il observe que la prononciation de _geoient_ au
pluriel étant plus longue que celle du singulier _geoit_, se trouve
convenablement indiquée par la différence seule des accents. Il termine
ainsi:

  «Si vous n’êtes pas plus heureux quant à votre ortografe que ceux
  qui ont tenté la chose avant vous, dumoins aurés-vous d’illustres
  compagnons de vôtre infortune. Mais seroit-il possible qu’on
  s’opiniatrât a vouloir faire passer des huit ou dix ans dans la
  poussière d’un college, pour aprendre a écrire ce que l’on sait bien
  prononcer, et que la raison parlât tant de fois a ceux qui font
  profession d’être ses eleves, sans s’en faire entendre?»

Viennent ensuite des additions à ces _Remarques_, p. 201, où, entre
autres choses, on regrette l’emploi de l’_h_ inutile dans certains mots.

  «Il n’y a pas long-temps qu’on avoit une regle assez sûre des mots ou
  ele faisoit quelque fonction, mais a present on ne sait plus a quoi
  s’en tenir: come ele oblige a parler un peu du gosier et qu’on fait
  plus a présent la petite bouche que jamais, on voudroit l’exclure
  des endroits ou son empire est le mieux établi, et dernièrement
  j’entendis dire a un doucereux qui se pique de bel esprit: _donés
  moi de l’achis, il est en aut_, pour _donés moi du hachis, il est en
  haut_.

  «On retranche tant que l’on peut et avec raison les lètres doubles,
  on ne laisse que les deux _ss_, aparenment jusqu’a ce qu’une seule
  entre deux voyelles retiene son usage naturel, et dans certains cas
  les deux _mm_, encore change-t-on le premier _m_ en _n_; ainsi au
  lieu d’_emmener_ on écrit _enmener_. Il semble qu’on devroit en faire
  autant de l’_m_ qui se prononce come _n_: jambe, _janbe_, pompe,
  _ponpe_, etc., l’épargne n’est pas grande, mais au temps où nous
  somes les petits profits ne sont pas à négliger.»

Il se récrie aussi sur la prononciation de _t_ come _s_ en certains
cas.

Ces observations sont suivies de la réponse de l’auteur du Projet de
l’_Esei_.


DIX-HUITIÈME SIÈCLE

    L’abbé REGNIER DES MARAIS, secrétaire perpétuel de l’Académie
    française. _Traité de la Grammaire françoise._ Paris, Jean-Baptiste
    Coignard, 1706, in-4 et in-8 de 4 ff., 711 pp. et 11 ff. de
    table.--_Remarques sur l’article_ CXXXVII _des Mémoires de Trévoux,
    touchant le Traité de la grammaire françoise de M. l’abbé Regnier_.
    Paris, J.-B. Coignard, 1706, in-4.

L’Académie, dans les travaux préparatoires de son Dictionnaire, qui ne
parut qu’en 1694, avait adopté la méthode du travail en commun; mais
elle crut devoir remettre le soin de rédiger une Grammaire conforme à
ses principes à son secrétaire l’abbé Regnier des Marais. Il publia
son ouvrage en deux volumes in-12 dès 1676, et en donna une édition
infiniment supérieure dans l’in-4 de 1706. De 1694 jusqu’à la seconde
édition du Dictionnaire, qui ne parut qu’en 1718, l’Académie eut
quelque temps de repos. Elle recueillit alors les doutes sur la langue
et se donna la tâche de les résoudre. Cette société préparait ainsi
des matériaux pour la Grammaire qu’elle méditait et que du reste les
statuts de sa fondation l’obligeaient de rédiger. «Mais elle ne tarda
pas à reconnaître qu’un ouvrage de système et de méthode ne pouvait
être conduit que par une personne seule; qu’au lieu de travailler en
corps à une Grammaire, il fallait en donner le soin à un académicien
qui, communiquant son travail à la compagnie, profitât si bien des
avis qu’il en recevrait, que, par ce moyen, son ouvrage pût avoir dans
le public l’autorité de tout le corps.» Regnier avait une parfaite
connaissance de notre langue et de quelques autres; il s’était fait un
nom par sa traduction de la _Pratique de la perfection chretienne_ de
Rodriguez. Son assiduité aux conférences du Dictionnaire, dont il était
chargé de rédiger les résultats, l’avait mis mieux que tout autre en
état d’en exposer les principes dans une grammaire.

L’ouvrage cependant ne fut pas publié sous le nom de l’Académie. Il
encourut plusieurs critiques, entre autres celle d’un grammairien
très-estimé, le P. Buffier. L’abbé Regnier, on le conçoit, se prononce
contre l’écriture phonétique, qui exposerait à «cet attentat» d’écrire
des _crétiens_ comme des _Crétois_ et _Jésu-Cri_ qu’on prononce
ainsi, tandis qu’on doit prononcer le _Christ_. Dans son livre, les
explications sur les difficultés de la prononciation des lettres ont
employé près d’une centaine de pages. En examinant avec l’attention
qu’elle mérite l’œuvre de docte secrétaire perpétuel de 1706, œuvre
d’autant plus importante qu’elle doit nous refléter les principes
qui avaient prévalu dans le sein de l’Académie, on ne tarde pas à se
convaincre que le but que l’auteur se proposait est manqué. Toutefois,
on doit le reconnaître, le livre le plus utile à une nation éclairée
comme la France, c’est-à-dire une grammaire, était alors impossible.

Pour ce qui concerne l’orthographe, Regnier constate, pour la
réduplication des consonnes dans le corps des mots, des règles fondées
la plupart sur la _quantité_ (pp. 101 à 125 de l’édit. in-12).

  «Le redoublement des lettres en plusieurs mots de la langue se fait
  uniquement des consonnes, et peut se rapporter à deux causes: l’_une
  prise du latin_, d’où ces mots là nous viennent; l’autre tirée du
  fonds mesme de nostre langue... Ce redoublement n’est point toujours
  pris du latin: il se fait quelquefois contre l’orthographe des mots
  latins d’où les mots françois dérivent. Il se fait principalement
  des lettres _l, m, n, p_ et _t_, aprés _a, e, o_, mais il suffira de
  parler icy de celuy des lettres _l, m, n_, après _e_ et _o_, pour
  donner quelque idée de la cause de ce redoublement dans les mots où
  la prononciation toute seule n’en avertit pas: car, pour ceux où elle
  le fait sentir, ce n’est pas de quoy il est icy question, non plus
  que de ceux où nostre langue n’a fait que suivre l’exemple de la
  langue latine.

  «Il y a deux choses à considerer dans ce redoublement: le lieu où
  il se fait et l’effet qu’il produit. Le lieu où il se fait, c’est
  d’ordinaire immédiatement aprés la voyelle sur laquelle est le _siége
  de l’accent_. Mais comme nostre langue n’a proprement d’accent que
  sur la derniere syllabe, dans les mots dont la terminaison est
  masculine, et sur la penultiéme dans ceux dont la terminaison est
  feminine, et que les dernieres syllabes ne sont pas susceptibles du
  redoublement des consonnes, ce redoublement, à le regler par le siege
  de l’accent, n’appartient proprement qu’aux penultiémes syllabes des
  mots qui ont une terminaison feminine.

  «Ainsi _chapelle, chandelle, fidelle, folle, colle, molle, femme,
  homme, somme, bonne, donne, consonne_ et _patronne_, qui ont
  l’accent sur la penultiéme, s’escrivent par deux _l_, deux _m_
  et deux _n_. Que si cet accent passe de la penultiéme sur la
  derniere, alors en quelques mots derivez des précédents, comme
  dans _chapelain, chandelier, fidélité, feminin, homicide, bonace,
  donateur, consonance, patronage_, il ne se fait plus de redoublement
  de consonne et l’usage est en cela entierement fondé sur la raison
  et sur la regle. Mais en d’autres mots de mesme ou de pareille
  dérivation, comme _fidellement, nouvellement, follement, donner,
  sonner, tonner_, le redoublement, qui ne devroit se faire qu’aprés
  la voyelle du siege de l’accent, se fait devant[169]: et _l’usage
  en cela, comme en beaucoup d’autres choses, s’est mis au-dessus des
  regles_, qu’il observe pourtant d’ordinaire dans la conjugaison des
  verbes. Car on escrit _ils prennent, ils tiennent, ils viennent_,
  par deux _n_, parce que le siege de l’accent est sur l’_e_ de la
  penultiéme syllabe; et on escrit par une _n_ seule, _nous prenons,
  nous tenons, nous venons, vous prenez, vous tenez, vous venez_, parce
  que l’accent qui estoit sur la penultiéme est passé sur la derniere.

      [169] Ce passage me semble tout à fait inintelligible.

  «Quant à l’effet que ce redoublement de consonnes produit, il est
  different, suivant les voyelles aprés lesquelles il se fait: aprés
  l’_e_, comme dans _chandelle, fidelle_[170], _fidellement_, il donne
  à cet _e_ la prononciation d’un _e ouvert_ et il donne celle d’un _e
  fermé_ à _prennent, tiennent, viennent_, etc.[171].

      [170] On a mis depuis l’accent grave, au lieu de la consonne
      double, à beaucoup de ces mots en _elle_: _il épèle, fidèle, il
      gèle_. Mais on n’a pas simplifié la difficulté, car il nous en
      reste autant en _elle_: _il appelle, belle, chandelle_, etc.

      [171] Il semble résulter de ce passage que le docte secrétaire
      perpétuel prononçait _ils prénent, ils tiénent, ils viénent_.

  «A l’égard de l’_o_, cet effet est tout different; car, au contraire,
  le redoublement de la consonne aprés un _o_ sert à le presser de
  telle sorte, que comme alors il a moins d’estenduë et de liberté que
  quand il n’est suivi que d’une consonne, il reçoit une prononciation
  plus breve et plus serrée. Ainsi au lieu que dans _mole, role,
  dome, throne_[172], où l’_o_ n’est suivi que d’une seule consonne
  et se trouve, pour ainsi dire, plus au large; l’_o_ est long et
  extrémement ouvert, il est bref dans _molle, folle, homme, somme,
  bonne_ et _donne_, où les deux consonnes qui suivent le pressent et
  le resserrent. Mais tout ce qu’on vient de marquer icy est sujet à
  tant d’exceptions, que pour donner des regles plus seures, il faut
  necessairement passer aux exemples particuliers du redoublement de
  chaque consonne.

      [172] On met aujourd’hui avec raison l’accent circonflexe sur
      ces mots, où il suffit à exprimer l’allongement de la syllabe.
      Pourquoi écrire, contrairement au latin, les mots _homme, bonne,
      donne_ par une double consonne? L’absence de l’accent circonflexe
      suffirait pour indiquer que l’_o_ est bref.

  «_La regle generale que l’Académie françoise a suivie dans
  l’orthographe de son Dictionnaire, est de garder les consonnes
  doubles dans les mots françois, lors qu’elles sont doubles dans les
  mots latins d’où ils viennent_; et cette regle peut suffire pour
  la plus part des mots de la langue, à l’égard des personnes qui
  entendent le latin; mais comme on escrit icy pour tout le monde, il
  faut essayer de donner là-dessus ou des préceptes, ou des exemples,
  qui puissent estre entendus de tout le monde.»

Suivent 27 pages très-compactes de préceptes, d’exemples et
d’exceptions pour le redoublement ou le non-redoublement de chacune des
lettres de l’alphabet.

Malgré le désir qu’on éprouve de saisir quelques lueurs de principes
au milieu de cet amalgame de règles contradictoires, il est impossible
d’en rien conclure, sinon l’impuissance des grammairiens d’alors à
débrouiller le chaos orthographique. Qu’est-ce, en effet, que de
constater, d’un côté, que la prosodie française est complétement
différente de la prosodie latine, et d’exiger, de l’autre, que l’on
redouble la consonne en français là où les Latins l’ont doublée?
Comment expliquer, en outre, cette bizarrerie dans le rôle de la
consonne redoublée, de rendre la syllabe qui précède _longue_ dans
_chandelle_ et brève dans _molle_? Bossuet, avec son esprit lucide et
pratique, avait bien raison de demander que l’Académie s’expliquât en
tête du Dictionnaire sur les règles de la prosodie française: toutes
ces inconséquences eussent alors forcément disparu, comme l’ont fait
la plupart d’entre elles, grâce à l’introduction des accents et à la
suppression d’une partie des lettres doubles inutiles, opérées par
l’Académie lors de la réforme de 1740. Mais en parcourant les listes
données par Regnier, page 111 particulièrement, on voit qu’il nous
reste encore un nombre assez grand de mots où la double consonne qui ne
se prononce pas s’est maintenue dans le seul but de figurer cette copie
servile du latin, répudiée par l’Académie elle-même, et à laquelle tout
le monde paraît avoir renoncé[173].

      [173] Nous avons encore _collerette, mollesse, assommant,
      inaccommodable, consommation, pommade, bannière, carrosse,
      garrotter_, etc., comme au temps de Regnier.

Après s’être convaincu de l’inanité des principes orthographiques de
Regnier, on s’explique difficilement la sévérité qu’il montre contre
les novateurs tant du siècle précédent que de son temps. La fin de
non-recevoir qu’il oppose à toute réforme, si elle eût été prise au
sérieux, nous condamnerait encore à l’écriture vicieuse de 1706.

  «Que si, dit Regnier, dans la soci_e_té civile, il n’est pas permis
  aux particuliers de rien changer dans l’_es_criture[174] de leur nom,
  sans des lettres du prince, il doit encore moins leur _es_tre permis
  d’alt_e_rer, de leur propre aut_h_orité, la plu_s_part des mots
  d’une langue et la plu_s_part des noms de bapt_es_me et des noms des
  peuples, des provinces, des familles, des soci_e_t_ez_ publiques et
  des choses de la Religion.

      [174] Les lettres _italiques_ indiquent les changements
      ultérieurement apportés par l’Académie à l’orthographe de Regnier.

  «Cependant ceux qui en usent de la sorte n’ont pas seulement tort, en
  ce qu’ils s’attribu_ë_nt une juri_s_diction qui ne leur appartient
  pas; ils ont tort encore d’ailleurs, en ce qu’ils abusent du principe
  sur lequel ils se fondent, que les lettres _es_tant instituées
  pour repr_e_senter les sons, l’_es_criture doit se conformer à la
  prononciation.

  «Cette r_e_gle g_e_n_e_rale a ses exceptions, comme toutes les autres
  r_e_gles; et vouloir r_e_former tout ce qui en est excepté, c’est
  comme si un Grammairien, se fondant sur les principes g_e_n_e_raux
  de la Grammaire, voul_o_it y r_e_duire toutes les conjugaisons des
  verbes irr_e_guliers d’une langue et toutes les façons de parler
  qu’un long et constant usage a délivrées de la _servitude de la
  syntaxe_.

  «De toutes les langues dont on a conn_o_issance, il n’y en a aucune
  dont toutes les lettres se prononcent tou_s_jours d’une m_e_sme sorte
  et où le son des voyelles et des consonnes ne varie souvent, selon
  les diff_e_rents mots qu’elles forment, parce qu’il est impossible
  que les diff_e_rentes combinaisons des lettres n’apportent de la
  diff_e_rence dans le son propre de chaque caract_e_re.

  «..... Ce qu’on ne peut trop dire et trop r_e_p_e_ter à ceux qui,
  sur des principes sp_e_cieux, mais mal entendus, veulent de leur
  aut_h_orité privée r_e_former l’orthographe franç_o_ise, c’est
  que l’usage n’a pas moins de droit et de juri_s_diction sur la
  prononciation des mots que sur les mots m_es_mes; et que comme la
  prononciation de plusieurs mots vient à varier de temps en temps,
  selon le caprice de l’usage, il faudr_o_it aussi de temps en temps
  varier l’orthographe des m_es_mes mots, pour en repr_e_senter
  la prononciation courante. Ainsi la r_e_forme qu’on fer_o_it
  aujourd’hu_y_ pour _ad_juster l’orthographe à la prononciation ne
  tarder_o_it gu_e_re_s_ peut-_es_tre à avoir besoin d’une autre
  r_e_forme, de m_es_me que celle que _Sylvius, Meigret, Pelletier_
  et _Ramus_ voul_oi_ent introduire.»

Ce dernier paragraphe est parfaitement juste, et les lettres italiques
que j’ai placées aux endroits du texte de Regnier que l’Académie a dû
corriger par la suite montrent que l’écriture suit la loi du progrès
comme toutes les sciences et que, par suite, il est du droit et du
devoir des enfants d’améliorer l’héritage de leurs pères.

  «..... Où en ser_o_it-on dans chaque langue, continue Regnier, s’il
  en fall_o_it r_e_former les él_e_ments sur la difficulté que les
  enfants aur_o_ient à bien retenir la valeur et, comme parlent les
  Grammairiens, la puissance de chaque caract_e_re et les diff_e_rentes
  variations qu’un long usage y a introduites?..... C’est aux enfants
  à apprendre à lire comme leurs p_e_res et leurs grands-p_e_res ont
  appris.

  «Quant aux _es_trangers, pourquo_y_ veut-on que la langue franç_o_ise
  fasse à leur égard ce que nulle langue ne fait ni ne doit faire à
  l’égard de ceux à qui elle est _es_trangere?... Comme c’est à ceux
  qui sont _es_trangers dans un pays à se conformer aux loi_x_ et
  aux cou_s_tumes du pays, c’est aussi à ceux qui veulent apprendre
  une langue qui leur est _es_trangere à s’assujettir à ses r_e_gles
  et à ses irregularit_ez_. Pourquo_y_ donc changerions-nous en
  cela nos usages pour les _es_trangers, qui ne changent les leurs
  pour personne? et pourquo_y_ ne feront-ils pas à l’égard de
  no_s_tre langue ce qu’ils font à l’égard des autres et ce que nous
  essayons tous les jours de faire à l’égard de celles qui nous sont
  _es_trangeres?»

En proclamant, dans le domaine intellectuel, cette maxime du _chacun
pour soi_, l’abbé Regnier ne pouvait pas pressentir les nécessités
d’un nouvel état de la société européenne, où une certaine instruction
est indispensable à tous ses membres, où les relations de peuple à
peuple sont incessantes, où les langues modernes constituent une partie
importante de l’éducation de la jeunesse et où le temps a besoin d’être
économisé pour tant de choses à apprendre.


    NICOLAS DE FRÉMONT D’ABLANCOURT. _Dialogue des lettres de
    l’Alphabet, où l’usage et la grammaire parlent, fait à l’imitation
    du dialogue de Lucien, intitulé, le Jugement des voyelles._ (A la
    suite de la traduction françoise de Lucien, par Nicolas Perrot
    d’Ablancourt, tome III, édition de 1706, in-12, p. 424.)

L’abbé Goujet, dans sa _Bibliothèque françoise_, fait un grand éloge de
ce dialogue.

Les interlocuteurs sont l’USAGE et la GRAMMAIRE.

La Grammaire demande à l’Usage si elle doit produire ses lettres
habillées à l’arabesque, ou à la grecque et l’italienne, ou à la
gothique, ou bien simples et ramassées, et accommodées à la française.

  L’USAGE répond: «A quoy bon tant de mystères? Puisque nous sommes en
  France et qu’il s’agit d’un différend entre les lettres françoises,
  il faut qu’elles se présentent habillées à la mode du pays.»

Chaque Lettre prend successivement la parole pour se plaindre de
son sort, et de l’empiétement des unes sur les autres; mais, tout
en signalant le désordre qui règne entre elles, le neveu de Perrot
d’Ablancourt se montre plus résigné que son oncle. Il fait ainsi parler
l’F: «Come je suis la première en fidelité, je trouve fort étrange
qu’on m’ôste les cle_f_s et qu’on me veuille couper les ner_f_s; car
après cela comment pourrois-je atteindre les cer_f_s à la course? Cela
est bien éloigné de la promesse qu’on m’avoit faite de bannir le _Ph_,
afin d’étendre les bornes de mon empire. Jusqu’ici il m’a toujours
défendu l’abord des Pro_ph_etes et des _Ph_iloso_ph_es, et il ne veut
pas même que j’aspire à _Ph_ilis. Si j’avois esté aussi sévère, jamais
le _v_ ne se seroit mis en possession de toutes les _veuves_[175], tant
recréati_v_es que rebarbati_v_es; cependant, comme j’ay veû qu’elles
l’aimoient plus que moy, je lui ay cedé tout ce que j’y pouvois
prétendre.»

      [175] On écrivait _vefve_; c’est sous ce titre qu’est publiée la
      pièce de Rotrou. Mais l’_f_ a disparu au singulier féminin, et
      l’_u_ n’a pu être introduit que lors de la distinction du _v_ et
      de l’_u_, autrement on eût écrit la _ueuue_. L’_f_ a été conservé
      au singulier masculin.

  Le P prend la parole: «Quand une longue possession ne seroit pas
  un juste titre, après nous avoir fait traverser tant de Terres
  et de Mers, débité tant d’Apo_ph_thegmes, et enrichy ce païs de
  tant de _Ph_rases et de Para_ph_rases, il semble qu’il y auroit
  de l’inhumanité à nous separer de la compagnie de _Ph_ilis et de
  _Ph_ilomèle, puisque nous sommes de même contrée, et que nous avons
  jusqu’icy couru les mêmes avantures.

  «L’USAGE. J’ordonne que l’on conserve le _Ph_, le plus qu’on pourra;
  mais du reste, quand on veut s’établir en un païs, il en faut prendre
  l’habit et les mœurs.»


    Le Père CLAUDE BUFFIER, de la Compagnie de Jésus. _Grammaire
    françoise sur un plan nouveau, avec un traité sur la prononciation
    des_ E, _etc._ Paris, 1709, in-12; ibid., 1723, in-8.

Buffier, un de ces jésuites à la raison hardie et profonde, dont
l’ordre célèbre auquel il appartenait a fourni tant d’exemples, après
avoir constaté qu’une orthographe réformée est suivie par la moitié
au moins des auteurs, cite une centaine d’ouvrages importants où elle
est observée. Lui-même embrasse la réforme non pas avec enthousiasme,
mais avec la conviction calme qu’elle est «le parti le plus commode,
et conséquemment le plus sage.» «On peut, ajoute-t-il, et l’on doit
dire que certaines langues ont une ortographe beaucoup plus embarassée
et plus dificile que d’autres langues. En éfet, si une langue avoit
précisément autant de caractères divers dans l’écriture que de
sons diférens dans la prononciation, en sorte que chaque caractère
particulier désignât toujours le même son particulier, ce seroit
l’orthographe la plus commode, et, ce semble, la plus naturèle qu’on
puisse imaginer. Ainsi, plus une langue s’éloigne de cette pratique,
plus son ortographe est incommode et bizare.» «Le françois, dit-il plus
loin, a une ortographe des plus bizares et des plus malaisées... Une
même figure de lètre désigne quelquefois cinq ou six sons divers, et
un même son est désigné de sept ou huit manières différentes[176]...
Il ne s’agit pas de mettre de l’étymologie dans un portrait, mais de
le rendre le plus fidèle qu’il est possible.» Il s’oppose, du reste,
aux réformateurs trop absolus, «attendu, dit-il, que si l’ortographe
n’étoit pas conforme à l’usage, on ne connoîtroit rien aux figures ou
caractéres de létres qui seroient nouveaux. C’est ce qui est arrivé à
ceux qui ont voulu introduire une ortographe toute nouvèle; les autres
n’y ont rien conçu, n’en ayant pas l’usage. Ainsi, quand même cette
ortographe seroit au fond plus parfaite que l’ortographe établie, il
seroit ridicule de s’en servir préférablement à la dernière, puisque
c’est comme si l’on vouloit parler à un homme une langue qu’il n’entend
pas, sous prétexte qu’elle est plus parfaite que celle qu’il entend.»

      [176] Voir plus loin l’analyse de l’ouvrage de M. Raoux, à la
      date de 1865.

Il propose, pour apprendre à lire plus promptement et plus exactement,
de prêter aux consonnes françaises d’autres noms que ceux qui leur
sont donnés par l’usage et qui soient plus conformes aux sons qu’elles
expriment dans leur liaison avec les voyelles. «Ainsi, au lieu de dire
_éfe, éme, ixe_, etc., on feroit mieux de les appeler simplement
_fe, me, xe_, dont l’_e_ seroit muet,» etc.

Il analyse les diverses modifications que prend le son _e_. Il voudrait
que _l_ ou _ll_ mouillé fût figuré par un signe particulier, le λ. Il
remplace les signes binaires _eu, ou, ch, gn_, par _ω, ö, χ, ñ_.

L’_y_ lui paraît une forme introduite par les copistes pour figurer
_ij_ ou le double _i_. L’_y_, dit-il, n’est presque plus d’usage en
notre langue que dans les trois ou quatre occasions suivantes: _yeux,
yvoire, yvre_[177].

      [177] On écrit _ivre, ivoire_, et on a maintenu seulement l’_y_
      dans _yeux_.

Voici dans quelle mesure il se montre réformateur: il écrit
_ortographe, atacher, létre_ (de _litera_), _suposé, indiférent,
dificulté, netement, ofrir, oposé, voyéle, néte, comode, naturéle,
prométre, sience, soufrir, nouvèle, anciéne, etimologie, afirme,
consone, nazal, bizare_; il écrit même _silabe_.


    * PIERRE PANEL. _Le Tableau de l’Ortographe françoise._ Hambourg,
    1710, in-8.

Je n’ai pas vu cet ouvrage, cité par Goujet comme ayant trait à la
réforme.


    DE GRIMAREST. _Éclaircissemens sur les principes de la langue
    françoise._ Paris, 1712, in-12.

«Je tiens, nous dit-il, à l’égard de l’orthographe, entre les anciens
et les modernes.» Aussi les modifications qu’il propose sont-elle
modérées. Il répond ainsi à ceux qui voudraient conserver les _s_
étymologiques: «Tous les mots où l’on peut supprimer l’_s_ viennent-ils
du latin? Et d’ailleurs, ou l’on sait le latin ou on ne le sait pas.
S’ils le savent, sera-ce cette lettre supprimée qui les empêchera de
reconnoître que _répondre_ vient de _respondere_, _hôte_ de _hospes_?
Si le lecteur ignore la langue latine, que lui importe?....» Il se
plaint avec toute raison de ceux qui, de son temps, mettaient des _y_
partout.

Le désordre et l’incertitude de l’orthographe offraient jusqu’au
commencement du dix-huitième siècle de graves inconvénients pour
la détermination si importante des noms propres. Ainsi, malgré
de patientes investigations, nous ignorons encore la véritable
prononciation du nom de famille d’un des plus célèbres imprimeurs de
Lyon, écrit tantôt _Rouille, Rouillé, Roville_. Grimarest cite un
écrivain, Touville, inscrivant son nom sur trois écriteaux aux faces de
sa maison, tous trois orthographiés différemment: _Touuille, Toville,
Tovville_.


    Le P. GILLES VAUDELIN, augustin réformé. _Nouvelle Maniere d’ecrire
    comme on parle en France._ Paris, Jean Cot et Jean-Baptiste
    Lamesle, 1713, in-12.--_Instruction chrétienne mise en ortografe
    naturelle, pour faciliter au peuple la lecture de la science du
    salut._ Paris, 1715, in-12.

Le bon père augustin, frappé de l’utilité de rendre la langue française
accessible aux classes qui n’ont pas de loisirs, a cru résoudre le
problème en créant un alphabet phonétique, composé de 13 voyelles et
de 16 consonnes. Un trait, nommé aujourd’hui _diacritique_, distingue
les valeurs différentes d’une même lettre. Il a ainsi un système de
représentation nouveau et plus logique pour les sons _a, an, ai, é, in,
i, e, o, on, eu, un, ou, u_. Les consonnes _c, g, h, j, n, l, r, z, s,
d, t, v, f, p, b, m_, n’ont subi aucune modification quant à la forme,
sauf que _h_ a changé de valeur et représente _ch_. S’il n’est pas
arrivé à la classification _organique_ des consonnes, qui est une des
conquêtes de la philologie moderne, on voit qu’il y tend. Son écriture
occupe notablement moins d’espace que la nôtre, et elle figure mieux
les sons.

Mais son système a le même défaut que ceux de ses devanciers,
c’est-à-dire d’être impraticable, particulièrement à ceux mêmes
auxquels il le destine, les femmes, les enfants, les pauvres. Cette
addition de traits diacritiques est trop compliquée pour eux et retarde
l’essor de l’écriture des personnes instruites, écriture qui doit
toujours pouvoir être cursive pour satisfaire aux besoins qui lui ont
donné naissance.


    * NICOLAS DUPONT, avocat au parlement, bailli du duché de
    Châtillon-sur-Loing. _Examen critique du traité d’Ortographe de
    M. l’abbé Regnier Desmarais, Secrétaire perpétuel de l’Académie
    françoise, avec les principes fondamentaux de l’art d’ecrire._
    Paris, 1713, in-12.

  «Il y a dans ce livre, dit l’abbé Goujet (t. I, p. 113), des
  remarques et des réflexions dont on peut profiter, et que M. l’abbé
  Regnier n’auroit peut-être pas dû négliger. On ne pourroit pas
  cependant conseiller d’adopter son systême: il ne differe en rien
  pour le fond de celui du pere Vaudelin. Je crois aussi qu’il eût été
  bien embarrassé de prouver ce qu’il avance, que les Grecs et les
  Latins avoient une ortographe réguliere, telle qu’il se l’imagine.
  Étoit-il à portée d’en juger, puisqu’actuellement nous ne savons
  nullement quelle étoit la véritable prononciation du grec et du latin
  dans le bel usage de ces deux langues?»


    L’abbé G. (Girard, de l’Académie française en 1744). _L’Ortografe
    française sàns équivoques et dàns sés principes naturels: ou l’art
    d’écrire notre langue selon lés loix de la raison et de l’usage,
    d’une manière aisée pour lés dames, comode pour lés étrangérs,
    instructive pour lés provinciaux et nécessaire pour exprimer et
    distinguer toutes lés diférances de la prononciacion._ Paris,
    Pierre Giffart, 1716, in-12.

L’abbé Girard, comme nous l’avons vu plus haut, p. 139, est un
réformateur modéré et un esprit raisonnable. Malheureusement il n’a
pas vu que son système d’accentuation ajoute aux difficultés et aux
lenteurs de l’écriture au lieu de les écarter.

  «On pourrait bien se tromper, dit-il (p. 23), en croyant que ç’a
  toujours été par dés raisons d’étimologie qu’on a introduit dàns
  le français tant de lettres inutiles et équivoques. Non, il ne
  faut pas croire que nos pères aient été d’assez mauvais gout que
  de mettre à plaisir toutes cés lettres oiseuses et embarassantes
  dàns leur ortografe; ni qu’ils aient poussé la bizarrerie jusqu’à
  vouloir écrire leur propre langue tout diférammànt qu’ils ne la
  parloient, précisémànt pour conserver la mémoire dés emprunts qu’ils
  faisoient dans une autre langue pour enrichir la leur; ni qu’ils
  aient pansé comme quelques grammairiens, qui sont ravis de trouver
  et de conserver dàns le français toutes lés lettres qui sont dàns le
  latin, sàns se mettre en peine de l’incomodité qu’elles y causent,
  ni de la mauvaise grace dont elles y figurent. Nos pères n’ont
  assurémànt point pansé à tous cés petits raisonemans: ils se sont
  servis dés lettres pour le besoin, et si leur ortografe aproche plus
  du latin, c’est que leur manière de parler n’en étoit pàs si éloignée
  qu’en est la nôtre. Ainsi, je suis persuadé que ce n’a point été
  l’étimologie, mais la prononciacion de cés tams là qui a introduit
  toutes cés lettres, qui sont devenues inutiles, lorsqu’on s’est avisé
  de faire dés changemans dans la prononciacion, car une grande partie
  de nos mots se prononçoient autrefois comme ils s’écrivent aujourdui.
  Desorte que ce seroit toujours écrire comme on écrivoit que d’écrire
  comme on prononce.»

Après avoir ainsi donné un exemple de l’écriture du P. Girard, il me
reste à en expliquer les détails. L’auteur reconnaît trois sortes
d’_a_: l’_a_ bref ou ordinaire, comme dans _parure, amour, canon_;
l’_a_ long, marqué de l’accent circonflexe, comme dans _pâté, pâques,
mâtin_, et l’_a_ adverbe, marqué par un accent grave, comme dans ces
mots _à Rome, là, au delà, promptemànt_. Il est regrettable que le
docte jésuite n’ait pas admis la distinction des voyelles nasales de
l’abbé Dangeau, qui lui eût fourni une simplification orthographique
plus rationnelle que l’accent grave placé sur cet _àn_. Il écrit
_complimant, contant, agrémant, parant, acçant, tams, example, tample_,
réservant la forme _ent_ pour la troisième personne du pluriel des
verbes: _ils chantent_.

Il écrit _Anglais, Hollandais, Français_, au lieu de _Anglois,
Hollandois, François_; _connaitre, paraitre_, au lieu de _connoître,
paroître_. S’il conserve _oi_ aux imparfaits, c’est par pur amour de
la paix et parce que «ce seroit plûtot témérité que courage de vouloir
l’en déloger.»

Il n’admet la simplification du double _c_ que dans quelques mots,
comme _acorder, acoucher_, mais il restitue à cette lettre sa
place phonétique dans les mots où _t_ se prononce _c_. Il écrit
donc: _caucion, créacion, prononciacion, Gracien, quocien, inicier,
primacie_. Mais, par esprit d’accommodement, il conserve le _t_ dans
ces mots: _action, distinction, perfection, examption, exception_, où
il est précédé d’une _c_ ou d’un _p_. Il bannit un _c_ dans les mots
_sçavoir, sçavant, sciance, scène, contract, sainct_.

Pour remédier à l’incertitude de prononciation du _ch_, il le conserve
seulement dans les mots _charité, cheminée, chose_, etc., et le
remplace par le _k_ dans ceux où il est dur au lieu d’être aspiré. Il
écrit donc _kiromancie_ et _arkiépiscopal_.

Il serait trop long d’analyser ici le chapitre que l’auteur consacre à
la lettre _e_ et les articles de plusieurs autres lettres. Je noterai
cependant son opinion sur la lettre _f_ et le _ph_. Il conserve le _ph_
dans les noms propres transcrits du grec: _Phaéton, Philippe, Phocas,
Céphale_; il l’admet également au mot _philosophe_, où il croit qu’il
sied à merveille, «par le respect que nous devons avoir pour les sages
de la Grèce,» ainsi que dans les mots où il est précédé d’un _m_, comme
_triompher, nimphe, simphonie_. Partout ailleurs l’_f_ lui suffit:
exempl.: _fantaisie, fanatique, ortografe, profane_.

Il regrette qu’on n’ait pas inventé encore une cédille pour distinguer
le _g_ doux dans _agir, généreux, obligeant, geolier, gageure_,
du _g_ dur, dans les mots _languir, guéridon, Goliath, guide_.

Quant à l’_h_, il ne lui reconnaît pas d’utilité dans les mots
_crétien, cronique, rétorique, rûme, auteur, téatre, téologie,
aujourdui_. Il la maintient au commencement des syllabes où elle est
d’usage, comme dans _homme, honête, hureux_ (sic)[178], _dehors,
souhait, haine_, «avec cependant une petite marque de distinction dans
lés occasions où elle est fortemànt aspirée. Cette marque sera un point
placé dans le çantre de cette lettre.»

      [178] Telle était la prononciation de la triphthongue _eur_ dans
      quelques parties de la France, et particulièrement en Normandie.
      Voltaire se l’est permise dans ces vers:

          Il voit les murs d’Anet bâtis aux bords de l’Eure,
          Lui-même en ordonna la superbe structure.

Lorsque la voyelle _i_ est suivie d’un _l_ mouillé, il l’écrit avec un
tréma, ex.: _coquïlle, fïlle, sïllon, pérïl, babïl, gentïl_,
ce qui nous indique, par parenthèse, que ces trois derniers mots,
surtout le dernier, se prononçaient en 1716 autrement qu’aujourd’hui.

Il supprime l’_œ_ dans ces mots _sœur, bœuf, vœux_, qu’il écrit
par un _e_ simple: _seur, beuf, veux_.

Il enlève le _p_ dans _temps, baptême, ptisane, corps, niepce_,
qu’il orthographie _tams, batême, tisane, corps, nièce_; mais
il le garde dans le nombre _sept_.

Il conserve à la lettre _q_ son _u_, qu’il appelle _servile_, mais il
distingue par un point supérieur[‡] cet _u_ lorsqu’il se fait entendre,
comme _ou_ devant _a_: _aqūatique, éqūateur, qūadrature_ et comme
_u_ devant _e_ et _i_, dans _qūesteur, Qūintilien, Qūinquagésime_.

      [‡] Point supérieur représenté ici comme dans l'original: ū.

Quand le _r_ ne se prononce pas à la fin des mots, il marque d’un
accent aigu l’_e_ qui le précède: _singuliér, milliér, particuliér_.

La suppression de l’_s_ dans les mots _connoistre, maistre, naistre,
gouster_, lui fournit l’occasion d’une observation assez ingénieuse. Le
digramme ou signe binaire _ai_ (qu’il appelle _diftongue_), étant long
de sa nature, il est inutile d’employer l’accent circonflexe, et l’on
doit écrire simplement _conaitre, maitre, naitre, gouter_.

Il réclame une cédille sous le _x_ dans les mots _éxamen, éxil,
éxample_, où cette lettre se prononce comme _gz_.

Il exclut l’emploi de l’_y_ dans les mots _mistique, sistème,
hipotèque, sintaxe, sinode, piramide, hipocrite_, et même dans
ceux-ci: _Baïeux, Maïence_.

Le petit traité de l’abbé Girard fournit matière à une foule d’autres
remarques intéressantes.


  _Plan d’une ortographe suivie, pour les imprimeurs._ (Dans les
  _Mémoires de Trévoux_, août 1719.)

  «L’ortographe françoise étant fort incertaine, à cause de l’usage
  différent des auteurs, qui en ce point se contrarient les uns les
  autres et souvent se contrarient eux-mêmes, il est bon, pour tirer
  les imprimeurs d’embarras, de leur fournir, comme ils l’ont souvent
  demandé, des régles auxquelles ils puissent s’attacher, pour garder
  dans l’ortographe la commodité et l’uniformité convenable et dont
  ils puissent rendre raison, quand ils ne seront pas obligez par les
  auteurs d’en user autrement. Ces reflexions ne seront point d’un
  moindre usage pour les etrangers qui sont encore plus embarrassez sur
  ce point que nos imprimeurs.»

Ces réformes, très-sages, ont presque toutes été acceptées. Elles
consistent:

  1º Dans la suppression de l’_s_ dans des mots de ce genre: _j’ai
  esté, qu’il fust, les forests_, que l’auteur écrit _été, fût,
  forêts_.

  2º Dans l’emploi de l’accent circonflexe pour remplacer l’_s_
  supprimée dans ces mots: _tâcher, fête, aprête_.

  3º «Par la raison de l’usage le plus étendu et le plus commode, on
  supprimera encore toutes les consones doubles qui ne se prononcent
  point; ainsi on n’imprimera point _infidellité, appeller,
  pardonnera_, mais _infidelité, apeler, pardonera_, parce qu’on ne
  prononce qu’une _l_ dans les deux premiers et qu’une _n_ dans le
  dernier. Il faut cependant excepter les mots fort courts, et qui
  n’ont qu’une sillabe, par exemple, _elle, donne, comme_ (l’_e_ muet
  n’est pas ici consideré). Il faut excepter ces monosillabes, parce
  que l’usage n’a point encore accoutumé les yeux à voir écrire _ele,
  done, come_: or, il ne faut jamais choquer manifestement l’usage.»

  4º Il faut supprimer l’_y_ partout, excepté en deux ou trois mots
  où l’usage l’exige; comme quand _y_ fait seul un mot: je vous _y_
  trouve, etc.

  5º Il faut distinguer dans les syllabes finales les _e_ aigus, dans
  _assés_ (sic), _placés_, des _è_ qui se prononcent ouverts: _accès,
  progrès_, etc.

  6º Il faut supprimer l’_e_ dans _rendeu, conceu, aperceu_, qu’il faut
  écrire _rendu, conçu, aperçu_.

  7º Il ne faut employer le tréma que dans le cas où il y a
  véritablement diérèse.

  8º Il faut marquer d’un accent aigu tous les _e_ qui ne sont pas
  muets, comme _bonté, dégénéré, néteté_ (sic).


On voit que, dès l’année qui suivait la publication de la seconde
édition du Dictionnaire de l’Académie, on introduisait dans les
imprimeries l’usage qui a prévalu en grande partie vingt-un ans plus
tard dans la troisième.


    * _Méthode du sieur_ PIERRE PY-POULAIN DE LAUNAY, _ou l’Art
    d’apprendre à lire le François et le Latin, et l’Ortographe, par
    un nouveau systême si aisé qu’on y fait plus de progrès en trois
    mois qu’en trois ans par la maniere ordinaire_. Paris, 1719,
    in-12.--PIERRE PY-POULAIN DE LAUNAY, fils du précédent. _Le même
    ouvrage corrigé, perfectionné, et augmenté considerablement:
    avec des réflexions sur le systême du bureau Typographique, et un
    nouveau systême d’ortographe._ Paris, 1741, in-12.

Je n’ai pu encore voir ce petit ouvrage. Goujet en parle ainsi:

  «Ceux qui en ont profité sont loüables. Il est certain qu’en
  réformant quelques idées de cet auteur et en en perfectionnant
  quelques autres, son ouvrage ne pourroit être que très-utile aux
  commençans, pour la prononciation surtout et pour l’ortographe. Quand
  il présenta sa méthode en 1713 à M. l’abbé Bignon, ce savant, après
  l’avoir examinée, y trouva de fort grands avantages et applaudit
  au zéle et aux vûës de l’auteur..... L’abbé d’Orsanne, chanoine de
  l’église de Paris et directeur des petites écoles de cette ville, lui
  donna aussi son suffrage, et l’expérience a montré depuis que l’on
  pouvoit s’en servir avec beaucoup d’utilité.

  «Je ne sçai, au reste, sur quoi le sieur Py-Poulain s’est fondé,
  lorsqu’il a dit que le célèbre Jean du Vergier de Hauranne, abbé
  de Saint-Cyran, avoit eu sur ce sujet les mêmes idées que lui, et
  lorsqu’il fait entendre que ce ne sont proprement que les idées
  de cet abbé qu’il développe. Je ne connois aucun ouvrage de M. de
  Saint-Cyran sur la grammaire. Je sçai seulement qu’il avoit toujours
  eu d’excellentes vûës pour l’éducation de la jeunesse et qu’il les
  communiqua à ceux qui se chargerent de son tems de la conduite des
  écoles qui ont été connuës sous le nom d’écoles de Port-Royal.»


    L. PIERRE DE LONGUE. _Principes de l’ortographe françoise, ou
    réflexions utiles à toutes les personnes qui aiment à écrire
    correctement._ Paris, 1725, in-12.

Dans ce traité, très-estimable, où sont discutés les principes de
l’orthographe française, l’auteur donne l’exemple des améliorations
qu’on y peut apporter. La manière dont son texte est écrit peut en
faire juger dès le début.

  «Les homes ne peuvent se contenter dans leurs recherches. Ils
  voudroient trouver la perfection dans tous les arts, la vérité dans
  toutes les siences, le souverain bien partout, dans les vertus, les
  vices même; cette agitation continuelle de l’ame ne prouve-t-elle pas
  l’immortalité?

  «L’ortographe est donc l’art d’écrire correctement et conformément
  aux lois que l’usage établit. Suivant cette définition générale,
  cette sience s’étendroit plus loin qu’on ne le croit. Elle
  comprendroit la LOGIQUE, la RÉTORIQUE, toutes les connoissances qui
  contribuënt à nous faire bien parler, et conséquemment à nous faire
  bien écrire.»

Il écrit _silabe, persone, tiran, rebeles, raisonement, stile,
pouroient, Egiptien, hieroglifes, atentifs, amphase, voyèle, ocasion,
atention_[179], _soufert, dificulté, batu, consone, bibliotèque,
acoutumer, suputer, chifre, honète_, etc.

      [179] Bossuet, plus logique, écrivait _atantion, atantat,
      atantif, atantivement_.


    Ch. IRÉNÉE CASTEL, abbé de SAINT-PIERRE, membre de l’Académie
    française. _Discours pour perfectioner l’Ortografe._ (Dans les
    _Mémoires de Trévoux_, février 1724, et dans le _Journal des
    Savans_, avril 1725.)--_Projet pour perfectionner l’ortografe des
    langues d’Europe._ Paris, Briasson, 1730, in-8 de 266 pp. et 1 f.

Dans son ardent amour de l’humanité, dans son zèle pour le
rapprochement intellectuel des peuples de notre continent, le bon abbé
de Saint-Pierre conçut, près d’un siècle avant Volney, le plan d’une
écriture et d’une orthographe applicables à divers peuples de l’Europe.
Il ne lui fut pas donné comme à son successeur de trouver le moyen
d’approprier l’alphabet latin aux langues de l’Asie dites sémitiques.
L’étude comparée des idiomes était à peine ébauchée au commencement du
siècle passé. L’ouvrage d’Irénée Castel, faible dans la conception des
moyens de représentation phonétique, n’en renferme pas moins des vues
ingénieuses et des aperçus qui révèlent la sagacité de l’observateur.
Il m’est impossible de figurer ici son orthographe, parce que, pour
déshabituer l’œil de son lecteur des formes traditionnelles, il écrit
alternativement les mots par les différentes lettres qui peuvent en
figurer le son. Ce procédé, qu’il considère comme un acheminement à la
réforme, est chez lui un système.

  «Quel est le but de l’art de l’ortografe, se demande-t-il, de cet
  art si beau et si précieux, avec lequel nous pouvons faire entendre
  nos sons articulés, c’est-à-dire nos paroles, et par conséquent nos
  pensées à ceux qui vivent ou qui vivront et à qui nous ne pouvons
  parler? Quelle est la fin de cet art avec le secours duquel nos yeux
  nous servent d’oreilles et notre main nous sert de langue, de voix,
  d’articulation, en un mot de prononciation? Quel est le but de cet
  art qu’un de nos poëtes nous peint si élégamment en deux vers:

        C’est de Tyr[180] que nous vient cet art ingénieux
        De peindre la parole et de parler aux yeux.

  «_Le but de cet art, c’est certainement d’exprimer exactement et sans
  laisser aucun doute, par un petit nombre de figures simples, faciles
  à former et à distinguer, tous les mots dont les hommes se servent en
  parlant._»

      [180] La science moderne a démontré, contrairement au témoignage
      de la plupart des historiens de l’antiquité, et à l’aide de
      monuments irrécusables, que l’alphabet n’avait pas été inventé
      par les Phéniciens, et que ceux-ci l’avaient reçu de Babylone
      ou de Ninive. (_Voir_ Noël des Vergers, _l’Étrurie et les
      Étrusques_, t. III, Appendice sur l’histoire de l’écriture.)

Partant de cette juste définition, l’auteur remarque avec beaucoup de
raison qu’il y a un grand inconvénient à conserver dans les langues
des lettres qui ne se prononcent pas: si l’enfant, par exemple, s’est
accoutumé à prononcer _abbé_ comme s’il n’y avait qu’un seul _b_,
arrivé à l’étude du latin, il prononcera, en vertu de la logique
naturelle de l’esprit, _abas_, au lieu de _abbas_, en italien _abate_
au lieu de _abbate_; en même temps, en français, s’il s’est habitué à
lire _effet_ comme s’il y avait _éfet_, il lira _effrayé_, comme s’il y
avait _éfrayé_.

Cette observation est très-judicieuse, et j’ai signalé plus haut, ainsi
que l’a si bien fait M. Littré (voir p. 164), l’action de l’écriture
sur la prononciation, qu’elle altère à la longue.

Dans son _Discours pour perfectioner l’ortografe_ l’auteur envisage
historiquement les vicissitudes de l’écriture française: «Si dans
l’origine, dit-il, on a prononcé le mot _sentir_ comme on prononce en
latin _sentire_, on a dû écrire ce mot comme on le prononçoit, par _e_,
mais nous devons aujourd’hui l’écrire comme nous le prononçons.»

Il croit que la langue était beaucoup moins riche trois ou quatre cents
ans auparavant, mais que l’orthographe de cette époque était beaucoup
meilleure que la nôtre, c’est-à-dire qu’elle ressemblait beaucoup plus
à la manière de prononcer alors en usage.

  Il recherche les causes des dissidences orthographiques: «Si dans
  notre ortographe les François avoient suivi peu à peu et exactement
  les changemens qui arrivoient peu à peu dans la prononciation de
  quelques mots, notre ortografe d’aujourd’hui seroit bien moins
  imparfaite; mais, sans y faire de réflexion, nous avons continué à
  écrire les mêmes mots de la même manière que nos aïeux, sans songer
  qu’ils les prononçoient d’une manière très différente de celle dont
  nous les prononçons.»

Il a connu, dit-il, des vieillards qui prononçaient je _courois_ comme
une _couroye_. La prononciation a changé, ne serait-il pas raisonnable
de changer également l’écriture? Mais on ne peut le faire que par
degrés. L’auteur développe cette dernière proposition avec beaucoup de
force et de raison.

Il y a cinquante ou soixante ans, ajoute-t-il, on a commencé à
changer quelque chose dans l’écriture de peur qu’elle ne ressemblât
presque plus à la fin à celle d’aujourd’hui. Plusieurs ont même ôté
depuis quelques lettres que l’on avait gardées uniquement pour faire
connaître les origines: ils ont écrit _sience, aprendre, filosofe,
saint_ et non _sainct_; ils ont ainsi en diverses occasions retranché
certaines lettres qui ne se prononçaient plus ou ne s’étaient jamais
prononcées.

  «Dès que l’on veut bien écouter la raison contre la mauvaise coûtume,
  on sent que ces premiers novateurs sur l’ortografe ont déjà rendu
  un grand service à notre langue _d’écriture_ en tâchant de la faire
  insensiblement ressembler davantage à notre _langue de prononciation_.

  «Rien ne se perfectione sans nouveauté, et il est de la nature des
  ouvrages humains de pouvoir toûjours se perfectionner.»

Il résume ainsi les cinq sources de la corruption présente et de la
corruption future de l’orthographe et les cinq inconvénients auxquels
il se propose de remédier:

  «1º Négligence à suivre dans l’orthografe les changemens qui arrivent
  dans la prononciation;

  «2º Négligence à inventer autant de figures qu’il y a de sons et
  d’articulations connues;

  «3º Négligence à donner quelques marques aux lettres quand on les
  employait à quelque autre fonction qu’à leur fonction ordinaire;

  «4º Négligence à marquer dans chaque mot les lettres qui ne s’y
  prononcent plus;

  «5º Négligence à marquer les voyelles longues.»

Malheureusement, l’abbé de Saint-Pierre, n’ayant pas réfléchi aux
nécessités de l’écriture courante et de la typographie, a eu recours
pour fixer la valeur des lettres, et comme moyen transitoire, à un
système de petits traits placés au-dessus ou au-dessous de la ligne et
dont la complication devait rendre sa réforme impraticable.


    MAURICE JACQUIER. _Méthode très-facile pour apprendre l’ortographe
    à ceux ou celles qui n’ont pas étudié le latin, et utile aux
    personnes qui ont la connoissance des belles lettres._ Paris,
    1725, in-8. La quatrième et la cinquième édition de cet ouvrage
    parurent sous ce titre: _La méthode pour étudier et pour enseigner
    l’ortographe et la langue françoise, mise à la portée de toutes
    sortes de personnes de l’un et de l’autre sexe._ Paris, 1740, pet.
    in-8; La Haye et Francfort, Jean van Duren, 1742, pet. in-8 de 400
    pp. (Elles diffèrent des précédentes par la méthode d’enseignement
    et ont été augmentées d’une table en forme de dictionnaire.) Une
    autre cinquième édition sensiblement modifiée parut sous ce titre:
    _Méthode pour aprendre l’ortographe et la langue françoise par
    principes._ Cinquième édition, la seule dont on puisse se servir
    utilement. Paris, 1751, in-8 de 2 ff. et 332 pp.

La méthode de l’auteur, établie sur le son, sur les principes et sur
l’usage, échappe à toute analyse. Il se prononce fortement contre le
maintien des lettres étymologiques dans les mots dérivés du grec. Ce
n’est du reste qu’un livre d’enseignement de l’orthographe d’usage.


    CHENEAU, sieur DU MARSAIS. _Des Tropes ou des diférens sens dans
    lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue._
    Troisième édition. Paris, Prault, 1775, in-12 de XXII-362 pp. et 4
    ff. (La première édition est de 1730.)

Le célèbre auteur des _Tropes_ s’exprime ainsi:

  «La prononciation, c’est un _usage_; l’écriture, c’est un _art_.
  Tout art a sa fin et ses principes, et nous sommes en droit de
  représenter, à propos de l’écriture, qu’on ne suit pas les principes
  de l’art, qu’on n’en remplit pas la fin, et qu’on ne prend pas les
  moyens propres pour arriver à cette fin.

  «Il est évident que notre alphabet est défectueux, en ce qu’il
  n’a pas autant de caractères que nous avons de sons dans notre
  prononciation. Ainsi, ce que nos pères firent autrefois, quand ils
  voulurent établir l’art d’écrire, nous sommes en droit de le faire
  aujourd’hui pour perfectionner ce même art, et nous pouvons inventer
  un alphabet qui rectifie tout ce que l’ancien a de défectueux.

  «L’écriture n’a été inventée que pour indiquer la prononciation;
  elle ne doit que peindre la parole, qui est son original; elle ne
  doit pas en doubler les traits, ni lui en donner qu’elle n’a pas,
  ni s’obstiner à la peindre à présent telle qu’elle était il y a
  plusieurs siècles.»

D’Alembert énonce ainsi son opinion sur l’ouvrage de Du Marsais: «Tout
mérite d’être lu dans le _Traité des tropes_, jusqu’à l’_errata_; il
contient des réflexions sur notre orthographe, sur ses bizarreries,
ses inconséquences et ses variations. On voit dans ces réflexions un
écrivain judicieux, également éloigné de respecter superstitieusement
l’usage et de le heurter en tout par une réforme impraticable.» (_Éloge
de Du Marsais_, dans le t. VII de l’_Encyclopédie_.)

Voici cet errata dont parle d’Alembert[181]:

      [181] Je crois que l’errata dont il est question ne se trouve
      que dans cette édition que je possède. On a eu grand tort de la
      supprimer dans les éditions postérieures.

  «Je ne crois pas qu’il y ait de fautes typographiques dans cet
  ouvrage par l’atention des imprimeurs, ou, s’il y en a, elles ne
  sont pas bien considérables. Cependant, come il n’y a point encore
  en France de manière uniforme d’orthographier, je ne doute pas que
  chacun, selon ses préjugés, ne trouve ici un grand nombre de fautes.

  «Mais, 1º mon cher lecteur, avez-vous jamais médité sur
  l’orthographe? Si vous n’avez point fait de réflexions sérieuses sur
  cette partie de la Grammaire, si vous n’avez qu’une orthographe de
  hazard et d’habitude, permettez-moi de vous prier de ne point vous
  arêter à la manière dont ce livre est orthographié, vous vous y
  acoutumerez insensiblement.

  «2º Êtes-vous partisan de ce qu’on apèle anciène orthographe? Prenez
  donc la peine de mettre des lettres doubles qui ne se prononcent
  point, dans tous les mots que vous trouverez écrits sans ces doubles
  lettres. Ainsi, quoique selon vos principes il faille avoir égard à
  l’étymologie en écrivant, et que tous nos anciens auteurs, tels que
  Villehardouin, plus proches des sources que nous, écrivissent home de
  _homo_, persone de _persona_, honeur de _honor_, doner de _donare_,
  naturèle de _naturalis_, etc., cependant ajoutez un _m_ à _home_ et
  doublez les autres consones, malgré l’étymologie et la prononciation,
  et donez le nom de novateurs à ceux qui suivent l’anciène pratique.

  «Ils vous diront peut-être que les lettres sont des signes, que tout
  signe doit signifier quelque chose, qu’ainsi une lettre double qui ne
  marque ni l’étymologie ni la prononciation d’un mot est un signe qui
  ne signifie rien, n’importe: ajoutez-les toujours, satisfaites vos
  yeux, je ne veux rien qui vous blesse, et pourvu que vous vous doniez
  la peine d’entrer dans le sens de mes paroles, vous pouvez faire tout
  ce qu’il vous plaira des signes qui servent à l’exprimer.

  «Vous me direz peut-être que je me suis écarté de l’usage présent:
  mais je vous suplie d’observer:

  «1. Que je n’ai aucune manière d’écrire qui me soit particulière
  et qui ne soit autorisée par l’exemple de plusieurs auteurs de
  réputation.

  «2. Le P. Bufier prétend même que le grand nombre des auteurs suit
  aujourd’hui la nouvèle orthographe, c’est-à-dire qu’on ne suit plus
  exactement l’anciène. _J’ai trouvé la nouvèle orthographe_, dit-il
  (Grammaire françoise, p. 388), _dans plus des deux tiers des livres
  qui s’impriment depuis dix ans_. Le P. Bufier nome les auteurs de ces
  livres. Le P. Sanadon ajoute que depuis la suputation du P. Bufier
  le nombre des partisans de la nouvèle orthographe _s’est beaucoup
  augmenté et s’augmente encore tous les jours_ [_Poësies d’Horace_,
  préface, p. XVII[182]]. Ainsi, mon cher lecteur, je conviens que je
  m’éloigne de votre usage; mais, selon le P. Bufier et le P. Sanadon,
  je me conforme à l’usage le plus suivi.

  «3. Êtes-vous partisan de la nouvèle orthographe? vous trouverez ici
  à réformer.

  «Le parti de l’anciène orthographe et celui de la nouvèle se
  subdivisent en bien des branches: de quelque côté que vous soyez,
  retranchez ou ajoutez toutes les lettres qu’il vous plaira, et ne me
  condânez qu’après que vous aurez vu mes raisons dans mon _Traité de
  l’ortographe_ (sic).»

      [182] Le P. Sanadon a suivi une orthographe simplifiée dans
      l’édition qu’il a donnée de sa traduction d’Horace, et j’ai le
      droit de le faire figurer parmi les réformateurs.


    _La Bibliotèque des enfans, ou les premiers elemens des letres,
    contenant le sistême du Bureau tipografique, etc., à l’usage de Mgr
    le Dauphin et des augustes enfans de France._ Paris, Pierre Simon,
    1733, 4 vol. in-4.

Dans cet important ouvrage, la pratique est unie à la théorie,
puisqu’il est entièrement imprimé dans le système d’écriture
très-simplifié mis au jour par le Bureau typographique. L’alphabet n’y
est en rien altéré. On voit que le succès obtenu dans l’enseignement de
la jeunesse fut remarquable, car il est consigné dans les actes déposés
au greffe de la juridiction de M. le chantre de l’Église de Paris, où
on lit:

  «Nous, après avoir entendu l’auteur et vu les enfants travailler
  audit bureau, aïant examiné le tout avec exactitude, avons jugé
  ledit système très ingénieus, fort propre à avancer la jeunesse
  sans la dégouter et très capable d’oter les epines qui se trouvent,
  surtout en aprenant aux enfans les premiers elemens. C’est pourquoi
  nous estimons et croyons que monsieur le chantre peut permettre la
  pratique de ce sistème et l’exercice du Bureau tipographique dans les
  écoles de sa juridiction et exhorter les maistres à le pratiquer,
  etc.»

On peut juger de ce système d’orthographe dès le début du livre, que je
crois rédigé par Dumas, fondateur du Bureau typographique:

  «Bien des gens s’imaginent que de comancer deus ou trois ans plus
  tot ou plus tard, cela ne sauroit guere influer ni en bien ni en mal
  dans le reste de la vie, et qu’enfin l’education tardive peut mener
  également à la perfection. C’est là un préjugé que l’ignorance ét la
  coutume paroissent n’avoir déjà que trop autorizé; car le dégout de
  la plupart des écoliers ne vient peut être pas moins d’une education
  tardive que d’un défaut de disposition aus lètres. Je pense donc
  qu’il seroit utile que l’enfant pût lire presque aussitot qu’il sait
  parlér: cela lui doneroit plus de facilité dans tous ses exercices.
  La diference d’un enfant qui lit à trois ans ét de celui qui à peine
  lit à sèt doit être contée pour beaucoup dans la suite des études.
  Il y a tant de choses à aprendre qu’on ne sauroit comancer trop
  tôt.» L’auteur cite à ce propos l’exemple du Tasse: il apprenait la
  grammaire à trois ans, et avec un tel succès que son père l’envoya au
  collége des jésuites à quatre ans.

L’auteur donne des exemples de la multiplicité des manières dont
l’enfant est contraint de figurer un même son:

  _Son_ AN.

  _an_,    (_annus_)   | _ean_,   Jean
  _anc_,   franc       | _em_,    empire
  _and_,   quand       | _emp_,   exempte
  _ang_,   rang        | _emps_,  temps
  _ham_,   Ham         | _empt_,  exempt
  _han_,   hanter      | _en_,    ennui
  _ans_,   dans        | _end_,   il rend
  _ant_,   tant        | _ens_,   sens
  _ants_,  enfants     | _ent_,   dent
  _aen_,   Caen        | _han_,   Rohan
  _aon_,   Laon        | _hen_,   Henri

  _Son_ IN.

  _en_,    rien        | _in_,     vin
  _ens_,   biens       | _inct_,   instinct
  _ent_,   il vient    | _ingt_,   vingt
  _ein_,   sein        | _ingts_,  quatre-vingts
  _eing_,  seing       | _inq_,    cinq
  _eint_,  feint       | _ins_,    tu vins
  _aim_,   faim        | _int_,    il prévint
  _ain_,   vain        | _ym_,     lymphe
  _ainc_,  il vainc    | _yn_,     lynx
  _aint_,  saint       | _eim_,    Reims
  _ains_,  bains       | _ain_,    craindre
  _im_,    guimpe      |

Ce précieux ouvrage contient le germe de nombreuses améliorations des
méthodes d’enseignement de la langue.


    _Le Précepteur, c’est-à-dire huit traités, savoir une grammaire
    francèse, une ortografe francèse_, etc., 1750, in-4 (pp. 1-132).

L’auteur de ce livre destiné à l’instruction de la jeunesse se prononce
pour l’orthographe conforme à la prononciation, et il conseille de
s’avancer progressivement dans cette voie par des réformes partielles.

  «Autrefois, dit-il (p. 33), la prononciation des mots et l’ortografe
  étoient conformes; la prononciation a changé, elle est devenuë plus
  douce et plus polie: l’ortografe est presque demeurée dans le même
  état; il faut donc l’ajuster à la prononciation peu à peu autant
  qu’il sera possible.»

Et plus loin (p. 55):

  «On perfectionne tous les jours les sciences et les ars: pourquoi
  s’obstine-t-on à ne vouloir pas perfectionner l’ortografe francèse,
  qui est si nécessaire, si utile et si en usage? Tout le monde reçoit
  avidement toutes les modes nouvelles de s’abiller, de se meubler,
  de bâtir, d’agir, quoique mauvaises et embarassantes: pourquoi
  refuse-t-on de recevoir une nouvelle manière d’écrire plus raisonable
  et plus avantageuse que la vielle?»

Dans les _Règles particulières de l’ortografe francèse_, il s’attache
au système proposé par Richelet, qu’il appelle _le chef des
réformateurs de l’ortografe_, qui _consulte plutôt la prononciation que
l’étimologie_.

A ce propos, il dit:

  «Quant une coutume est mauvaise, pernicieuse, il faut la quitter,
  quoique cela soit difficile, parce que cette coutume est un abus;
  c’est là une maxime reçue de tous les omes.»

Il supprime les lettres doubles qu’on ne prononce pas; p. ex.:
_acabler, épé, aler, arèt_.

Les consonnes finales muettes; p. ex.: _blan, canar_.

Il omet l’_e_ devant l’_a_; p. ex.: _bau, Jan_, et _o_ devant _eu_;
p. ex.: _euf, euvre_.

Il retranche l’_r_ final de tous les noms terminés en _er_ et _ier_,
sauf les verbes et les mots dont l’_r_ final se lie au mot suivant
commençant par une voyelle; p. ex.: _charbonié, premier ome_.

Il supprime à tort le _s_ devant le _c_; p. ex.: _acendant_; il
abandonne aussi le _h_ étymologique et le trait d’union.


    DE WAILLY. _Principes généraux et particuliers de la langue
    française, avèc les moyéns de simplifier notre orthographe,
    des remarques sur les lètres, la prononciation, la prosodie,
    la ponctùation, l’orthographe et un abrégé de la versification
    française._ Paris, 1754, in-12; 7e édit., ibid., J. Barbou, 1773,
    in-12 de 600 pp. (Souvent réimprimé.)--_De l’Orthographe._ Paris,
    1771, in-12.--_L’Orthographe des dames, ou l’orthographe fondée sur
    la bonne prononciation, démontrée la seule raisonnable, par une
    société de dames_ (sans nom d’auteur). Paris, Mérigot le jeune,
    1782, in-12 de VIII et 360 pp.

Dans le petit traité anonyme de l’_Orthographe des dames_, de Wailly
embrasse de la manière la plus nette toutes les parties de la réforme.
Voici l’analyse de quelques-unes des critiques qu’il adresse à
l’écriture de son temps.

  «II. _Dans un grand nombre de mots_, dit-il, _on double les consonnes
  contre l’étymologie et la prononciation_.»

  Ex. _Candela_, chandelle; _scala_, échelle; _tutela_, tutelle;
  _particula_, parcelle; _crudelis_, cruelle; _mortalis_, mortelle;
  _donare_, donner, donneur, s’adonner; _nominare_, nommer, surnommer,
  dénommer; _butyrum_, beurre; _batuere_, battre.

  Au contraire, à cause de l’étymologie, on écrit: égale d’_æqualis_,
  capitale de _capitalis_, vile de _vilis_, subtile de _subtilis_,
  puérile de _puerilis_, crédule de _credulus_, érysipèle
  d’_erysipelas_, parallèle de _parallelus_.

  «III. _Dans les dérivés de ces mots, on se conforme à l’étymologie et
  à la prononciation._»

  «IV. _Le sentiment des grammairiens qui disent que si l’on redouble
  la consonne, c’est pour avertir que la voyelle précédente est brève,
  nous paroît faux, inutile, déraisonnable._»

  «1º Cette opinion est fausse, puisque nous avons beaucoup de syllabes
  longues, quoique la voyelle soit suivie d’une double consonne:
  ex., _flamme, manne, condamne, barre, terre, squirre_ (sic),
  _bataille, raille, baillon_ (sic), _basse_, que je _donnasse_, que je
  _promisse_, que je _lusse_, il _cesse_, etc.

  «2º Elle est inutile, puisque nous avons un très-grand nombre
  de syllabes brèves, quoique la voyelle ne soit pas suivie d’une
  consonne redoublée: _arabe, syllabe, robe, préface, audace,
  façade, carafe, rigole, ridicule, capitaine, phénomene, Rome,
  pape_, etc.

  «3º Elle est déraisonnable. La réduplication des consonnes auroit
  dû plutôt servir à allonger les syllabes. C’est ainsi que la
  réduplication des voyelles étoit autrefois un signe de longueur. On
  écrivoit _aage, beeler, roole_; on employoit aussi l’_s_ pour le
  même usage: _asne, feste, épistre, apostre, fluste_. On écrit avec
  l’accent long _âge, bêler, rôle, âne, fête, épître, apôtre, flûte_.
  Nous espérons, Messieurs (ajoutent les dames), qu’en faveur de la
  prononciation et de l’uniformité, vous supprimerez de même une des
  deux consonnes, puisque la règle qui prescrivoit la réduplication est
  fausse, inutile, déraisonnable.

  «Dans le latin, toute voyelle suivie d’une consonne redoublée est
  longue: ainsi la syllabe _fe_, qui est brève dans _fero, aufero_,
  devient longue dans _ferre, auferre_, etc.»

Wailly demande que l’on emploie exclusivement l’accent circonflexe
à marquer la longueur des syllabes. On écrirait donc la _tête_ et
il _tète_, la _pâte_ et la _pate_, _occasionel_, il _occasione_,
la _prune_, il _débute_, il _plaît_, il _paît_. Toute voyelle non
accentuée du circonflexe serait réputée brève. Il faut lire tout cet
excellent chapitre dans l’ouvrage même.

  «V. _Dans une grande quantité d’autres mots, l’étymologie_, OU
  VRAIE OU PRÉTENDUE, _fait employer les lettres en dépit de la
  prononciation_.»

  «VI. _La prononciation, à son tour, fait supprimer, malgré
  l’étymologie, plusieurs lettres d’une autre foule de mots._

  «Pour plaire à l’étymologie, on écrivoit autrefois: _saoul, saouler,
  saoulard, abbaisser, abboyer, abbréger; conflict, contract,
  sainct, défunct; adjouster, advocat, aggrandir, aggréger; eschole,
  méchanique, patriarchal, paschal, cognoistre, prognostiquer, aultre,
  aulne, faulcon, poulmon, soulphre, mammelle, convent, asnon,
  chastiment, espier, estre, chrestien, apostre_, etc. On écrivoit
  aussi _aage, beeler, roole, campaigne, gaigner, reigle, vuide,
  vuider_, etc. Aujourd’hui l’Académie et les meilleurs auteurs suivent
  pour ces mots et une infinité d’autres les lois de la prononciation;
  ils en ôtent les voyelles et les consonnes qui ne s’y prononcent
  plus... En un mot, il n’y a pas une lettre dans l’alphabet que l’on
  n’ait supprimée d’un très-grand nombre de mots, parce qu’on ne les y
  prononce plus.»

  «VII. _Dans les mêmes mots, l’étymologie fait conserver une lettre
  malgré la prononciation, et à son tour la prononciation en fait
  retrancher une ou plusieurs autres, malgré l’étymologie._»

L’auteur, après avoir établi sa proposition par de nombreuses preuves,
demande qu’on écrive d’une manière uniforme: _apeler_, j’_apèle_, tu
_apèles_, il _apèle_, nous _apelons_, vous _apelez_, ils _apèlent_;
je _jète_, etc.; nous _prenons_, vous _prenez_, ils _prènent_; nous
_tenons_, ils _tiènent_; _étincèlemant, chancèlemant, renouvèlemant,
démantèlemant, décèlemant, chancelier, chancèlerie, gabeleur,
gabèle_, etc.

  «Pourquoi, après avoir écrit avec une seule _r_ _courir, coureur,
  coureuse, chariage, charier, chariot_, etc., en met-on deux dans
  _courrier, courriere, charretée, charrette, charroi, charron_, etc.?

  «VIII. _Après avoir écrit un grand nombre de mots d’une maniere
  conforme à l’étymologie et à la prononciation, vous en écrivez une
  très-grande quantité d’autres analogues à ceux-ci d’une maniere
  contraire à l’étymologie, à la prononciation ou à l’analogie._»

L’auteur appuie cette assertion d’un grand nombre d’exemples et il
demande que, selon la raison et l’uniformité, on écrive: _èle est
cruèle_, la _dentèle_, la _voyèle, come, home_ ou _ome, courone,
couroner, persone, actioner_ ou _accioner, diccionêre, abandoner,
personel, sérure_, il _poura, alouète, amulète, barète, sote, sotise_,
etc.

  «IX. _Sans que la prononciation l’exige, vous écrivez d’une maniere
  différente des mots dérivés les uns des autres._»

Suivent les exemples: d’un côté, _abatage, abatis, abatant_; de
l’autre, _abattement, abatteur, abattre, abattures_, etc.

  «X. _Vous orthographiez d’autres mots de la même façon, quoique la
  prononciation exige qu’ils soient écrits différemment._»

Je citerai entre autres exemples: _août, aoûté, femme_ et
_femmelette, innocent_ et _innover, année_ et _annuité,
solennel, solennité_.

  «XIV. _Votre orthographe actuelle n’a presque point de regle qui
  n’ait ses exceptions, exceptions qui ont elles-mêmes les leurs._

  «Une regle de votre orthographe dit que pour former du masculin le
  féminin dans les adjectifs qui se terminent par une consonne, on
  ajoûte au féminin un _e_ muet.»

  EXCEPTION. Les adjectifs en _el, ol, ul, eil, an, ien, on, at,
  et, ot_, etc., doublent la consonne finale. Ex.: _cruel, cruelle,
  mortel, mortelle_ (malgré le latin _crudelis, mortalis_), _fol,
  folle_ (quoique l’Académie écrive _folie, folichon, folâtre_); _nul,
  nulle_; _paysan, paysanne_ (malgré le latin _paganus_); _parisien,
  parisienne_ (malgré _parisinus_); _bon, bonne_ (malgré _bonus_ et
  _bonifier_); _net, nette_ (malgré _nitidus_); _sujet, sujette_
  (malgré _subjectus_ et _sujétion_).

  EXCEPTION DE L’EXCEPTION. _Océan_ fait _océane_; _mahométan,
  mahométane; espagnol, espagnole; délicat, délicate; nacarat,
  nacarate; complet, complète; discret, discrète; bigot, bigote; dévot,
  dévote; brut, brute_, etc. Quel inconvénient y auroit-il, ajoutent
  les dames, d’écrire, sans doubler la consonne, _cruèle, mortèle,
  fidèle, fole, mole, nule, péisane, anciène, parisiène, bone, barone,
  boufone, nète, nèteté, nètemant, nétoiier, nètoîmant, cadète,
  sujète_, etc.[183]?

      [183] Il eût été plus simple de remplacer par l’_è_ la double
      consonne dans les mots _cruelle, mortelle_, comme on le fait dans
      _fidèle_, mais c’est pour ne pas choquer trop subitement les
      habitudes que je n’ai pas cru devoir proposer ce changement.

  Autre règle. «Les adjectifs en _aux_, en _eux_, et en _oux_, changent
  au féminin _x_ en _se_ ou en _sse_ ou en _ce_: _faux, fausse;
  généreux, généreuse; jaloux, jalouse; roux, rousse; doux, douce_.
  Ne seroit-il pas plus naturel, plus conforme à la prononciation et
  à l’analogie, de terminer ces adjectifs par un _s_: FAUS, _fausse,
  faussemant, faussêre, fausser, fausseté_; GÉNÉREUS, _généreuse_,
  etc.; JALOUS, _jalouse, jalousie, jalouser_; ROUS, _rousse,
  roussâtre, rousseur, roussir_; DOUS, _dousse, dousseur, doussemant,
  adoussi_, etc.? Ces derniers mots ainsi écrits suivroient l’analogie
  des autres.

  «Par la même raison, la CROIS donneroit _croiser, croisète,
  croisillon, croisade_; la POIS, _poisser, empoisser_; la PAIS,
  _paisible_, etc., ou la PÊS, _pêsible_, etc.»

L’auteur étudie ensuite les substantifs terminés au singulier en _au,
eau, eu, œu, ieu_ et _ou_, et conclut à ce qu’on introduise
partout au pluriel l’_s_ au lieu de l’_x_. Ex.: les _maus_, les _feus_,
les _caillous_, les _chevaus_ sont _égaus, aus travaus_.

Il aborde ensuite l’anomalie dont M. Léger Noel faisait de nos jours le
sujet de ses recherches: les substantifs ou adjectifs masculins en _al,
el, il, ol, ul_, comparés aux autres également masculins en _ale, ele,
ile, ole, ule_, ou _alle, ille, olle, ulle_. «Comment se tirer, disent
à ce propos les dames qu’il met en cause, d’un pareil labyrinthe?
Comment pouvoir se rappeler qu’ici il ne faut point d’_e_ muet, que là
il en faut un, que dans tel mot il faut deux _l_ et que dans d’autres
il n’en faut qu’une? Se trouve-t-il bien des François qui puissent dire
véritablement: je connois les noms masculins terminés en _al, ale,
alle; el, ele, elle; il, ile, ille; ol, ole, olle; ul, ule, ulle_?»

Suit un ample travail sur l’accentuation orthographique dans lequel
Wailly émet des idées et préconise des procédés semblables à ceux de
Beauzée. (Voir plus loin, p. 296).

Le docte académicien se prononce (p. 113) pour la simplification
orthographique des mots tirés du grec. Il propose: _anbroisie,
anfigouri, ancolie, anquiloglosse, anquilose, antelmintique, antologie,
arcaïsme_.

Il cite comme exemples de la difficulté de la prononciation à la
lecture par suite de la bizarrerie orthographique les phrases suivantes:

  «_La citrouille étoit bien_ aoûtée; _on l’a donnée aux_ aoûterons _à
  la fin du mois d’_août_; ils l’ont mangée dans une_ encoignure _avec
  des_ oisons, _des_ poissons _et des_ oignons _qu’ils ont pris dans
  un_ coin _de l’_oignoniere.

  «_Un_ anachorete _vint avec un_ catéchumène chercher _M.
  l’_archevêque _ou son_ archidiacre _au palais_ archiépiscopal.»

  «_La biche a_ faonné _auprès de la_ Saône_; nous avons pris son_
  faon _qui avoit été mordu d’un_ taon, _pendant que nous jouïons au_
  pharaon.»

  «Tranquille _avec sa_ béquille, _il entra dans la_ ville _avec sa_
  fille, _qui perça une_ anguille _avec son_ aiguille.»

Heureusement pour les lecteurs, de Wailly a pris la peine de figurer à
l’aide de son orthographe la prononciation de tous ces mots, sans quoi
plus d’un détracteur de sa réforme eût pu, je le crains, hésiter pour
quelques-uns d’entre eux en les lisant à haute voix.

Dans la seconde partie de ce traité si précieux et si rare, de Wailly
a placé, à l’imitation de Godard, un discours des lettres sur les
difficultés et les imperfections de l’orthographe actuelle. Chacune de
nos lettres y prend tour à tour la parole pour exposer, avec autant de
clarté que de raison, les vices d’emploi auxquels on l’a assujettie.
Les phonographes postérieurs, Domergue, Marle, Féline, M. Raoux, s’ils
eussent connu cette mine si riche de matériaux, n’auraient eu qu’à
copier. Wailly me semble même plus complet qu’aucun d’eux.

Je m’aperçois au discours de la lettre G que Wailly a remarqué avant
moi l’utilité que l’on pourrait tirer de l’emploi du g surmonté d’un
point; seulement, il veut le faire servir au remplacement du _j_ et
du _g_ doux, tandis que je propose seulement de s’en servir au lieu
du _ge_ ou _g_ doux. Il écrit donc _ġaloux, ġardin, gouġon, gaġure,
ġôlier, ġustice_[184]. Il distingue deux formes de l’_s_, l’_s_ longue
pour celle qui a le son ordinaire et l’_s_ courte dans les mots où elle
peut avoir le son du _z_.

      [184] La nouvelle forme du g[‡], _ɡ_, accueillie maintenant par
      la typographie moderne, rend l’application plus facile qu’elle ne
      l’était du temps de de Vailly. Cette forme se rapproche en effet
      beaucoup plus du _j_ que celle du g.

      [‡] Nous représentons ici par g le g typographique classique
      utilisé partout ailleurs dans le texte original.

La troisième et dernière partie est la mise en application de la
réforme ainsi préconisée au nom du sexe féminin. Je crois devoir en
reproduire ici l’exposition _fac-simile_:

  «_Pratique de l’Ortografe fondée ſur la bone prononciation._

  «Juſqu’ici, Méſieurs, nous nous ſomes fet èder pour nous conformer
  à l’Ortografe actúele; mês, come nous avons, à ce qu’il nous
  ſanble, démontré de la maniere la plus ſanſible, qu’èle êt plène de
  bisâreries é de contradiccions; qu’èle chanġe continuèlemant ſans
  principes é ſans uniformité; que les Diccionnêres é les Auteurs
  ne ſont d’acord preſque ſur aucun point; qu’èle êt dépourvue de
  regles fixes; que, de votre propre aveu, il nous êt moralement
  impoſſible de la ſuivre; nous alons désormês ortografier ſuivant
  la réforme que nous desirons. Nous ſuivrons ſurtout les lois de la
  bone prononciacion, comme le ſeul guide rêsonable an cete matiere,
  ou, ce qui reviént au même, come le seul qui ſoit véritablemant à la
  portée de tout le monde. Inſi nous ſuprimerons les lètres qui ne se
  prononcent ġamês. Par-tout où nous antandrons le ſon de l’_a_, nous
  anploîrons un _a_. Par-tout où l’oreille nous indiquera le son de
  l’_e_, nous ferons usage de l’_e_, au lieu des _æ, œ, ai, eai, ei,
  oi, eoi_ qu’on anploie ſouvant pour l’_e_.

  Nous subſtitûrons l’_i_ francês à l’_y_ grec; le _f_ au _ph_; le _ci_
  au _ſi_ qui sone come _çi_; le _ġ_ ponctué au _j_; les _ġa, ġo, ġu_
  aus _gea, geo, geu_. Nous anploîrons le _qu_ avant l’_e_ et l’_i_
  seulemant; avant les autres lètres nous ferons usaġe du _c_. (Voyez
  au diſcours de la lètre _Q_ une excepcion pour les terminêsons des
  verbes an _quer_.) La longue _ſ_ aura toujours le ſon siflant, antre
  deux voiıelles: _paraſol, préſéance, reſantir, préſantir_, etc. On
  anploîra l’_s_ courte dans les mots où èle a ou peut avoir le ſon
  du _z_. Le _z_ ne ſ’anploîra qu’au comancemant des mots, à la fin
  d’_aſſez, chez, nez, rez de chauſée_, é des segondes perſones dans
  les verbes, _vous portez, lisez, estimez_. Nous ne ponctûrons point
  l’_i_ qui, précédé d’une voiıele, marque un mouıllé fort avec la
  lètre _l_, _le travaıl_, _le conseıl_, _le senouıl_; ou un
  mouıllé fèble, _párén_, _camàıeu_, _péiıons_, _voiıons_. Nous
  substitûrons l’_s_ à l’_x_ qui a le son de l’_s_, _aus animaus_; _le
  chois étet douteus_. Vous aurez, Mésieurs, la bonté de vous rapeler
  que dans touts ces chanġemants nous ne fesons guère que suivre vos
  traces, ou les exanples que vous nous avez donés, é garder par-tout
  une marche uniforme.

  «REMARQUE. Come, dans l’usage actúel, le _c_ a toujours le ſon de
  _ce_ ou de l’_s_ ſiflante, avant l’_e_ ou l’_i_, on poûra continuer
  d’écrire _Cicéron, ceci_, etc., sans cédiller le _c_. On n’anploîra
  le _ç_ cédillé avant _e_ ou _i_, que dans les livres deſtinés pour
  aprandre à lire. On n’anploîra de même, si l’on veut, le _ġ_ ponctué
  que dans les mots où, avant _a, o, u_, il doit avoir le son de _j_:
  on écrira _gaġer, gaġa, gaġant, gaġons, gaġure_, etc. Dans l’usage
  actuel, l’_s_ courte a toujours le son siflant au commancemant du
  mot; insi on poûra, come à l’ordinêre, fêre usage indifféramant de
  l’_s_ courte ou de l’_ſ_ longue au comancement des mots. On voit
  par là que nos changemants dans quelques lètres de l’Alfabet, se
  réduisent presque à rien.

  «Nous ſavons bién qu’on ſe révolte au ſeul mot d’innovacion; mês
  notre proġet, nous pouvons le dire, êt le fruit d’un long travail é
  d’une expériance réfléchie. Nous vous l’adrèſons, Méſieurs; éıez la
  bonté de l’examiner é d’an peser ſans préġuġé les avantaġes é les
  inconvéniants. Ne nous ġuġez qu’aprês un mûr examèn.

  «S’il êt des chanġemants qui ne ſoient pas actuèlemant admiſſibles,
  vous ne les ferez pas encor; mês vous poûrez an trouver d’autres
  qu’il ſera fort util d’adopter.

  «Nous eſpérons, par exanple, que l’utilité é votre zêle à faciliter
  l’aquisicion des conêsances, vous porteront à fêre, come nous, usage
  du _ġ_ ponctúé, de l’_ı_ ſans point; à diſtinguer l’_s_ forte de
  l’_s_ adoucie. C’êt insi qu’on a mis en usaġe le _ç_ cédillé, le
  _j_ é le _v_, au lieu de l’_i_ é de l’_u_; l’_i_ francês, au lieu
  de l’_y_ grèc, dans _lui, moi, loi, Roi_, é une infinité d’autres
  mots. C’êt inſi qu’on anploie les lètres maġuſcules au comancement
  des frases, des noms propres, etc. C’êt inſi qu’on a invanté les
  acçants, le tréma, l’apoſtrofe, le tret d’union, les guillemets, les
  diférantes marques de ponctúacion, etc.

  «Nous atandons bién, Méſieurs, que votre vue ſera d’abord un peu
  choquée de notre ortografe: nous vous demandons pour èle la même
  paciance que vous avez en lisant des livres ortografiés ſuivant
  l’anciène ortografe. A peine an avez-vous lu vint pages, que vos
  ieux ſ’i abituent. La même chose vous arivera par raport à la nôtre;
  dégnez an fêre l’éſè. Vous voudrez bién vous souvenir que notre but
  êt de faciliter an même tans l’ortagrafe é la prononciacion.

  «Notre réforme vous parêtra, Méſieurs, fort étandue; vous an
  adopterez ce que vous ġuġerez à propos. Nous aurions pu nous
  contanter des remarques que nous avions fètes dans les deus premieres
  parties; mês des perſones dont nous reſpectons baucoup les lumieres
  nous ont représanté que ce ſeroit lêſer notre ouvrage inparfet,
  que de n’i pas aġouter la pratique. Vous avez, nous ont dit ces
  perſones, exposé d’une maniere três-sansible les défauts inonbrables
  de l’ortografe actúele; vous avez fet voir le peu d’acord, les
  inutilités, les contradiccions même qui regnent dans les diférantes
  parties de cet édifice: il faut actuèlemant faire voir comant, avèc
  les mêmes matériaus, on pouret le reconſtruire à moins de frês, é
  d’une manière auſſi comode que ſolide.»


    _Grammaire générale et raisonnée, contenant les fondemens de l’art
    de parler, expliqués d’une maniere claire et naturelle; les raisons
    de ce qui est commun à toutes les langues, et des principales
    différences qui s’y rencontrent; et plusieurs remarques nouvelles
    sur la langue françoise. Nouvelle édition.--Réflexions sur les
    fondemens de l’art de parler pour servir d’éclaircissemens et de
    supplément à la Grammaire générale, recueillies par M. l’abbé
    Fromant._ Paris, Prault fils, 1756, 2 vol. pet. in-8 de 6 ff., 224
    pp. et 2 ff., et de XLVIII et 291 pp. (Réimprimée plusieurs fois
    depuis.)

Ce traité, connu sous le nom de _Grammaire de Port-Royal_, et dont il
est déjà parlé page 226, est enrichi dans cette édition des excellentes
remarques de Duclos, secrétaire perpétuel de l’Académie française[185].

      [185] Duclos avait déjà donné une édition de cette grammaire en
      1754, in-12.

Ce livre si remarquable, et dont le temps n’a pas encore altéré la
valeur, contient dans son texte quelques idées de réforme justes bien
qu’un peu timides. Après avoir constaté l’utilité, dans certains cas,
d’une orthographe fondée sur l’étymologie, MM. de Port-Royal ajoutent:
«Voilà ce qu’on peut apporter pour excuser la diversité qui se trouve
entre la prononciation et l’écriture; mais cela n’empêche pas qu’il
n’y en ait plusieurs qui se sont faites sans raison et par la seule
corruption qui s’est glissée dans les langues. Car c’est un abus
d’avoir donné, par exemple, au _c_ la prononciation de l’_s_ avant
l’_e_ et l’_i_; d’avoir prononcé autrement le _g_ devant ces deux
mêmes voyelles que devant les autres; d’avoir adouci l’_s_ entre deux
voyelles; d’avoir donné aussi au _t_ le son de l’_s_ avant l’_i_ suivi
d’une autre voyelle, comme _gratia, actio, action_.....

  «Tout ce que l’on pourroit faire de plus raisonnable seroit de
  retrancher les lettres qui ne servent de rien ni à la prononciation,
  ni au sens, ni à l’analogie des langues, comme on a déjà commencé de
  faire; et conservant celles qui sont utiles, y mettre des petites
  marques qui fissent voir qu’elles ne se prononcent point, ou qui
  fissent connoître les diverses prononciations d’une même lettre.
  Un point au-dedans ou au-dessous de la lettre pourroit servir pour
  le premier usage, comme _temps_. Le _c_ a déjà sa cédille, dont on
  pourroit se servir devant l’_e_ et devant l’_i_, aussi bien que
  devant les autres voyelles. Le _g_ dont la queue ne seroit pas toute
  formée pourroit marquer le son qu’il a devant l’_e_ et devant l’_i_.
  Ce qui ne soit dit que pour exemple.»

Duclos, aussi bon grammairien que Du Marsais, et philosophe comme lui,
mais encore plus hardi, a inauguré sa réforme orthographique dans ses
remarques jointes en petit caractère à cette édition de la grammaire.
Voici le passage où il explique lui-même ses idées:

  «Je croi devoir a cète ocasion rendre conte au lecteur de la
  diférence qu’il a pu remarquer entre l’ortografe du texte et cèle des
  remarques. J’ai suivi l’usage dans le texte, parce que je n’ai pas le
  droit d’y rien changer; mais dans les remarques j’ai un peu anticipé
  la réforme vers laquèle l’usage même tend de jour en jour. Je me suis
  borné au retranchement des lètres doubles qui ne se prononcent point.
  J’ai substitué des _f_ et des _t_ simples aus _ph_ et aus _th_:
  l’usage le fera sans doute un jour par-tout, comme il a déjà fait
  dans _fantaisie, fantôme, frénésie, trône, trésor_ et dans quantité
  d’autres mots.

  «Si je fais quelques autres légers changemens, c’est toujours pour
  raprocher les lètres de leur destination et de leur valeur.

  «Je n’ai pas cru devoir toucher aux fausses combinaisons de voyèles,
  tèles que les _ai, ei, oi_, etc., pour ne pas trop éfaroucher les
  ieus. Je n’ai donc pas écrit _conêtre_ au lieu de _conoître_,
  _francès_ au lieu de _françois_, _jamès_ au lieu de _jamais_, _frèn_
  au lieu de _frein_, _pène_ au lieu de _peine_, ce qui seroit pourtant
  plus naturel. Je n’ai rien changé a la manière d’écrire les nasales,
  quelque déraisonable que notre ortografe soit sur cet article. En
  éfet, les nasales n’ayant point de caractères simples qui en soient
  les signes, on a u recours a la combinaison d’une voyèle avec _m_
  ou _n_; mais on auroit au moins du employer pour chaque nasale la
  voyèle avec laquèle èle a le plus de raport; se servir, par exemple,
  de l’_an_ pour l’_a_ nasal, de l’_en_ pour l’_e_ nasal. Cète nasale
  se trouve trois fois dans _entendement_, sans qu’il y en ait une
  seule écrite avec l’_a_ et quoiqu’il fut plus simple d’écrire
  _antandemant_. L’_e_ nasal est presque toujours écrit par _i, ai,
  ei_: _fin, pain, frein_, etc., au lieu d’y employer un _e_. Je ne
  manquerois pas de bonnes raisons pour autoriser les changemens que
  j’ai faits et que je ferois encore, mais le préjugé n’admet pas la
  raison.»

  Il ajoute ailleurs: «On peut entreprendre de corriger l’usage de
  l’orthographe, du moins par degrés et non pas en le heurtant de
  front, quoique la raison en eut le droit; mais la raison même s’en
  interdit l’exercice trop éclatant, parce qu’en matière d’usage, ce
  n’est que par des ménagemens qu’on parvient au succès.»


    DOUCHET, avocat au Parlement et ancien professeur royal en
    langue latine. _Principes généraux et raisonnés de l’orthographe
    françoise, avec des remarques sur la prononciation._ Paris, P.-F.
    Didot, 1762, in-8 de XVI et 176 pp.

Douchet est un écrivain de mérite. Après la mort de Du Marsais, il fut
chargé, de concert avec Beauzée, de la continuation des articles de la
partie grammaticale de l’Encyclopédie.

Ses remarques, nouvelles à l’époque où il les écrivait, sont pour la
plupart acquises aujourd’hui à la grammaire. Tel est son chapitre
sur les caractères prosodiques. J’en extrairai cependant un passage
dans lequel il propose une solution à l’imperfection qu’offre notre
orthographe dans le redoublement des consonnes.

  «L’_e_ muet n’indique, dit-il, qu’une certaine quantité de nos
  voyelles longues (ex. j’_emploierai_); l’accent circonflexe ne fait
  connoître que celles qui étoient autrefois suivies d’un _s_, ou que
  l’on redoubloit pour en marquer la longueur (_tempête_, au lieu de
  _tempeste_, _rôle_ au lieu de _roole_); il en reste encore un grand
  nombre, ou qui sont sans marque distinctive (_vase, bise, rose,
  ruse_), ou qui sont suivies d’une consonne redoublée, qui est la
  marque des voyelles brèves, autre vice encore plus considérable,
  comme dans les mots _tasse, manne, flamme, fosse, professe_, etc.
  C’est une autre espèce d’imperfection dans notre orthographe. Il
  seroit aisé de parer à ces inconvénients: ce seroit, ou de marquer
  ces voyelles longues par un trait horizontal, ou d’étendre encore
  ici l’usage de l’accent circonflexe. Par ce moyen, toutes les
  équivoques seroient levées, toutes les voyelles longues seroient
  fixées et déterminées, et la quantité, cette partie si importante
  de la prosodie, seroit indiquée d’une manière simple, précise, et
  régulière: on pourroit même alors la trouver et l’apprendre par
  l’écriture.

  «Un autre avantage qui en résulteroit encore, c’est que la
  réduplication des consonnes, ce système si vague, si forcé, si
  rempli d’exceptions, que l’on prétend que nos pères ont imaginé pour
  indiquer les voyelles brèves[186], deviendroit absolument inutile,
  parce que toutes les voyelles longues étant décidées, on n’auroit
  plus besoin d’un autre signe pour désigner les brèves: elles seroient
  suffisamment distinguées par la raison qu’elles n’auroient point la
  marque des longues. A l’égard des communes, c’est-à dire des voyelles
  qui sont longues ou brèves à volonté, ou elles n’auroient point de
  signe distinctif, ou on leur appliqueroit la marque usitée en grec
  et en latin. On pourroit ainsi supprimer la consonne que l’on n’a
  introduite que pour avertir que la voyelle précédente est brève. On
  ne la laisseroit subsister que dans les mots où elle est nécessaire,
  quand il faut la redoubler dans la prononciation, comme dans _inné,
  erreur, illustre, immense_, etc.»

      [186] Voir plus haut l’analyse de la Grammaire de Regnier Des
      Marais, p. 251, et celle de l’_Orthographe des dames_, de de
      Wailly, p. 276.

Douchet propose, après Port-Royal et d’autres grammairiens, l’emploi
du _t_ cédille dans les substantifs _portions, rations_, etc., comme
signe de distinction d’avec les verbes _portions, rations_.

  Dans le chapitre III, _des Caractères étymologiques_, l’auteur
  s’occupe des variations du _ph_, du _ch_ et de l’esprit rude (_h_)
  en français. «Ces variations sont une nouvelle source de difficultés
  pour notre orthographe. De ces doubles caractères, le _ch_ est celui
  qui cause le plus d’embarras dans notre langue: non-seulement il
  varie dans l’écriture, il varie encore dans la prononciation. On le
  prononce à la françoise dans _chérubin, chirurgien, Archimède_, et
  il a la valeur du _k_ dans _orchestre, chiromancie, Archélaüs_. De
  là ces incertitudes sur la prononciation de certains mots, tels que
  _Chersonese, Acheron_, où les uns prononcent le _ch_ comme dans
  _chérubin_ et les autres comme dans _orchestre_. On pourroit encore
  aisément obvier à ces difficultés. On laisseroit subsister le _c_
  dans tous les mots où l’usage l’a introduit à la place du _ch_, comme
  dans _carte, corde, colere_, etc., on supprimeroit le _ch_ dans les
  autres mots où il s’articule comme le _k_, et on le remplacerait par
  cette figure. Ainsi l’on écriroit _orkestre, Arkélaüs, kiromancie,
  kirographaire_.»


    (L’abbé CHERRIER). _Equivoques et bizareries de l’orthographe
    françoise, avec les moiiens d’y remédier._ Paris, Gueffier fils,
    1766, in-12 de 3 ff., XVIII et 155 pp.

L’auteur, après avoir exposé les raisons qui militent en faveur d’une
réforme et les causes qui ont fait échouer les tentatives antérieures à
la sienne, établit ainsi les changements qu’il croit devoir opérer:

  «Plusieurs ont estimé qu’il falloit entendre ces marques proposées
  dans la Grammaire de P. R. de celles qui sont déjà usitées sur
  certaines lettres, ensorte qu’il ne s’agiroit que de les adapter
  à d’autres: et c’est le sentiment que j’ai cru devoir suivre.
  C’est-pourquoi je propose, par exemple, d’après un habile académicien
  (le P. Girard), de mettre une cédille, ou petite _c_ renversé, sous
  le _t_ ramoli, come on en a mis une avec succès sous le _c_ pour
  le radoucir. J’ai emprunté des bons grammairiens toutes les idées
  qu’ils ont fournies dans ce gout. Je les ai etendues ou j’y ai
  ajouté les miènes, et quoique ces petites marques soient purement
  arbitraires dans leur origine, j’ai observé qu’une fois etablies,
  elles doivent ordinairement, et autant qu’il est possible, avoir un
  même effet partout où on les applique. Par exemple, l’_accent grave_
  sert à distinguer les _è_ ouverts: aussi l’ai-je mis sur la voiièle
  composée ou fausse diphthongue _ai_ quand elle se prononce en ouvrant
  fort la bouche. Au contraire, l’_accent aigu_ sert à faire conoître
  les _é_ fermés; aussi l’ai-je emploiié sur cette voiièle-composée
  _ai_, lorsqu’elle se prononce en fermant un peu la bouche. Le _point_
  accompagne toujours l’_i_ et je l’ai placé sur les _i_ et sous les
  _l_ qui sonent presque come des _i_. J’ai eté plus embarassé pour
  l’_x_, parce qu’il n’est pas facile de rendre ses marques surajoutées
  analogues à toutes les différentes articulations de cette consone:
  c’est-pourquoi j’ai pris le parti de la borner à son ancien usage,
  savoir de ne l’emploiier que quand elle s’articule come _cs_ ou _gz_,
  en y mettant néanmoins encore quelque différence.»

L’auteur met un point au-dessous de l’_h_ aspiré: un _ḥéros_, un point
au _ch_ qu’il appelle gras: un _arcḥiduc_. L’_s_ radoucie est marquée
par une cédille: _batişer_. L’_l_ mouillée par un point: _fiḷḷe_. Il
supprime la consonne finale muette à _bari_l, _cheni_l, _couti_l,
_fusi_l, _outi_l, _persi_l, _saou_l, _sourci_l.


    _Ortografe des dames pour aprandre a ècrire et a lire corectemant
    en tres peu de tems._ A Nancy, chez Hæner, 1766, in-12 de 72 pp.

L’auteur anonyme de cet opuscule, qu’il ne faut pas confondre
avec l’intéressant travail de Wailly, publié en 1782 sous le même
titre (voir plus haut, p. 276), ne me paraît pas avoir apporté de
solutions nouvelles au difficile problème de l’écriture phonétique.
Son orthographe se rapproche sur beaucoup de points de celle qu’a
préconisée soixante ans plus tard M. Marle.


    _Manière d’étudier les langues._ Paris, Saillant, 1768, in-12.

L’auteur de cet ouvrage est un esprit sage, et les méthodes qu’il
indique se rapprochent de celles de Locke.

Quant à l’orthographe, il s’exprime ainsi:

  «Nous avons des regles générales pour l’orthographe; mais la plupart
  sont si obscures, si compliquées, et modifiées par tant d’exceptions,
  qu’il est difficile aux jeunes gens de les retenir. D’ailleurs, il ne
  suffit pas, pour l’orthographe usuelle dont nous parlons, de pouvoir
  en examiner les regles, mais bien de trouver la manière d’écrire les
  mots correctement: la rapidité de l’écriture ne donne pas le loisir
  de faire cet examen. Il faut qu’avec le mot la manière de l’écrire se
  présente sur-le-champ à l’esprit, sans aucune réflexion.

  «On emploie communément une méthode meilleure; on fait copier des
  livres imprimés, et l’attention qu’on donne, en copiant, à chacune
  des lettres dont le mot est composé le grave plus profondément à
  l’esprit.....

  «Les mots, tels qu’on les a lus, restent gravés dans la mémoire;
  lorsque dans la suite on les emploie en écrivant, on les copie sur
  cette image.»

L’exposition de ce système, que d’autres ont également proposé, prouve
que les difficultés de l’orthographe sont telles qu’il faut apprendre
à connaître les mots par leur configuration, comme pour la LANGUE
CHINOISE.


    _De l’orthographe, ou des moyens simples et raisonnés de diminuer
    les imperfections de notre orthographe, de la rendre beaucoup plus
    aisée, etc., pour servir de supplément aus différentes éditions de
    la Grammaire française de M. de Wailly._ Paris, Barbou, 1771, in-12.

Dans cet écrit fort sage, l’auteur constate la nécessité d’améliorer
successivement l’orthographe et de la simplifier. Il se refuse à
l’introduction de lettres nouvelles, comme l’ont fait des réformateurs
trop hardis, qu’il traite de _ridicules_. Mais nous ne tirons pas,
selon lui, de nos accents tout l’usage que nous pourrions en obtenir.
Il désire surtout le retranchement de toute lettre double sans valeur
phonique. «Les personnes, dit-il, qui voient ces lètres sans valeur
sont arêtées dans leur lecture, parce que dans certains mots on les
prononce, tandis que dans d’autres semblables, èles n’ont aucun son.
Cète bisarerie de notre orthographe est cause qu’il n’y a peut-être
pas deux ouvrages qui soient par-tout orthographiés de même. Cette
variété fait perdre beaucoup de tems aux compositeurs dans les
imprimeries, aux gens de lètres qui font imprimer leurs ouvrages; en un
mot, à tous ceux qui veulent orthographier et prononcer correctement la
langue française.

  «Cette orthographe que nous apelons nouvèle était,» selon une
  judicieuse remarque de l’auteur, «celle de nos plus anciens
  écrivains, de presque tous les auteurs des XIe et XIIe siècles.»


    _Le grand vocabulaire françois, par une Société de gens de
    lettres._ Paris, Panckoucke, 1772, 30 volumes in-4.

Ce dictionnaire contient un grand article sur l’ORTHOGRAPHE, où est
exposé «l’emploi vicieux que l’on fait de chaque signe en le comparant
avec celui que la raison voudrait qu’on en fît pour que l’écriture
cessât d’être une image équivoque ou ridicule de la parole.»

Mais comme les modifications indiquées sont pareilles à celles que
Girard, Duclos, Wailly, Beauzée et autres réformateurs modérés avaient
déjà proposées, et que les raisons pour rapprocher l’écriture de la
prononciation, bien qu’exposées avec conviction et énergie, sont
similaires, je me borne à ce passage:

  «C’est certainement une opiniâtreté bizarre que de s’obstiner à
  écrire un mot selon son étimologie pour avertir ensuite qu’on doit le
  prononcer autrement qu’il ne s’écrit[187].»

      [187] «Au reste nous indiquons partout dans le cours du _Grand
      Vocabulaire_, l’orthographe avec laquelle on a coutume d’écrire
      aujourd’hui les mots, et celle qu’on devroit y substituer.»


    VIARD. _Les vrais principes de la lecture, de l’orthographe et de
    la prononciation françoises, de feu M. Viard, revus et augmentés
    par M. Luneau de Boisgermain._ Paris, Delalain, 1773, 2 part. en
    1 vol. in-8 de VI et 104 pp. et de 111 pp. (Il y eut des éditions
    antérieures à celle-ci, puisque Luneau se plaint, dans un avis au
    lecteur, des contrefaçons de ce livre faites à Bordeaux, Avignon,
    etc., et il cite une édition des _Principes_ faite à Bouillon en
    1764, chez Foissy.)

Cet ouvrage n’est point un traité d’orthographe, mais une réforme
de l’enseignement de la lecture fondée sur la nouvelle épellation
des lettres, _be, ce, de, fe_, etc., et sur l’épellation des
consonnes qui se suivent.


    J.-B. ROCHE. _Entretiens sur l’orthographe françoise et autres
    objets analogues._ Nantes, veuve Brun, 1777, in-8 de 8 ff. prél.,
    732 pp. et 19 ff. de table.

Dans ce gros volume, l’auteur, sous une forme agréable, celle d’un
dialogue, traite de toutes les questions qui concernent l’orthographe
et la grammaire. La lecture en est moins pénible que celle des traités
ordinaires sur le même sujet. On voit partout que l’auteur est partisan
d’une réforme modérée; et ses vœux ont été réalisés sur certains points.

Après que les interlocuteurs, Sophie, la marquise, un abbé, un comte
et un lord, ont constaté l’incohérence de ce qu’on appelle l’_usage_,
l’auteur fait dire à l’un des interlocuteurs:

  «Le respect pour l’usage établi est souvent un préservatif contre
  une foule d’erreurs; mais il faut avouer qu’il s’oppose quelquefois
  aux progrès de nos connaissances. Il est à croire que dans le
  principe, les mots ne renfermoient que les lettres nécessaires à la
  prononciation. L’oreille, choquée par la dureté de plusieurs sons,
  exigea bientôt qu’on les adoucît ou même qu’on les supprimât. Les
  savants, après s’être vainement récriés contre ces innovations,
  furent contraints de les adopter et de leur donner force de loi. Mais
  comme ils étoient les maîtres de la langue écrite, ils voulurent
  conserver les traces d’une prononciation qui n’existoit plus: ce fut
  l’époque des inconséquences qui rendent notre langue si difficile aux
  étrangers, et qui mettent les François mêmes dans le cas de ne la
  savoir presque jamais qu’imparfaitement.»

L’auteur entre ainsi dans le détail des difficultés de l’orthographe:

  «SOPHIE. C’est une science que je voudrois bien connoître et à
  laquelle je n’entends rien du tout. Je suis si ignorante, que, pour
  exprimer les choses les plus ordinaires, j’écris presque au hasard.
  A peine puis-je retrouver moi-même ce que j’ai voulu dire. Souvent,
  faute de pouvoir orthographier les mots qui se présentent à mon
  esprit, je suis forcée d’en employer d’autres qui défigurent toutes
  mes pensées.

  «LE COMTE. Ceux qui n’ont point étudié les langues anciennes n’ont
  pas de meilleur moyen pour apprendre l’orthographe, que de choisir
  un livre bien écrit, et de le copier infatigablement: on se forme
  quelquefois, par le travail, une habitude qui tient lieu des
  meilleurs principes.

  «LA MARQUISE. C’est comme celà que j’ai appris, et on trouve que
  j’orthographie passablement.

  «SOPHIE. Vous êtes heureuse, Madame, d’apprendre avec tant de
  facilité. J’ai sûrement copié autant que vous, et je n’en suis pas
  plus habile. Je ne puis cependant me reprocher aucune négligence:
  je copie fidèlement toutes les lettres qui composent chaque mot;
  j’y mets les accents, les points, les virgules. Mais jamais ce
  que j’ai écrit ne m’a servi pour ce que j’avois à écrire: ce sont
  toujours quelques nouveaux arrangements de lettres que je n’avois
  point prévus; et quand je crois avoir rencontré les mêmes mots,
  je vois avec étonnement qu’ils n’ont presque rien de commun pour
  l’orthographe[188].

      [188] Quand à l’Hôtel de Ville je préside les examens des
      aspirantes au brevet de capacité, je suis témoin de l’embarras
      des jeunes filles pour résoudre des difficultés qui le seraient
      même pour des savants. L’une d’elles pour avoir _mal_ écrit
      le mot _apophthegme_ perdit le bon point qui lui fallait pour
      compléter les vingt-cinq exigés par le règlement. (Mai 1868.)

  «LE LORD. Plusieurs savants voudroient que les règles de
  l’orthographe fussent réduites à celles de la prononciation.

  «SOPHIE. Cela seroit bien plus commode que cette orthographe
  obscure et entortillée, qui coûte de si grands efforts de mémoire.
  Pourquoi ne pas retrancher toutes les lettres superflues et ne pas
  employer précisément celles que l’oreille exige? Les pensées en
  deviendroient-elles moins belles et moins brillantes pour être lues
  et écrites avec moins de peine?

  «LA MARQUISE. Il me sembloit qu’on ne se servoit plus de l’_y_, et
  qu’on le remplaçoit toujours par un _i_ simple.

  «LE COMTE. Pardonnez-moi, Madame, il y a beaucoup de mots dans
  lesquels cette lettre est indispensable.

  «LE LORD. Les savants veulent qu’elle soit conservée dans les mots
  dérivés du grec, tels que _style, physique, symphonie_, etc., mais
  beaucoup de personnes, qui d’ailleurs orthographient fort bien, ne
  font pas difficulté d’écrire ces mots par un _i_: _phisique, stile,
  simphonie_, etc.

  «LA MARQUISE. Je suis fâchée que les _y_ soient passés de mode à la
  fin des mots (_foy, loy, luy, essay_): celà faisoit à merveille dans
  les exemples d’écriture.

  «LE COMTE. Aussi les personnes qui ont une écriture brillante
  renoncent avec peine à cet usage, parce que la queue de cette lettre,
  qu’elles peuvent orner tant qu’il leur plaît, les met à portée de
  déployer toute la légèreté de leur main.

  «L’ABBÉ. En bannissant l’_y_ des mots où il est inutile, on s’est
  fait une loi pendant long-temps de la conserver dans les mots
  _yvrogne, yvraie_ et autres. Aujourd’hui on s’accorde presque
  généralement à écrire ces mots par un _i_: _ivrogne, ivraie,
  s’enivrer_, etc. Le mot _yeux_ est le seul qui commence encore par
  un _y_: _de beaux yeux, de grands yeux_, sans qu’on en puisse donner
  aucune raison. (Voir p. 123.)

  «LE COMTE. Il faut avouer qu’en matière d’orthographe, l’habitude
  tient souvent lieu de raison. Après avoir vu écrire tels mots par
  tels caractères, la vue est choquée du moindre changement. On
  s’habitueroit très-difficilement à voir écrire par un _i_ simple:
  _de beaux ieux, de grands ieux, nous i allons, vous i viendrez_,
  uniquement parce que, de temps immémorial, on a lu avec un _y_: _de
  beaux yeux, de grands yeux, nous y allons, vous y viendrez_, etc.

  «LE LORD. On en peut dire autant de tous les changements qu’on a
  faits jusqu’ici, cependant ils sont passés en usage, et à peine
  soupçonne-t-on qu’on ait jamais écrit autrement. Ainsi, dans
  l’orthographe comme dans toute autre science, l’habitude n’est pas
  une raison suffisante pour s’interdire des innovations dont on peut
  tirer quelque avantage.

  «LA MARQUISE. De toutes les consonnes, celle qui m’embarrasse le
  plus, c’est le composé _ph_. Puisque ces deux lettres se prononcent
  exactement comme l’_f_, et qu’on lit _philosophie, orthographe_,
  comme s’il y avoit _filosofie, ortografe_, si l’usage vouloit le
  permettre, il seroit bien plus commode de substituer l’_f_ à ce
  _ph_, comme on se permet de substituer l’_i_ simple à l’_y_. Mais
  ne pouvant réformer l’usage, il faut s’y conformer. Quelles règles
  pourrois-je suivre pour savoir quand il faudra écrire par l’_f_
  simple ou par _ph_?

  «LE COMTE. On se sert du _ph_ pour marquer l’étymologie des mots
  tirés de la langue grecque.

  «SOPHIE. Est-ce que les Grecs n’avoient point d’_f_ dans leur
  alphabet?

  «LE COMTE. Non, Mademoiselle, l’_f_ est une invention des
  Romains[189]. Voilà pourquoi les anciens noms grecs s’écrivoient tous
  par _ph_ au lieu d’un _f_. On écrit _Philippe, Phébus, Ascalaphe,
  Phaëton_, et non _Filippe, Febus, Ascalafe, Faëton_.

      [189] Il y a là quelques erreurs. Les anciens Grecs avaient eu
      l’F ou digamma éolique (voir p. 33), d’où les peuples du Latium,
      ancêtres des Romains, l’avaient emprunté. Les Grecs n’écrivaient
      pas par une double lettre les mots cités, mais par une seule
      et même lettre, correspondant à notre _f_. Φίλιππος, Φοῖβος,
      Ἀσκάλαφος, Φαέτων, et de même tous les autres mots, φιλοσοφία,
      φάντασμα.

  «L’ABBÉ. Suivant les mêmes règles d’étymologie, il faudroit écrire
  par _ph_, _phanal, phantôme, phantaisie, phlegme, phlegmatique_,
  puisque ces mots sont pareillement dérivés du grec: c’étoit
  l’ancienne orthographe; mais présentement il faut écrire ces mots
  par _f_: _fanal, fantôme, fantaisie, flegme, flegmatique_, etc.,
  quoiqu’il ne soit pas permis de faire les mêmes changements dans
  _philosophie, physique, amphibie_, etc. Ceux qui connoissent à fond
  les langues anciennes commettroient bien des fautes dans la nôtre,
  s’ils ne s’étoient pas attachés à en examiner le génie particulier.
  Tantôt l’usage veut que les étymologies soient scrupuleusement
  conservées, tantôt il exige qu’on s’en écarte sans ménagement.»


    _Journal de Paris_, 1781.

Dans le numéro du 13 décembre 1781, M. de G*** blâme la manière
d’écrire _fallait, pourra, nourrir_, etc., contrairement à la
vraie prononciation qui ne fait sentir qu’une _l_ et une _r_ dans ces
mots, en sorte que les étrangers, trompés par la manière d’écrire,
les font sonner aussi fortement que dans _ville_ et dans _terreur_.
Il se récrie aussi «sur le barbarisme le plus bizarre et le plus
énorme qui subsiste encore dans la peinture de quelques mots de notre
langue, particulièrement l’emploi de l’_o_ que l’on conserve au lieu
de l’_a_ dans _foiblesse, connoistre, françois_, etc.» Puis il
ajoute: «Si l’on voulait (_sic_) donner un conseil aux imprimeurs de la
capitale, on leur diroit (_sic_): Messieurs les Trente-six, qui tous
ensemble tenez la clé de la langue française à Paris, réunissez-vous
aujourd’hui en grand’chambre, et tous d’un commun accord, rendez un
arrêt souverain contre cette vieille syllabe qui depuis cent ans crie
et gémit sous vos presses en vous demandant quartier.»

Le 18 décembre, M. l’abbé L. M., après avoir répondu à une critique de
M. G*** au sujet des accents sur les adverbes _où, là_, etc., termine
ainsi son article: «J’avoue pourtant que M. de G*** m’apprend une
chose que j’ignorois parfaitement, savoir que les imprimeurs de Paris
_tiennent la clef de la langue françoise_ dans la capitale. J’avois
jusqu’ici soupçonné que si quelque compagnie à Paris tenoit cette clef,
ce pouvoit être l’Académie françoise.»

Il est, en effet, préférable, sous tous les rapports, que ce soit de
l’Académie française que viennent les réformes. L’empressement avec
lequel on s’est aussitôt conformé à toutes celles qu’elle a bien voulu
concéder aux désirs généralement manifestés, et qui toujours ont été
adoptées avec reconnaissance par les Français et les étrangers, cet
accueil est la plus forte garantie de ce que l’Académie voudra bien
faire dans la nouvelle édition qu’elle prépare.

Après avoir signalé les modifications apportées à l’orthographe,
l’auteur fait dire à l’un de ses interlocuteurs:

  «Il faut espérer que de semblables réformes deviendront générales et
  qu’on écrira _abé, abesse, abaye, abatial, atendre, aler, enveloper,
  aquérir, raquiter_, au lieu de _abbé, abbesse, abbaye, abbatial,
  attendre, aller, envelopper, acquérir, racquitter_.»


    * BRAMBILLA. _Nouveaux principes de la langue françoise, ou
    nouvelle méthode très-breve pour aprendre la langue françoise._
    Bruxelles, 1783, in-8.

M. Brunet, dans son _Manuel_, dit que cet ouvrage a trait à la réforme
orthographique.


    * BOULLIETTE. _Traité des sons de la langue française et des
    caractères qui les représentent._ Paris, 1788, 2 vol. in-12.


    BEAUZÉE, de l’Académie française. Articles ORTHOGRAPHE et surtout
    NÉOGRAPHISME dans l’_Encyclopédie méthodique_ de Panckoucke,
    Grammaire et littérature, t. II, Paris, 1789, in-4.

Beauzée, après avoir donné, dans l’article ORTHOGRAPHE, le résumé de
l’argumentation en faveur de l’écriture étymologique, qu’il devait si
fortement ébranler lui-même, a défendu avec une grande supériorité de
raison et d’éloquence la nécessité d’une réforme modérée, en avouant
en toute bonne foi sa récente conversion au principe de la néographie,
conversion que je crois due au travail approfondi de Wailly, analysé
plus haut, p. 276.

Voici un extrait de ce que Beauzée avait dit en faveur de l’étymologie:

  «Si l’orthographe est moins sujette que la voix à subir des
  changements de forme, elle devient par là même dépositaire et
  témoin de l’ancienne prononciation des mots; elle facilite ainsi la
  connaissance des étymologies.

  «Ainsi, dit le président de Brosses, lors même qu’on ne retrouve
  plus rien dans le son, on retrouve tout dans la figure avec un peu
  d’examen..... Exemple. Si je dis que le mot françois _sceau_ vient
  du latin _sigillum_, l’identité de signification me porte d’abord
  à croire que je dis vrai; l’oreille, au contraire, me doit faire
  juger que je dis faux, n’y ayant aucune ressemblance entre le son
  _so_ que nous prononçons et le latin _sigillum_. Entre ces deux
  juges qui sont d’opinion contraire, je sais que le premier est le
  meilleur que je puisse avoir en pareille matière, pourvu qu’il soit
  appuyé d’ailleurs; car il ne prouveroit rien seul. Consultons donc la
  figure, et, sachant que l’ancienne terminaison françoise en _el_ a
  été récemment changée en _eau_ dans plusieurs termes, que l’on disoit
  _scel_ au lieu de _sceau_ et que cette terminaison ancienne s’est
  même conservée dans les composés du mot que j’examine, puisque l’on
  dit _contrescel_ et non pas _contresceau_, je retrouve alors dans le
  latin et le françois la même suite de consonnes ou d’articulations:
  _sgl_ en latin, _scl_ en françois, prouvent que les mêmes organes
  ont agi dans le même ordre en formant les deux mots: par où je vois
  que j’ai eu raison de déférer à l’identité du sens, plus tôt qu’à la
  contrariété des sons.»

  «Ce raisonnement étymologique me paroît d’autant mieux fondé, reprend
  Beauzée, et d’autant plus propre à devenir universel, que l’on doit
  regarder les articulations comme la partie essencielle des langues,
  et les consonnes comme la partie essencielle de leur orthographe.»

Après avoir ainsi exposé les motifs en faveur de l’écriture
étymologique, motifs qui ne sauraient d’ailleurs convenir à un
dictionnaire de la langue usuelle, le savant académicien prend la
défense du néographisme auquel il s’était montré d’abord opposé:

  «On peut aisément abuser, dit-on, du principe que les lettres étant
  instituées pour représenter les éléments de la voix, l’écriture doit
  se conformer à la prononciation.

  «Oui, sans doute, on peut en abuser; car de quoi n’abuse-t-on pas?
  N’a-t-on pas abusé à l’excès de cette déférence même que l’on prétend
  due à l’usage sans restriction? et cet abus énorme n’est-il pas la
  source de toutes les bizarreries qui rendent notre orthographe et
  l’art même de lire notre langue si difficiles, que les deux tiers
  de la nation ignorent l’un et l’autre? On peut donc abuser, j’en
  conviens, du principe que Quintilien lui-même approuvoit, et qu’il
  a énoncé d’une manière si précise (_Inst. orat._, I, liv. vij):
  _Ego sic scribendum quidque judico, quomodo sonat; hic enim usus
  est litterarum, ut custodiant voces et velut depositum reddant
  legentibus_; mais il est possible aussi d’en user avec sagesse, avec
  discrétion et surtout avec avantage; il est possible d’adopter,
  d’après les caractères autorisés légitimement par l’usage, un système
  d’orthographe plus simple, mieux lié, plus conséquent..... J’oserai
  donc ici, sur l’autorité du sage Quintilien, proposer l’esquisse d’un
  systême d’orthographe, dans lequel je crois avoir réuni toutes les
  qualités exigibles, sans y laisser les défauts qui déshonorent notre
  orthographe actuelle.»

Voici l’analyse de ce système:

  1º Beauzée supprime la consonne redoublée dans l’écriture quand
  elle ne se fait pas sentir dans la prononciation: il écrit _abé,
  acord, adoné, afaire, agresseur, tranquile, home, persone, suplice,
  nouriture, atentif_.

  2º Il marque, dans les terminaisons des mots, l’_e_ d’un signe
  différent selon les cas: quand la lettre qui suit se prononce,
  par _è_; quand l’_n_ qui suit est nasal, par _é_; et d’un accent
  circonflexe pour en faire un _a_ nasal, laissant l’_e_ nu s’il est
  muet. Exemples: _Jérusalèm, abdomèn, Pémbroc, Agén_, il _conviént_,
  il _pressênt, êmpire, êncore_, ils _aimoient_, ils _convient_, ils
  _pressent_.

  3º Il distingue ainsi par l’accentuation les mots suivants:

    Sans accent grave.      Avec accent grave.

    plomb                   radoùb
    les échêcs              un échèc
    nid                     Davìd
    sang                    joùg
    fusil                   fìl
    cul                     recùl
    nom                     Jérusalèm
    ancién                  abdomèn
    drap                    càp
    aimer                   mèr
    se fier                 fièr (adj.)
    vertus                  Brutùs
    réparés                 Cérès
    il subit                subìt (adj.)
    complot                 la dòt
    Jésus-Christ            le Chrìst

  Si le mot était, comme _abcès, procès_, terminé par _è_ et _s_ qui ne
  se prononce pas, il remplace l’_è_ par l’_ê_. Ex: _congrês, décês_.

  4º Il propose pour le même motif d’écrire _àmmonite, Èmmanuèl,
  ìmmobile, ànnuìté, triènnal, ìnné, àmnistie, sòmnambule, àllusion,
  ìllégal, còllateur_.

  5º On pourrait écrire, à la manière espagnole, _émall_ au lieu de
  _émail_, _vermêll_ au lieu de _vermeil_, _périll_ au lieu de _péril_,
  _seull_ au lieu de _seuil_, _fenoull_ au lieu de _fenouil_, etc.

  Si l’on ne prononce qu’un _l_ et qu’il ne soit pas mouillé, on n’en
  écrira qu’un: _tranquile, mortèle, rebèle_, une _vile, vilage_, etc.

  6º Les monosyllabes _ces, des, les, mes, ses, tes_ porteraient
  l’accent aigu (_sic_) pour qu’on pût les distinguer de la dernière
  syllabe des mots _actrices, mondes, mâles, victimes, chaises,
  dévotes_.

  On écrirait de même: _bléd, cléf, pluriél, piéd_.

  7º Il propose l’accent grave dans les cas suivants: _Ècbatane,
  pèctoral, hèptagone, cèrveau, èscroc, èspace_, etc. Et de même:
  _cèle, musète, anciène_, qu’ils _viènent_.

  Le même accent s’appliquerait aux mots _èxact, èxécuter, èxorde,
  èxquis_, etc.

  8º L’accent circonflexe qui sert à allonger la syllabe dans _prêtre,
  extrême_, ne doit pas être reproduit dans les composés, _prétrise,
  extrémité_[190].

      [190] Ce principe excellent devrait être observé dans tous
      les cas semblables. On écrit _grêle_, mais on devrait écrire
      _grélon_, etc. Ainsi le veut la prosodie française.

  9º On devrait écrire _àgnat, àgnation, àgnatique, ìgné, ìgnicole,
  ìgnition, cògnat, cògnation, stàgnation, stàgnant_, en écrivant comme
  à l’ordinaire les mots _agneau, cognée, ognon, rognure_.

  10º Il propose aussi d’employer l’accent grave dans les mots
  suivants: _lingùal, le Gùide_, le duc de _Gùise_, _aigùiser, aigùille,
  aigùe, contigùe, éqùateur, liqùéfaction, éqùestre, quinqùagésime_,
  pour distinguer le son spécial de _gu_ et _qu_ de celui qu’il a
  dans _anguille, liquéfier_. Il propose aussi _argüér, ambiguïté,
  contiguïté_.

L’auteur fait une excellente observation sur l’anomalie qui consiste
à prononcer comme _s_ et non comme _z_, ainsi que le voudrait la
règle grammaticale, les mots _désuétude, préséance, présupposer,
monosyllabe_. Il remédie à cette difficulté en écrivant _déssuétude,
présseance, préssupposer, monossillabe_.

Il donne ensuite des préceptes pour l’emploi du tréma; la plupart n’ont
pas prévalu.

  «On prononce _ai_ comme _e_ muet dans _faisant, nous faisons, je
  faisois, vous faisiez, bienfaisant, contrefaisant_, et autres dérivés
  pareils du verbe _faire_. Mais puisqu’il est déja reçu d’écrire par
  un _e_ simple _je ferai, je ferois_, etc., sans égard pour l’_ai_ de
  _faire_, pourquoi n’écriroit-on pas de même _fesant, nous fesons, je
  fesois, vous fesiez, biénfesant, biénfesance, contrefesant_? M.
  Rollin et d’autres bons écrivains[191] nous ont donné l’exemple, et
  la raison prononce qu’il est bon à suivre.

      [191] Voltaire écrit toujours ainsi, et cette orthographe a été
      maintenue dans l’impression de ses œuvres.

  «14º Les deux caractères _ch_ se prononcent quelquefois en sifflant
  comme dans _méchant_, et quelquefois à la manière du _k_ comme
  dans _archange_. Il étoit si aisé de lever l’équivoque qu’il est
  surprenant qu’on n’y ait point pensé: la cédille étant faite
  pour marquer le sifflement, il n’y avoit qu’à écrire _çh_ pour
  marquer le sifflement, et _ch_ pour le son guttural: _méçhant,
  monarçhie, arçhevêque, marçhons, çherçheur_, en sifflant; _archange,
  archiépiscopat, archonte, chœur_, avec le son dur[192].

      [192] Le nombre des mots dérivés du grec écrits encore par _ch_
      prononcé comme _k_ étant très-minime, puisque la plupart ont déjà
      perdu l’_h_, la combinaison ingénieuse de Beauzée devient inutile
      du moment que l’on accepterait ce que j’ai proposé. (Voyez
      ci-dessus, p. 36.)

  «Grâce à cette légère correction, on pourrait rétablir l’analogie
  entre _monarçhie_ et _monarche_.»

  15º En vertu du même principe, Beauzée propose l’_h_ avec cédille
  quand cette lettre est aspirée. «Cela ne feroit pas un grand
  embarras dans l’écriture, et les imprimeurs seroient sans doute
  assez honnêtes pour faire fondre des _h_ cédillées en faveur de
  l’amélioration de notre orthographe: plus on facilitera l’art de
  lire, plus aussi on multipliera les lecteurs et par conséquent les
  aquéreurs de livres.»

  16º «J’en dirois autant des _t_ cédillés pour le cas où cette lettre
  représente un sifflement. N’est-il pas ridicule d’écrire avec les
  mêmes lettres, nous _portions_ et nos _portions_, nous _dictions_ et
  les _dictions_, et une infinité d’autres? Cette simple cédille, en
  fesant disparoître l’équivoque dans la lecture, laisseroit subsister
  les traces de l’étymologie et seroit bien préférable au changement
  qu’on a proposé du _t_ en _c_ ou en _s_.

  17º «L’analogie, si propre à fixer les langues, à les éclairer, à
  en faciliter l’intelligence et l’étude, conseille encore quelques
  autres changements très-utiles dans notre orthographe, parce qu’ils
  sont fondés en raison, que l’usage contraire est une source féconde
  d’inconséquences et d’embarras, et qu’il ne peut résulter de ces
  corrections aucun inconvénient réel.

  «Le premier changement seroit de retrancher des mots radicaux la
  consonne finale muette, si elle ne se retrouve dans aucun des
  dérivés: pourquoi, en effet, ne pas écrire _rampar_ sans _t_ et _nœu_
  sans _d_, puisqu’on ne forme du premier que _remparer_ et du second
  _nouer, dénouer, dénoûment, renouer, renoueur, renoûment_, où ne
  paroissent point les consonnes finales des radicaux[193]?

      [193] L’Académie a depuis adopté les mots _nodus_ et _nodosité_.
      Ce dernier ne figure qu’à la sixième édition.

  «Le second, de changer cette consonne ou dans le radical ou dans
  les dérivés, si elle n’est pas la même de part et d’autre, et que
  la prononciation reçue ne s’oppose point à ce changement. L’usage,
  par exemple, a autorisé _absous, dissous, résous_ au masculin, et
  _absoute, dissoute, résoute_ au féminin: inconséquence choquante,
  mais dont la correction ne dépend pas d’un choix libre; le _t_ se
  prononce au féminin et la lettre _s_ est muette au masculin. Écrivons
  donc _absout, dissout, résout_. Au lieu d’écrire _faix, faux,
  heureux, roux_, écrivons avec l’_s_: _fais, faus, heureus, rous_,
  à cause des dérivés _affaissement, affaisser, fausse, faussement,
  fausseté, fausser, heureuse, heureusement, rousse, rousseur,
  roussir_. Une analogie plus générale demande même que l’on change
  _x_ partout où cette lettre ne se prononce pas comme _cs_ ou _gz_ et
  qu’on écrive _Aussère_ (ville), _Brussèles_ (ville), _soissante,
  sizième, sizain, dizième_, comme on écrit déjà _dizain_ et _dizaine_.
  Il faut écrire aussi les _lois_, de la _pois_, la _vois_, des _pous_,
  les _fous_, _ceus_, les _vœus_, etc., et ne laisser à la fin des mots
  que les _x_ qui s’y prononcent comme dans _borax, Stix_.

  «Il est d’usage d’écrire _dépôt, entrepôt, impôt, supôt_, avec un
  _t_ inutile et un accent que réclame, dit-on, une _s_ supprimée:
  eh! supprimons, au contraire, ce _t_ inutile et rétablissons l’_s_
  réclamée d’ailleurs avec justice par les dérivés _déposant_, etc.,
  _entreposeur_, etc., _imposant_, etc., _suposition, supositoire_,
  etc., et nous écrirons _dépos, entrepos, impos, supos_, comme
  nous avons déja par la même analogie _dispos, propos_ et _repos_...
  Il est d’usage d’écrire _nez_ avec un _z_ et les dérivés avec _s,
  nasal, nasalite, nasard, nasarde, nasarder, naseau, nasillard,
  nasiller_: il faut choisir et mettre _z_ dans les dérivés comme dans
  le radical, ou _s_ dans le radical comme dans les dérivés. Ce dernier
  parti est le plus sûr.

  «... Nous avons _courtisan, courtisane, courtiser, courtois_,
  etc., qui viennent de _cour_. Reprenons l’usage de nos pères, qui
  écrivoient _court_ du latin _cors, cortis_ (basse-court), d’où
  viennent le _corte_ des Espagnols, le _corteggio_ des Italiens
  et notre mot _cortége_. En restituant ce caractère d’étymologie,
  objet si précieux pour les amateurs, nous rétablirons les droits
  raisonnables et bien plus utiles de l’analogie.

  «Un quatrième principe d’analogie est de ne jamais supprimer la
  consonne finale du radical dans les dérivés quoiqu’elle y soit
  muette, à moins que sa position dans le dérivé n’induise à la
  prononcer; c’est ainsi qu’on écrit sans _p_ les mots _corsage,
  corselet, corset, corsé_, quoiqu’ils viennent de _corps_, parce
  que le _p_ embarrasseroit la prononciation et la rendroit douteuse.
  Je crois que par analogie on doit de même écrire sans _p_ les
  mots _batême, batiser_, Jean _Batiste_, _batistère_, parce qu’on
  seroit tenté d’y prononcer le _p_, comme il faut le prononcer et
  conséquemment l’écrire dans _baptismal_.

  «Il est contraire au bon sens de restreindre, par des exceptions
  inutiles, bizarres, embarrassantes et contradictoires, la règle de la
  formation de nos pluriels, qui fait ajouter _s_ à la fin des noms et
  adjectifs singuliers non terminés par _s, x_ ou _z_.» Il faut donc
  écrire ses _gents_, _touts_ les hommes.

  «Les adjectifs terminés en _ant_ ou _ent_ forment leurs adverbes, de
  manière que l’oreille les entend finir par _ament_; cependant les uns
  s’écrivent par _amment_ et les autres par _emment_: les étrangers
  et les nationaux peu instruits sont en danger de prononcer ces deux
  syllabes comme les deux premières du mot _emmancher_ ou de prononcer
  la première des deux comme la première des mots _Àmmonite, Èmmanuel_.
  Supprimons donc la première _m_, puisqu’elle ne se prononce plus,
  et les adverbes venus des adjectifs en ANT s’écriront simplement
  et analogiquement par AMENT. De _savant, instant, puissant_, on
  formera _savament, instament, puissament_. Quant aux adverbes
  venus des adjectifs en ENT, outre la suppression de la première
  _m_, qui y est également nécessaire, il faut y introduire un _a_,
  puisqu’on l’y entend. Cet _a_ doit même entrer dans l’orthographe de
  l’adjectif pour caractériser l’analogie. Ainsi, écrivons _diligeant_
  et _diligeament_, _négligeant_ et _négligeament_, _prudant_ et
  _prudament_, _violant_ et _violament_. Je conserve l’_e_ dans
  _diligeant_ et _négligeant_, parce qu’il y est nécessaire pour faire
  siffler le _g_ et l’empêcher d’être guttural, et je supprime l’_e_
  dans _prudant_ et _violant_, parce qu’il y seroit absolument inutile.»

Beauzée, poursuivant le cours de ses délicates et ingénieuses
observations, énonce ensuite quelques règles qui se recommandent à
l’attention des partisans de la néographie phonétique: «Il faut,
dit-il, écrire le son _o_ par _au_ dans les mots dont les analogues ont
_a_ ou _al_ en même place, et par _eau_ dans ceux dont les analogues
ont _e_ ou _el_ dans la syllabe correspondante, comme:

    ch_au_d, ch_au_fer     à cause de    ch_a_leur
    f_au_s, f_au_ssaire      --          f_al_sifier
    h_au_t, h_au_sser        --          ex_al_ter
    m_au_dire                --          m_a_lédiction
    n_au_frage               --          n_a_vire
    ps_au_me, ps_au_tier     --          ps_al_miste
    agn_eau_                 --          agn_el_ér
    b_eau_té                 --          b_él_
    chap_eau_                --          chap_el_iér
    grum_eau_                --          grum_el_ér
    mant_eau_                --          mant_e_
    roul_eau_                --          roul_é_r.

  «Si l’on entend dans quelques mots un _o_ simple ou la voyelle
  composée _ou_, l’analogie exige que dans tous les mots de la même
  famille où au lieu de _o_ ou de _ou_ on entendra _eu_, on écrive
  _œu_; ainsi écrivons-nous:

    b_œu_f       à cause de      b_ou_vier
    c_œu_r         --            c_o_rdial
    ch_œu_r        --            ch_o_riste
    m_œu_rs        --            m_o_ral
    n_œu_          --            n_ou_ér
    _œu_f          --            _o_vaire et _o_val
    _œu_vre        --            _ou_vriér
    s_œu_r         --            s_o_roral
    v_œu_          --            v_ou_ér ou v_o_tér.

  «D’après ce principe, combiné avec la manière dont je propose
  d’écrire _l_ mouillée, il faut écrire _œll_ au lieu de _œil_.
  Puisqu’il est reçu d’écrire _vœu_ à cause de _vouer_, pourquoi
  n’écriroit-on pas _avœu_, tant par analogie avec _vœu_ qu’à cause
  d’_avouer_? Nous écrivons _cueillir_ et nous y prononçons _eu_
  qui n’y est point écrit: les mots _colècte, colècteur, colèctif,
  colèction_, qui sont de la même famille, nous indiquent _œ_ et nous
  avertissent d’écrire _cœullir, acœullir, recœullir_, de là _acœull,
  recœull_, même _cercœull_, et par l’analogie des sons _orgœull_ où
  l’on prononce _œu_, puis _orgoélleus_, parce qu’on n’y prononce que
  _é_.»

  18º L’auteur demande que l’on écrive:

  _à fin_       au lieu de _afin_        ╮ à cause de _à cette fin,
  _en fin_         --      _enfin_       ╯              à cause_
  _au près_        --      _auprès_           --      _de près, de
                                                        loin_
  _aussi tôt_      --      _aussitôt_    ╮    --    ╭ _plus tôt, bien
  _bien tôt_       --      _bientôt_     ╯          | tôt, aussi tard,
                                                    ╰ bien tard_
  _en suite_       --      _ensuite_          --      _par suite, à la
                                                        suite_
  _autre fois_     --      _autrefois_   ╮
  _quelque fois_   --      _quelquefois_ |    --      _une fois,
  _toute fois_     --      _toutefois_   ╯              plusieurs fois_
  _par ce que_     --      _parce que_        --      _par la raison
                                                        que_
  _lors que_       --      _lorsque_          --      _tandis que_,
                                                        etc.
  _pour quoi_      --      _pourquoi_         --      _pour qui_

  19º Il réunit, au contraire, les mots suivants: un _acompte_, des
  _acomptes_, des _apropos_, des _apeuprès_. En terminant, Beauzée défend ainsi son système du reproche d’attenter à
l’étymologie et à la prosodie:

  «Pour ce qui concerne les droits de l’étymologie, je le demande,
  est-il raisonnable que nous allions chercher dans une langue
  étrangère et morte, qui est ignorée des dix-neuf vingtièmes de la
  nation, les raisons de notre orthographe, que toute notre nation
  doit savoir? N’est-ce pas condanner gratuïtement à l’ignorance
  d’une chose essencielle tous ceux qui n’auront pas fait les frais
  superflus d’étudier le latin et le grec? N’est-ce pas mettre des
  entraves ridicules à la perfection d’une langue qui, après tout, doit
  nous être plus précieuse que toute autre? L’orthographe est pour
  toute la nation; la connoissance des étymologies n’est que pour un
  très-petit nombre d’hommes, qui même n’en tirent pas grand avantage,
  ni pour eux-mêmes ni pour l’utilité publique: faut-il donc sacrifier
  l’avantage de vingt millions d’ames aux vûes pédantesques de
  deux-cents personnages, qui n’en sont ni plus savants ni plus utiles?
  L’injustice et le ridicule de cette prétention ont été sentis par
  l’Académie della Crusca, pour la langue italienne, et par l’Académie
  royale de Madrid, pour la langue castillane: l’orthographe de ces
  deux langues est réduite à peindre juste la prononciation, sans égard
  pour des étymologies qui la défigureroient; et les savants d’Italie
  et d’Espagne n’en seront pas moins bons étymologistes. Mais chez nous
  même, d’où vient qu’il n’a pas plu à l’usage de redoubler la consonne
  dans quelques mots, où toutefois la raison servile d’imitation à
  cause de l’étymologie militoit autant que dans les autres mots où
  l’on a consacré ce redoublement? C’est que quelquefois la raison l’a
  emporté sur l’aveugle et imbécile routine et que l’on a quelquefois
  obéi au principe invariable qui veut que l’écriture soit l’image
  fidèle de la parole.

  «Ce qu’on allègue en faveur des droits de la prosodie est-il
  mieux fondé? Il faut, dit-on, redoubler la consonne pour marquer
  la brièveté de la voyelle précédente. Ce prétendu principe est
  absolument faux, de l’aveu même de l’usage: car 1º nous trouvons
  la consonne redoublée après des voyelles longues: _flāmme, mānne,
  abbēsse_, que je _fīsse, grōsse_, que je _pūsse_, que je _poūsse,
  paīssez_, etc.; 2º on trouve de même des voyelles brèves avant une
  consonne simple: _dămier, interprĕter, docĭlité, dévŏte, fortŭné,
  boŭle, jeŭnesse, retraĭte_, etc. Quand ce principe seroit admis sans
  exception dans la pratique, peut-être faudroit-il encore y renoncer,
  parce qu’il seroit au moins inutile: ne suffiroit-il pas de marquer
  de l’accent circonflexe les voyelles longues et d’écrire les brèves
  sans accent? N’avons-nous pas déjà _tâche_ et _tache_, _mâtin_ et
  _matin_, _châsse_ et _chasse_, _bête_ et _bète_ (racine), _gîte_ et
  il _agite_, le _nôtre_ et _notre_ avis, etc.? A ces deux vices, déja
  considérables, de fausseté et d’inutilité, ajoutons que ce principe
  est encore opposé à l’effet naturel du redoublement de la consonne,
  qui est d’alonger la voyelle précédente.»

Beauzée a, comme on le voit, étudié dans ses détails et avec beaucoup
d’érudition et de sagacité le mécanisme de l’orthographe étymologique.
Quelques-unes de ses modifications pourraient être acceptées; d’autres,
celles qui entraînent l’augmentation du nombre des accents, sont
ingénieuses, mais tout à fait impraticables. Pour se disculper du
reproche qu’on lui a fait de cette complication, Beauzée cite un
passage de l’_Enchiridion_ d’Épictète, où, dans le texte grec, se
trouvent 41 accents pour 37 mots, tandis que la traduction littérale,
orthographiée selon son système, ne montre que 23 accents sur 55 mots.
Voici cette traduction:

  «Cés gênts veulent aussi être philosophes. Home, aye d’abord apris ce
  que c’est que la çhose que tu veus être; aye étudié tés forces et le
  fardeau; aye vu si tu peus l’avoir porté; aye considéré tés bras et
  tés cuisses, aye éprouvé tés reins, si tu veus être qùinqùèrcion ou
  luteur.»

Dans la langue grecque, tous les mots ayant une accentuation
tonique très-fortement accusée, ces marques devenaient bien plus
nécessaires qu’elles ne le sont dans la nôtre, pour fixer la diction.
L’accentuation grecque (l’aigu, le grave, le circonflexe), qui a servi
de modèle à la nôtre, ne fut introduite qu’au deuxième siècle avant
J.-C., et c’est à Alexandrie qu’elle fut d’abord mise en usage par
son inventeur, Aristophane de Byzance, pour fixer la prononciation et
la préserver d’être altérée par tant de populations étrangères qui
parlaient le grec. On ne trouve, d’ailleurs, aucun texte manuscrit,
sauf des grammaires, accentué au complet avant le XIe siècle de notre
ère.


DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

    JEAN-ÉTIENNE-JUDITH FORESTIER BOINVILLIERS-DESJARDINS, membre
    correspondant de L’Institut de France. _Grammaire raisonée ou cours
    théorique et pratique de la langue française._ Paris, 1802, in-8 de
    526 pp.

Ce savant grammairien figure au nombre des réformateurs les plus
modérés. Il n’admet pas de séparation entre la langue française et
le latin dont l’étude lui paraît indispensable pour la connaissance
du système de l’orthographe française. Fidèle sur tous les points à
l’étymologie, il n’adopte que les changements qui s’y conforment,
de sorte que sa réforme porte presque exclusivement sur les doubles
consonnes, qu’il remplace par les simples là seulement où elles sont
d’accord avec les primitifs latins. Cette amélioration constitue déjà
un pas en avant, mais reste imparfaite puisque dans certains mots elle
se conforme à l’étymologie latine, contrairement à la prononciation.
Boinvilliers a fait un code d’orthographe à l’usage des lettrés, et par
conséquent ne se soucie pas de la régularité qui doit être l’âme de
tout système d’écriture rationnelle.

Il écrit donc: _nourir, étoner, doner, conaître, apartenir, quiter,
atendre, ariver, honeur, home, persone, acord, someil_, etc., et d’un
autre côté: _différer_ et _différence, commettre_ et _commission,
approuver_ et _approbation_, etc.

Dans les mots où la pénultième se trouve être un _e_ muet suivi
immédiatement de la double consonne, il le remplace par un _è_ après
la suppression de la consonne. Exemples: _tèle, bèle, cète, anciène,
cruèle, qu’il viène_. Il écrit _énemi_ avec un _e_ aigu. Il remplace
par l’_s_ l’_x_ final des substantifs et des adjectifs pour les
conformer à la règle générale de la formation du féminin, ex.: _épous,
épouse, heureus, heureuse_.

Il écrit avec un _c_ tous les adjectifs dont le substantif
correspondant possède le _c_ à la désinence, comme _confidenciel_
(confidence), _substanciel_ (substance), _essenciel_ (essence),
_pénitenciel_ (pénitence), et avec un _t_ ceux où cette consonne existe
dans le primitif, comme _séditieus_ (sédition), _factieus_ (faction),
ou qui ne dérivent pas d’un substantif, comme _captieus_ (capter).

Il écrit avec Voltaire _nous fesons, bienfesant, malfesant_.

Il remplace l’_y_ par l’_i_ partout où il ne représente pas deux _i_,
et il écrit avec beaucoup de raison: les _ieux, venez i_ (_i_ venant
de _ibi_).

Il est inutile d’ajouter qu’il conserve partout les _ph_ et _th_
étymologiques.


    URBAIN DOMERGUE, de l’Institut. _La prononciation françoise,
    déterminée par des signes invariables, avec application à divers
    morceaux, en prose et en vers, contenant tout ce qu’il faut
    savoir pour lire avec correction et avec goût; suivie de notions
    orthographiques et de la nomenclature des mots à difficultés._
    Paris, F. Barret, l’an V, in-8 de 302 pp.--_La prononciation
    françoise, où l’auteur a prosodié, avec des caractères dont il est
    l’inventeur, sa traduction en vers des dix églogues de Virgile et
    quelques autres morceaux de sa composition; augmentée d’un tableau
    des désinences françoises, pour faciliter l’étude des genres.
    Manuel indispensable pour les étrangers, amateurs de cette langue,
    infiniment utile aux François eux-mêmes._ Seconde édition. Paris,
    librairie économique, 1806, in-8 de 3 ff. 540 pp., plus 3 ff.

Les travaux de Domergue sur la langue française remontent à 1778. C’est
à cette époque qu’il fit paraître sa _Grammaire française simplifiée_
(in-12), réimprimée en 1792. En 1784, il fonda à Lyon le _Journal de la
langue française_, qui fut continué jusqu’en 1791. En 1790, il publia
le _Mémorial du jeune orthographiste_ (in-12). Revenu à Paris, il forma
la _Société des amateurs et régénérateurs de la langue française_, dont
sortit plus tard le _Conseil grammatical_, tribunal officieux dont le
rôle était de donner des solutions aux questions grammaticales offrant
des difficultés. Ces _solutions_ furent publiées en 1 vol., en 1808. On
a encore de cet académicien deux opuscules sur l’orthographe: _Exercice
orthographique_ (Paris, 1810, in-12), et les _Notions orthographiques_.
Bien que je n’aie pu me procurer ces ouvrages, j’ai cru utile de les
mentionner bibliographiquement.

La partie critique dans le travail de cet académicien n’a pas
l’importance que les autres novateurs ont cru devoir lui donner à
l’appui de leur système.

  «Si notre alphabet étoit bien fait, dit Domergue, p. 177, si chaque
  son étoit exprimé par un signe qui lui convînt toujours, qui ne
  convînt qu’à lui, la connoissance de l’alphabet seroit la clé de la
  prononciation. Mais notre langue parlée a 40 éléments (voir plus
  loin, p. 359), et nous n’avons que 24 lettres. Encore, ces lettres
  trompent-elles sans cesse l’œil par des sons contraires aux signes,
  l’oreille par des signes contraires aux sons. Tâchons de mettre
  d’accord les deux sens particulièrement consacrés à la parole, la
  vue et l’ouïe. Que dans l’alphabet que je destine à réfléchir la
  prononciation, comme une glace fidèle réfléchit les objets, ces deux
  principes soient invariablement suivis: 1º autant de signes simples
  que de sons simples; 2º application constamment exclusive du signe au
  son.»


TABLEAU DES VOYELLES DE DOMERGUE.

  a,   comme dans _ami, baril_                  _a_ aigu.
  ƨ [‡ représente un ɑ combiné avec un ƨ],
       comme dans _câble, raser_                _a_ grave.
  ẚ [‡ représente un ɑ suivi d'une brève ̆  accolée],
       comme dans _banc, temps_                 _a_ nasal.
  o,   comme dans _domino, loto_                _o_ aigu.
  ℴ [‡ représente un o manuscrit ouvert],
       comme dans _grossir, rosier_             _o_ grave.
  ơ    comme dans _bonté, ombre_                _o_ nasal.
  ẻ [‡ représente un e précédé d'un accent aigu haut accolé],
       comme dans _thé, café_                   _e_ aigu bref.
  ē [‡ représente un e précédé d'un tiret horizontal accolé],
       comme dans _lésion, fée_                 _e_ aigu long.
  ȩ [‡ représente un e précédé d'un accent aigu bas accolé],
       comme dans _succès, caisse_              _e_ grave.
  e,   comme dans _modèle, foible_              _e_ moyen.
  ẽ [‡ représente un e suivi de deux brèves ̆ ̆  accolées],
       comme dans _lien, vin_                   _e_ nasal.
  ı, comme dans _colibri, biribi_               _i_ bref.
  ī [‡ représente un ı précédé d'un tiret horizontal accolé],
       comme dans _cerise, gîte_                _i_ long.
  u, comme dans _vertu, tube_                   _u_ bref.
  ŭ [‡ représente un u précédé d'une brève ̆  accolée],
       comme dans _ruse, flûte_                 _u_ long.
  ə [‡ représente un ə sans le tiret horizontal],
       comme dans _joujou, bijou_               _ou_ bref.
  ɔ, comme dans _pelouse, croûte_               _ou_ long.
  c, comme dans _bonne, jeton_                  _eu_ faible.
  ̄c [‡ représente un c précédé d'un tiret horizontal accolé],
       comme dans _feu, peuplier_               _eu_ bref.
  ̆c [‡ représente un c précédé d'une brève ̆  accolée],
       comme dans _creuse, beurre_              _eu_ long.
  ƈ, comme dans _un, à jeûn_                    _eu_ nasal.

CONSONNES:

  m, comme dans _maman_                                   _me_.
  b, comme dans _battre_                                  _be_.
  p, comme dans _papa_                                    _pe_.
  v, comme dans _vivacité_                                _ve_.
  f, comme dans _force_                                   _fe_.
  d, comme dans _devoir_                                  _de_.
  t, comme dans _tutoyer_, et jamais comme dans _portion_ _te_.
  n, comme dans _Nanine_, et jamais comme dans _bon_      _ne_.
  l, comme dans _lunatique_                               _le_.
  ł, comme dans _famille_                                 _le_ mouillé.
  ŋ, comme dans _ignorant_, et jamais comme dans _gnome_  _gn_ mouillé.
  z, comme dans _azur_                                    _ze_.
  s, comme dans _salut_, et jamais comme dans _ruse_      _se_.
  r, comme dans _rire_                                    _re_.
  ȷ, comme dans _jujube_                                  _je_.
  ℐ[‡], comme dans _chercher_                             _ch_ doux.
  g, comme dans _guérir_, et jamais comme dans _pigeon_   _ghe_.
  q, comme dans _camisole, colère_                        _que_.
  ɋ, comme dans _cœur, requête_                           _q_ adouci.
  ‛, comme dans les _héros_                               aspiration.

      [‡] Ce signe ℐ est utilisé ici pour un j sans point, avec une
      boucle.

On voit que, dans l’écriture inventée par Domergue, le caractère _c_
a changé de fonction et représente _eu_ faible que l’auteur croit
entendre dans notre _e_ muet ou _e_ féminin, _bonne, jeton_. L’_y_
a également disparu, et avec lui toute trace de l’origine grecque
d’une partie des mots de la langue. Pas d’_œ_; pas d’accents. Dans
les consonnes le _c_ est remplacé dans ses fonctions par _q_ dans
_camisole_, par ɋ dans _cœur_, par _s_ dans _ceux-ci_; _f_ figure les
sons _f_ et _ph; h_ est éliminée là où il n’y a pas aspiration; et
dans _héros_, etc., elle est figurée par l’esprit rude des Grecs; _k_,
lettre inutile en présence des deux _coppa_ (_q_ et ɋ), disparaît
également; deux signes nouveaux, l’un pour le _gn_ mouillé, _montagne_,
l’autre pour _ll_ mouillé, économisent chacun une lettre; _t_ n’a plus
qu’une fonction, _x_ a disparu ainsi que le _w_.

Domergue reconnaît vingt et une voix ou voyelles distinctes qu’il
représente par vingt et un signes; dix-neuf articulations qu’il exprime
par dix-neuf consonnes, dont chacune, comme chaque voyelle, a un emploi
fixe et incommunicable.

Si le système de cet académicien était logique et bien conçu sous
plusieurs rapports, en pratique il était inexécutable. Son écriture,
hérissée de signes nouveaux et peu distincts les uns des autres, blesse
toutes les habitudes de l’œil, supprime les accords du singulier et du
pluriel dans les substantifs et dans les verbes, et, violant ainsi les
lois premières de la grammaire, nous ramènerait à une sorte de barbarie.


    GIRAULT-DUVIVIER. _Grammaire des grammaires, ou Analyse raisonnée
    des meilleurs travaux sur la langue française._ Quatrième édition.
    Paris, 1819, 2 vol. in-8. (La première édition est de 1811.)

Ce volumineux travail a joui pendant longtemps d’une grande réputation.
Le public, partant de cette idée que la meilleure grammaire devait être
la plus complète, c’est-à-dire celle dans laquelle se trouveraient
entassées en plus grand nombre, sous forme de règles, d’exceptions et
d’exceptions de l’exception, les irrégularités et les contradictions
de notre langue, a pendant trente ans accordé sa faveur à cette vaste
compilation des traités de grammaire alors connus.

Pour donner une idée de la critique de son auteur, je me bornerai
à remarquer que, loin de s’être enquis par un examen attentif et
personnel de la valeur des travaux des novateurs qui l’avaient
précédé, il s’est contenté, au chapitre ORTHOGRAPHE, t. II, p. 895, de
reproduire sans citer, mais en la paraphrasant de temps à autre, la
condamnation qu’en 1706, c’est-à-dire cent ans plus tôt, Regnier des
Marais avait portée contre eux dans sa Grammaire.

  Girault-Duvivier conclut ainsi: «Au surplus, ce qui répond plus
  victorieusement encore que tout ce qu’on vient de lire, aux divers
  projets tendant à la réforme de l’orthographe ordinaire, c’est
  que Regnier des Marais, le P. BUFFIER, le P. Bouhours, MM. DE
  PORT-ROYAL, BEAUZÉE, CONDILLAC, GIRARD, D’OLIVET et le plus grand
  nombre de grammairiens modernes, se sont constamment opposés à leur
  adoption; c’est que les _écrivains_ du siècle de Louis XIV et enfin
  l’_Académie_, juge auquel doit se soumettre tout auteur, quelque
  célèbre, quelque éclairé qu’il soit, les ont rejetés.»

Cette citation textuelle, dans laquelle il y a presque autant
d’erreurs que de mots, ainsi qu’on peut s’en assurer par l’analyse
qu’on trouve ici des travaux de Buffier, de Port-Royal, de Beauzée,
de Girard, de d’Olivet et les spécimens de l’orthographe des grands
écrivains (Appendice _E_), montre suffisamment avec quelle légèreté les
grammairiens les plus accrédités avaient, jusqu’à nos jours, traité la
question de la réforme orthographique. Je serais heureux si le présent
ouvrage parvenait à déblayer le terrain de la discussion de tant
d’arguments faux répétés à satiété!


    C.-F. VOLNEY. _L’Alfabet européen appliqué aux langues asiatiques,
    ouvrage élémentaire, utile à tout voyageur en Asie_ (tome VIII des
    Œuvres complètes). Paris, Bossange frères, 1821, in-8.

Quoique cet ouvrage, aussi bien que celui de M. Féline, concerne plus
particulièrement la réforme dite _phonographique_, j’ai cru devoir
les mentionner, puisqu’ils ont indirectement rapport à l’orthographe,
par la classification des sons de la langue, et sont le résultat de
longs efforts et de consciencieuses études. La tentative de dresser
un alphabet unique et commun aux langues de l’Europe et de l’Asie est
une idée aussi grande que généreuse[194]. Volney lui-même a fondé un
prix annuel de 1,200 francs pour la réalisation de cette entreprise à
laquelle il a consacré tant de voyages et de si longues études.

      [194] L’Angleterre poursuit depuis une trentaine d’années un
      problème encore plus vaste et non moins important, celui d’un
      alphabet typographique latin perfectionné et complété, qui soit
      propre à la transcription de toutes les langues des tribus
      de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique, de l’Océanie, de la
      Polynésie, explorées par ses missionnaires. (Voir Max Müller,
      _Nouvelles Leçons de la science du langage_, p. 199.)

Le savant académicien a puisé dans la comparaison des idiomes,
nécessaire à la préparation de son œuvre, des moyens de perfectionner
le mécanisme de notre orthographe. Doué d’un vrai talent d’observation
et d’une sagacité égale à sa persévérance, il doit à l’analyse
minutieuse qu’il a faite des sons propres aux diverses langues qu’il a
comparées une connaissance profonde des vices de notre écriture.

L’étude à laquelle Volney s’est livré au sujet des voyelles européennes
et particulièrement des voyelles françaises (p. 25 à 61) depuis
cinquante ans n’a guère été dépassée. Voici comment il résume les idées
de ses prédécesseurs sur la détermination du nombre de nos voyelles:

  «Avant Beauzée, l’abbé Dangeau (en 1693) avait compté aussi treize
  voyelles, mais il y comprenait aussi les quatre nasales: par
  conséquent il les bornait à neuf. Ce fut déjà une grande hardiesse à
  lui de les proposer au corps académique, qui, selon l’habitude des
  corporations et la pesanteur des masses, se tenait stationnaire dans
  le vieil usage de ne reconnaître que les cinq voyelles figurées par
  A, E, I, O, U. L’abbé Dangeau eut le mérite d’établir si clairement
  ce qui constitue la _voyelle_, que la majorité des académiciens ne
  put se refuser à reconnaître pour telles les prétendues diphtongues
  OU, EU, qui réellement ne sont pas diphtongues, mais _digrammes_,
  c’est-à-dire doubles lettres[195]. Du reste, Dangeau ne distingua pas
  bien les deux A, les deux O, ni les deux EU.

      [195] L’auteur explique très-bien, dans plusieurs endroits, le
      mécanisme de la formation de ces _digrammes_, qui s’est produite
      en Europe comme en Asie. Ayant à figurer des sons nouveaux avec
      un alphabet restreint, on a, plutôt que d’introduire un signe
      nouveau, réuni les signes des sons qui isolément paraissent se
      faire entendre dans la nouvelle voyelle.

  «Après Dangeau (en 1706), l’abbé Regnier des Marais, chargé par
  l’Académie d’établir une grammaire officielle comme le Dictionnaire,
  n’osa que faiblement suivre la route ouverte par Dangeau: en
  établissant d’abord six voyelles il commit la faute de présenter _y_
  et _i_ comme différens, lorsque de fait leur son est le même[196];
  et dans l’exposé confus, embarrassé qu’il fit de toute sa doctrine,
  il décela l’hésitation et le peu de profondeur de la doctrine alors
  dominante. A ce sujet, je ne puis m’empêcher de remarquer que les
  innovations ne sont jamais le fruit des lumières ou de la sagesse des
  corporations, mais au contraire celui de la hardiesse des individus,
  qui, libres dans leur marche, donnent l’essor à leur imagination
  et vont à la découverte en tirailleurs: leurs rapports au corps
  de l’armée donnent matière à délibération: elle serait prompte
  dans le militaire, elle est plus longue chez les gens de robe.
  Toute innovation court risque d’y causer un schisme, d’y être une
  hérésie, et ce n’est qu’avec le temps, qu’entraînée par une minorité
  croissante, la majorité entre et défile dans le sentier de la vérité.»

      [196] Volney a raison en ce qui concerne l’_y_ étymologique, mais
      l’_y_ français, dans _pays, moyen_, est une véritable voyelle
      diphthongue.

Voici le tableau des voyelles de Volney en ce qui regarde le français:

   1. a    clair ou bref, petit _a_   _Ex._: Paris, patte, mal;
   2. a    profond ou long, grand _â_        âme, âge, pâte, mâle;
   3. o    clair ou bref, petit _o_          odorat, hotte, molle, sol;
   4. o    profond ou long, grand _ô_        hôte, haute, môle, saule,
                                               pôle;
   5. où   bref, petit _ou_                  chou, sou, trou;
   6. oû   profond, grand _oû_               voûte, croûte, roue, houe;
   7. eù   clair, guttural                   cœur, peur, bonheur;
   8. eu   profond, creux                    eux, deux, ceux;
   9. ╭ e    muet, féminin                   borne, ronde, grande;
      ╰ ... _e_ gothique                     que je me repente;
  10. ê    ouvert                            fête, faîte, mer, fer;
  11. ée   _e_ (sans nom), _æ, ̄e_            née, nez;
  12. é    masculin                          né, répété;
  13. i    bref, petit _i_                   midi, imité, ici;
  14. î    long, grand _î_                   île (en mer), la bîle;
  15. u    français                          hutte, chute, nud;
  16. ╮          ╭ an                        pan (de mur);
  17. | Nasales: | on                        son (de voix);
  18. |          | in                        brin, pain, pin, peint;
  19. ╯          ╰ un                        un, chacun.

La réalisation du projet de Volney serait un puissant auxiliaire pour
la diffusion des lumières et de la civilisation en Europe. Voici
comment M. Féline s’exprimait à ce sujet dans l’introduction de son
_Dictionnaire phonétique_:

  «La création d’un tel alphabet intéresse au plus haut degré la
  politique intérieure de tous les grands États. Les sujets de la
  France parlent allemand, italien, breton, basque, arabe, et nombre
  de patois qui diffèrent beaucoup du français. Ceux de l’empire
  britannique parlent gallois, irlandais, écossais et font usage
  d’une multitude d’idiomes dans de nombreuses colonies. La Russie,
  disent les géographes, compte plus de cent langues différentes, dont
  vingt-sept principales; l’Autriche en compte également une quantité
  considérable dans ses divers États, animés chacun d’une nationalité
  jalouse. Les États-Unis sont peuplés en partie d’émigrants venus
  de toutes les contrées du monde. Il n’est pas jusqu’à la Suisse où
  règnent trois idiomes bien distincts. Certes, si la confusion des
  langues a arrêté l’édification de la tour de Babel, l’administration
  de chacun de ces États doit souffrir de la difficulté qu’éprouve
  l’autorité à se faire comprendre de tous les sujets soumis à sa
  loi. Toutes ces nations doivent donc appliquer leurs efforts à se
  faciliter réciproquement l’étude de ces nombreux idiomes, surtout
  de celui qui est adopté par le gouvernement dans chaque pays. Elles
  atteindraient assurément ce but en apportant à l’alphabet toutes les
  simplifications dont il est susceptible et en le rendant commun à
  toutes les langues.»

On verra plus loin, à l’article consacré à l’ouvrage de M. Raoux, les
moyens récemment proposés pour parvenir à ce but, et qui font l’objet
d’un art que ses adeptes appellent _phonographie_.


    P.-R.-FR. BUTET, directeur de l’école polymathique. _Mémoire
    historique et critique dans lequel l’_S _se plaint des irruptions
    orthographiques de l’_X, _qui l’a supplantée dans plusieurs cas,
    sans aucune autorisation ni étymologique ni analogique; à messieurs
    les membres de l’Académie française et de celle des inscriptions et
    belles-lettres._ Paris, imprimerie d’Éverat, 1821, in-8 de 19 pp.

Dans les doléances que la lettre S adresse à l’Académie, elle s’élève
d’abord contre le trouble apporté dans son emploi régulier par ces
impératifs de la première conjugaison à la seconde personne du
singulier, _manges-en, goûtes-y, vas-y_; elle se contenterait
modestement de la configuration _mange-s-en, goûte-s-y, va-s-y_,
qui préciserait son rôle de lettre euphonique.

Par suite de l’extension toujours croissante d’emploi qu’elle a
reçue des Grammairiens, par exemple, à la fin de ces mots je _croi_,
je _tien_, je _vien_, etc., elle se croit en droit de défendre sa
position comme lettre euphonique et comme marque du pluriel contre les
empiétements de l’_x_.

Notre _x_ nous vient des Latins. Mais quel rôle cette lettre double
a-t-elle joué chez eux?

Les nominatifs en _is_ de la troisième déclinaison, _canis, classis,
fortis, dulcis_, sont identiques avec la forme du génitif: tel était
le type primitif. Mais, en raison de la fréquence de leur emploi,
certaines formes du nominatif se sont altérées. Ces altérations se sont
faites de plusieurs manières, et entre autres par contraction: _trabs,
urbs, ops, hyems_, etc., sont des contractions de _trabis, urbis,
opis, hyemis_, qu’on retrouve au nominatif dans les anciens auteurs.
Par suite de la même contraction, _audacis_ et _regis_ sont devenus
_audacs_ et _regs_: l’_x_ est alors intervenu pour figurer ces deux
finales et ces deux sons par une seule lettre.

Les prétérits latins ont éprouvé des modifications non moins
importantes, où l’_x_ est venu jouer son rôle. _Luceo, frigo, dico,
duco_, au lieu de _luci, frigi, dici, duci_, ont donné _luxi, frixi,
dixi, duxi_.

_Flectum, plectum, fluctum_, n’ont pu devenir _flecsum, plecsum,
flucsum_ que sous la forme orthographique _flexum, plexum, fluxum_.
Telle est l’origine des supins en _xum_.

Il résulte de ces observations que l’_x_, sauf le cas de préexistence
dans un radical, ne peut s’introduire secondairement en orthographe que
dans trois cas généraux en latin: 1º comme finale de substantifs et
adjectifs de la troisième déclinaison; 2º comme faisant partie de la
terminaison des prétérits en _xi_; et 3º dans les supins en _xum_; par
conséquent, on peut, par droit d’hérédité, conserver sa présence dans
tous les mots français qui émanent de ces trois sources et, comme cela
a eu lieu en latin, dans tous leurs dérivés.

On peut admettre que, comme monument ancien, _x_ reste dans _appendix,
hélix, index_ (que beaucoup de personnes écrivent déjà _appendice,
hélice, indice_), dans _chaux_, de _calx_, dans _choix_, de _collexus_,
altération de _collectus_, dans _croix_, de _crux_, dans _crucifix_, de
_crucifixus_, dans _faux_, de _falx_, dans _flux_, de _fluxus_. De même
pour _larynx, pharynx, sphinx, voix, paix, poix, perdrix_; dans _taux_,
à cause de _taxe_, dans _six_, à cause de _sex_.

Il n’en est pas de même dans la terminaison des mots _faux, toux, houx,
époux_, pour lesquels il n’existe aucune raison étymologique de la
présence de l’_x_, et où l’_s_ seule apparaît dans les dérivés. Comment
justifier l’intrusion de l’_x_ dans la terminaison des adjectifs en
_eux_, tels que _précieux, généreux_, etc., provenus pour la plupart de
correspondants latins en _osus_?

La lettre S demande en terminant à l’Académie que puisque la docte
Compagnie l’a déjà rétablie dans ses droits pour les mots _rois_ et
_lois, clous, filous, fous, toutous, trous_ et _verrous_, elle lui
fasse la même grâce pour les mots _bijoux, cailloux, choux, genoux,
hiboux, joujoux_ et _poux_.

Elle réclamerait aussi sa place dans les pluriels des mots terminés en
_eux_ dérivés de latins en _osus_, ainsi que dans les quatre formes
verbales, je _peux_, je _veux_, je _vaux_, je _faux_.

La prononciation, en vers comme en prose, n’a rien à perdre à ces
corrections. L’étymologie et l’analogie y recouvreront leurs droits, et
la grammaire, affranchie d’exceptions, y gagnera par la simplification
et la généralisation de ses règles.

Il y a, comme on voit, d’excellentes idées dans ce petit travail, et
une analyse de ce genre pourrait être accomplie fructueusement pour
chacune des lettres de l’alphabet latin.


    _Solvique et phonique, c’est-à-dire: le mécanisme de la parole
    dévoilé et écriture universelle au moyen de quarante-huit
    phonins ou lettres, qui, à l’aide de quelques signes, accens et
    marques, désignent tous les sons de la parole avec leurs qualités
    prosodiques; précédées d’une esquisse de l’histoire de l’écriture,
    et suivies d’une méthode de noter la déclamation, moyennant douze
    chiffres duodécimaux, qui se trouvent également appliqués à
    l’arithmétique, ainsi qu’à un système de poids et mesures._ Par
    Ch.-L. B. D. M. G. Paris, Firmin Didot, octobre 1829, in-12, de
    VIII et 172 pp., plus 1 f. de modèle et un tableau.

C’est une réforme complète de l’écriture, établie sur une étude
minutieuse du fonctionnement des organes de la parole. L’auteur a
inventé de nouveaux signes qui diffèrent totalement des lettres de
l’alphabet.


    MARLE. Dans le _Journal de la langue française, didactique et
    littéraire_, années 1827-1829, 4 vol. in-8. (_Orthographe. Plan
    de réforme._)--_Appel aux Français._--_Réforme orthographique._
    Quatrième édition. Paris, I. Corréard jeune, 1829, in-32, de 144
    pp., plus 2 tableaux. (A la fin on trouve: _Réponse de M. Marle à
    la lettre de M. Andrieux_, de 11 pp.)

  «La langue française, dit M. Marle, a vingt-deux sons et treize
  articulations; pour représenter ce petit nombre de sons et
  d’articulations, on fait usage de CINQ CENT QUARANTE SIGNES (ils sont
  rangés dans le tableau ci-dessous), c’est-à-dire que nous employons
  _cinq cents_ caractères de plus que n’en exigent le besoin de la
  langue, la raison, le bon sens; c’est-à-dire que nous consumons dans
  l’étude DOUZE FOIS PLUS DE TEMPS qu’il n’en faut.

  «L’enfant qui doit retenir cinq cent quarante signes différents
  avant de savoir lire et orthographier n’en aura plus que quarante
  à apprendre pour arriver à la même connaissance. Ainsi, au lieu
  d’employer douze mois, je suppose, il ne lui en faudra qu’un seul
  pour apprendre à lire.»

Voici le tableau abrégé de la réforme de 1827:

  La langue française a 22 sons et 18 articulations. 40 signes
  suffisent donc pour tout représenter.

  SONS. _â_ que l’oreille entend dans _p_â_te_ sera uniquement
  représenté par le signe â. Écrivez donc _âme, flâme_.

  _a_ entendu dans a_mi_ sera représenté par a. Écrivez _almana,
  batême, fame_.

  _an_ entendu dans _rub_an par an. Écrivez _banbou, prandre_.

  _ô_ entendu dans _ap_ô_tre_ par ô. Écrivez _émérôde, étournô_.

  _o_ entendu dans o_gre_ par o. Écrivez _onorable, roujole_, au lieu
  de _honorable, rougeole_.

  _on_ entendu dans _b_on par on. Écrivez _bonbe, contabilité_, au lieu
  de _bombe, comptabilité_.

  _oû_ entendu dans _v_oû_te_, par oû. Écrivez _joûront, loûront,
  soûlé_, au lieu de _joueront, loueront, saouler_[197].

      [197] Ce mot a été corrigé par l’Académie en 1835.

  _ou_ entendu dans _b_ou_ton_, par ou. Écrivez _lou_ au lieu de _loup_.

  _oî_ entendu dans _cr_oî_tre_, par oî. Écrivez _soîrie_ au lieu de
  _soierie_.

  _oi_ entendu dans _r_oi, par oi. Écrivez _doitié, oirie_, au lieu de
  _doigtier, hoirie_.

  _ê_ entendu dans ê_tre_, par ê. Écrivez _parêtre, renêtre_ au lieu de
  _paraître, renaître_.

  _è_ entendu dans _mod_è_le_, par è. Écrivez _chandèle, fièr, sègle_,
  au lieu de _chandelle, fier, seigle_.

  _é_ de é_pi_ par é. Écrivez _éroïsme, éritaje_.

  _e_ de _s_e_lon_, par _e_. Écrivez _setié_[198].

      [198] Tout _e_ qui n’a pas d’accent est muet, et ne se prononce
      plus ni _é_, ni _è_, mais toujours _e_ comme dans _je, me, te_,
      etc.

  _eû_ de _j_eû_né_ par _eû_. Écrivez _beûglé, meûglé_.

  _eu_ de _fl_eu_r_ par _eu_. Écrivez _boneur, maneuvre_.

  _î_ que l’oreille entend dans _gîte_ par _î_. Écrivez _dîme_.

  _i_ de _p_i_pe_ par _i_. Écrivez _iver, sistème_.

  _in_ de _br_in par _in_. Écrivez _findre, vintième_.

  _û_ que l’oreille entend dans _piqûre_, par _û_. Écrivez donc
  _gajûre_.

  _u_ de _men_u par _u_. Écrivez _umanité_.

  _un_ de _trib_un par _un_. Écrivez _à jun, unble_.

  ARTICULATIONS. _q_ que l’oreille entend dans _cabriole, coton, cube,
  quiconque, quelconque_ par _q_. Écrivez _qabriole, qoton, qube,
  qiqonque, qélqonqe_.

  (La gutturale) _g_ (prononcez _gue_) de _guérir, guitare, navigua_
  par _g_. Écrivez _gérir, gitare, naviga_.

  _ch_ dans _cheval_ par _ch_. Écrivez _chisme, châle_.

  _j_ dans _jupe_ par _j_. Écrivez _jéomètre, pijon_.

  _r_ de _rare_ par _r_. Écrivez _réteur, rume_.

  _z_ de _zéro_ par _z_. Écrivez _vaze, dizième_.

  _s_ de _version_ par _s_. Écrivez _marsial, porsion_.

  (L’articulation mouillée) _gn_ de _vignoble_ par _ñ_. Écrivez
  _viñoble, Bourgoñe_.

  _n_ de _monarque_ par _n_. Écrivez _anée, oneur_.

  (L’articulation mouillée) _ll_ que l’oreille entend dans _bataillon_
  par _ḻ_. Écrivez _bataḻon, griḻage_.

  _l_ de _lumière_ par _l_. Écrivez _intervale, sculture_.

  _t_ de _tunique_ par _t_. Écrivez _téatre, ortografe_.

  _d_ de _devoir_ par _d_. Écrivez _adéré, adézion_.

  _v_ de _victoire_ par _v_. Écrivez _valse_[199].

      [199] Ainsi corrigé en 1835 par l’Académie.

  _f_ de _fantôme_ par _f_. Écrivez _filozofe, filantrope_.

  _b_ de _butte_ par _b_. Écrivez _abé, aborré_.

  _p_ de _plumet_ par _p_. Écrivez _suprimé, aprandre_.

  «Domergue, dit-il, renverse tout pour tout reconstruire sur de
  nouvèles bazes. Du Marsais se borne à retrancher les doubles
  consonnes.»

L’auteur déclare adopter une marche qui réunisse les avantages des deux
méthodes.

  «Il ne faut, dit-il, renvoyer persone à l’école; il faut que celui
  qui savait lire avant la réforme sache lire après la réforme à
  quelque degré qu’elle soit arrivée; il faut, en un mot, que les
  changements propozés ou à propozer soient toujours tellement
  combinés, que les persones qui vèront pour la première fois
  l’écriture qui en est le fruit puissent la lire sans héziter et
  sans avoir bezoin d’explication préalable.....» «Homes de lètres
  favorables à la réforme, professeurs qui voulez la propager,
  gardez-vous de franchir les limites tracées par ce principe, ce
  serait tout compromettre, ce serait grossir les rangs de nos
  adversaires d’une foule de persones qui n’adoptent l’utile qu’autant
  qu’il est agréable, qu’autant qu’il n’exige de leur part aucun
  travail nouveau, aucune étude nouvèle.»

Marle retranche donc, en vertu de ce système: _a_ dans _Saône,
saouler, poulain_;--_e_ dans _asseoir, surseoir, beaucoup_, etc.;--_i_
dans _coignassier, poignard, oignon_;--_o_ dans _bœuf, désœuvrement,
nœud_, etc.;--un _b_ dans _abbaye, rabbin, sabbat_;--_c_ dans
_acquérir, obscénité, scélérat_;--un _f_ dans _affront, chauffer_,
etc.;--_g_ dans _doigtier, Magdelaine, vingtaine, aggraver,
agglomération_, etc.;--_h_ dans _adhérer, cathédrale, exhorter_;--_l_
dans _allégorique, alliance, bulletin_;--_m_ dans _automne,
condamner, nommer_;--_n_ dans _cannibale, connivence, donner_;--un
_p_ dans _appartement, apprendre_;--un _r_ dans _arrière, carrosse,
courrier_;--un _t_ dans _attachement, flatterie, gratter_.--Il remplace
le _s_ qui se prononce comme le _z_ par cette dernière lettre: nous
_reprézentons, poizon_. Il fait disparaître les _y_ étymologiques
dans _sinonime_. Il écrit _filosofe, ortografe_. Il voudrait en outre
quelques autres modifications légères.

Dans un remarquable passage relatif à l’_abolition des accents locaux
et des patois_, à laquelle seules une grammaire et une orthographe
très-simplifiées pourront conduire, M. Marle s’exprime ainsi:

  «Pourquoi telle personne prononce-t-elle mois d’_aoûte_ au lieu de
  mois d’_oû_? C’est parce que cet _a_ et ce _t_ sont écrits; parce
  que l’œil les voit, parce que le bon sens, d’accord avec la vérité
  historique, répète sans cesse que les lettres n’ont été inventées que
  pour être prononcées.

  «Écrivez _ou_, tout le monde prononcera _ou_.

  «Écrivez _ardament, solanel, taba, sculture_, etc., et il deviendra
  impossible de prononcer _ardemment, solennel, tabak, sculpeture_,
  etc.

  «Écrivez ainsi tous les livres nouveaux, toutes les feuilles
  publiques, tous les almanachs populaires, et les sons purs de
  l’atticisme français, révélés à tous les yeux, seront rendus par
  toutes les bouches, et retentiront enfin les mêmes sur les rives de
  la Garonne, de la Seine et du Rhin.»

A l’appui de ce qu’avance M. Marle, il cite ce passage de Béranger,
dans son épître à son patron, M. Lainé, imprimeur à Péronne: «C’est
dans son imprimerie que je fus mis en apprentissage: _n’ayant pu
parvenir à m’enseigner l’orthographe_, il me fit prendre goût à la
poésie, me donna des leçons de versification, et corrigea mes premiers
essais.»

  Et M. Marle ajoute: «Si Béranger n’a pas pu parvenir à apprendre
  l’orthographe actuelle, comment trente millions de Français qui
  n’ont pas son génie y parviendraient-ils? Aussi nous soutenons que
  personne ne la sait, et nous proposons un pari de trois cents francs
  à quiconque prétendra écrire sans faute, sous notre dictée, vingt
  lignes de mots usuels. Ces trois cents francs sont déposés chez M.
  Bertinot, notaire, rue de Richelieu, nº 28.

  «_Signé_ MARLE, rédacteur en chef du _Journal de la langue
  française_, rue Richelieu, nº 21.»

Ce pari a-t-il été tenu? Je l’ignore. Il semble cependant que plus d’un
a dû être tenté de concourir; ce qu’il y a de sûr, c’est que M. Marle
ne fut pas ruiné par le nombre des concurrents.

Par ce qui précède, on voit que le système orthographique de M. Marle
n’excédait pas les bornes indiquées par plusieurs grammairiens, tels
que Girard, Duclos, Beauzée et autres. Cependant, dans l’_Appel aux
Français_, M. Marle, dépassant ces limites déjà si larges, se permit de
traduire dans une orthographe bien autrement téméraire quelques-unes
des lettres que lui avaient écrites plusieurs académiciens. Ces
lettres, où la bienveillance semblait un encouragement, ainsi
travesties, suscitèrent une tempête funeste à M. Marle, et le ridicule
qui s’attacha à leur transcription fit tomber dans un complet discrédit
ses tentatives, qui d’abord avaient été favorablement accueillies.

Voici comment est transcrite dans l’_Appel aux Français_ la lettre de
M. Andrieux, p. 161:

      «Mosieu,

  «Il è d’un bon èspri de déziré la réforme de l’ortografe francèze
  aqtuèle, de vouloir la randre qonforme, ôtan qe posible, à la
  prononsiasion; il è d’un bon grammèriin é même d’un bon sitoiiin de
  s’oqupé de sète réforme; mez il è difisile d’i réusir. Voltaire,
  aprè soisante é diz an de travô, èt à pène parvenu à nou fère éqrire
  _français_ qome _paix_, è non pâ qome _françois_ è _poix_; on trouve
  anqore dè jan qi répuñet a se chanjeman si rèzonable é si sinple:
  lè routine son tenase, le suqsè vouz an sera plu glorieu si vou
  l’obtené; vou vou propozé de marché lantemant é avèq préqôsion,
  dan sète qarière asé danjereuze: s’è le moiiin d’arivèr ô but;
  puisié-vous l’atindre!

      «ANDRIEUX, manbre de l’Aqadémie fransèze.»

Cette audace, aussi blessante pour les convenances que pour les
habitudes consacrées, nuisit aux progrès raisonnables que l’Académie
paraissait disposée à admettre, et les effets s’en firent sentir
longtemps.

Dans le _Journal des Débats_ parut l’article suivant (il est de M. de
Feletz):

  «Un nouveau grammairien, M. Marle, prétend réformer l’orthographe,
  et il donne un échantillon de ses principes et de sa réforme dans un
  petit écrit intitulé: _Apel o Fransé, Réforme ortografiqe_.

        «_Ne jugé q’aprèz avoir lu._

        «Prix: 60 santimes.

  «Il ne doute point du _suqsè_; il prétend qu’il a déjà pour lui
  un _profèseur de rétoriqe_, un _qolonel_, le _directeur de la
  Revu Ansiclopédiqe_. Il s’est battu contre ses adversaires dans
  la _Qotidiène_, le _Qourié fransè_, et se battra contre _qiqonqe_
  n’adoptera pas sa réforme. Il a formé une société _ortografiqe_ qui a
  son _prézidan_, etc.

  «M. Marle s’était attiré une lettre raisonnable et polie de M.
  Andrieux, secrétaire perpétuel de l’Académie française. Il a fait
  imprimer cette lettre en l’affublant de sa nouvelle orthographe. Les
  vers de Racine paraîtraient ridicules ainsi imprimés; la prose de M.
  Andrieux ne pouvait résister à une pareille épreuve, et c’est contre
  ce travestissement qu’on lui a fait subir qu’il réclame dans les
  pièces suivantes qu’il nous a adressées:


  «AU RÉDACTEUR.

  «Monsieur,

  «Je n’ose plus écrire à M. Marle: cela ne m’est arrivé qu’une fois,
  après bien des sollicitations de sa part, et je n’ai pas sujet de me
  féliciter de ma complaisance; je n’y serai plus pris.

  «Vous avez peut-être entendu dire qu’il s’occupe d’une prétendue
  _réforme orthographique_; qu’il cherche à répandre une espèce de
  _cacographie_ bizarre, qu’il propose pour modèle.

  «Son zèle de réformateur l’a emporté au point de publier une lettre,
  travestie de manière à faire croire que j’adopte, moi, sa méthode, si
  c’en est une, et que j’en ferai journellement usage pour mon compte.

  «Je dois donc déclarer nettement que M. Marle, en faisant imprimer
  sans ma participation la lettre que j’avais eu l’honneur de lui
  écrire, a substitué à mon orthographe, qui est celle de tout le
  monde, une manière d’écrire qui lui est particulière, en sorte qu’il
  n’a point publié ma lettre telle que je la lui avais adressée, mais
  qu’il l’a défigurée et rendue méconnaissable. Il me semble qu’il a eu
  en cela le double tort d’induire le public en erreur et de mésuser de
  ma signature.

  «A présent, monsieur le rédacteur, accordez-moi un peu de place
  pour quelques mots que j’adresserai à M. Marle lui-même, par votre
  intermédiaire.


  «A M. MARLE:

  «Vous n’avez pas voulu, Monsieur, comprendre le sens de ma lettre.
  Je vous y disais qu’une réforme de l’orthographe était _difficile_;
  que vous vous proposiez de _marcher lentement et avec précaution
  dans cette carrière assez dangereuse_; que c’était là le _moyen
  d’arriver au but_; ces avis, à ce qu’il me semble, étaient clairs et
  raisonnables. Non-seulement vous ne les avez pas suivis; à cet égard
  vous étiez bien le maître; mais vous avez voulu faire croire que je
  ne les suivais pas moi-même, et vous avez essayé de me mettre en
  contradiction avec mon propre sentiment.

  «Vous savez aussi bien que moi que toutes ces idées de réforme de
  l’orthographe ne sont pas nouvelles, il s’en faut de beaucoup; on
  s’en occupait dès avant Bacon, puisque ce grand homme, dans son
  livre: _De augmentis scientiarum_, lib. VI, cap. I, dit expressément
  qu’elles sont du genre des subtilités inutiles, _ex genere
  subtilitatum inutilium_.

  «Il est vrai aussi que de très-bons esprits, MM. de Port-Royal, Du
  Marsais, Duclos, ont désiré que la manière d’écrire se rapprochât de
  la manière de prononcer.

  «Mais, ce qui est pour vous d’un fâcheux présage, des hommes
  d’un grand mérite, d’habiles grammairiens, Gédoyn[200], Girard,
  Adanson[201], Domergue, et autres, ont échoué complétement dans des
  essais semblables aux vôtres.

          Il en est des habits ainsi que du langage;
          Toujours au plus grand nombre il faut s’accommoder,
          Et jamais on ne doit se faire regarder.

  «Reprenez donc, Monsieur, le déguisement dont il vous a plu de
  m’affubler; il ne me va pas du tout; c’est un habit de fantaisie dont
  vous êtes libre de vous revêtir. J’ai peine à croire que vous en
  fassiez venir la mode.

  «J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant
  serviteur,

  «ANDRIEUX.

  «Ce 18 avril 1829.»

      [200] [201] Il ne m’a pas été possible de découvrir d’autre
      trace des réformes de Gédoyn et d’Adanson que l’affirmation du
      docte secrétaire de l’Académie, répétée de confiance par les
      adversaires de la réforme depuis cette époque.

Dix ans plus tard, en 1839, M. Marle, ne se bornant pas à ce système
inadmissible, voulut introduire une écriture purement phonétique, qu’il
nomme _diagraphie_[202]. Au moyen de 36 signes figurés par des lignes
droites ou courbes, faibles ou renforcées, il parvient à reproduire
les sons prononcés; en sorte qu’en moins d’une journée, on connaît
ce système et on peut l’appliquer à l’écriture et à la lecture. Ce
fait est constaté par un grand nombre de rapports d’inspecteurs de
l’Académie, d’inspecteurs de l’instruction primaire et de commissions
nommées à cet effet. Voici l’extrait de leurs décisions:

  «Trois jours suffisent pour connaître et exercer la _diagraphie_.
  Elle est un guide incessant de la bonne prononciation.--Elle met
  l’élève dans la même situation que si un maître lui dictait un
  bon livre.--Elle économise le temps consacré aux dictées.--Elle
  réunit, sans en avoir les inconvénients, tous les avantages de la
  _cacographie_ et des autres genres de devoirs d’orthographe.--Elle
  fait réfléchir les enfants; elle exerce leur jugement et féconde leur
  intelligence.»

      [202] _Grammaire théorique, pratique et didactique, ou texte
      primitif de la grammaire diagraphique._ Paris, Dupont, 1839,
      in-8.--_Manuel de la diagraphie. Découverte qui simplifie l’étude
      de la langue._ Paris, Dupont, 1839, in-8.

Lors de leur apparition, les doctrines néographiques de M. Marle
eurent beaucoup de retentissement. Il eut bientôt acquis de nombreux
prosélytes, même parmi les grammairiens. Il reçut, dit-on, trente-trois
mille lettres d’adhésion formelle; une quarantaine de brochures
_pour_ ou _contre_ furent publiées, et des sociétés de propagation
se formèrent dans plusieurs villes[203]. Enhardi par ce succès, il
_franchit les limites_ qu’il avait posées lui-même (voir p. 318). Son
audace le perdit et rendit même l’Académie plus méticuleuse dans les
concessions qu’elle fit dans la cinquième édition de son Dictionnaire
en 1835.

      [203] A Paris, une société de la réforme, composée d’hommes
      distingués, de littérateurs, de grammairiens, était en pleine
      activité. Je citerai parmi ses membres M. M.-A. Peigné, qui,
      dans plusieurs de ses publications ultérieures, est resté fidèle
      à quelques-unes des idées qu’il avait puisées à l’école de M.
      Marle. Cette société se sépara brusquement dans les circonstances
      suivantes. Il s’agissait d’une grande publication faite à ses
      frais pour propager l’entreprise commune. La moitié de la société
      se prononça pour une réforme modérée ou néographique; l’autre
      pour une réforme radicale ou phonographique; on ne put se mettre
      d’accord et l’œuvre fut abandonnée.

Quant à cette espèce d’écriture que M. Marle nomme _diagraphie_, on
peut affirmer que, nécessitant des pesées de la plume et autant de
levées de la main qu’il y a de lettres, elle ne saurait s’appliquer à
l’écriture courante, ni même à la sténographie.


    V.-A. VANIER. _La réforme orthographique aux prises avec le peuple,
    ou le pour et le contre._ Paris, Garnier, 1829, in-12 de 96 pp.

L’auteur, habile grammairien, est partisan d’une réforme néographique
modérée. Après quarante ans écoulés depuis l’apparition de cet
opuscule, il semble, en certains points, une œuvre de circonstance,
puisqu’il fait valoir avec beaucoup de raison les motifs qui s’opposent
à l’admission d’une réforme phonographique, telle que l’avait conçue M.
Marle, telle que MM. Féline, Henricy, l’ont préconisée de nos jours, et
que M. Raoux l’enseigne à Lausanne.

M. Vanier a fait un compte rendu moitié sérieux, moitié plaisant des
conférences sur la réforme orthographique qui eurent lieu en avril
1829. Après avoir reproché à M. Marle l’abandon du plan primitif auquel
tant de personnes éminentes et même d’académiciens avaient donné leur
approbation, il rapporte les propositions contenues dans les cahiers
des divers bureaux. La plupart de ces réformes de détail se rapprochent
de celles déjà mises en avant par de Wailly et Beauzée. (Voir plus haut
p. 276.)

  «Un membre, dit le rapporteur du premier bureau, a fait la remarque
  que les verbes en _eler_ et _eter_, en déviant de la règle générale,
  présentent de grandes difficultés pour notre orthographe, tant aux
  nationaux qu’aux étrangers. La règle prescrit, pour tous les verbes
  qui ont un _e_ muet ou un _é_ fermé dans le radical, de le convertir
  en _è_ grave quand après lui vient un _e_ muet, comme _semer_, je
  _sème_; _promener_, je _promène_; _peser_, je _pèse_; _lever_, je
  _lève_; _pénétrer_, je _pénètre_; _répéter_, je _répète_; _céder_,
  je _cède_; _révérer_, je _révère_; _révéler_, je _révèle_. Pourquoi
  donc n’écririons-nous pas, conformément à la même règle, _appeler_,
  j’_appèle_, _jeter_, je _jète_? Plusieurs membres trouvent que depuis
  la suppression de la double consonne de l’infinitif, admise par
  l’usage et sanctionnée par l’Académie, il est contre tout principe de
  voir, dans un système régulier de conjugaison, cette même consonne
  reparaître alternativement double et simple, comme dans j’_appelle_,
  nous _appelons_, je _jette_, nous _jetons_. Cet alternat de la
  consonne double et simple dénature le radical et expose bien des
  personnes à écrire: nous _appellons_, nous _jettons_.

  «Par suite du principe reconnu qu’il faut respecter l’orthographe des
  radicaux, les mêmes membres vous proposent d’écrire les verbes en
  _enir_ par _è_ grave chaque fois que l’inflexion _iène_ se rencontre,
  comme dans ils _viènent_, que je _viène_, etc., attendu que la
  consonne est simple dans les radicaux _venir, venant, venu, tenir,
  tenant, tenu_, etc.

  «Pourquoi les mots en _on_, qui doublent la consonne en formant
  les dérivés, comme _pardon, pardonner, action, actionner_, ne la
  doublent-ils pas dans _national_, etc.? Il serait à désirer qu’aucun
  composé ne la doublât. On objecte que la voyelle serait longue avec
  une consonne simple; nous ne croyons pas cette objection fondée. A
  quoi donc servirait l’accent circonflexe? _Trône_, et autres mots
  ainsi accentués ne se confondraient pas avec l’_o_ devenu bref,
  n’étant pas affecté de l’accent, _Latone_.

  «Il en est de même de _hotte_ et de _hôte_. Est-ce que la suppression
  du double _t_ dans les noms en _otte_, comme _cotte, marcotte,
  botte_, etc., apporterait du changement à la prononciation? Pas plus
  que dans _redingote, dévote, compote_, etc., qu’on n’a jamais
  prononcés _redingôte_, etc., quoiqu’ils n’aient qu’un _t_.

  «Même désir de voir supprimer le double _t_ dans les mots en _atte_,
  dont plusieurs n’en ont qu’un et se prononcent aussi bref que s’ils
  en avaient deux, témoin _batte, natte; cravate, écarlate_, etc. On
  mettrait l’accent sur l’_â_ long, comme dans _hâte_, il _bâte_,
  _pâte_, etc., et jamais sur l’_a_ bref. La distinction semble
  suffisamment établie.

  «Par le même motif de prosodie, on propose d’écrire _flâme,
  j’enflâme, âme_, et de continuer d’écrire _inflammable, inflammation_
  avec la consonne double, tant qu’on la fera sentir dans la
  prononciation.

  «Le premier bureau est d’avis unanime que les présentes observations
  méritent d’être prises en considération.»

Voici maintenant le passage de ce travail qui a trait à la critique
de la réforme phonographique. La Réforme est aux prises en assemblée
générale avec les orateurs de la gauche qui représentent l’opposition.

  «UN GRAMMAIRIEN. L’un des inconvénients de votre méthode est cette
  homonymie qu’elle introduit dans la langue. Quoi! vous osez écrire
  comme le nom du fleuve (le Pô), une _pô_ de mouton, un _pô_ de bière,
  et la ville de _Pô_? Cela n’est pas soutenable. Voyez un peu l’effet
  de ces quatre _Pô, Pô, Pô, Pô_. Comment voulez-vous qu’à chaque signe
  graphique, identiquement le même, on attache une idée différente?

  «LA RÉFORME. Vous vous faites illusion. Ne savez-vous pas que c’est
  un inconvénient attaché aux homonymes? Mais chaque mot employé dans
  la phrase ne laisse plus le moindre doute sur son sens. Que je vous
  dise: Pô est la capitale du Béarn; ou, l’armée a passé le Pô; ou,
  voilà vingt pô de mouton, ou enfin, donnez-moi un pô de bière, vous y
  trompez-vous? Les mots parlés ne se composent que de sons et non de
  lettres. En avez-vous vu sortir une seule de ma bouche? Non. Comment
  voulez-vous que votre œil s’y trompe quand vos oreilles ne s’y sont
  pas trompées? (Elle a ma foi raison, dit le côté droit. Attendez,
  attendez, dit le côté gauche.)

  «L’ORATEUR DE GAUCHE. Vous ne répondez pas à la question. L’homonymie
  est un inconvénient, point de doute, mais nous avons bien peu
  d’homonymes qui soient en même temps oculaires et auriculaires, et
  il est avantageux, selon moi, quand on est entre deux écueils, d’en
  éviter au moins un. Lisez, et comparez,

  «Un beau _temps_.--Un beau _tan_.

  «Il m’entend.--Il m’en tend (des piéges).

  «Serre-m’en.--Serment.

  «Mais à quoi bon chercher à multiplier les exemples? Qui ne sait que
  cette homonymie n’a lieu qu’à l’oreille, et s’efface sur-le-champ
  aux yeux? Tel est le propre d’une langue écrite régulière, que la
  clarté n’y laisse rien à désirer. Mais quand on voit votre homonyme
  _sin_ changer malgré vous de finale, comme dans _sin_ Françoâ, _sint_
  Ustache, les _sins_ anaqorète, _sinq_ ome, _sin_ mouton, _sin_ dou,
  selon l’euphonie qui exige la prononciation de telle consonne que
  vous mettez ou changez au besoin, vous conviendrez que vous vous
  retirez d’un embarras pour jeter le peuple dans mille autres. Qui
  l’avertira de mettre un _t_ final à celui-ci, un _q_ à tel autre, une
  _s_ à tel autre, et rien à celui-là?

  «L’ORATEUR DE DROITE. La langue parlée n’est, et ne peut être que la
  peinture des sons, et c’est à la rendre à son primitif emploi que
  doivent tendre tous nos efforts.

  «L’ORATEUR DE GAUCHE. Voilà ce que je nie formellement. Toutes les
  langues ont des signes graphiques employés comme peintures d’idées.

  «Dans les langues à désinences, et où les consonnes s’articulent,
  vous ne pouvez les retrancher; mais dans la nôtre, où il n’en est pas
  de même, regarder comme parasites les lettres qui ne se prononcent
  pas, ou qui ne se prononcent qu’accidentellement, étant suivies
  d’une voyelle, est détruire l’harmonie qui existe entre les langues
  soumises à des règles grammaticales qui leur sont communes. Écoutez,
  je m’explique.

  «Vous écrivez «_lê_ chevaux, _lê_ bestiaux» en retranchant l’_s_,
  signe caractéristique de pluralité, et cela parce qu’elle est
  nulle dans ce cas pour la prononciation. Le peuple, qui ignore la
  grammaire, est par là exposé à écrire et à prononcer _lê_ habitans,
  _lê_ humanités, comme nous prononçons _les_ hameaux, _les_ haricots,
  et, par une conséquence toute juste, il écrira _lê zannetons_,
  pour _les hannetons_, car c’est ainsi qu’il prononce. Vous allez
  trop loin, vous dis-je, et c’est avoir une confiance trop aveugle
  en vos propres moyens que de vous en fier à l’oreille du peuple;
  elle est trop faussée pour qu’il en fasse son juge. Encore une fois
  il faudrait supposer qu’il parle bien. Je ne vois sortir de votre
  système que chaos, que confusion.

  «Je vais plus loin, comment osez-vous faire disparaître de votre
  conjugaison ces finales idéologiques qui réveillent en nous les idées
  de nombre et de personnes? Sont-ce là des lettres parasites? _Nous
  viendron, nous parleron_ seront homonymes de _ils viendron, ils
  parleron_! Qui indiquera au peuple qu’il devra mettre ici un _t_ et
  là une _s_ euphoniques quand chaque verbe sera suivi d’un mot dont
  l’initiale est une voyelle, lorsque vous retranchez la consonne hors
  ce cas? Qui lui indiquera les lettres que vous supprimez dans _gran,
  ègzan, peti, permi_, pour former le féminin gran_de_, exemp_te_,
  peti_te_, permi_se_? Réfléchissez-y, Messieurs, fouler aux pieds la
  conjugaison et la déclinaison d’un peuple, c’est étouffer en lui
  toute idée de grammaire, sans laquelle il n’y a point de langue;
  c’est le ravaler à l’état de barbarie.»

L’auteur suppose un billet phonographique ainsi conçu: _O savan qe
répondré-vou?_ S’agira-t-il d’entendre: _Au savant que répondrez-vous?
Aux savants que répondrez-vous? ô savants, que répondrez-vous? ô
savant, que répondrez-vous?_ L’esprit du lecteur est dans le doute, car
les signes déterminatifs du sens sont perdus.

Je crois cette partie de la critique de M. Vanier à l’abri de toute
réfutation.


    S. FAURE. _Essai sur la composition d’un nouvel alphabet pour
    servir à représenter les sons de la voix humaine avec plus de
    fidélité que par tous les alphabets connus._ Paris, Firmin Didot,
    1831, in-8, de 226 pp. et 3 pl.

Frappé des inconvénients de notre écriture orthographique, M. Faure
témoigne ainsi ses vœux pour sa réforme:

  «Perfectionner l’alphabet serait une entreprise digne du dix-neuvième
  siècle et du règne d’un roi populaire et national. La réforme des
  poids et mesures s’est opérée dans les temps les plus affreux de la
  révolution. Le système métrique, après avoir lutté contre les plus
  grands obstacles, est reconnu aujourd’hui comme très-avantageux.

  «..... Une écriture exacte présenterait encore plus d’avantages dans
  ses résultats que le système métrique; mais, comme nous n’avons
  pas la présomption de croire qu’elle puisse un jour renverser
  l’écriture en usage, qu’il nous soit permis du moins d’espérer qu’une
  nouvelle écriture perfectionnée pourra, comme la sténographie, mais
  dans un but différent, marcher à côté de l’écriture d’usage et
  servir efficacement: 1º à rendre les principes de lecture avec les
  caractères et l’orthographe usités bien plus accessibles à l’enfance;
  2º à noter dans un dictionnaire la vraie prononciation des mots
  beaucoup plus exactement qu’on ne l’a fait jusqu’ici; 3º à nous être
  d’un merveilleux secours pour la composition d’un alphabet universel,
  etc.»

Je ne puis donner ici une idée de la méthode de M. Faure. Il faudrait
étudier, apprendre et comparer les divers systèmes phonographiques
représentés au moyen de signes figurés par des lignes plus ou moins
contournées, pour apprécier le mérite de chacun d’eux.

  «Quoique nos caractères, dit M. Faure, soient bizarres et
  très-différents de ceux de l’écriture ordinaire, ils sont si simples,
  si distincts, et dérivent si naturellement les uns des autres,
  que nous sommes persuadé qu’une personne qui ne saurait pas lire
  parviendrait à apprendre, au moyen de ces nouveaux caractères, en dix
  fois moins de temps que par l’écriture et l’orthographe en usage,
  qui font, ainsi que l’a dit d’Olivet, de la lecture l’art le plus
  difficile.»

Chaque amélioration apportée par l’Académie à notre orthographe rend de
moins en moins opportune la création de ces systèmes absolus.


    JOSEPH DE MALVIN CAZAL. _Prononciation de la langue française
    au dix-neuvième siècle, tant dans le langage soutenu que dans
    la conversation, d’après les règles de la prosodie, celles du
    Dictionnaire de l’Académie, les lois grammaticales et celles de
    l’usage et du goût._ Paris, Imprimerie royale, 1847 in-8.

L’étude de la bonne prononciation paraît devoir jouer un grand
rôle dans les réformes futures de notre orthographe. L’Académie
des inscriptions se préoccupe légitimement de la fixation de la
prononciation et de ses rapports avec l’histoire de notre langue. C’est
à ce titre que l’auteur de ce gros volume a obtenu le prix Volney.
Il reconnaît et étudie deux sortes de prononciations distinctes:
la prononciation oratoire, raffinée, délicate et savante, et la
prononciation courante, celle de la conversation. Une semblable
doctrine ne me semble pas de nature à diminuer la complication de nos
grammaires et de notre orthographe. En tout cas, elle ne simplifiera
pas la tâche de la néographie phonétique, qui aura à se prononcer entre
les deux prononciations qu’elle devra figurer.

Ces savantes études sur la prononciation, si minutieuses, si
controversables, si arides même, pourrai-je ajouter, ne seront jamais à
la portée de tous ceux qui ont besoin d’apprendre à lire et à parler.
Maintenant que nous sommes en possession des travaux de M. Féline,
de M. Casal, de M. Quicherat, de M. Colin, de M. Géhant, etc., notre
prononciation devrait être suffisamment fixée pour être consignée dans
un Dictionnaire spécial dont l’utilité est évidente.


    ADRIEN FÉLINE. _Mémoire sur la réforme de l’alphabet, à l’exemple
    de celle des poids et mesures._ Paris, Guillaumin, 1848, in-8 de
    32 pp.--_Dictionnaire de la prononciation de la langue française,
    indiquée au moyen de caractères phonétiques, précédé d’un Mémoire
    sur la réforme de l’alphabet._ Paris, Firmin Didot, 1851, in-8, de
    383 pp.--_Méthode pour apprendre à lire par le système phonétique._
    Paris, Firmin Didot, 1854, 2 parties in-8.

L’œuvre projetée avant 1830 par M. Marle a été reprise depuis 1848 avec
de nouvelles forces. M. Féline, dont nous déplorons la perte récente, a
été l’un des plus persévérants et des plus courageux apôtres du système
phonétique ou autrement de la phonographie. Il a consacré une part
considérable de son temps et de sa fortune à la vulgarisation de sa
doctrine, et n’a pas vécu assez pour la voir fructifier sur le sol de
notre colonie algérienne.

M. Féline, dont les idées procèdent en partie de celles de Volney,
est un réformateur plus intrépide que ne l’était M. Marle, dans le
système de l’_Appel aux Français_ de 1829. Son alphabet, qu’il a cru
à tort complet, suffit dans sa simplicité à l’enseignement rapide de
la lecture aux habitants pauvres et complétement illettrés de nos
campagnes, ainsi qu’aux Arabes. D’ailleurs M. Féline lui-même a dû
être convaincu, après l’insuccès de sa méthode comme écriture usuelle,
qu’elle ne pourrait être considérée que comme un système pédagogique,
destiné, à l’exemple de la mnémonique, à rendre moins aride et moins
longue l’étude de la langue française. C’est pourquoi, dans la seconde
partie de sa _Méthode pour apprendre à lire_, il passe, dans une série
d’exercices habilement gradués, de l’écriture purement phonétique à une
orthographe de plus en plus compliquée, pour arriver enfin à celle qui
a été adoptée par l’Académie.

A cet égard M. Féline a droit à la reconnaissance de tous les gens de
bien qui s’intéressent au sort de nos populations rurales au point de
vue intellectuel, car la pratique a parfaitement démontré l’utilité de
sa méthode.

Voici cet alphabet, avec lequel il espérait représenter tous les sons
du français:

          VOYELLES.           |      CONSONNES.
  ╭-------------------------╮ | ╭-----------------╮
   Signes.    Valeurs.        |  Signes. Valeurs.
     a          a             |    p       p
     â          â             |    b       b
     ̱a        an, en          |    m       m
     e          é             |    t       t
     ê          è, ê, ai, et  |    d       d
     ε          e             |    n       n
     ̂ε          eu            |    k       k, q, c
     i          i, y          |    g       g, gu
     ̱i          in            |    ̄g       gn
     o          o             |    l       l
     ô          ô, au         |    ̱l       ill, il
     ̱o          on            |    y       y
     u          u             |    f       f, ph
     û          ou            |    v       v
     ̱u          un            |    w       w
                              |    s       s, c, t
                              |    z       z, s
                              |    h       ch
                              |    j       j, g
                              |    r       r

On voit au premier coup d’œil la grande supériorité de cet alphabet sur
celui de Domergue. Son auteur supprime le _c_, dont le son est ambigu,
le _q_, qu’on est habitué à voir escorté de son _u_ servile, l’_x_, et
l’_y_ devant les consonnes. Par contre, il y a huit lettres nouvelles,
ε (_e_ muet), ̂ε (_eu_), _̱a_ (_an_), _̱i_ (_in_), _̱o_ (_on_), _̱u_
(_un_), _̄g_ (_gn_), _̱l_ (_l_ mouillé). S’il eût mieux approfondi
l’ouvrage de Volney et qu’il eût étudié l’alphabet polonais, il eût
reconnu que, pour les voyelles nasales, la cédille est un signe plus
commode que le trait inférieur, puisque dans l’écriture elle n’exige
pas une levée de la main. Ce n’est point non plus le _g_ qu’il fallait
_tilder_, mais le _n_, comme le font les Espagnols. L’adoption de la
lettre _k_ à la place de _c_ donne à son _ekritur ̱u kû d’εl sôvaj_
(un coup d’œil sauvage) qu’il eût pu facilement éviter, et qui a prêté
le flanc aux plaisanteries du journalisme, plus enclin à rechercher le
côté plaisant que le côté utile de toute chose nouvelle.

Quoi qu’il en soit de ces imperfections de détail du système, faciles
d’ailleurs à corriger, beaucoup d’instituteurs primaires sont
convaincus que son adoption dans les salles d’asile et les écoles de
village serait un grand bienfait. Un adolescent apprendrait à lire et
à écrire en trois mois au lieu de trois ans. Il serait toujours à même
de passer plus tard à l’écriture savante et difficile des lettrés, pour
laquelle l’auteur a d’ailleurs préparé des exercices gradués très-bien
conçus.

Le Dictionnaire de la prononciation de M. Féline était destiné à
répondre à une objection souvent faite aux réformateurs phonographes:
«Vous prétendez écrire suivant la prononciation; mais quelle
prononciation? Il y a la prononciation gasconne, la prononciation
marseillaise, la prononciation normande, la prononciation parisienne.
Dans votre système, n’y aura-t-il pas autant d’orthographes diverses
qu’il y a d’accents étrangers dans l’idiome national?»

Il est manifeste, répondent les réformateurs, qu’il doit y avoir une
prononciation modèle, un dictionnaire de la vraie prononciation, qui
rappelle à l’ordre les prononciations vicieuses, lesquelles engendrent
des orthographes également vicieuses. Cette prononciation modèle
ramènerait peu à peu les _accents_ et les _patois_ à un type normal et
unique.

Le Dictionnaire de M. Féline, précieux déjà pour les étrangers,
pourrait, à l’aide de quelques corrections, rendre de très-grands
services. On devrait s’inspirer, pour le perfectionner, du beau
travail de Volney sur les voyelles européennes; car M. Féline, dans
l’intérêt de la multitude, sans doute, a négligé certaines nuances de
prononciation qui constituent la délicatesse de notre langue. Il me
paraît avoir confondu des valeurs distinctes de l’_e_ dit muet (voir
plus haut, p. 313), et mal représenter la diphthongue _oi_ par les
signes _ûa_ (_oua_). Pour les consonnes, M. Féline aurait dû distinguer
le _w_ anglais, véritable voyelle, du _w_ allemand, qui doit être
représenté par notre _v_ simple.

Le Mémoire qui précède son Dictionnaire, et qui relate les travaux
d’une commission de savants formée pour déterminer la valeur et le
signe de tous nos sons, est un travail plein d’intérêt. Dans cet
écrit, M. Féline développe les avantages de la simplification de notre
orthographe et aussi de notre alphabet.

  «Pourquoi, dit-il, ne pas perfectionner l’alphabet, l’instrument le
  plus usité du travail, comme on perfectionne les autres? Pourquoi
  ne le soumettrait-on pas à ce rationalisme auquel la civilisation
  moderne doit ses succès? Il existe sans doute une différence: c’est
  que chaque fabricant, chaque ouvrier, est libre de modifier comme
  il l’entend une machine ou un outil, et qu’il n’en est pas de même
  de l’alphabet; mais pourquoi le gouvernement, les académies, les
  administrations, refuseraient-ils de perfectionner l’instrument
  de travail de toute la nation, ainsi que le ferait le dernier des
  ouvriers, ainsi que l’exigerait tout fabricant, ainsi que l’a fait la
  Convention pour les poids et mesures?

  «Le gouvernement, qui fait plus d’efforts que jamais pour étendre
  l’instruction du peuple; les philanthropes de toutes les opinions
  qui le secondent; ceux qui veulent son bien-être, son amélioration
  matérielle et morale, tous doivent désirer une réforme qui peut seule
  généraliser l’instruction primaire. Jamais on n’aura fait autant de
  bien à si peu de frais.

  «Les économistes qui savent que le temps est la richesse de l’homme,
  les administrateurs qui veulent l’uniformité du langage, les hommes
  politiques qui veulent rapprocher les nations, enfin, tous les amis
  de l’humanité, tous les hommes de progrès, doivent appuyer cette
  réforme.

  «Plusieurs exemples doivent nous servir de guide et nous encourager.
  N’a-t-on pas, dans un siècle de barbarie, remplacé les chiffres
  romains par la numération arabe, l’une des plus simples inventions
  de l’esprit humain, puisqu’elle ne consiste qu’en deux points: avoir
  un signe pour chaque nombre jusqu’à neuf et décupler la valeur du
  chiffre en le reculant d’un rang? Cette idée n’en est pas moins
  sublime; car, sur des milliards d’individus qui avaient passé sur la
  terre, un seul l’a conçue; car elle a eu les conséquences les plus
  heureuses pour la civilisation.

  «De ce qu’une innovation a été mal présentée, de ce qu’elle l’a été
  dans un but purement scientifique, s’ensuit-il que toute innovation
  de ce genre soit impossible à réaliser?»


    CHARLES LA LOY. _Balance orthographique et grammaticale de la
    langue française: ou cours de philologie grammaticale, ouvrage au
    moyen duquel disparaissent toutes les incertitudes, sources de
    difficultés, relatives à nos règles grammaticales et à nos formes
    orthographiques. Deuxième édition._ Paris, Maire-Nyon, 1853, 2 vol.
    grand in-8, contenant:

    «1º Des règles d’accentuation qui dispensent d’avoir recours au
    Dictionnaire;--2º La liste complète des homonymes français;--3º La
    liste, si utile dans l’enseignement, des dérivations inexactes;--
    4º Des principes d’orthographe étymologique;--5º Des principes de
    francisation des mots;--6º Des principes de néologie;--7º Des
    règles sur la formation des noms et adverbes en _ment_;--8º Des
    principes sur l’orthographe et la prononciation des noms propres
    et des noms de baptême, avec la signification des plus connus;--
    9º L’indication du pluriel des adjectifs en _al_;--10º L’indication
    du pluriel de tous les noms composés et des noms pris des langues
    étrangères ou des langues anciennes, partie orthographique restée
    douteuse jusqu’à ce jour;--11º Des règles sur l’orthographe des
    mots réduplicatifs;--12º Un moyen de reconnaître désormais l’_h_
    aspiré de l’_h_ muet, et le _ch_ dur du _ch_ français;--13º De
    nouveaux signes de ponctuation qui n’exigent aucune nouvelle
    étude;--14º Des règles sur l’emploi des doubles consonnes, partie
    si importante de notre orthographe, etc., etc.»

Ce long titre, que j’ai copié presque _in extenso_, donne une idée du
vaste ensemble de questions que l’auteur a embrassées dans le cadre de
ses deux volumes.

Il rapporte sur chaque mot embarrassant du Dictionnaire les diverses
leçons fournies par les lexicographes et recherche ce qu’il appelle
une _balance_, c’est-à-dire une solution tirée de l’essence même des
principes qu’il a posés en commençant. On conçoit qu’en face d’un
nombre aussi immense de questions délicates à résoudre, l’auteur ait
pu souvent s’arrêter à un parti qui ne satisfasse pas une critique
sévère. Néanmoins son ouvrage sera consulté avec fruit de ceux qui, par
position, sont aux prises avec les difficultés de notre orthographe.
Ce vaste travail, fruit de longs efforts et d’une patience vraiment
méritoire, est à lui seul une démonstration suffisante de l’absolue
nécessité de perfectionner notre orthographe et de soumettre la
grammaire, avec ses contradictions et ses exceptions innombrables, à
une analyse, à une discussion, à une révision sérieuse et approfondie.


    ALEXANDRE ERDAN (Al.-André Jacob). _Congrès linguistique. Les
    révolutionnaires de l’A-B-C._ Paris, Coulon-Pineau, 1854, in-8 de
    282 pp.

Dans cet opuscule, M. Erdan a parlé de beaucoup de choses à propos de
la réforme orthographique. Il a introduit dans une semblable polémique
plus de passion que la question ne me semble en comporter. Je ne le
suivrai donc pas dans les parties de sa discussion qui s’écartent
du sujet, et je renverrai à l’analyse de l’ouvrage de M. Raoux
l’exposition des motifs proposés en faveur de l’écriture phonétique.

Voici ce que dit M. Erdan (p. 72) contre le respect de l’étymologie
dans l’écriture française. Après avoir rappelé les arguments de
Domergue et de Voltaire, il continue ainsi:

  «Mais, d’ailleurs, à quoi bon ces raisonnements? La question
  étymologique n’en est réellement pas une. Les étymologistes croient
  défendre un principe et, en réalité, ce qu’ils défendent, ce n’est
  qu’un accident dans la langue.

  «Si à chaque mot de notre langue était attachée l’étiquette de
  son origine, certainement celui qui proposerait d’enlever à la
  fois toutes ces étiquettes, toutes ces marques caractéristiques,
  proposerait une révolution difficile; mais cela n’est pas.

  «Nous avons, cela est démontré et admis par les grammairiens[204]:

    Mots dont l’étymologie est tout à fait inconnue            3,000
    Mots dont l’étymologie est douteuse                        1,500
    Mots qui n’ont plus leurs lettres étymologiques, dont
      ils se sont dépouillés successivement                   10,000
    Mots dont l’orthographe est contraire à l’étymologie         500
                                                              ______
                                                Total         15,000

  «Ainsi, en proposant d’abandonner l’orthographe étymologique,
  on ne propose point, à proprement parler, une révolution
  de principe dans l’idiome national. On ne fait que régulariser une
  langue en désordre qui écrit tantôt suivant l’étymologie, tantôt
  selon le caprice.»

      [204] Ce calcul est emprunté par M. Erdan à M. Marle dans
      l’_Appel aux Français_.

Tout en adhérant au principe de la phonographie absolue, l’auteur
désire qu’on avance par degrés.

  «Il faut donc tout simplement, dit-il, pour commencer, pour
  établir un premier jalon, revenir aux modifications prudentes,
  faciles, commodément vulgarisables, qu’adoptèrent et pratiquèrent
  les Du Marsais, les Duclos, les Beauzée, etc.

  «Il faut accepter, suivant la théorie de Port-Royal, quelques
  petits signes très-simples pour faire disparaître certaines anomalies
  du genre des suivantes: _fusil_, où l’_l_ ne se prononce pas, et _fil_,
  où il se prononce; _nid_, où _d_ ne se prononce pas, et _David_, où il
  se prononce; _répugnance_, où _gn_ est doux, et _stagnation_, où _gn_ est
  très-dur, etc.

  «Il est très-facile pour ces différents cas, et pour d’autres analogues,
  de convenir d’un petit signe, d’un tiret, d’un accent, tout
  ce qu’on voudra, qui indique la prononciation.»

  «Voici donc une série d’applications actuelles que je proposerais
  volontiers, d’une manière formelle, à tous les amis de la réforme: 1º
  Retranchement de l’_h_ muet (_Omère_).--2º Retranchement des lettres
  doubles (_abé, tranquile, éfet_, etc.).--3º Emploi d’une seule
  consonne où il y en a deux inutilement (_alfabet, ortografe, téâtre_,
  etc.).--4º Expulsion de l’_m_ où l’on ne prononce que _n_ (_anfibie_,
  etc.).--5º Expulsion de l’_x_ comme marquant le pluriel (_eus,
  veus, ceus_, etc.).--6º Abandon de l’usage absurde et sans prétexte
  étymologique, qui double la consonne dans les mots _homme_, venant
  de _homo, donner_, de _donare, honneur_, de _honor_ (_ome, doner,
  oneur_).--7º Expulsion du _t_ ayant le son de l’_s_ (_atension_,
  etc.).»

Dans un ouvrage en 2 vol. in-8, intitulé _la France mistique_, publié
un an plus tard, M. Erdan a mis en pratique sa réforme. Ces deux
volumes sont imprimés en entier d’après son système. Voici comme il en
explique le fonctionnement:

  «_Règles suivies dans la grafie de ce livre._ Nous n’avons point
  visé à la fonografie absolue, c’est-à-dire à l’écriture exactement
  conforme à la parole. Il est trop évident à nos yeuz que, si nous
  devons obtenir des réformes ortografiques (et nous en obtiendrons),
  nous ne les obtiendrons que par une série de modifications
  et de simplifications lentes et successives. D’ailleurs, des expériences
  célèbres sont là pour montrer jusqu’à quel point est impraticable
  et impossible une transformation subite.

  «Nous avons donc fait uniquement de la néografie; nous avons
  simplifié les choses facilement simplifiables; nous avons modifié
  ce qui pouvait l’être sans choquer et éfaroucher les lecteurs; nous
  avons même, autant que possible, tenu à ne pas sortir des limites
  que s’étaient tracées les néografes modérés du dis-huitième
  siècle. Nous en somes sortis néanmoins par la substitution de l’_s_
  au _t_ dans les mots où ce _t_ sonait _s_, et était précédé d’une consone;
  dans les cas où le _t_ est entre deuz voyèles, nous avons cru
  devoir le laisser, au moins quant à présent. Mais cela même a été
  pratiqué, avec des choses bien plus hardies, par l’abé de Saint-Pierre
  et par quelques autres.

  «Nous avons aussi préféré le _z_ à l’_s_ dans les pluriels académiques
  terminés par _x_. La prononciation réèle, en éfet, est _z_, non _s_,
  quand èle a lieu: le vrai signe du pluriel est donc _z_, non _s_.

  «Nous n’avons pas toujours été rigoureuz et logique. Ainsi nous avons
  écrit _mettre_ et _permètre_, pour éviter, par ecsès de précaution,
  les homografies--qui n’auraient pas nui sans doute à la clarté--mais
  qui auraient prêté à une ataque contre notre réforme, sous le
  prétexte que _mètre_ (verbe) aurait pu se confondre avec _mètre_
  (substantif). Nous avons donc momentanément sacrifié la logique.»


    P. POITEVIN. _Grammaire générale et historique de la langue
    française._ Paris, 1856, 2 vol. in-8.

Au chapitre de l’_Orthographe_, M. Poitevin, après avoir cité l’opinion
sur la simplification de l’orthographe que j’avais émise en 1855, dans
mon Rapport sur l’Exposition universelle de Londres, s’exprime ainsi:

  «Ces observations sont fort justes, et il est fâcheux que M. Ambroise
  Firmin Didot se soit borné à exprimer un vœu; il lui appartenait
  de donner l’exemple des réformes raisonnables et d’ouvrir
  la voie dans laquelle l’Académie ne peut entrer la première; rien
  ne lui eût été plus facile assurément que de faire sortir de ses
  nombreuses publications tout un système nouveau d’orthographe;
  c’était une œuvre digne de lui, et nous regrettons qu’il ne l’ait pas
  accomplie.»

Mais le respect que l’on doit aux décisions de l’Académie, et qui
m’est plus particulièrement imposé, comme ayant l’honneur d’être son
imprimeur, m’interdisait plus qu’à tout autre de songer à rien innover.
C’est à l’Académie, en raison même de l’autorité suprême qu’on lui
reconnaît, de répondre, dans la limite qu’elle jugera convenable, au
vœu général.

M. Poitevin fait ensuite une rapide énumération des tentatives de
réforme depuis le seizième siècle, puis il ajoute:

  «Disons en terminant qu’il est impossible qu’on ne voie point,
  dans un temps très-prochain, se produire les réformes suivantes:

  «1º Suppression de toute lettre inutile ou nulle dans la
  prononciation;

  «2º Adoption des mêmes signes pour les sons identiques[205].»

      [205] Ce programme est celui de Port-Royal (voir p. 226), adopté
      depuis deux siècles par presque tous ceux qui ont fait une étude
      approfondie de notre langue.

Dans cette Grammaire, plus complète et plus détaillée que toutes celles
qui avaient paru jusqu’alors, l’auteur fait connaître quelques-unes des
raisons historiques de nos formes orthographiques actuelles; il donne
à l’occasion le tableau des pronoms et de la conjugaison des verbes
dans le vieux français. Ses listes de substantifs dont le genre est
douteux, des homonymes, des pluriels des noms composés, etc., ajoutent
à son travail beaucoup d’intérêt et une utilité incontestable pour la
fixation future de l’orthographe française.


    LÉGER NOEL. _Les anomalies de la langue française, ou la nécessité
    démontrée d’une révolution grammaticale._ Paris, Ferdinand
    Sartorius, 1857, in-8 de 240 pp.

Cet ouvrage est le résultat d’un travail très-pénible et vraiment
consciencieux. Mais la disposition typographique tout allemande,
l’absence de table et d’index, en rendent l’étude très-pénible, et la
méthode d’exposition adoptée par l’auteur ne contribue pas à la clarté.
M. Noel a consacré deux cent vingt pages d’une impression très-fine aux
détails de l’orthographe du substantif et du genre; c’est assez dire
que son œuvre se refuse à une analyse complète.

L’auteur a été amené à reconnaître et à classer les anomalies,
malheureusement très-nombreuses, dans la formation du genre de nos
substantifs.

La première loi, c’est que le féminin se distingue par la présence de
l’_e_ muet à la fin du nom; exemple: le _dieu_, la _déesse_; le _lion_,
la _lionne_; le _mulet_, la _mule_, etc.

Mais les cas d’exception sont presque aussi nombreux que ceux qui sont
conformes à la règle: tantôt le féminin s’applique aux deux sexes:
la _girafe_, la _gazelle_, la _chouette_, la _tortue_, etc.--Tantôt
des noms masculins conservent l’_e_ muet final, signe du féminin: ex.
_amulette, arbuste, chêne, hêtre, doute, incendie, angle, antimoine,
antipode, centime, inventaire_, etc.--D’autres fois un même mot est
tantôt masculin, tantôt féminin, selon le sens qu’on y applique; ex.:
_aide, barbe, barde, basque, carpe, crêpe, décime, enseigne, faune,
garde, orge_, etc.

Déjà La Bruyère, membre de l’Académie française, mort en 1696, dans son
chapitre intitulé _De quelques usages_, proteste à ce sujet contre ce
qu’on appelle l’usage:

  «... Le même usage fait, selon l’occasion, d’_habile_, d’_utile_,
  de _docile_, de _mobile_ et de _fertile_, sans y rien changer,
  des genres différents: au contraire, de _vil, vile_, de _subtil,
  subtile_, selon leur terminaison, masculins ou féminins[206]. Il a
  altéré les terminaisons anciennes: de _scel_ il a fait _sceau_; de
  _mantel_, _manteau_; de _capel_, _chapeau_, etc., et cela sans que
  l’on voie guère ce que la langue françoise gagne à ces différences et
  à ces changements. Est-ce donc vouloir le progrès d’une langue que de
  déférer à l’usage?»

      [206] Le _poison_ a remplacé la _poison_; et, par contre, on a
      fait masculin la _navire_, tandis que _nef_ est resté féminin.

M. Léger Noel constate en passant quelques irrégularités qui ont
échappé à la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie: ex.:
_hydrocèle, pneumatocèle, varicocèle_, féminins; _sarcocèle_, masculin;
_univalve, bivalve_ du féminin; _multivalve_, du masculin; _aggrave,
métopes, palestre_, du féminin, et _réaggrave, opes, orchestre_, du
masculin. Il aurait pu ajouter _ode_, ce mot introduit en français par
Ronsard, du féminin, et _épisode_ du masculin.

S’appuyant sur le principe de l’analogie, M. Léger Noel propose que:

         _à cause de_:              _on écrive_:     _au lieu de_:

  bac, bissac, bivouac, cornac,    ╭ un abac          un abaque
    estomac, havresac, lac,        | un tombac        un tombaque
    ressac, sac, sumac, tabac,     ╰ un zodiac        un zodiaque
    trictrac

  agaric, alambic, arsenic, aspic, ╭ un critic        un critique
    basilic, cric                  ╰ le tropic        le tropique

  trois cents adjectifs ou         ╭ un hippogrif     un hippogriffe
    substantifs en _if_            | un calif         un calife
                                   ╰ un pontif        un pontife

                                   ╭ un reptil        un reptile
  avril, babil, béril, péril,      | un volatil       un volatile
    grésil                         | un hil           un hile
                                   ╰ un crocodil      un crocodile

  cerfeuil, accueil, bouvreuil,    ╮ un chèvrefeuil   un chèvrefeuille
    cercueil, deuil, écureuil,     | un portefeuil    un portefeuille
    treuil, fauteuil, œil,         |
    orgueil, recueil, écueil,      |
    seuil                          ╯

  bazar, car, caviar, char,        ╮ un phar          un phare
    coquemar, nénuphar, par, czar, | un tartar        un tartare
    escobar, nectar                ╯

  amer, cancer, cher, enfer,       ╭ un belveder      un belvédère
    éther, fier, frater, gaster,   | un calorifer     un calorifère
    hier, hiver, mâchefer,         | un caracter      un caractère
    magister, mer, outremer,       | un adversair     un adversaire
    stathouder, ver                ╰ un exemplair     un exemplaire

  trois cents mots environ         ╭ le chrysocal     le chrysocale
    terminés en _al_               | le final         le finale
                                   | un oval          un ovale
  soixante mots environ terminés   | un polichinel    un polichinelle
    en _el_                        | un violoncel     un violoncelle
                                   ╰ le vermicel      le vermicelle

  accul, archiconsul, calcul,      ╭ un capitul       un capitule
    consul, cul, nul, proconsul,   | un versicul      un versicule
    recul                          | un préambul      un préambule
                                   ╰ un globul        un globule

  quatre cents mots environ        ╭ un cachemir      un cachemire
    terminés en _ir_               | un empir         un empire
                                   ╰ le zéphyr        le zéphire

  butor, castor, condor, cor,      ╮ un éphor         un éphore
    corrégidor,essor, for, major,  | tricolor         tricolore
    or, similor, thermidor,        |    (drapeau)
    trésor, Labrador               ╯

  azur, dur, futur, impur, mûr,    ╭ un carbur        un carbure
    obscur, pur, sûr, sur          | un sulfur        un sulfure
                                   ╰ un murmur        un murmure

  quarante mots environ en _our_   { un pandour       un pandoure

  deux cent cinquante mots         ╭ un auditoir      un auditoire
    environ terminés en _oir_      | le conservatoir  le conservatoire
                                   | un promontoir    un promontoire
                                   ╰ le vomitoir      le vomitoire

On écrira de même, dit l’auteur, au masculin les adjectifs:

    agil             servil          barbar          inodor
    aquatil          fidel           ignar           sonor
    débil            infidel         ovipar          élégiac
    facil            parallel        vivipar         hypocondriac
    docil            rebel           éphémer         opac
    fertil           bénévol         lanifer         critic
    fluviatil        frivol          prosper         pacific
    fossil           crédul          pir             magnific
    fragil           avar            bicolor         ventriloc
    habil

Il est inutile de développer davantage ces tableaux, qui font connaître
le genre de régularisation auquel l’auteur s’est plus spécialement
attaché. Lorsque les lois de la prosodie française s’opposent à ce que
l’on modifie l’orthographe de la désinence, il propose de changer le
genre; exemple: une _squelette_, une _satellite_, une _aérolithe_, une
_phytolithe_, une _ostéolithe_.

Les changements de cette nature, qui intéressent l’oreille, sont
plus difficiles à introduire que des modifications dans l’écriture.
D’ailleurs un certain nombre d’entre eux altèrent sensiblement
l’euphonie de la prononciation en faisant porter l’accent tonique non
plus uniquement sur la voyelle de la syllabe pénultième des mots à
terminaison féminine, mais en même temps sur la consonne qui suit.
Exemple: dans le système de M. Noel, nous ne dirions plus un homme
_crédUle, servIle_, mais _crédUL, servIL_, bref. C’est donc méconnaître
le rôle de l’_e_ muet, cette bulle d’air sonore, comme dit l’auteur,
qui communique à notre langue tant de charme, de légèreté et de douceur.

M. Noel veut aussi qu’on écrive la _foie_ (_fides_) et le _foi_
(_hepar_), le _nef_ ou la _nève_ (_navis_), le _soif_ et une _cuillère_
au lieu de _cuiller_. La rectification de ce dernier mot est
unanimement réclamée.

Le mot _voix_ (_vox_) devrait, selon lui, être écrit _voye_ pour lui
donner une terminaison féminine, tout en le distinguant de _voie_
(_via_), attendu que «cette forme le rapprocherait de son dérivé
_voyelle_ et lui donnerait bien plus d’ampleur et d’harmonie.»

  «Les grammairiens, ajoute-t-il, en portant le marteau sur l’_y_,
  si sonore dans des mots tels que _paye, payement_, etc., pour le
  remplacer par cet _i_ fêlé, qui est en si grande faveur auprès d’eux,
  ont-ils rendu service à la langue? Doit-on prononcer _égaye, bégaye_
  et faire rimer ces mots avec _baie_; il faudrait alors écrire _égaie,
  bégaie_. C’est donc un peu comme s’il y avait -_éïe_, résonnance
  vraiment féminine, qu’il faut que l’on prononce, et non pas _é_, son
  sec et bref, désinence toute masculine.»

Les 240 pages de M. Noel présentent le même intérêt, la même
originalité dans un sujet qu’on aurait pu croire épuisé, et c’est à
lui qu’on devait (page 205 et suivantes) le travail le plus étendu sur
le pluriel des noms composés.


    CASIMIR HENRICY. _Traité de la réforme de l’orthographe, comprenant
    les origines et les transformations de la langue française_,
    dans la _Tribune des linguistes_, 1re année, 1858-1859. Paris,
    gr. in-8.--_Gramère fransèze d’après la réforme ortografiqe._ 11
    livraisons, faisant suite au _Dictionnaire français illustré_ de
    Maurice La Châtre. Paris, in-4.

M. Henricy s’est livré à de grandes et consciencieuses recherches sur
l’histoire de l’orthographe, et présente sur la réforme des idées fort
sages:

  «Il y aurait folie, dit-il[207], à penser que ma _Gramère fransèze
  d’après la réforme ortografiqe_ puisse servir de règle à la
  génération actuelle. Ce qu’on peut suivre comme un guide sûr
  aujourd’hui, c’est ma _Grammaire française_ d’après l’orthographe
  académique. Le _Traité de la réforme de l’orthographe_ est à
  l’adresse des gens qui veulent s’éclairer sur cette importante
  question et qui pensent qu’une réforme serait utile. Ils trouveront
  là un plan complet de réforme divisée en cinq degrés; et je ne leur
  propose que l’adoption du premier degré, réforme bien simple, déjà
  pratiquée par les écrivains les plus éminents des deux derniers
  siècles, notamment par Du Marsais, dans son _Traité des tropes_,
  réimprimé en 1804 avec cette même orthographe.»

      [207] _Tribune des linguistes_, p. 60.

  «La conséquence de la constitution vicieuse de notre écriture,
  ajoute-t-il plus loin (p. 126), est que pas un homme ne peut à
  bon droit se flatter de connaître parfaitement l’orthographe, de
  ne jamais broncher dans ses sentiers tortueux. Les gens qui la
  connaissent le mieux ne rougissent pas de l’avouer. En fît-on la
  seule étude de sa vie, on ne parviendrait pas à l’apprendre, même à
  l’aide d’une intelligence exceptionnelle. On ne parviendrait qu’à
  s’abrutir. L’écriture ne constitue en effet qu’un instrument, mais
  c’est l’instrument indispensable pour arriver à la connaissance
  des sciences..... Or l’intelligence de l’homme le mieux doué a des
  bornes, et il est évident que, s’il l’emploie toute à apprendre ou
  à retenir l’orthographe, il ne lui en reste plus pour l’étude des
  sciences. Celui qui, grâce à de longs et pénibles travaux et à une
  attention soutenue, parvient à écrire correctement quelques pages,
  sans le secours d’un dictionnaire, n’a donc pas lieu d’être si fier!
  Du reste, les plus experts en pareille matière ont toujours reculé
  devant le défi de subir victorieusement une épreuve.» (Voir p. 320.)

Il résulte du travail très-étendu et très-approfondi de M. Henricy
qu’il reconnaît la nécessité de ne procéder à la réforme qu’avec
mesure et successivement. Il fixe même cinq degrés, séparés par deux
ans d’intervalle, pour atteindre une réforme telle qu’il la conçoit
possible. Mais, d’une part, les catégories qu’il propose feraient
l’objet de longues discussions, et, d’autre part, dix années sont un
terme insuffisant pour permettre d’espérer un pareil résultat.


    B. LEGOARANT. _Nouveau Dictionnaire critique de la langue
    française, ou examen raisonné et projet d’amélioration de la
    sixième édition du Dictionnaire de l’Académie, de son complément,
    du Dictionnaire national et d’autres principaux lexiques, y compris
    le nouveau Dictionnaire universel de la langue française par M.
    Poitevin._ Paris, Berger-Levrault, 1858, in-4 à 3 col. de XIV et
    667 pp.


    B. PAUTEX. _Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie._ Paris,
    1856, in-12 de 116 pp. Considérablement augmentées et réimprimées
    sous ce titre: _Errata du Dictionnaire de l’Académie française,
    ou Remarques critiques sur les irrégularités qu’il présente avec
    l’indication de certaines règles à établir._ Paris, Cherbuliez,
    1862, in-8 de XXXII et 352 pp.


    F.-P. TERZUOLO, ancien imprimeur, correcteur d’imprimerie.
    _Études sur le Dictionnaire de l’Académie. Deuxième édition_ (la
    première est de 1858), _accompagnée de quelques remarques sur les
    six premières livraisons du_ Dictionnaire de M. Littré. Paris,
    Mesnel, 1864, in-12 de 142 pp.

Le Dictionnaire d’une langue est son livre par excellence.
Non-seulement il la maintient, il la conserve, mais il ouvre
les voies et indique les sens dans lesquels elle peut s’épurer,
s’enrichir et accomplir de nouveaux progrès. Nul ne s’étonnera donc
de l’importance que le public attache à chacune des éditions du
Dictionnaire de l’Académie, ni de la longueur du temps et des soins
minutieux que la compagnie consacre à cette œuvre capitale. Mais
cette tâche est compliquée de tant de difficultés de toute nature,
dont la principale est l’incertitude qu’offre pour la coordination
l’absence complète d’une véritable grammaire de la langue française,
qu’on ne s’étonnera pas qu’on ait pu reconnaître dans la dernière
édition de ce Dictionnaire, aussi bien que dans les ouvrages du même
genre, des fautes matérielles, des contradictions, des lacunes, des
définitions hasardées ou insuffisantes. La partie orthographique, dont
l’irrégularité s’explique, comme on l’a vu dans tout ce qui précède,
par l’action du double courant où s’est formé notre vocabulaire et
l’influence des idées dominantes en grammaire au moment où de nouvelles
couches de mots ont été successivement admises, cette partie n’est pas
celle qui laissait le moins à désirer.

Heureusement, pour assurer la perfection à l’édition que l’Académie
prépare, des ressources précieuses lui sont réservées. En dehors des
matériaux importants que plusieurs de ses membres ont pu réunir,
de ceux qu’elle saura puiser dans les travaux des membres les plus
distingués des autres classes de l’Institut, il s’est rencontré des
hommes d’une persévérance admirable qui ont fait de la dernière édition
du Dictionnaire l’objet d’une critique minutieuse et de l’examen le
plus approfondi.

Tels sont MM. Legoarant, Pautex et Terzuolo, qui ont consacré à ce
travail un peu aride de la confrontation et de la discussion des mots,
de leur forme et de leurs définitions, la plus grande partie de leur
longue carrière. Les trois ouvrages que j’ai cités en tête de cet
article sont rédigés sous forme de dictionnaire, c’est assez dire
qu’ils échappent à toute espèce d’analyse. Je puis seulement constater
ici qu’ils ne font nullement double emploi. M. Legoarant a envisagé
son vaste sujet plutôt en lexicographe et en savant, M. Pautex en
grammairien et en typographe consommé; M. Terzuolo a suivi l’exemple de
ce dernier.

M. Pautex a réuni aux mots ACCENT, CONJUGAISON, MAJUSCULE, MENTOR,
TERMINAISON, TIRET, et dans un chapitre de la PRONONCIATION et des
DOUBLES LETTRES placé à la fin, des dissertations spéciales sur les
questions de l’orthographe typographique, les plus délicates et les
plus négligées par les grammairiens. A ce titre, son livre restera
d’une utilité incontestable, même après la nouvelle édition du
Dictionnaire, pour tous ceux qui se préoccupent de la bonne exécution
des livres et particulièrement pour les imprimeurs.

Le travail de M. Terzuolo contient des remarques en général
très-judicieuses sur les questions grammaticales et philologiques. Il
ne s’occupe de l’orthographe que pour signaler quelques contradictions
qui se trouvent dans le Dictionnaire de l’Académie, comme dans les mots
_assonance_ et _consonnance_, _persiflage_ et _siffler_, etc. Il est
d’avis d’écrire _baronet_ avec un seul _n_, _chevauléger_ en un seul
mot, et _chelin_ (_scheling_) à la manière française avec un _ch_,
comme on écrit _châle_ dérivé de _shall_. Pour les mots _paiement,
dévouement_, et autres substantifs terminés en _ment_, il demande qu’on
leur conserve les voyelles caractéristiques de l’infinitif dont ils
dérivent en changeant l’_r_ en _ment_; ex.: _emporter, emportement,
fourvoyer, fourvoyement, payer, payement, dénuer, dénuement_, etc.


    TELL. _Exposé général de la langue française, avec les idées, les
    systèmes et les principes de l’ancienne et de la nouvèle école,
    les projets de réforme, la codification et la langue universèle._
    Paris, 1863, in-18 de 109 pp.

Dans ce petit écrit, que l’auteur aurait voulu réduire à une feuille
d’impression, les questions énoncées sur le titre sont abordées avec
clarté et d’une manière piquante, tant celles de la grammaire que
celles de l’orthographe, à laquelle l’auteur s’attache principalement;
ce qui lui fait dire dès le début de son exposé «que l’enfant qui
l’a apprise n’est nullement préparé pour recevoir les leçons des
professeurs de logique, de rhétorique et de philosophie.»

C’est ainsi qu’il commence son livre, et c’est ainsi qu’il le termine:
«Toutes les sciences doivent avoir une science élémentaire pour
base; cette base est naturèlement le langage, et il serait difficile
d’en établir une autre qui s’accorde mieux avec l’enfance. L’enfant
fait des progrès considérables jusqu’à quatre ans, parce qu’il n’est
distrait par aucun préjugé; si son intelligence s’affaiblit alors, il
faut attribuer cette cause aux préjugés, et surtout à l’enseignement
faux du langage, tandis que, si cet enseignement était logique,
son intelligence de quatre ans, au lieu de s’affaiblir, grandirait
toujours; il vaudrait à dix ans ce que nos jeunes gens ne sont qu’à
vingt ans et plus. Si l’on veut bien examiner un enfant de quatre à
cinq ans, on verra plus de perspicacité chez lui que dans un enfant de
huit à dix ans. _Ce phénomène doit avoir une cause_ (p. 103).»

M. Tell n’en reconnaît pas moins la supériorité de la langue française
sur les autres, et les modifications qu’il propose à l’orthographe,
pour la simplicité et la régularité, n’ont rien d’exagéré; il réunit
en un seul les mots composés _toutafait, apeuprès, aucontraire_.
Les réformateurs modérés peuvent donc se trouver d’accord avec lui sur
la plupart des points, sauf la question des participes, qu’il voudrait
rendre invariables.

Son opinion sur la réforme de l’orthographe par des améliorations et
simplifications successives est ainsi motivée par ce qu’il fait dire à
un interlocuteur.

  «L’Académie française paraît indifférente aux progrès de la langue,
  parce qu’elle craint la précipitation et l’engouement; et cependant
  elle enregistre tous les trente ou quarante ans les progrès réels,
  sanctionné(_s_) par l’expérience. C’est ainsi que son Dictionnaire se
  modifie de quart de siècle en quart de siècle. Sa marche est lente,
  mais elle est assuré(_e_), elle va toujours en avant.

  «Que fait l’Université? Elle exécute et fait exécuter le progrès
  positif du Dictionnaire de l’Académie. C’est par ce parfait accord
  entre le gouvernement, l’Académie et l’Université que la langue
  française a beaucoup gagné depuis deux cents ans. Il est bien vrai
  que l’Université est toujours de trente ans en arrière sur les
  bons grammairiens, et que, dans ce qu’on enseigne aujourd’hui, il
  y a cent ou deux cents erreurs, préjugés ou absurdités, constatés
  depuis dix ou vingt ans; mais cet inconvénient est malheureusement
  indestructible dans l’état des choses établies.

  «On a dit que l’Académie n’a point fait de grammaire et que
  l’Université n’a point publié un seul volume sur la langue; ce fait
  prouve le respect de l’autorité pour la volonté nationale. En effet,
  si l’Académie eût fait une grammaire, chacun se serait cru contraint
  à suivre le code grammatical du corps savant. Si l’Université eût
  publié un ouvrage quelconque sur la langue, on aurait pu considérer
  ce livre comme étant obligatoire dans l’enseignement.

  «Voilà les motifs qui ont retenu l’Académie et l’Université;
  elles n’ont publié aucun ouvrage sur la langue que pour mieux
  faire comprendre que chacun, en France, est libre de parler et
  d’écrire comme il l’entend. Je termine en disant que l’autorité dans
  l’enseignement s’est toujours conduit(_e_) avec sagesse et dignité.»

Ces réflexions sont fort justes et méritent d’être prises en grande
considération. En effet, bien que Richelieu eût imposé à l’Académie
l’obligation de publier une Grammaire et un Dictionnaire de la langue,
et qu’on puisse considérer la Grammaire de Regnier des Marais comme
une tentative de l’Académie pour se conformer à cet ordre, on voit
combien cette grammaire, malgré tout le respect qui lui est dû, est
devenue presque inintelligible et surannée dans ses complications.
Cependant il eût été désirable qu’à l’apparition de chaque édition
d’un de ses Dictionnaires, l’Académie l’eût accompagné d’une grammaire
qui naturellement eût été modifiée selon le progrès des temps. La vue
seule de tant de règles et d’exceptions eût engagé l’Académie à la
simplifier[208].

      [208] M. Tell signale les inconvénients de la multitude des
      grammaires, qui va toujours croissant, et rappelle que déjà,
      en 1806, dans un rapport fait par Van Praet à Napoléon Ier,
      il est dit «qu’il existe un tel monceau de grammaires que
      seize chevaux attelés pourraient à peine le traîner.» Il est
      probable que le rapporteur a compris sous le titre de grammaire
      les dictionnaires, les traités, les critiques, les manuels,
      rudiments, méthodes, journaux pédagogiques, etc.

L’intérêt que Napoléon Ier apportait à tout ce qui touche à l’éducation
est signalé par M. Tell, qui le place au nombre de ceux qui ont voulu
établir une langue _universelle_, moyenne, comme voulut aussi Rivarol
que fût la langue française[209]. Dans un ordre du jour Napoléon
s’exprime ainsi:

  Paris, janvier 1811.

  «Les conquêtes des langues suivent les conquêtes des armes; mais si
  les idiomes, les usages et les mœurs des peuples réunis de nos jours
  à la France, peuvent enrichir notre langue, ces causes diverses
  peuvent aussi en altérer la pureté. Jamais il ne fut donc plus
  nécessaire d’y veiller que dans notre siècle.»

Et c’est dans ce but que Napoléon Ier a fait de grands efforts pour
susciter le zèle général en faveur d’études sur la langue dont son
génie appréciait l’importance.

      [209] «La langue française, dit Rivarol, est une géométrie formée
      avec une ligne droite, tandis que le latin et le grec sont formés
      avec des courbes.»

      Il aurait pu ajouter l’allemand, et jusqu’à un certain point
      les autres langues.--Suivons donc cette ligne, du moins pour
      l’orthographe, p. 27.


    E.-A. C. _Esai de sinplificacion du français, en vue de le fair
    accepter come langue internacionale._ Lyon, 1863, in-8 de X et 292
    pp.

Ce volume contient l’exposé très-développé d’une réforme beaucoup trop
radicale pour être acceptée du public actuel, et je renvoie pour sa
critique à ce qui a été dit à propos de M. Marle et à l’analyse du
travail de M. Raoux.


    FRÉDÉRIC DÜBNER. _Examen du programme officiel des humanités, année
    scolaire 1863-64._ Paris, Paul Dupont, 1863, in-8.

Notre orthographe semble, sans doute, chose bien pénible et bien
difficile au conseil impérial de l’instruction publique, puisqu’il
établissait ainsi le programme de l’enseignement du français pour
l’année scolaire 1863-64:

  1. CLASSE PRÉPARATOIRE. Grammaire française: noms, adjectifs, verbes.
  Exercices d’_orthographe_.

  2. CLASSE DE HUITIÈME. Grammaire française: révision et continuation.
  Exercices d’_orthographe_.

  3. CLASSE DE SEPTIÈME. Grammaire française: révision et continuation.
  Exercices d’_orthographe_. Exercices d’analyse grammaticale.

  4. CLASSE DE SIXIÈME. Grammaire française. Exercices de grammaire et
  d’_orthographe_.

  5. CLASSE DE CINQUIÈME. Grammaire française. Exercices de grammaire
  et d’_orthographe_.

  6. CLASSE DE QUATRIÈME. Grammaire française. Exercices de grammaire
  et d’_orthographe_.

  7. CLASSE DE TROISIÈME. Exercices français: récits et LETTRES D’UN
  GENRE SIMPLE.

En relatant cette classification, le savant philologue M. Dübner
s’écriait: «Pour la langue maternelle et dans les lycées impériaux,
_six années d’exercices de grammaire et d’orthographe_ avant de pouvoir
être admis, dans une septième année d’étude, à composer des lettres
d’un _genre simple_!»


    ÉMILE NEGRIN. _Grammaire française des gens du monde. Édition
    princeps._ Nice, 1864, in-8 de 116 pp.--_De la fixation de la
    langue française à propos de l’instruction primaire rendue
    obligatoire._ Nice, Caisson et Mignon, mars 1865, in-16 de 39 pp.

  «La France a 36 millions d’habitants. Sur ce nombre, 35 millions
  500 mille ne soupçonnent pas même l’existence du grec; les autres,
  dans leur jeune âge, à force de fatiguer les dictionnaires, sont
  parvenus à comprendre tout le contraire de ce qu’ont dit Démosthènes
  et Platon; dix à douze savants lisent le grec à livre ouvert. Eh
  bien! c’est pour faire plaisir à cette douzaine de citoyens que notre
  langue est grevée du _rh_, du _th_ et du _ph_.

  «Aussi, c’est ordinairement à ces trois signes composés que s’en
  prennent les détracteurs du français.

  «Certes, je suis loin de blâmer ces derniers. Il est évident que
  les personnes lettrées d’Italie, d’Espagne, de Portugal et de tant
  d’autres pays, savent comme nous que _philosophie_ vient de φιλοσοφία
  et cependant elles ont le bon esprit d’écrire _filosofo_; nous-mêmes,
  en dépit du φ originaire, nous avons déjà commencé à écrire, _flegme,
  flegmon, flegmatique_, etc.; et je battrai des pieds et des mains le
  jour où l’Académie agira partout avec le même «_flegme_».

  «Cependant le mal n’est pas si grand, car il suffit de prévenir les
  étrangers que _rh_ vaut _r_, _th_ vaut _t_, et _ph_ vaut _f_; c’est
  une fausse richesse, voilà tout.

  «Deux signes pour le même son ne sont que superflus; deux sons avec
  le même signe sont un véritable malheur.

  «La dernière lettre _h_ sert à empêcher les liaisons en tête des mots:

        _le héros, les haricots, le homar_.

  «On a toujours eu tort de dire qu’elle marque l’aspiration.
  L’aspiration n’existe pas dans notre langue.

  «On la met aussi par pure déférence pour l’étymologie, en tête de
  certains autres mots où elle est inutile: _l’histoire, l’homme,
  l’hôtel_. Il serait à désirer qu’on pointât le _hache_ répulsif
  pour le distinguer de ce _hache_ inutile ou muet: _le ·héros, les
  ·haricots, le ·homar_, ou mieux qu’on l’accentuât d’un esprit, comme
  les Grecs, _les ‛héros, les ‛haricots_.»

Le projet conçu en 1865 par M. Duruy, ministre de l’instruction
publique, projet non réalisé, de rendre l’enseignement primaire
obligatoire, a inspiré à M. Negrin une boutade humoristique sur la
nécessité de la réforme de l’orthographe. Je crois devoir en transcrire
un passage pour donner une idée du système orthographique de son auteur:

  «Ma proposition est, pour ainsi dire, le complément de la grande
  mesure qui se prépare. On forcera les prolétaires à fréquenter
  pendant deux années une école, mais les amènera-t-on en deux ans à
  déchiffrer des hiérogl_i_phes sans logique? J’en doute. C’est ce qui
  m’enhardit à prendre la plume.

  «Nous sommes actuellement spectateurs de deux scènes qui se déroulent
  sur le théâtre de l’humanité: la vulgarisation et la décadence du
  français.

  «La vulgarisation se constate chez tous les peuples; elle augmente
  chaque jour avec l’amendement social, dont elle est un des agents
  providentiels; nul ne songe à la nier; je ne songe donc pas à la
  démontrer. Elle est du reste une conséquence tou_t_ rationnelle de la
  nature claire et s_i_stématique de notre idiome, de la multiplicité
  des chefs d’œuvre qu’il a contribué à éterniser, de la valeur
  légendaire de nos soldats qui, sous la République et sous l’Empire,
  l’ont parlé à travers toutes les métropoles de l’Europe.

  «La décadence ne se manifeste pas moins..... Je ne veux parler que
  de la décadence de la forme. Elle s’engendre partout, elle se montre
  partout, elle menace partout; les esprits observateurs la remarquent;
  les esprits spéculatifs s’en affligent et les esprits policés la
  redoutent. Jetons en effet les _i_eux autour de nous. On compose
  les feuilletons avec la phraséologie des coulisses, on dialogue les
  vaudevilles avec le glossaire des boulevards; on rédige les bulletins
  de la presse avec des mots anglais, des mots allemands, des mots
  grotesques. Est-ce là du français? Qui de nous peut se vanter de
  comprendre d’un bout à l’autre la dissertation la meilleure de la
  meilleure des gazettes? Est-ce là notre langue?

  «Je sais bien les causes du mal, et chacun les sait comme moi... Mais
  que nous font les causes, quand la blessure saigne?

  «Néanmoins, à ce torrent de mauvais goût une digue peut être opposée:
  c’est la FIXATION DE LA LANGUE.


  ..... «C’est au sein d’une commission spéciale présidée par Napoléon
  III, en tant que littérateur, ou par vous, Monsieur le Ministre, en
  tant qu’historien, que pourraient être vérifiées les critiques déjà
  publiées, que pourraient être discutées les méthodes, les définitions
  et les règles; que pourraient être déterminés l’emploi des majuscules
  et celui des signes; que pourrait être fixé le pluriel des noms
  composés et des noms d’origine étrangère; qu’enfin pourraient
  être tranchés tant de différends qui divisent les précepteurs et
  embarrassent les élèves.....

  «Nous aurions ainsi une espèce de constitution orthographique.»


    ÉDOUARD RAOUX, professeur à l’Académie de Lausanne. _Orthographe
    rationnelle, ou écriture phonétique, moyen d’universaliser
    rapidement la lecture, l’écriture, la bonne prononciation et
    l’orthographe, et de réduire considérablement le prix des journaux
    et des livres._ Paris, à la librairie de la Suisse romande, 1865,
    gr. in-16.--_Supplément à l’orthographe rationnelle, ou réforme
    graphique sans nouveaux signes. Id., ib._, 1866, p. 279-316.

Ce petit traité (278 pages seulement) est fort intéressant, et, ce qui
est rare dans les ouvrages de ce genre, se laisse lire d’un bout à
l’autre sans fatigue et sans ennui. Il est le catéchisme de la réforme
radicale en matière d’orthographe.

M. Raoux, venu le dernier parmi les phonographes, a su habilement
profiter des travaux de ses nombreux devanciers. J’ai donc cru devoir,
comme je l’ai fait pour Beauzée, le représentant le plus important de
l’autre école, celle des néographes, lui consacrer une attention plus
particulière. Les reproches qu’encourra son système s’appliqueront
naturellement, pour une grande part, à tous les autres.

L’ouvrage se compose d’une partie critique et d’une partie dogmatique.
Je ne reproduirai pas, parmi les critiques que l’auteur adresse à
l’ancien système orthographique, celles qui ont été déjà faites
par ses devanciers, bien qu’il ait su leur donner un tour nouveau,
les accentuer et les développer davantage. Je dois me borner à la
part d’idées neuves, et elles sont assez nombreuses, que M. Raoux a
présentées dans son livre.

Comme Louis Meigret, son devancier, le professeur de Lausanne
travaille pour le _commun peuple_: son livre est dédié _aux
travailleurs_ de tous les pays. La réforme orthographique aura pour
conséquence, selon lui, d’élever le niveau intellectuel des masses;
de mettre à la portée de tous le prix des journaux et des livres; de
multiplier le nombre des esprits supérieurs; de faciliter les relations
internationales par la préparation ou la création d’une langue
universelle; de placer des habitudes logiques à la base de la première
éducation; de faire monter vers les plaisirs intellectuels des millions
d’hommes qui descendent chaque jour plus bas dans les jouissances de la
matière.

L’auteur expose ainsi ses principes:

  «De toutes les merveilles dues au génie de l’homme, les deux plus
  fécondes, en même temps que les plus méconnues, sont assurément le
  _langage_ et l’_écriture_. Traduire, en déplaçant un peu d’air, tout
  le monde invisible du sentiment et de la pensée; fixer, en traçant
  quelques signes, tous les sons fugitifs de la parole; saisir au vol
  ces ondes sonores et les emprisonner pour toujours dans quelques
  caractères alphabétiques: voilà deux miracles qui ne lasseront jamais
  l’admiration des siècles. L’écriture surtout, qui permet d’entendre
  une voix parlant à deux mille lieues, ou éteinte depuis trois
  mille ans; l’écriture, qui permet d’accumuler toutes les conquêtes
  de l’esprit humain dans ces temples lumineux qu’on appelle des
  _bibliothèques_; l’écriture, enfantement laborieux des génies de cent
  générations, a des droits particuliers à cette admiration et à notre
  reconnaissance.

  «L’écriture est, en effet, l’immense et merveilleux réservoir de
  la pensée humaine. C’est là que viennent s’accumuler, une à une et
  de siècle en siècle, les découvertes du savant, les méditations
  du philosophe, le monde idéal de l’artiste et du poëte, le monde
  réel des vulgarisateurs de la science pratique. Chez les peuples
  où l’écriture n’existe pas encore, tous ces trésors disparaissent
  presque à mesure qu’ils se produisent. Toutes ces brillantes
  manifestations du talent et du génie s’envolent avec la voix, et il
  ne reste, pour les générations suivantes, que des fragments défigurés
  par les infidélités de la mémoire, les fantaisies de l’imagination ou
  les aberrations de l’ignorance. Dans les pays où l’écriture apparaît,
  l’aurore commence, et, à mesure que les systèmes graphiques se
  perfectionnent, le niveau de l’intelligence publique s’élève, le jour
  fait reculer la nuit.

  «...L’abîme qui existe aujourd’hui entre la langue _parlée_ et la
  langue _écrite_ n’existait pas à l’origine. Les lettres servaient
  alors à représenter des sons, et non à favoriser le fastueux étalage
  de l’érudition linguistique. On écrivait pour exprimer sa pensée et
  non pour faire savoir à l’univers que l’on avait appris les langues
  mortes et les idiomes septentrionaux[210].

  «On trouve la preuve de cette écriture presque entièrement
  _phonétique_ dans tous les documents de la langue _gallo-ligurienne_
  ou _provençale_ et des patois romans qu’on parlait au nord de la
  Loire, sous le nom de langue _d’oïl_. Cette première phase s’étend du
  neuvième au treizième siècle.

  «Mais, à partir de cette dernière époque, l’ennemi commença à
  pénétrer dans la place. Les alphabets grec, latin et septentrionaux
  s’insinuèrent sournoisement dans l’écriture française. Les lettres
  inutiles ou _muettes_ vinrent peu à peu étaler leur vaniteuse
  oisiveté au milieu des lettres _actives_ ou phonétiques.»

      [210] Cette proposition, juste en principe, ne saurait
      s’appliquer d’une façon absolue à la langue française, qui est
      d’origine presque exclusivement latine. Dans le _Cantique de
      sainte Eulalie_, du dixième siècle, dans les _Lois de Guillaume
      le Conquérant_, du onzième, dans la _Chanson de Roland_, du
      douzième, on trouve nombre de lettres étymologiques qui certes ne
      se prononçaient pas. Les scribes, affiliés en général au clergé
      ou à l’Université, ont bien rarement fait abstraction du latin;
      mais leur orthographe, variable et indécise, était beaucoup plus
      simple et plus rapprochée de la prononciation que la nôtre. Cette
      prononciation et cette orthographe variaient, au quatorzième
      siècle, selon les dialectes: «... Et pour ceu que nulz ne tient
      en son parleir ne rigle certenne, mesure ne raison, est laingue
      romance si corrompue, qua poinne li uns entent laultre; et a
      poinne puet-on trouveir a jourdieu persone qui saiche escrire,
      anteir, ne prononcieir en une meismes semblant menieire, mais
      escript, ante et prononce li uns en une guise et li aultre en
      une autre.» (Préface des Psaumes de David en langue romane de
      Lorraine, citée par M. Le Roux de Lincy, introduction des _Quatre
      livres des rois_, p. XLII. Ce texte est de la fin du XIVe siècle.)

M. Raoux attribue à Joinville, qui vivait à la fin du treizième
siècle[211], à Froissart, à la fin du quatorzième, et surtout à
Philippe de Comines, au quinzième siècle, le tort d’avoir ainsi
surchargé l’orthographe de lettres inutiles. Au seizième, Marot,
Despériers, Rabelais, Montaigne, suivirent plus ou moins la même route.
«Alors commença le fatal divorce entre le _son_ et le _signe_, entre la
langue _parlée_ et la langue _écrite_. Alors aussi commença la célèbre
croisade de la réforme orthographique, qui devait se continuer jusqu’à
ce jour.»

      [211] On n’a point le _texte original_ de Joinville; le plus
      ancien manuscrit de ses Mémoires que l’on connaisse est celui que
      possède notre Bibliothèque impériale. Cette copie, cependant, ne
      saurait être postérieure au XIVe siècle. Mais elle ne reproduit
      pas, très-probablement, l’orthographe de l’original. On la croit
      généralement écrite vers 1350, c’est-à-dire environ trente ans
      après la mort de Joinville, qui écrivit (ou du moins fit écrire)
      ses Mémoires en 1309, ainsi qu’il l’indique lui-même à la fin
      de son texte: «Ce fut escript en lan de grace MCCCIX ou moys
      doctoure.»

Je citerai en passant un curieux calcul de M. Féline (_Dict. de la
prononciation_, p. 13), cité par M. Raoux, mais que je crois un peu
exagéré, sur les résultats économiques de la réforme phonétique.

  «J’ai cherché, dans plusieurs phrases, quelle serait la diminution
  des lettres employées, et celle que j’ai trouvée est de près d’un
  _tiers_; supposons seulement un _quart_. Si l’on admet que sur 35
  millions de Français, un million, en terme moyen, consacrent leur
  journée à écrire; si l’on évalue le prix moyen de ces journées à 3
  francs seulement, on trouve un milliard, sur lequel on économiserait
  250 millions par année.

  «La librairie dépense bien une centaine de millions en papier,
  composition, tirage, port, etc., sur lesquels on gagnerait encore 25
  millions.

  «Mais le nombre des gens sachant lire et écrire décuplerait; les
  livres coûtant un quart moins cher, il s’en vendrait, par cela seul,
  le double, et le double encore parce que tout le monde lirait. De
  sorte que ce profit de 275 millions serait doublé ou quadruplé, et
  l’économie imperceptible d’une lettre par mot donnerait un bien plus
  grand bénéfice que les plus sublimes progrès de la mécanique.....
  On s’inquiétera pour les chefs-d’œuvre de notre littérature. Mais
  il ne s’agit pas de supprimer l’alphabet actuel; il continuerait
  encore pendant longtemps d’être employé par les lettrés, comme la
  langue latine a été pendant tant de siècles la langue savante et
  seule écrite, comme les chiffres romains dont on fait encore usage.
  Il s’agit seulement, pour ceux qui ne peuvent recevoir une éducation
  complète et suivre les écoles secondaires, d’acquérir par l’étude la
  plus sommaire une seconde manière d’écrire qui les mette en rapport
  avec la masse du peuple et leur fasse gagner une heure de travail sur
  quatre.»

La deuxième partie de l’ouvrage de M. Raoux, intitulée: _Critique
du système graphique actuel_, est un travail solide et vraiment
remarquable. L’auteur signale d’abord les vices suivants: lettres
à double et à triple emploi;--lettres surérogatoires;--voyelles
s’écrivant chacune de dix, vingt, trente et _cinquante_ manières
différentes (ch. III, § 1);--voyelles et consonnes changeant
arbitrairement de valeur phonétique suivant leur entourage;--réunion
de lettres identiques se prononçant différemment et de lettres
différentes se prononçant d’une manière identique;--sons simples ou
monophones s’écrivant avec deux, trois et même six lettres;--mots
dans lesquels on ne prononce pas une seule lettre avec le son que lui
assigne l’alphabet;--sons qu’on ne prononce pas et qu’on écrit avec le
même scrupule que les signes non muets;--quatre signes différents pour
indiquer le pluriel;--les mêmes signes pour représenter le singulier et
le pluriel;--un enchevêtrement inextricable de règles, d’exceptions,
de sous-exceptions, de subtilités scolastiques, d’abstractions
inintelligibles.

  «Voilà, dit M. Raoux, cette célèbre écriture, vaniteusement baptisée
  correcte et orthodoxe (_orthographe_); voilà le haut et savant
  grimoire qui nous a été légué par les fétichistes gréco-latins, par
  ceux qui ont voulu repétrir une langue vivante avec les détritus de
  deux langues mortes. Merveilleux labyrinthe, en effet, où l’on se
  perd encore après vingt ans d’étude; admirable système qu’on emploie
  un quart de siècle à ne pas apprendre! C’est un peu moins mal,
  pourtant qu’en Chine, où l’on passe sa vie à n’apprendre que cela.»

Passant à l’étude de l’alphabet, l’auteur annonce que la critique
qu’il en va faire n’a pas pour but de rejeter toutes les lettres de
l’alphabet français et d’en couler d’autres dans des moules entièrement
nouveaux, comme le fait la sténographie, mais seulement de les ramener
à des principes rationnels, quant à leur nombre, à leur nature, à leur
valeur phonétique et à leur forme.

  «Personne ne contestera cet axiome: _que le nombre des signes d’un
  alphabet rationnel ne doit être ni supérieur ni inférieur au nombre
  des sons fondamentaux de la langue à laquelle il appartient_.» Il
  suffit de rapprocher, à cet égard, les principes posés, dès 1660, par
  Port-Royal. _Voy._ ci-dessus, p. 226.

  «Or l’alphabet français est en pleine révolte contre cet axiome,
  car il possède six lettres entièrement superflues, et manque d’une
  douzaine de signes simples pour représenter des sons élémentaires.

  «1º Il possède six lettres superflues, parce qu’au lieu de
  représenter chaque son élémentaire par un seul signe, il a commis la
  faute d’en employer plusieurs.

  «Ainsi, au lieu de traduire le son simple QE par un seul signe ou
  par une seule lettre, notre alphabet ne lui en assigne pas moins
  de _quatre_, savoir: C, K, Q, CH (_col, kilo, queue_ et _choral_).
  N’est-il pas évident qu’il y en a _trois_ de trop?

  «Le son I est actuellement représenté par _trois_ lettres I, ï, Y
  (_image, haïr, yeux_). Ne devrait-on pas en retrancher deux?

  «L’articulation S est aujourd’hui gratifiée de trois signes, savoir:
  C doux, Ç cédille et S (_Cécile, reçu, son_). Un seul ne suffirait-il
  pas à l’écriture ordinaire, quand il suffit aux écritures
  sténographique, italienne et espagnole[212]?

      [212] M. Raoux aurait pu ajouter que l’_s_ usurpe trop souvent la
      place du _z_, ce qui est fort regrettable.

  «La lettre H représente un son qui n’existe pas, puisqu’il n’y a pas
  d’aspiration dans la langue française: pourquoi donc embarrasser
  notre alphabet de cette lettre parasite, surtout lorsqu’il lui en
  manque une douzaine?

  «La lettre X fait double emploi avec S, Z, GZ et QS (_dix, deuxième,
  examen, index_). Pourquoi occupe-t-elle inutilement la place qui
  serait si convenablement remplie par l’une des douze lettres qui
  attendent à la porte?

  «Enfin, le double W, signe intrus, maladroitement emprunté aux
  alphabets septentrionaux, se permet aussi de jouer sur le clavier des
  variations phonétiques, et se prononce tantôt V, tantôt OU, tantôt EU
  (_Wolga, William, New-York_).

  «Voici donc six plantes parasites sur le vieux tronc de l’alphabet,
  six lettres parfaitement superflues, C, K, H, X, Y, W, dont il serait
  grand temps de faire l’amputation.


  «Après s’être donné le luxe de _six_ lettres superflues, le vieil
  alphabet nous présente le spectacle d’une indigence dont le chiffre
  est double. _Douze_ lettres lui font défaut lorsqu’il veut traduire
  les douze sons simples, ou les douze notes nouvelles de la gamme
  alphabétique. Aussi est-il obligé de recourir, pour combler cette
  lacune, au stratagème des accents et des signes binaires, qui
  viennent jeter d’innombrables complications dans l’orthographe et de
  nouvelles ténèbres dans la lecture, l’écriture et la prononciation.

  «L’accent aigu et l’accent grave jetés sur l’_e_ muet devront le
  transformer en _e_ fermé et en _e_ ouvert (É, È), et les paires
  de lettres (digrammes) EU, AU, OU, CH, GN, LL, AN, EN, IN, ON, UN,
  seront chargées de représenter des voyelles, et des articulations
  simples.

  «Si, du moins, chacune de ces lettres et chacun de ces couples,
  ou digrammes, n’avait qu’une seule valeur phonétique! Mais non.
  La lettre C traduit les quatre sons QE, SE, GUE et CH [_cocarde,
  Cécile, second, vermicelle_[213]];--G, les quatre articulations
  GUE, JE, NIEU et QE (_digue, gerbe, agneau, sang, rang élevé_); X,
  les articulations QS, GZ, S, Z, CHE [_index, examen, Aix, deuxième,
  Ximenès_[214]];--la voyelle U représente les trois sons U, O et OU
  (_urne, punch, minimum, équateur, aquatique_);--la consonne D, les
  deux articulations D et T (_don, profond abîme_);--la lettre F,
  celles-ci: F et V (_fier, dix-neuf ans_); Z correspond à Z, S, DZ, TS
  (_zéphir, Rodez, mezzo, piazza_)[215].»

      [213] On prononce maintenant, conformément à l’écriture,
      _vermicelle_ et _violoncelle_.

      [214] Dans ce mot, du _xérès_, c’est-à-dire du vin récolté à
      Xérès, on prononce l’_x_ d’une quatrième manière, comme s’il y
      avait _kérès_, par un _k_.

      [215] M. Raoux aurait pu ajouter la lettre Y, qui représente
      les sons suivants: I, Î, ÉI, IJ, IJI (_la Haye, style, abbaye,
      paysan, citoyen_).

  «Les différences de valeur des digrammes _eu_ (_j’ai u, un peu_),
  _ch_ (_charité, archange, almanach_), _gn_ (_stagnation, agneau_),
  etc., ne sont pas moins nombreuses que celles des lettres simples.»

Tout ce travail du professeur de Lausanne est intéressant, et il
serait bon de s’y reporter, si l’on voulait constituer un alphabet
normal pour la transcription de nos patois, ou des langues orientales,
ou même simplement pour fixer un type uniforme de figuration de la
prononciation dans nos dictionnaires, soit français, soit bilingues.

Toutefois l’auteur aurait dû citer les savants académiciens qui l’ont
précédé, Beauzée, Domergue, et surtout Volney, qui, l’un, en 1767,
l’autre, en 1806, le dernier, en 1820, ont traité à fond cette matière.
Le troisième surtout a placé, dans son ouvrage intitulé: _L’Alfabet
européen appliqué aux langues asiatiques_, une discussion excellente
et approfondie de la valeur et de la distinction de nos voyelles et de
nos consonnes. Après un si docte travail, il ne restait plus guère qu’à
glaner et à perfectionner[216].

      [216] Il aurait dû aussi mentionner MM. Marle et Féline.

Dans le chapitre suivant, intitulé: _Vices des combinaisons binaires
et ternaires des lettres, ou des bases de l’écriture_, l’auteur étudie
les effets de la combinaison des lettres de notre alphabet deux à deux
et trois à trois pour former les éléments de l’écriture. On ne peut
donner ici que quelques exemples du singulier effet de ces unions.

IA garde le son naturel de ses composants[217], mais AI devient E, È
(_j’ai, naître_).--UA donne le son OUA ou A (_équateur, quadrille_);
AU donne le son O (_autre_).--IO ne produit pas de son nouveau, mais
OI donne un son voisin de OA (_roi_).--YO est stérile; mais OY offre
trois sons: OU, A, I (_voyelle, royaume, moyen_);--EU a la même valeur
que UE (_peur, cueillir_)[218];--S entre deux voyelles se transforme
en Z (_trésor, aisance_); mais il y a des exceptions: _vraisemblance,
préséance_.

      [217] La diphthongue _ia_ ne se prononce pas de même dans
      _diable_, dont la première syllabe est monosyllabique, et
      _diamant_, où elle est dissyllabe.

      [218] Et en outre le son _u_: _j’eus, gageure_.

L’auteur a réuni d’autres exemples, en assez grand nombre, de vices
analogues de nos combinaisons alphabétiques. Le son A s’écrit, d’après
M. Marle, de 25 manières; le son AN, de 52; le son O, de 30; le son ON,
de 26; le son OU, de 28; le son OI, de 25; le son È, de 55; le son É,
de 25; le son EU, de 20; le son I, de 29; le son IN, de 34, etc., etc.
En tout, 540 manières d’écrire 31 sons. M. Dégardin, qui a refait ce
compte, trouve 568 variantes.

Dans les articles suivants, M. Raoux passe en revue les _sons
différents s’écrivant de la même manière_. Ex.: _jeu_ et _gageure_;
_diagnostic_ et _agneau_; _altier_ et _balbutier_; _fier_ verbe et _fier_
adjectif; _fille_ et _ville_; il _est_, de _l’est_; dans un même mot, le
digramme _en_ figurant deux sons différents: _chiendent_;--puis les
_sons identiques s’écrivant avec des signes différents_. Ex.: _vingt,
vin, vain, vint; cène, saine, Seine, scène_;--les sons nuls s’écrivant
avec des annexes ou signes muets; ex.: _bah, choral, honneur, plomb,
chaud, froid, clefs, œufs, bourg, fusil, baril_, etc.

Dans les derniers chapitres de la deuxième partie, l’auteur s’occupe
des vices de l’écriture dite _orthographe de principes_. Nous avons
six marques différentes du pluriel: S, Z, X, T, NT, ENT (les _gens_,
vous _aimez_, les _cieux_, ils _vont_, ils _ouvrent_, ils _aimaient_).
Sur ces six marques, cinq sont en même temps des signes employés au
singulier: _bras, nez, doux, vent, pont_[219]. Certains mots tirés
des langues étrangères prennent notre marque du pluriel (_altos,
erratas, opéras, pianos, quatuors, villas, zéros_, etc.); d’autres
ne la prennent pas (des _alibi_, les _criterium_, les _choléra_,
les _crescendo_, etc.). Il passe en revue ensuite les différentes
irrégularités que l’on peut signaler dans l’orthographe des verbes, de
leurs temps et des participes.

      [219] Il est regrettable que pour le mot _fils_ le singulier ne
      puisse se distinguer du pluriel comme dans le latin, _filius_,
      _filii_, comme en italien, _figlio_, _figli_, en espagnol _hijo_,
      _hijos_. Ainsi, dans le cas de la raison sociale d’une maison
      de commerce, comment savoir lorsqu’on lit Firmin Didot frères
      et fils, par exemple, s’il y a un ou plusieurs fils? Il serait
      désirable qu’on pût, au pluriel, recourir à l’emploi de la lettre
      _s_ longue (_ſ_) pour le distinguer du singulier.

L’auteur termine cette seconde partie par un tableau très-animé
des inconvénients, pour la nation tout entière, qui résultent de
l’impossibilité (qu’il s’est efforcé d’établir) d’apprendre la
grammaire et l’orthographe.

La troisième partie est consacrée à l’exposition du système phonétique,
que je ne saurais dire être celui de M. Raoux, car la part de ses
devanciers, depuis Meigret et Ramus jusqu’à Domergue, Volney, Marle
et Féline, est si grande, dans l’édification des diverses parties de
la méthode, qu’elle devient de jour en jour une œuvre impersonnelle à
laquelle chacun se contente d’apporter une assise, soit même une simple
pierre.

  «Tous les éléments phonétiques, dit-il, dont se composent les 150,000
  ou 200,000 mots de la langue française et les autres milliers de mots
  appartenant aux idiomes méridionaux se réduisent au chiffre de 43,
  dont 25 primitifs ou fondamentaux (voyelles), et 18 modifications
  (consonnes, articulations).»

Voici son alphabet phonétique (alphabet des sons) complet pour les
langues du nord et du midi de la France:

  8 voyelles mères: _a, è, é, i, e, o, ou, u_.
  8 modifications nasales: _an, ain, èn, in, eun, on, oun, un_.
  9 modifications orales: _â, ê, ë, î, ï, eu, ô, oû, û_[220].
  9 articulations dures: _p, f, t, q, l, r, ch, s, n_.
  9 articulations douces: _b, v, d, g, ll, j, z, gn, m_.

      [220] M. Raoux néglige deux voyelles distinctes reconnues par
      Volney (voir p. 313): _eù_, clair, guttural: _cœur, peur,
      bonheur_, différent de _eu_ profond, creux: _eux, deux, ceux_; et
      l’_e_ que le savant académicien appelle _e_ gothique, sensible
      dans ces mots: _que je me repente_, tandis que l’_e_ muet ou
      féminin se rencontre dans _borne, ronde, grande_. L’auteur a
      modifié, dans un supplément publié en 1866, son alphabet de 1865:
      je ne connaissais pas cet opuscule lors de ma précédente édition.
      J’en donne l’analyse plus loin.

  «La linguistique comparée dira ce qui manque à cet alphabet
  pour exprimer fidèlement les sons de tous les idiomes anciens et
  modernes, c’est-à-dire pour être réellement universel. Ce qui est
  certain, c’est que, malgré sa richesse, le languedocien actuel
  ou le gallo-provençal contient trois sons de moins, l’_e_ muet,
  l’_amplification eu_ et la nasale _eun_. La langue française a rejeté
  ou laissé perdre les trois nasales _èn, oun, un_[221] et l’_e_
  double aigu, qu’elle confond avec l’_i_. Et comme l’_ê_ et l’_è_ ne
  sont pas pour elle deux sons réellement distincts, puisque ces deux
  accents se substituent fréquemment l’un à l’autre[222], il en résulte
  que le nombre des éléments phonétiques du français se réduit à 37,
  savoir, 26 proprement dits (dont 8 voyelles et 18 consonnes), plus 5
  modifications nasales et 6 orales.»

      [221] Il ne s’agit pas ici de notre son _un_ dans _chacun_. M.
      Raoux l’appelle _eun_ ou _e_ nasal, et le représente par _en_. Un
      exemple éclaircira ce passage, un peu obscur dans son livre: dans
      _charmant, tourment, coefficient, ennuyer_, c’est l’_a_ nasal
      (_an_ de M. Raoux); dans _jardin_, il _tient_, c’est l’_è_ nasal
      (_èn_ de M. Raoux); dans _immortel_, c’est l’_i_ nasal (_in_ de
      M. Raoux); dans _chacun_, c’est l’_e_ muet nasal (_en_ de M.
      Raoux). Nous n’avons pas, dit-il, dans notre langue l’_u_ nasal
      qui apparaît dans les patois du Midi.

      J’avoue que, n’étant pas familier avec les patois du Midi,
      je ne puis me rendre compte de la valeur de cet _u_ nasal,
      distinct, selon le professeur de Lausanne, de notre son _un_ dans
      _quelqu’un, chacun_. Mais je suis fondé à penser que, puisque M.
      Raoux interprète ce dernier son par _e_ nasal, et qu’il le nomme
      _eun_, c’est qu’il prononce _e_ muet comme _eu_, ce qui est chez
      nous une prononciation vicieuse.

      [222] Exemple de l’_è_ dit ouvert: _succès, caisse, fer, mer,
      fête, faîte_.

Pour former son alphabet _phonographique_, destiné à représenter
dans l’écriture l’alphabet des sons, ou _phonétique_, qu’il vient
d’établir, l’auteur a recours à deux principes qui servent de base à
la sténographie: _un seul signe simple pour chaque son simple_, et
réciproquement, _des signes modifiés pour des sons modifiés_, ou des
modifications de signe pour des modifications de son. Ces principes,
qui sont ceux de Port-Royal, ont été admis par presque tous les
réformateurs précédents.

Après avoir éliminé de l’alphabet nouveau les six lettres: _c, k, h,
x, y, w_, dont les unes représentent chacune plusieurs sons, dont les
autres sont affectées à un même son, et dont l’autre n’en représente
aucun (voir p. 356), l’auteur conserve de l’ancien alphabet les 20
signes suivants: _a, b, d, e, f, g, i, j, l, m, n, o, p, q, r, s, t,
u, v, z_. Les six autres sons simples sont représentés, dans l’ancien
alphabet, par quatre signes binaires: _ou, ch, gn, ll_, et par deux
signes modifiés _é_ et _è_. L’auteur adopte pour le son _ou_ le signe
proposé par Ramus et par Volney: ω. Le _ch_, articulation forte du _j_,
est figuré par cette même lettre sans boucle et sans point supérieur,
ȷ, le ℐ avec boucle conservant sa valeur ancienne de _j_.

La distinction entre les deux signes ȷ pour _ch_ et ℐ pour _j_ est bien
légère, surtout dans l’écriture: l’auteur aurait dû, ce me semble,
conserver au moins le point supérieur à ce dernier.

M. Raoux repousse pour _gn_ le signe _n_ tildé (_ñ_) adopté par
Buffier, Volney, Marle, Féline et Henricy. Il propose ce signe ŋ, qui
rappelle également la lettre _n_, et rentre dans la règle de symétrie
qu’il préconise, c’est-à-dire l’emploi de boucles pour représenter les
sons doux[223]. Il repousse également le λ proposé par le P. Buffier
pour _l_ ou _ll_ mouillé, et, en vertu du principe ci-dessus, adopte le
ℓ à boucle, réservant le _l_ sans boucle pour le _l_ ordinaire.

      [223] M. Raoux aurait pu dire que cette règle est empruntée de
      Ramus, qui dès 1562 (voir p. 192), l’avait mise en pratique, et
      que son _n_ à jambage a été inventé par Meigret.

Ce système des boucles me paraît ingénieux en théorie, mais sujet
à inconvénients dans la pratique. L’alphabet réformé ne doit pas
seulement être appliqué dans l’impression; il doit aussi servir à
l’écriture cursive, et les boucles n’y constituent pas une notation
suffisamment distincte.

L’auteur a reculé devant l’introduction de nouveaux signes pour _é,
è_, et pour ses voyelles nasales _an, èn, in, on, en_. Il
donne au signe _ê_ la valeur phonétique de _eu_, au groupe _in_ la
valeur de _im_, et au groupe _en_ l’ancienne valeur de _eun_.

Ces changements d’emploi de signes anciens paraissent une transaction
malheureuse: il fallait, dans un système qui aspire à une complète
rénovation graphique, éviter toute capitulation, toute équivoque avec
l’ancienne écriture passée en habitude et que les novateurs voudraient
proscrire. Et quant aux voyelles nasales, qui se rencontrent de 8
à 10 fois en 30 mots, il n’aurait pas dû leur conserver le signe
_binaire_ qui a encouru toutes ses sévérités. En les remplaçant par
un signe simple, il eût obtenu une économie notable dans l’écriture
et l’impression, et eût restitué à ces voyelles, encore méconnues de
nos grammairiens, le caractère de voyelle simple. Domergue et Féline
n’avaient pas ainsi sacrifié sur l’autel des anciens dieux. Il est
vrai que la suppression de ces _n_ parasites, leur remplacement par
un trait diacritique, donnait à leurs pages une apparence hétéroclite
devant laquelle M. Raoux aura sans doute reculé. Cependant, durant
trois siècles, l’œil des lecteurs du latin et du français était
accoutumé à voir ainsi écrits ou imprimés: _bõte, tẽps, chãgemẽt,
cõditiõ, amãt, veniũt_, les mots que nous figurons par: _bonté, temps,
changement, condition, amant, veniunt_. Reprendre cette forme archaïque
de la voyelle nasale eût mieux valu, ce me semble, que toute autre
combinaison, et ce système ancien, si simple et si rationnel, mérite
d’être pris en grande considération.

  «En résumé, dit l’auteur, l’alphabet phonographique conserve: 20
  lettres de l’alphabet actuel;--2 lettres modifiées par des accents
  (_é, è_);--2 signes modificateurs de sons (accent circonflexe et _n_
  nasal).

  «Il élimine: 6 lettres proprement dites (_c, h, k, x, w, y_);--6
  signes binaires (_eu, ou, au, ch, gn, ll_);--2 signes modificateurs
  (cédille et tréma).

  «Il dédouble les formes du _j_ et du _l_ pour représenter leurs deux
  sons similaires;--il rectifie trois signes binaires (_èn, in, en_).

  «Enfin, il ajoute deux signes nouveaux pour _ll_ mouillé et le son
  _ou_.»

Voici le nouvel alphabet complet, avec l’indication des valeurs
nouvelles:

    a               ℐ (j)           p               î
    b               ȷ (ch)          q               ê (eu)
    d               l               r               ô
    e               ℓ (mouillé)     s               û
    è               m               t               an
    é               n               u               èn (in)
    f               ŋ (gn)          v               in (im)
    g               o               z               on
    i               ω (ou)          â               en (eun)

Dans le nouveau système, les 26 caractères de l’alphabet ne changent
jamais de valeur phonétique, quels que soient les signes qui les
précèdent ou les suivent dans la composition des mots. Exemple:

    _habit_      _abi_     |  _chiquenaude_       _ȷiqenode_
    _anneau_     _ano_     |  _pré aux clercs_    _pré ô qler_
    _ôter_       _oté_     |  _pré aux clercs_    _pré ô qler_
    _chapeau_    _ȷapô_    |  _chocolatier_       _ȷoqolatié_
    _agneau_     _aŋô_     |  _perplexité_        _perpléqsité_
    _heureux_    _êrê_     |  _sexagénaire_       _seqsagénère_
    _boule_      _bωle_    |  _construction_      _qonstruqsion_
    _homme_      _ome_     |  _strictement_       _striqteman_
    _femme_      _fame_    |  _strychnine_        _striqnine_
    _chacun_     _ȷaqen_   |  _emprunteuse_       _anprentêze_
    _oiseau_     _ωazo_    |

L’auteur pose (p. 194) ce principe, sur lequel je crois devoir appeler
toute l’attention des novateurs en orthographie: _Maintien de tous
les signes utiles pour l’intelligence des mots et des phrases et pour
l’euphonie de la langue parlée; élimination de tous les autres signes._

  «On écrira donc, continue M. Raoux, toutes les lettres grammaticales
  qui servent à éclaircir le sens des mots et des phrases, à lever
  des doutes, à faire disparaître des équivoques ou à prévenir des
  hiatus et des consonnances désagréables. Toutefois, on distinguera
  les lettres actives ou phonétiques des lettres passives ou muettes,
  en les séparant par un tiret indiquant que ces dernières n’ont
  pas droit aux honneurs de la prononciation, et ne sont que des
  signes additionnels dont la destinée est de disparaître lorsque la
  langue parlée aura comblé ses fâcheuses lacunes et réduit le nombre
  exorbitant de ses homophones.

  «Ainsi l’on écrira le _r_ de l’infinitif et le _z_ de l’impératif
  (en les séparant par un tiret) toutes les fois que le sens de la
  phrase ne permettra pas de les distinguer l’un de l’autre, ainsi que
  du participe passé, c’est-à-dire lorsqu’on hésitera entre les trois
  homophones _é, er, ez_ des verbes de la première conjugaison: _aimé,
  aime-r, aime-z, travaillé, travaille-r, travaille-z_. On écrira
  encore: montéZ à cheval; il boiT et mange bien; je voudrais qu’il
  allâT avec vous, etc., afin d’éviter des hiatus et des consonnances
  peu agréables pour l’oreille, mais on ne séparera pas ces lettres
  euphoniques par un tiret, comme les signes affectés de mutisme.»

Cette citation suffit pour faire écrouler tout le système de M. Raoux,
et il prononce lui-même, sans s’en apercevoir, la condamnation de la
phonographie comme écriture usuelle de la langue française, comme
méthode même d’enseignement dans les classes élémentaires.

En effet, l’auteur reconnaît, avec une bonne foi parfaite, la nécessité
de _fixer le sens des mots ainsi que des phrases_, de _lever tous
les doutes_, de _faire disparaître les équivoques_, de _prévenir
les hiatus_ et _les consonnances désagréables_. N’est-ce pas là, je
le demande, une tâche impossible à quiconque n’a pas préalablement
acquis la connaissance la plus approfondie, la plus minutieuse de la
langue française? Nous voici ramenés, avant d’aborder l’étude de la
nouvelle écriture, à cette grammaire si complexe, avec ses milliers
d’exceptions et de sous-exceptions, objet de tant de malédictions de la
part des novateurs. Bien plus, pour accorder ces temps de verbes, ces
participes, ces substantifs, ces adjectifs; pour leur conserver sur le
papier ces marques euphoniques exigées par notre oreille; pour figurer
en phonographie les nombreux homonymes avec l’orthographe étymologique
qui les distingue[224], l’étude de la grammaire française ne suffit
plus: la connaissance complète du latin et de la basse latinité est
indispensable, ainsi qu’une teinture du grec. Quel trouble pour les
adeptes de cette nouvelle tachygraphie, auxquels on prescrit de figurer
uniquement le son, s’il leur faut combiner les deux systèmes, l’ancien
et le nouveau, et s’arrêter avant d’écrire une phrase pour tenir compte
des difficultés de l’étymologie et des exigences de la syntaxe!

      [224] Voir ce que j’ai dit plus haut, p. 96, de l’orthographe des
      homonymes, _saint, sein_, etc., et la discussion de M. Vanier
      sur le même sujet, p. 326. J’ajouterai que dans tout système
      phonographique on devra conserver l’ancienne orthographe pour les
      noms propres, les noms de lieux, etc.

Que deviennent alors les 50 millions d’artisans, de pauvres enfants, de
manouvriers des villes et des campagnes qui, en France, en Belgique, en
Suisse, dans tous les pays de langue française, devaient être émancipés
de l’ignorance en une ou deux saisons d’école? Les voilà ramenés aux
difficultés de la grammaire et aux études grecques et latines dont on
prétendait les dispenser.

Quant à ceux qui ont reçu cette instruction si pénible à conquérir,
peut-on espérer qu’ils adoptent jamais une nouvelle manière d’écrire,
même simplifiée, si elle ne les dispense pas de se rappeler
continuellement l’ancienne, pour la solution des cas litigieux?
L’étranger instruit, mais peu exercé à la prononciation, le savant,
le législateur, ne croiront jamais parvenir à être bien compris
dans cette écriture figurative des sons. Chacun des mots anciens,
par sa configuration devenue familière, par les radicaux si souvent
transparents sous l’enveloppe graphique, réveille pour nous le souvenir
de ses congénères et de sa signification[225].

      [225] Voir aussi p. 96 et 374.

Sans doute, s’il s’agissait uniquement de former un peuple ignorant,
sans passé littéraire, à une rapide connaissance de la lecture et de
l’écriture française, la méthode phonétique aurait de grands avantages;
mais pour une nation riche d’une littérature qui date de huit siècles,
ses vocables, ses syllabes même, font, pour ainsi dire, partie
intégrante de son histoire intellectuelle; les transformer de fond en
comble, c’est rompre la chaîne non interrompue des traditions où s’est
formé son génie.


Dans les chapitres, suivants, M. Raoux applique son système de
phonographie à plusieurs langues de l’Europe. En ajoutant à son
alphabet des signes de l’_e_ double aigu (_ë_), l’_i_ mouillé (_ï_),
et les trois nasales _én, ωn, un_, il possède, d’après l’auteur,
la gamme complète des sons du bel idiome des troubadours. Quant à la
transcription de l’italien, je n’en vois pas trop l’utilité pour nous,
surtout quand on renonce à figurer l’accent tonique.

J’en dirai autant de l’espagnol et du latin, à l’écriture
phonographique desquels l’auteur consacre quelques pages. Sa
transcription de l’allemand, pour être fidèle, nécessiterait l’addition
de nouveaux signes pour le _h_ et le _ch_ fortement aspirés. Mais c’est
pour nous transcrire fidèlement la prononciation de l’anglais que la
nouvelle méthode serait inappréciable. Elle remplacerait avec une
supériorité incontestable le système de voyelles chiffrées usité dans
les meilleurs dictionnaires anglais-français.

Il serait donc désirable qu’en tête des dictionnaires anglais, arabes,
turcs, aussi bien que de ceux des patois des langues de l’Europe,
on représentât la prononciation dans un système phonographique
perfectionné et convenu entre les linguistes. Une page, placée en tête
de chacun de ces lexiques, suffirait pour tracer toutes les règles
de lecture de cet alphabet véritablement phonétique. Avec l’aide du
temps, les personnes studieuses en prendraient l’habitude, et le pas,
difficile à franchir, pour la constitution d’un alphabet européen et
d’une écriture européenne serait plus tôt accompli. Je m’unis donc,
pour cette application importante, aux vues de l’auteur, si bien
développées dans ses dernières pages, que je dois renoncer à analyser.
Cet art nouveau, auquel il s’est voué, n’a pas encore dit son dernier
mot; il est en instance devant les corps savants, les universités
et les académies. Loin de faire reculer la philologie comparée et
la science rationnelle du langage, il ne peut que leur procurer de
nouveaux moyens d’analyse.

Dans le _Supplément_ à l’ouvrage précédent, publié un an plus tard, et
dont je n’avais pas connaissance lors de ma première édition, M. Raoux
reprend la question de la constitution de l’alphabet phonographique
d’après les observations qui lui ont été transmises par les différents
comités fondés en Suisse, en Belgique et en France, pour la réforme
orthographique. La majorité des phonographes qui les composent s’étant
prononcée pour l’adoption d’un alphabet sans signes nouveaux[226], il a
cru devoir acquiescer à ce vœu, tout en réservant son alphabet primitif
pour une phase ultérieure de la reforme.

      [226] M. Raoux explique ainsi le recul de la phonographie, du
      moins quant à la théorie, qui s’est produit à Lausanne après la
      publication de son livre: «Peu de temps après la publication
      du prospectus de cet ouvrage, des lettres d’encouragement et
      des témoignages d’adhésion nous parvinrent en grand nombre
      et plusieurs organes de la presse libérale nous offrirent
      spontanément leur concours. Depuis l’impression de l’_Orthographe
      rationnelle_ (décembre 1865), la question se posa plus nettement
      et les phonographes se mirent à l’œuvre en Suisse et au
      dehors. Des comités s’organisèrent dans les cantons de Vaud,
      de Neufchâtel, de Berne et de Genève et dans le département de
      l’Ardèche, pour étudier cette importante réforme, au double point
      de vue de la théorie et de la pratique.

      «Dès le début de ces travaux collectifs, deux opinions se
      trouvèrent en présence, celle des _partisans_, et celle des
      _adversaires_ des signes _nouveaux_. Après bien des lettres, des
      circulaires et des explications échangées, pendant plusieurs
      mois, ce fut la dernière opinion qui obtint la majorité.»

      Voici les motifs sur lesquels s’appuie cette majorité:
      «1º La réforme alphabétique est beaucoup moins importante et
      beaucoup moins pressante que la réforme des deux orthographes
      _lexicologique_ et _grammaticale_, dans lesquelles se concentrent
      presque tous les vices et tous les inconvénients du système
      graphique actuel. 2º La création et l’emploi de nouveaux signes
      pouvaient présenter des difficultés de nature à compromettre
      ou retarder le succès de la réforme, sous trois points de vue:
      accord des phonographes;--habitudes graphiques de la génération
      présente;--moyens pratiques d’exécution en typographie.»

      Je forme le vœu sincère que M. Raoux, dont le lecteur a pu
      apprécier la fermeté d’intelligence et la sagacité critique,
      revienne à des principes moins absolus, en abandonnant une voie
      dans laquelle le succès me semble impossible.

Il rétablit d’abord un signe distinctif de _è_ et _ê_ (_arène_ et
_tête_, _hère_ et _hêtre_, _herbette_ et _air bête_, _pelle_ et
_bêler_); de _eu_ et _eû_ (_jeune_ et _jeûne_, les deux syllabes de
_jeûneur_); le signe de _h_ aspiré (_halte, haro, hue, hardi, hé!
ho!_). Voici donc son nouvel alphabet _phonétique_ pour le français
seulement:

                VOYELLES             |            CONSONNES
  ╭---------------------------------╮|╭--------------------------------╮
       MÈRES         DÉRIVÉES        |  COLLATÉRALES |     DÉRIVÉES
                 ╭------------------╮|╭-------------╮|╭----------------╮
  ou primitives. amplifiées. nasales.| dures. douces.| dures. mouillées.
                                     |               |
     a                â       a<n>   |   p      b    |   l      <l>l [‡]
     è                ê       è<in>  |   f      v    |   n      <g>n
     é                               |   t      d    |
     i                î       i<n>   |   q      g    |      ISOLÉES.
     e     e<u>       e<û>    e<un>  |   ch     j    |         m
     o                ô       o<n>   |   s      z    |         r
     ou               oû             |               |         h
     u                û              |               |

      [‡] Dans ce tableau les lettres entourées ainsi <n> représentent
      des petites lettres en indice dans l'original.

Les lettres doivent être prononcées suivant la nouvelle épellation,
_pe, be, te_, etc., et les petites lettres indiquent des
modifications faites aux sons radicaux ou primitifs.

Voici maintenant le nouvel alphabet phonographique de l’auteur:

        VOYELLES        ||      CONSONNES
  ╭------------------╮  || ╭------------------╮
   a         â    an    ||  p    b  |  l    ḷ
   è         ê    èn    ||  f    v  |  n    gn
   é                    ||  t    d  |  m
   i         î    in    ||  q    g  |  r
   e   eu    eû   un    ||  ch   j  |  h
   o         ô    on    ||  s    z  |
   ou        oû         ||          |
   u         û          ||          |

  «Total: 22 lettres différentes et 5 signes modificateurs (_u, n,
  g_, ^, .). On devra, pour l’impression, faire fondre des lettres à
  liaison continue pour _an, èn, in, eu, eû, un, on, ou, oû, gn, ch_,
  afin de leur restituer l’apparence de signes uniques.

  «Les lettres éliminées _c, k, x, y, w_, devront être maintenues
  pendant un certain temps pour l’écriture des noms propres.

  «Le signe _gn_, ayant aujourd’hui deux valeurs phonétiques (_nieu_
  et _guene_, dont la dernière n’appartient pas à l’alphabet en sa
  qualité de diphthongue), sera uniquement affecté au son de _n_
  mouillé (_campagne_), ce qui le distinguera clairement du double son
  _guene_, qui s’écrira _gen_ (Agnès, _Agnès_; gnomon, _genomon_).»

Le signe binaire _ll_ se trouvant dans le même cas, et la juxtaposition
de l’_i_ ne suffisant pas à distinguer ses deux valeurs phonétiques,
représentera uniquement le _l_ redoublé dur (_illicite, illimité,
ville_). Le _l_ mouillé (dans _fille, bille_) qui, en sa qualité de
_monophone_, fait réellement partie de l’alphabet, sera représenté par
un _l_ pointé en-dessous, afin que la typographie n’ait point de signe
nouveau à créer, puisqu’un _j_ renversé remplira parfaitement le but.

L’auteur termine ce supplément par quelques exemples de la nouvelle
orthographe, que les phonographes intitulent réforme _scripturale_:

  Orthographe        Phonographie.    |  Orthographe      Phonographie.
    actuelle.                         |    actuelle.
                                      |
  physique           _fiziqe_         |  hennir            _anir_
  philosophie        _filozofie_      |  prompt            _pron_
  rhythme            _ritme_          |  fille             _fiḷe_
  chronique          _qroniqe_        |  illettré          _illétré_
  chrétien           _qrétièn_        |  homme             _ome_
  ichthyologie       _iqtiolojie_     |  femme             _fame_
  harangue           _arange_         |  catarrhe          _qatare_
  théophilanthropie  _téofilantropie_ |  Jeanne            _jane_
  accueillir         _aqeuḷir_        |  Jeanne            _jane_
  quand              _qan_            |  hasard            _azar_
  heureux            _eureu_          |  quincaillier      _qènqaḷé_
  temps              _tan_            |  hygiène           _ijiène_
  oiseau             _ouazô_          |  agneau            _agnô_
  quiproquo          _qiproqo_        |  gnomon            _genomon_
  haïr               _air_            |  hareng            _aran_

  «L’ignoranse du vouazèn è t un danjé q’on devrè qonȷuré, ne fuse qe
  par égoizme, qome on va ô seqour de sa mèzon qan t èle brule.» (Jules
  Macé.)

  «Lè jeune z èntelliȷanse son qome dè bouton de fleur qe lon orè
  plonjé dan lô boụlante; èle z on perdu leur forse vitale dan le
  chôdron fuman de la moderne éduqasion.» (A. de Humboldt.)

  «Tan qe l’iȷiène publiqe é la morale universèle ne seron pa
  sérieuzeman t anségnée dan toute lè z éqole primère, le flô du mal
  montera toujour.» (Raoux.)

Cette écriture, ainsi dépouillée des signes nouveaux que l’auteur avait
proposés dans le corps de son livre, ressemble beaucoup à celle que M.
Marle avait adoptée en 1829 dans son _Appel aux Français_. Elle offre
les mêmes avantages et encourt les mêmes reproches, sur lesquels il me
semble inutile de revenir.


    ALBERT HETREL, correcteur d’imprimerie. _Code orthographique,
    monographique et grammatical. Nouvelle méthode donnant
    immédiatement la solution de toutes les difficultés de la langue
    française._ Deuxième édition. Paris, Larousse et Boyer, 1867, in-12
    de XXIII et 276 pp.

M. Émile de Girardin a accepté la dédicace de cet intéressant ouvrage.
De la lettre qu’il adresse à l’auteur à ce sujet, je crois devoir
extraire les passages suivants:

  «Je n’accepte pas l’expression de votre reconnaissance, mais
  j’accepte la dédicace de votre livre. Il est curieux, ce qui le
  rendra instructif. Du désir qu’il donne de le parcourir naîtra
  bientôt l’habitude de le consulter.

  «Que d’innombrables fautes journellement commises il relève! Que
  d’inexplicables contradictions, passant généralement inaperçues, il
  signale!

  «Mais ce qu’il révèle surtout, c’est à quel point l’arbitraire règne
  encore, en France, dans le langage. Où les exceptions à la règle sont
  si nombreuses, ne peut-on pas dire de la règle qu’elle n’est qu’une
  exception à l’exception et qu’il n’y a pas de règle? Le langage est
  un art; il n’est pas encore une science. Ce qu’il faudrait, c’est
  qu’il en devînt une. L’art vaut ce que vaut l’artiste; la science
  vaut par elle-même. Ce qui caractérise l’art, c’est la personnalité,
  c’est la diversité; ce qui caractérise la science, c’est
  l’universalité, c’est l’unité. Ce qui la caractérise encore, c’est
  d’être essentiellement progressive, c’est de tendre constamment à
  convertir les obstacles en moyens et les problèmes en solutions. Si,
  au lieu d’être un art, le langage était une science, il n’épargnerait
  rien pour devenir de plus en plus simple, de plus en plus précis, de
  plus en plus facilement correct. La règle ne fléchirait plus sous
  l’exception; ce serait l’exception qui disparaîtrait sous la règle.
  Si la science du langage était moins imparfaite, croit-on que l’art
  du langage y perdît? Je ne le crois pas.

  «Partout, en Europe, les peuples abaissent maintenant les barrières
  qu’ils s’appliquaient autrefois à rendre infranchissables... Une
  barrière qui ne s’est pas abaissée, c’est celle que met entre
  les nations la différence des langues. Arrivera-t-on, un siècle
  ou l’autre, à l’adoption d’une langue universelle? Je n’en doute
  point... Chemins de fer et télégraphes électriques, ces inventions
  d’hier, mènent chacune des grandes parties du monde à l’unité
  d’usages et de lois, de mœurs et de modes, de mesures et de monnaies.
  A son tour, cette unité mènera à l’unité de langue, comme une
  conséquence mène à une autre conséquence. Cette langue commencera par
  n’être qu’une langue auxiliaire, deviendra la langue internationale,
  et finira par être la langue définitive. De cette langue, que
  la nécessité s’appliquera à rendre aussi simple que possible,
  disparaîtront tous les mots qui n’ont plus de sens, tous les mots qui
  n’ont pas de sens, tous les mots qui ont plusieurs sens. Il y aura un
  mot pour chaque chose, mais pour chaque chose il n’y aura plus qu’un
  seul mot. Formation, déclinaison, genre, orthographe et prononciation
  des mots, conjugaison des verbes, seront assujettis à des règles
  invariables, faciles à apprendre, faciles à retenir.

  «Il fut un temps où généralement le paysan français ne savait parler
  que le patois de sa province. Il est rare maintenant, et il devient
  chaque jour plus rare, que ce paysan ne sache pas à la fois et le
  patois de «son pays» et la langue de sa patrie. On peut même ajouter
  que, depuis que le paysan apprend l’une, il désapprend l’autre. Les
  patois s’en vont; je me trompe, il faut dire: ils se succèdent;
  car un temps viendra où, l’Europe ayant sa langue commune, parler
  allemand, parler anglais, parler espagnol, parler français, parler
  italien, ce sera parler patois. Mais jusqu’à ce que ce temps arrive,
  temps qui peut être proche, mais temps aussi qui peut être loin, tout
  ce qui aura pour but et pour effet de dévoiler les difficultés et
  les irrégularités dont les langues actuelles sont hérissées méritera
  d’être hautement et chaudement encouragé.»

L’auteur du _Code orthographique_ ne s’est pas donné pour but de
redresser les contradictions et les vices de notre écriture, mais
seulement de présenter en bon ordre et d’une façon claire et facilement
saisissable la solution de toutes les difficultés qui se rencontrent
dans l’emploi de nos meilleurs lexiques. Il s’exprime ainsi à ce sujet:
«Pendant sa longue carrière de correcteur d’imprimerie, l’auteur n’a
pas manqué de se convaincre qu’il y a dans la langue un grand nombre
de points douteux, au sujet desquels les écrivains les plus habiles
sont exposés à faire des fautes. Nécessairement ces fautes ont dû
passer des milliers de fois sous ses yeux, comme sans doute le prêtre,
pendant la durée de son sacerdoce, entend chaque jour, au tribunal de
la pénitence, confesser à peu près les mêmes péchés. Il arrive parfois
aux littérateurs d’employer des expressions condamnées par l’Académie
ou de s’écarter des règles qu’elle a exposées et consacrées. Les
dictionnaires sont si incomplets, si fatigants à consulter, que le plus
souvent les gens de lettres hésitent à entreprendre des recherches
PRESQUE TOUJOURS INUTILES, et préfèrent s’en rapporter au correcteur,
qui, par profession, est obligé de connaître imperturbablement toutes
les espèces de difficultés.

«Et pourquoi la plupart des recherches sont-elles infructueuses? C’est
qu’un grand nombre de solutions manquent dans ces livres, et que celles
qui s’y trouvent sont rarement classées à l’endroit même où l’écrivain
qui en a besoin pourrait être tenté de les chercher. On les a semées
au hasard, un peu partout, et comme personne n’a le temps de lire en
entier un volumineux dictionnaire, personne ne les connaît, et chacun
se fait à soi-même sa langue, selon son caprice ou selon son goût.»

M. Hetrel s’est proposé d’apporter un remède efficace à ce grave
inconvénient. Pendant une vingtaine d’années passées à corriger des
épreuves, il a soigneusement pris note des cas _douteux_, à mesure
qu’ils se présentaient dans ses lectures. Étudiant sans cesse les
dictionnaires et les grammaires, cherchant des exemples dans les
écrivains les plus célèbres et comparant entre elles les diverses
autorités en matière d’orthographe et de langage, il s’est enfin arrêté
aux solutions qu’il publie aujourd’hui.

Le _Code orthographique_ est divisé en six catégories:

  I. DIFFICULTÉS GRAMMATICALES ET SYNTAXIQUES. Singulier et pluriel.
  Conjugaison des verbes irréguliers et de certains autres.
  Prononciation. Participes. Adjectifs verbaux. Inversions. Médecine.
  Chimie. Botanique. Principales omissions de l’Académie. Cacologie, ou
  omnibus de l’écriture et du langage.

  II. SINGULIER ET PLURIEL de tous les substantifs qui prennent le
  trait d’union,--l’apostrophe,--de ceux qui s’écrivent en un seul
  mot;--des mots autrefois unis par le tiret qui maintenant doivent
  être séparés par une _espace_.

  III. ACCENTUATION. Accent aigu. Accent grave. Accent circonflexe.
  Tréma. Élision. Résumé. Mots qui ne prennent point d’accent. Mots
  accentués.

  IV. DOUBLES ET SIMPLES. Adverbes terminés par _mment_ et _ment_.
  Certains mots qui se prononcent de même, ou à peu près, dont
  l’orthographe est différente. _Ch_ se prononçant _k_. Mots qui
  prennent deux _h_. _H_ intérieure. _H_ aspirée. Place que l’_h_ doit
  occuper dans plusieurs mots. _I_ après deux _l_. _L_ mouillées ou
  non. Leur prononciation. Verbes en _eler_ et _eter_. Mots en _otte_
  et _ote_. Verbes en _otter_ et _oter_. Mots prenant l’_y_. Place de
  l’_y_ et de l’_i_ dans certains mots.

  V. GENRE EMBARRASSANT. Mots étrangers ou francisés.

  VI. MAJUSCULES ET MINUSCULES.

On voit par ce sommaire de quel intérêt doit être cet ouvrage pour
les personnes qui s’occupent, comme les écrivains soigneux et les
imprimeurs, des détails de l’orthographe. Il pourra servir utilement à
perfectionner les dictionnaires et les grammaires.


    BERNARD JULLIEN, docteur ès lettres, licencié ès sciences,
    secrétaire de la Société des méthodes d’enseignement. _De
    l’Orthographe et des systèmes néographiques._ (Cours supérieur
    de grammaire. Paris, Hachette, 2 vol. gr. in-8, t. I, p.
    44-52.)--_Thèses de Grammaire._ Paris, Hachette, 1855, in-8 de
    VIII-508 pp. (pages 107-141).--_Les Principales étymologies de
    la langue française._ Paris, Hachette, 1862, in-12 de VIII-323
    pp.--_De la Nécessité de quelques réformes dans l’orthographe
    française._ (Revue de l’instruction publique, 5 mai 1864, p. 83.)

M. Jullien est auteur d’un grand nombre d’ouvrages et d’écrits sur la
grammaire justement estimés. En ce qui concerne l’orthographe, il se
montre sage partisan d’une réforme modérée et progressive.

Au début de son premier article sur l’orthographe, cité ci-dessus,
il revendique pour la science d’écrire correctement son vrai nom:
_orthographie_. Cette demande, réitérée presque par tous ceux qui
ont écrit sur la langue française, prouve suffisamment l’opportunité
du changement en question, réclamé par la logique et l’accord avec
d’autres termes scientifiques de la même catégorie, _géographie,
calligraphie, typographie_. Dans plusieurs traités de grammaire on
voit déjà apparaître les mots _graphie_ et _orthographie_.

M. Jullien, sans partager sur tous les points les opinions des
néographes, ne méconnaît pas ce qu’il y a de bon dans leurs systèmes,
et s’élève avec force contre tous ceux qui, à l’exemple de Charles
Nodier, jugent ces questions avec prévention et légèreté.

  «Nous nous rappellerons, pour nous, dit-il, que la langue française
  et son orthographe intéressent quarante millions de personnes,
  et nous ne croirons jamais que des changements qui s’opèrent
  graduellement depuis trois siècles puissent être combattus par des
  épigrammes ou condamnés comme de pures folies.»

Mais, dans ce travail, M. Jullien se borne à donner un résumé
très-succinct des systèmes de _Regnier des Marais_, de _Dangeau_,
de _Buffier_, de _Du Marsais_, de l’abbé _Girard_, de _Duclos_,
de _Beauzée_, dont il est fervent admirateur, de _Domergue_ et de
_Marle_; et comme conclusion de ce chapitre, il exprime son opinion
sur l’ensemble des propositions de ces néographes. Il approuve le
retranchement d’une des doubles lettres non étymologiques (_Du
Marsais_), et même étymologiques (_Duclos_); la substitution des _f_ et
des _t_ aux _ph_ et _th_ (_Duclos_) et le remplacement des _x_ et des
_z_ comme marque du pluriel par le signe caractéristique et uniforme:
la lettre _s_.

Ses idées personnelles sur la réforme de l’orthographe se trouvent plus
développées dans un article spécial, faisant partie de ses _Thèses de
grammaire_. Cet article est sous forme de dialogue et porte pour titre:
_La Partie de dominos._ A cet égard nous prenons la liberté d’exprimer
notre regret que le récit principal soit entrecoupé de dialogues
relatifs au jeu, qui troublent l’attention et ne peuvent intéresser
personne.

Dans ce travail on remarque un passage où l’auteur oppose une objection
fort grave aux idées purement phonographiques. Le lecteur va en juger:

  «Vous voyez par là que, chez nous, c’est réellement l’écriture
  qui est le principe de la prononciation correcte dans la bonne
  compagnie; et cela seul vous montre combien sont réellement ignorants
  du français ceux qui posent le principe contraire, qui croient
  bonnement que les langues en sont encore au point où elles étaient
  avant l’invention de l’alphabet. C’est vraiment leur faire trop
  d’honneur que de discuter sérieusement leurs propositions. Mais ce
  qu’il y a de curieux, c’est qu’eux-mêmes ne savent pas du tout où
  leur principe les mène; que, tout en niant l’action de l’écriture,
  non-seulement ils ôtent ou remettent les lettres que l’écriture seule
  nous fait prononcer dans quelques circonstances, mais qu’encore ils
  séparent les uns des autres des mots ou groupes de sons qui n’ont
  d’existence individuelle qu’en vertu de nos habitudes d’écrire. Pour
  l’oreille, les articles ne se séparent jamais de leurs substantifs,
  ni les compléments placés avant le verbe, du verbe qui les régit, ni
  le pronom du verbe dont il est le sujet, ni la préposition de son
  complément. Il est donc ridicule, dans ce système, de faire deux
  ou plusieurs mots de _je dors, nous aimons, jusqu’à lui, qu’est-ce
  à dire_; il faut écrire en un seul _jedor, nouzémon, juskalui,
  kèsadir_, etc.

  «Tout le monde connaît l’extrême mobilité de notre accent[227],
  et, qu’en se portant toujours sur la dernière syllabe sonore des
  sections de nos phrases, il coupe celles-ci en un certain nombre de
  petites prolations dont notre oreille est uniquement frappée, et dans
  lesquelles elle ne distingue aucunement ces divisions artificielles
  que nous appelons des _mots_, que la plume seule nous fait sur
  le papier détacher les uns des autres. Cette horrible écriture
  sanscrite, où tous les sons d’un discours sont écrits exactement à
  la suite sans aucun intervalle, est donc le type de perfection que
  nous offrait enfin de compte l’_Appel aux Français_, quoique les
  autres n’aient pas osé le dire, ou que plutôt ils ne l’aient pas
  compris: et, en admettant, si vous le voulez, l’accentuation finale
  des sections de phrase comme des points naturels de séparation dans
  le langage et l’écriture, les premiers vers de l’_Art poétique_, par
  exemple, devraient être représentés ainsi:

        Sètanvin qôparna suntèmèrè rôteur
        Pan sedelardèver zatin drelaôteur;

  et non pas comme l’auraient donné nos réformateurs (_Appel aux
  Français_, p. 13 à 48):

        S’et an vin q’ô parnasse un tèmèrère ôteur
        Panse de l’ar dè vers ateindre la hôteur.

  En le divisant ainsi, ils ont certes rendu plus facile la
  lecture et l’intelligence de leur transcription, mais ils ont par
  cela même menti à leur principe, puisqu’ils ont introduit des
  divisions, exigées par le dictionnaire, que la voix ni l’oreille ne
  reconnaissent aucunement.»

     [227] L’accent oratoire. L’accent tonique dans les vers
      cités porte aussi sur les mots _c’est_ et _art_ compris dans les
      groupes.

Je donnerai plus loin l’analyse du système de M. Jullien, qu’il
a reproduit dans d’autres écrits. Je ne toucherai ici qu’une
particularité que l’auteur a eu raison d’abandonner ensuite.

M. Jullien dit «que la réforme de l’orthographe, pour être raisonnable,
doit comprendre deux mouvements: l’un de _retour_ ou de _recul_,
l’autre d’_allée_ ou de _progrès_.» Ce mouvement de retour consisterait
à rétablir les lettres caractéristiques, radicales, d’abord ajoutées à
tort par les savants, et ensuite supprimées dans un certain nombre de
mots de la même famille.

En émettant cette proposition M. Jullien a pour but de conserver
aux mots d’une origine commune le signe caractéristique de leur
parenté. D’après ce système, il faudrait rétablir la lettre
étymologique _s_ dans les verbes _écrire, décrire, récrire_ et dans
les dérivés (_écriture, écrivain_, etc.), pour les mettre d’accord
avec _inscrire, description_, etc.; il faudrait écrire _respondre_,
à cause de _responsable, correspondre_, etc.; _destruire_, à cause
de _destruction; souspçon, souspçonner_, à cause de _suspect_;
_coulpable_, à cause de _inculper_, etc.

Il faut savoir gré à M. Jullien d’avoir abandonné plus tard cette idée.
Autrement il aurait fallu renchérir sur l’orthographe de la première
édition du Dictionnaire de l’Académie et écrire: _eschelle_, à cause de
_escalier, escalader_; _arrest_, à cause de _arrestation_; _escole_, à
cause de _scolaire, scolastique_; _contract_, à cause de _contracter_,
etc. Il serait difficile de démontrer les avantages de ce recul,
tandis que les désavantages en sont évidents. Le perfectionnement
d’une orthographe doit avoir pour but la représentation fidèle de la
bonne prononciation, consacrée par l’usage, tout en tenant compte des
terminaisons grammaticales et des signes de grammaire; par conséquent
son rôle est de supprimer les lettres inutiles, muettes, si toutefois
leur retranchement n’apporte pas une confusion nuisible, en empêchant
de reconnaître la véritable signification des mots, comme si, par
exemple, on écrivait les _cors_ au lieu de les _corps_. M. Jullien, qui
dit que notre orthographe intéresse quarante millions de personnes,
paraît oublier que les lettrés n’en composent qu’une faible partie,
et pourtant il est évident qu’il faudrait avoir étudié l’histoire de
notre langue et être latiniste consommé pour savoir écrire d’après ce
système, heureusement tombé en désuétude depuis 1740. Nos paysans, nos
ouvriers, connaissent le mot _école_, mais il y en a qui ignorent même
l’existence des mots _scolaire_ et _scolastique_; il en est de même
pour _écrire_ et _proscrire, prescrire_, etc.; la multitude serait donc
exposée à écrire mal, et pourtant l’écriture correcte ne doit pas être
le monopole d’une minorité. Pour ceux qui se soucient de la parenté des
mots, je ne vois pas de difficulté, et ils ne seront pas embarrassés
pour reconnaître que _décrire_ et _description_ ont une origine
commune, bien que formés dans des conditions différentes.

Mais outre le trouble dans la mémoire qui résulterait de cette
introduction de lettres inutiles, il y a une autre question plus grave
encore: c’est celle de la prononciation. M. Jullien ne se dissimule
pas que cette orthographe amènerait avec le temps à prononcer ces
lettres radicales; on prononcerait donc _escrire, coulpable, contract_,
etc. Or, la formation des mots obéit à une autre loi que celle de la
conservation servile des lettres caractéristiques; elle est soumise aux
exigences de l’euphonie, à l’harmonie de sons propre à chaque langue.
Ainsi l’on peut constater que l’_ou_ ne souffre pas la lettre _l_
suivie d’une ou plusieurs consonnes, tandis que cette agglomération
peut avoir lieu après l’_u_; c’est pourquoi on a _coupable_ et
_inculper_, _soufre_ et _sulfureux_, _voûte_ et _évolution_, etc. Le
_ct_ sonnerait mal à la fin du mot _contract_, mais la voyelle suivante
en facilite la prononciation dans le verbe _contracter_. Il serait peu
harmonieux de prononcer à la lettre le mot _souspçon_ où se heurtent
trois consonnes de suite. Dans le vieux français on écrivait et sans
doute on prononçait _souspeçon_ (voir le tableau, page 112), mais dès
l’instant qu’obéissant au génie abréviatif de notre langue la voyelle
_e_ tomba, elle entraîna forcément dans sa chute la lettre s pour
rendre la prononciation douce. Notre langue actuelle se compose, comme
on sait, de deux couches de mots dont la démarcation est très-sensible;
il serait téméraire de vouloir ramener les mots éclos sous l’influence
du génie national, comme _écrire, soupçon_, à revêtir l’uniforme
des mots calqués par les savants sur le latin, tels que _scribe,
proscription, suspect, suspicion_. Or l’introduction des radicales
muettes ne suffirait même pas, il faudrait encore changer très-souvent
les voyelles qui les précèdent, et par conséquent dénaturer les
vocables. Il faudrait donc, sacrifiant les mots vraiment français aux
mots forgés par les savants, accueillir: _culpable, suspçon, sulfre_,
etc. Cette unification arbitraire dénaturerait à la fin l’essence même
de la langue.

Son traité des _Principales étymologies de la langue française_ est
un dictionnaire des racines qui entrent dans la composition des mots
de notre langue, précédé d’une étude de la formation des vocables.
Ce travail intéressant, devenu utile depuis que l’on a renoncé aux
dictionnaires disposés par racines, jette quelque lumière sur plus
d’une question orthographique. Nous en extrayons un passage relatif
aux doubles consonnes, du moins à celles qui n’ont aucune raison de
subsister dorénavant dans notre langue:

  «Les consonnes ont été doublées, surtout quand il s’est agi des
  nasales ou des dentales, par des raisons tout à fait étrangères
  à l’étymologie proprement dite, et qui n’ont pas moins contribué
  à rendre la formation des mots irrégulière en apparence. Ainsi
  _homme, femme_, avec deux _m_, viennent de _homo_ et de _femina_,
  qui n’en ont qu’une; _bona_ a formé _bonne_, _donare_, _donner_,
  et _christiana_, _chrétienne_, si l’on n’aime mieux tirer ce
  dernier du masculin _chrétien_. La raison de tout cela, c’est que
  les syllabes dont il s’agit étaient nasales en latin ou du moins
  ont été prononcées nasales chez nous pendant la formation de notre
  langue; et c’est pour conserver dans l’écriture la nasalité entendue
  qu’on a écrit _homme, femme, donner, chrétienne_. C’est qu’alors on
  prononçait un _hon-me_, une _fan-me, don-né, chrétiain-ne_, etc.
  Aujourd’hui que nous prononçons avec les voyelles orales et ouvertes
  _ho-me, fa-me, do-né, crétiè-ne_, etc., nous nous étonnons à bon
  droit d’une orthographe qui contrarie également l’étymologie et notre
  prononciation.

  «D’autres consonnes ont été doublées ou dédoublées par des raisons
  qu’on peut nommer d’_épellation_, parce que les règles données à
  cet égard viennent de la manière dont nous épelons les lettres pour
  les assembler dans les syllabes. Je prends pour exemple le verbe
  _appeler_, tiré du latin _appellare_; il n’a qu’une seule _l_,
  tandis que le latin en a deux; au présent de l’indicatif il reprend
  les deux _ll_, j’_appelle_, comme l’indique le latin _appello_;
  mais il en perd une de nouveau au pluriel, nous _appelons_. Tout
  le monde comprend d’où vient cette marche singulière. Quand la
  dernière syllabe est sonore, la pénultième est muette; et alors
  l’_e_ ne doit être suivi que d’une consonne. Au contraire, quand
  la dernière est muette, la pénultième est sonore; et l’on sait
  qu’un moyen fort ancien chez nous de marquer l’_e_ ouvert, a été
  de doubler la consonne suivante, surtout à l’époque où les accents
  étaient inusités, c’est-à-dire jusqu’à la fin du dix-septième siècle.
  C’est pour cela qu’on écrit _j’appelle_, et _j’appellerai_, et d’un
  autre côté _appelant_ et _j’appelais_. L’orthographe latine n’a
  eu sur ce changement qu’une très-faible influence, puisque nous
  avons quelquefois mis deux consonnes où il n’y en avait qu’une en
  latin, comme dans _cruelle_, venu de _crudelis_, _muette_ venu de
  _muta_, _fidèle_ même, qu’on écrivait _fidelle_ au temps de Louis XIV,
  quoiqu’il fût venu directement de _fidelis_, où il n’y a jamais eu
  qu’une seule _l_[228].»

      [228] Voir p. 403, la manière dont la Bruyère orthographie ce mot.

Les considérations émises par M. Jullien dans la _Revue de
l’Instruction publique_ ont trop d’importance pour ne pas être
reproduites intégralement.


  _Questions universitaires.--De la nécessité de quelques réformes
  dans l’orthographe française._

  «Par un arrêté royal en date du 25 janvier dernier, le roi des Belges
  a nommé une commission qui doit s’occuper de ramener à l’uniformité
  l’orthographe de la langue flamande. Cet arrêté, pris en lui-même,
  n’intéresse que ceux qui parlent ou écrivent le flamand; il ne nous
  occuperait donc pas s’il n’était précédé d’un rapport du ministre de
  l’intérieur, dont quelques considérants s’appliquent d’une manière
  toute spéciale à la langue française et méritent ainsi l’attention
  des hommes sérieux de tous les pays.

  «Je transcris ces lignes importantes:

    «En vous faisant cette proposition, Sire, mon intention n’est
    nullement d’imposer une orthographe officielle, mais il importe
    qu’il y ait accord entre le système orthographique enseigné
    dans les établissements de l’État, et le système adopté par les
    philologues et les hommes de lettres qui sont les seuls juges
    compétents de la matière. La commission dont j’ai l’honneur de
    proposer l’institution aura donc à continuer l’œuvre commencée en
    1835 et à rechercher les moyens d’arriver à l’unité désirable.
    Le gouvernement, après avoir pris connaissance de son travail,
    et tout en respectant la liberté individuelle, pourra adopter
    et préconiser, dans les limites de ces attributions, les règles
    établies par la commission. L’autorité morale de cette commission
    suffira, j’en ai la conviction, pour rallier les opinions les
    plus divergentes et ramener à un système uniforme tous ceux qui
    s’occupent de la culture des lettres flamandes.»

  «Mettez _françaises_ à la place de ce dernier mot, et les principes
  qui ne touchent dans la proposition belge qu’à un petit peuple et
  à un petit coin de terre, vont s’adresser au monde entier. Ils
  intéresseront surtout les Français, dont l’écriture est tellement
  irrégulière qu’il n’y a pas de règle pour un tiers peut-être de leurs
  mots; ou que les règles, si l’on consent à prendre pour régulateur le
  Dictionnaire de l’Académie, sont tellement capricieuses qu’il n’y a
  pas un homme au monde qui les puisse posséder.

  «Ajoutez qu’à l’entrée de toutes les carrières, et surtout des
  carrières administratives, des devoirs sont dictés aux aspirants pour
  s’assurer de la connaissance qu’ils ont de l’orthographe de leur
  langue; qu’il n’y a pas pour eux d’autre moyen de se tirer d’affaire
  que de connaître par l’usage ou de savoir par cœur les mots qui
  leur sont donnés; et que si quelqu’un s’amusait à faire entrer dans
  la dictée des mots choisis exprès parmi les inusités, les juges ne
  seraient pas plus capables de corriger les copies que les concurrents
  de les écrire sans faute.

  «Cette assertion peut sembler exagérée à ceux qui n’ont pas
  étudié de près la question. Elle n’est que rigoureusement vraie.
  On connaît l’ouvrage intitulé: _Remarques sur le Dictionnaire de
  l’Académie_, où feu Pautex relevait les contradictions et erreurs
  matérielles qui fourmillent dans cet ouvrage. M. Littré, dans
  son Dictionnaire de la langue française, signale à tout moment à
  l’Académie des contradictions formelles dans l’écriture des mots
  dérivés ou composés des mêmes éléments. On peut surtout reconnaître
  l’étendue du mal dans le volume de M. Blanc intitulé: _Enseignement
  méthodique de l’orthographe d’usage sans le secours du grec et du
  latin._ Cet auteur prend pour base de son travail le Dictionnaire
  de l’Académie; il n’a aucun désir de le critiquer; mais à propos
  des diverses catégories de mots qu’il établit pour en favoriser
  l’étude mnémonique, il cite les exceptions; et celles-ci sont si
  nombreuses qu’on ne saurait quelquefois dire où est la règle. J’en
  citerai deux ou trois exemples, car cela vaut mieux pour convaincre
  les lecteurs que des assertions générales comme celles que je viens
  d’écrire. Parmi les substantifs en _ment_ tirés des verbes en _ier_
  ou _yer_ (p. 102), il y en a seize qu’on peut écrire avec ou sans
  _e_ intérieur: _aboiement_ et _aboîment_, etc.; il y en a vingt et
  un où l’_e_ reste toujours: _balbutiement_, etc.; il y en a quatre
  où l’_e_ reste, mais précédé de l’_y_: _délayement_, etc.; il y en a
  trois enfin où l’_e_ ne doit pas paraître: _châtiment, dénûment,
  éternument_. Remarquez même que, de ces trois, le second prend
  l’accent circonflexe que les deux autres rejettent. Parmi les verbes
  en _oter_, qui sont au nombre de quatre-vingt-quatre, soixante et
  un seulement ont un _t_ simple; les vingt-trois autres le doublent
  sans qu’aucun changement dans le son ni aucune raison étymologique
  justifient ce changement d’orthographe.

  «Je voudrais trouver une liste des verbes en _eter_ et _eler_[229].
  Je ne sais pas précisément combien nous en avons, mais il y en
  aurait deux ou trois cents que je n’en serais pas surpris. Or ces
  verbes présentent cette particularité, que partout où la dernière
  syllabe est muette, l’_e_ qui la précède doit devenir ouvert. Cet
  _è_ ouvert se marque soit par un accent grave comme dans _geler_,
  je _gèle_, _acheter_, j’_achète_; soit en doublant la consonne
  intermédiaire: _appeler_, j’_appelle_, _jeter_, je _jette_; et chacun
  voit déjà combien il est difficile de se rappeler, sans aucune raison
  déterminante, le choix qu’il faut faire entre ces deux orthographes.
  Mais il y a plus; pour un grand nombre de ces verbes, l’Académie
  ne donne pas d’exemple où le dernier _e_ soit muet, de sorte que
  l’écrivain restant libre de choisir entre les deux méthodes, le juge,
  à son tour, est libre de le condamner, quelque voie qu’il ait suivie.

      [229] Voir le _Code orthographique_ de M. Hetrel, p. 219 et 224.

  «Sans doute, selon l’expression du ministre belge: «il n’est pas du
  tout ici question d’imposer une orthographe officielle,» chacun reste
  libre d’écrire comme il lui plaira, à la seule condition de passer
  pour un ignorant si son écriture s’écarte trop des habitudes reçues:
  mais, dans un pays comme la France, où l’administration étend ses
  branches jusqu’aux plus extrêmes limites, où les écritures jouent
  un rôle si étendu, selon quelques-uns même si exagéré, au moins
  serait-il bon que notre orthographe courante fût soumise à un système
  régulier, et ne dépendît pas uniquement du caprice de quelques
  académiciens, si ce n’est plutôt, comme on l’a dit avec raison, de
  celui des correcteurs de l’imprimerie où le dictionnaire est mis sous
  presse.

  «Notez que ce dont il s’agit ici s’est déjà fait ailleurs. L’Italie
  a un système d’orthographe qui ne laisse à peu près aucune
  hésitation à qui entend prononcer un mot; l’Académie espagnole a fait
  le même travail sur sa langue. Tout le monde reconnaît aujourd’hui
  l’immense avantage de ce changement à l’ancienne coutume: en a-t-on
  pu montrer un seul inconvénient, si petit qu’il fût? Non, il en
  serait d’un système régulier d’orthographe comme de notre système
  métrique, comme des billets de banque de cent francs et des coupures
  inférieures qu’on va nous donner. Avant l’essai, il se trouve
  quantité de gens pour s’effrayer des malheurs que ces créations vont
  amener; et l’on s’étonne quand elles sont accomplies qu’elles n’aient
  fait que du bien et que personne n’ait songé à s’en plaindre.

  «Je sais que chez nous toutes les fois qu’il est question d’une
  réforme orthographique, on se figure une tentative comme celle qui
  fut faite en 1829, sous la direction de M. Marle, par une fraction de
  la Société grammaticale de Paris. Cette écriture, dont les modèles
  se trouvent dans le petit volume intitulé _Appel aux Français_, fut
  reproduite alors dans tous les journaux, et la proposition succomba
  bientôt et justement sous le ridicule, parce que c’était, non pas une
  réforme, mais un renversement total de notre manière d’écrire.

  «Une réforme est tout autre chose. Elle se compose de modifications,
  fort peu sensibles quand on les prend une à une, et qui toutes
  ensemble produisent pourtant une différence notable. J’ouvre
  la grammaire de Regnier des Marais, imprimée en 1706, mais qui
  représente l’orthographe du dix-septième siècle: je trouve en
  quelques lignes _auroit_, que nous écrivons aujourd’hui _aurait_;
  _celuy_, et nous mettons _celui_; _receu_ où nous mettons _reçu_;
  _desja_, où nous mettons _déjà_; _esté_, pour _été; cy-dessus_, pour
  _ci-dessus_, etc.[230]. Tous ces mots ont subi la réforme: y a-t-il
  quelqu’un qui le regrette aujourd’hui? Et qu’on se garde bien de
  croire que cette réforme se soit arrêtée depuis; elle a continué sa
  marche insensible, mais constante. Au commencement de ce siècle,
  on écrivait _appercevoir, aggréger_, les _enfans_; nous écrivons
  _apercevoir, agréger_, les _enfants_, etc. Et dans vingt ans, sans
  doute, on écrira beaucoup de mots autrement que nous ne le faisons.

      [230] Voir plus haut, p. 256.

  «Il ne faut donc pas croire qu’une réforme soit toujours une
  révolution, ni la condamner par cela seul. Cette façon de se jeter
  dans les extrêmes empêche d’apprécier avec équité les propositions
  nouvelles et de comprendre ce qu’elles ont d’avantageux. En fait,
  ceux qui ont voulu maintenir envers et contre tous l’écriture
  ancienne comme le faisait Regnier des Marais à la fin du dix-septième
  siècle, et ceux qui ont voulu la sacrifier entièrement à la
  prononciation, comme au seizième siècle Ramus, Meigret, Pelletier,
  comme Domergue en 1805 dans son _Manuel des étrangers amateurs de la
  langue française_, ou en 1829 les auteurs de l’_Appel aux Français_,
  ne devaient avoir et n’ont eu aucun succès. Ces derniers faisaient
  rire à leurs dépens, et avec raison, parce qu’ils écrivaient un
  jargon qu’on ne pouvait comprendre; ceux-là dans le temps même qu’ils
  soutenaient le _z_ comme marque du pluriel après les _e_ fermés,
  les _beautez_, les _trepassez_, ou la distinction nominale de l’_i_
  voyelle et de l’_i_ consonne, de l’_u_ voyelle et de l’_u_ consonne,
  voyaient s’introduire d’une part le _j_ et le _v_ qui supprimaient
  leur distinction, de l’autre les accents qui permettaient d’écrire
  avec une _s_ les _beautés_, les _trépassés_.

  «Mais si les uns et les autres se perdaient dans des propositions
  insensées et impraticables, les grammairiens philosophes demandaient
  tout simplement que les changements inévitables de notre orthographe
  fussent dirigés par des règles fondées sur la raison, au lieu d’être
  abandonnés aux caprices de l’usage. Du Marsais proposait de dédoubler
  les consonnes doubles quand elles ne se prononçaient pas et qu’elles
  contrariaient l’étymologie. Il écrivait _home_, de _homo_, _doner_,
  de _donare_, _persone_, de _persona_, et de même _anciène, naturèle_,
  d’après les masculins.

  «Duclos allait un peu plus loin que Du Marsais. Il retranchait une
  des consonnes doublées quand elle ne se prononçait pas, quelle que
  fût l’étymologie. Il écrivait donc _ocasion, comun, coriger_, malgré
  le latin _occasio, communis, corrigere_; et cette suppression n’a
  rien qui doive effrayer: car l’étymologie est suffisamment indiquée
  par une seule consonne, d’autant plus que, dans les composés surtout,
  la première n’est pas une lettre radicale, mais une lettre changée
  le plus souvent par euphonie. Dans _occasio_, _oc_ est pour _ob_; dans
  _corrigere_, _cor_ est pour _cum_; et ainsi le double _c_, le double
  _r_, nous représentent non pas une étymologie réelle, mais une
  habitude reçue chez les Latins, qui n’a jamais existé chez nous, et
  que, par conséquent, nous n’avons aucune raison de maintenir.

  «Il en est de même des nasales doublées au féminin de nos adjectifs
  ou dans nos verbes, comme _bon_, _bonne_, _ancien_, _ancienne_,
  _don_, _donner_, qui représentaient autrefois une prononciation
  nasale, laquelle subsiste encore chez quelques vieillards, chez ceux
  surtout qui ont vécu longtemps dans la province. _Bonne, ancienne_ et
  tous les autres féminins analogues, se prononçaient comme le masculin
  suivi de la négation _ne_, _bon ne, ancien ne_; et c’était pour peindre
  ce son nasal qu’on avait doublé l’_n_. _Donner_ se prononçait de même
  _don né_; _homme_, _on me_; _femme_, _fan me_. Dans nos adverbes en
  _mment_, _savamment, prudemment_, le son du masculin était aussi
  conservé; on entendait _savant ment, prudent ment_, comme _grammaire_
  se prononçait _grand’mère_, ainsi que le montre le mot de Martine
  dans les _Femmes savantes_. Dans ces conditions, le doublement de
  l’_n_ ou de l’_m_ était rationnel; il est déraisonnable aujourd’hui
  que nous avons renoncé à cette prononciation nasale si multipliée
  dans notre ancienne langue; et puisque nous disons _bone, anciène,
  savament, prudament_, ne serait-il pas convenable de supprimer
  le signe d’une nasalité qui existait autrefois, qui n’est plus
  aujourd’hui et ne se rattache d’ailleurs à rien du tout?

  «Duclos substituait encore des _f_ et des _t_ simples aux _ph_ et
  _th_. Il écrivait _fantaisie, fantôme, frénésie, trône, trésor_,
  au lieu de _phantaisie, phantôme, phrénésie, thrône, thrésor_.
  Ces changements sont maintenant adoptés partout; et il faut bien
  reconnaître que personne ne s’en plaint. L’usage a résisté pour
  _philosophie, physique, diphthongue_ et beaucoup d’autres. Mais les
  exemples précédents font facilement prévoir un temps où l’on étendra
  l’emploi des mêmes signes à toutes les choses semblables.

  «Les terminaisons en _ant_ et _ent_ sont très-communes chez nous;
  elles ont avec le même son la même signification. Aussi Dangeau
  avait-il pris le parti de les écrire sans exception par _ant_; et
  j’avoue que quand l’_e_ n’est pas une lettre radicale, je ne vois
  aucune raison pour le préférer à l’_a_. Ainsi tous nos participes
  présents s’écrivent par _a_, qu’ils viennent de participes latins
  en _ans_ ou en _ens_. _Scribens_ nous a donné _écrivant_, comme
  _amans_ nous a donné _aimant_, et _præsidens_, _présidant_. Mais pour
  ce dernier et une quarantaine d’autres, il faut bien distinguer: le
  mot est-il participe? est-il substantif? est-il simple adjectif? Le
  sens fondamental est toujours le même; l’orthographe diffère. Dans le
  premier cas seulement on met un _a_, dans les autres c’est un _e_.
  Ainsi un sénateur _présidant_ une assemblée en est par cela même
  le _président_: mais il faut écrire ce même mot de deux manières;
  comme des ruisseaux _affluant_ dans une rivière, et qui en sont les
  _affluents_. Je serais bien obligé à qui me donnerait une bonne
  raison de cette irrégularité gratuite. Du moins, dira-t-on, absurde
  ou sensée, cette règle est générale. Non pas du tout: _gérant_ est
  le participe de _gérer_; _répondant_ celui de _répondre_; et quand
  vous prenez ces mots substantivement, vous les écrivez de même, un
  _gérant_, un _répondant_, etc., quoiqu’ils se rattachent comme les
  précédents à des participes latins en _ens_, _gerens, respondens_.
  Rien n’y manque donc; la règle en elle-même est insensée comme celle
  qui nous fait indiquer certains pluriels par l’_x_ au lieu de l’_s_;
  quelle qu’elle soit, on a trouvé le moyen d’y mettre des exceptions,
  sans autre résultat que d’augmenter la difficulté de l’étude.

  «Beauzée, qui fut comme Duclos de l’Académie française et qui
  voulait aussi introduire dans notre orthographe des réformes utiles,
  mettait au premier rang pour cet objet le juste emploi des signes
  orthographiques, c’est-à-dire des accents, de l’apostrophe, du tréma,
  de la cédille, du trait d’union. Il ne s’agissait pour lui que d’en
  étendre et d’en régulariser l’usage; et il a donné un exemple aussi
  utile qu’ingénieux de l’emploi qu’on en pouvait faire, quand il a
  proposé de mettre une cédille sous le _t_, prononcé comme l’_s_,
  dans _minutie, portion, ambitieux_, etc. N’est-il pas, en effet,
  un peu honteux pour notre écriture que nous ayons tant de mots qui
  s’écrivent de même et se prononcent différemment? des _inventions_
  et nous _inventions_; un _négligent_ et ils _négligent_; tu _as_ et
  un _as_; _arguer_, tirer un argument, et _arguer_, terme de tireur
  d’or, faire passer l’or et l’argent dans l’argue. Et chose curieuse!
  nous n’avons par-devers nous aucun moyen de les faire distinguer. Un
  signe orthographique mis à propos suffirait souvent à dissiper toute
  indécision; et il était impossible d’en trouver un plus convenable
  pour indiquer le son sifflant dans le _t_, que celui qui indique le
  même son dans le _c_.

  «Beauzée, à l’aide du même signe, résolvait une autre difficulté
  de notre orthographe. Le son chuintant de _chat, cher, chien_,
  etc., s’exprime chez nous par le digramme _ch_. Ce digramme, à son
  tour, représente-t-il toujours le son chuintant fort? Hélas! non:
  _archange, Chersonnèse, chirographaire, archiépiscopat, chrétien,
  chlamide, Baruch, Munich_, etc., doivent être prononcés comme s’il
  y avait un _k_: _arkange, Kersonnèse, kirographaire_, etc. Beauzée
  proposait donc de conserver le _ch_ ordinaire pour ce dernier cas;
  et puisque le son chuintant est une espèce de son sifflant, de le
  marquer avec un _c_ cédille: _çhat, çher, çhien_.

  «Quoi qu’il en soit, les règles de Du Marsais et de Duclos et le
  bon emploi des signes orthographiques recommandé par Beauzée seront
  nécessairement la base de toute réforme rationnelle, c’est-à-dire où
  l’on voudra conserver dans l’écriture les analogies d’idées indiquées
  par les lettres semblables dans les familles des mots, et en même
  temps se rapprocher de la prononciation, comme on a toujours cherché
  à le faire.

  «Il serait bien à désirer que l’Académie française se fût dès
  longtemps occupée de cette partie importante de ses attributions.
  Malheureusement elle s’est bornée à recueillir les faits ou, comme
  elle le dit, à constater l’usage, sans même examiner toujours si cet
  usage était bon. D’un autre côté, quoiqu’elle ait eu dans son sein
  la plupart de nos bons grammairiens, Regnier des Marais, Dangeau,
  Girard, Duclos, Condillac, Beauzée, de Tracy, Silvestre de Sacy
  et même Domergue, si on peut le compter, les questions purement
  grammaticales l’ont fort peu intéressée; et c’est à cela qu’on doit
  en partie les fautes considérables qu’elle a laissé subsister dans
  son livre, et que M. Littré, dans le sien, a trop souvent l’occasion
  de relever.

  «Pour en citer quelques exemples (car les lecteurs de cette Revue
  savent combien je déteste les lieux communs et les accusations
  générales sans preuves à l’appui), si l’Académie eût obéi aux
  inspirations de la science, aurait-elle toléré des mots aussi
  mal écrits que _dessiller_, qui vient de _cil_ et devait, par
  conséquent, s’écrire _déciller_? que _forcené_, qui semble ici venir
  de _force_, tandis qu’il est fait de _fors_ et de _sens_ (hors de
  sens), et devait, par conséquent, s’écrire _forsené_[231]? que
  _contraindre_, qui comme _astreindre, étreindre, restreindre_, vient
  du latin _stringere_ ou de son composé, et devait, comme tous les
  autres mots de la même famille, s’écrire par un _e_ et non par un
  _a_? qu’_enfreindre_ qui devait au contraire s’écrire par un _a_,
  puisqu’il se rattache à _frangere_ et que dans toute sa famille
  on voit cet _a_ reparaître, _fraction, infraction, effraction,
  diffraction, réfraction, frange, réfrangible_?

      [231] En 1420 Firmin le Ver écrit dans son Dictionnaire aux
      mots AMENTIA: _Forsenerie_; AMENS: _Hors de sens_; FURIALITER:
      _Forseneement_.

  «L’Académie française, prise en corps, n’offre donc aucune garantie
  quant à la bonne écriture des mots; mais une commission dans
  le genre de celle qu’a établie le roi des Belges, dans laquelle
  entreraient naturellement d’ailleurs tous les académiciens qui
  s’occupent du Dictionnaire, en compagnie avec d’autres savants qui,
  comme M. Le Clerc, M. Littré, M. Ampère, aujourd’hui si regretté,
  se sont profondément occupés de la langue française, proposerait
  certainement un système rationnel, dont le résultat immédiat serait
  de faire écrire correctement tous ceux qui sauraient la grammaire, et
  subsidiairement de maintenir la langue dans sa pureté par l’influence
  réciproque de l’écriture et de la prononciation.

  «J’ai entre les mains des ouvrages d’hommes qui enseignent le
  français à l’étranger: il est facile de voir que leur prononciation
  n’est pas du tout celle du français de notre époque; et comment le
  serait-elle? ils n’ont pour se guider, en dehors de l’usage et de la
  conversation qui leur manquent, qu’une écriture fautive, chargée de
  lettres parasites qu’ils croient devoir être prononcées et qui sont
  en effet muettes. C’est là le défaut qu’un bon système d’orthographe
  devrait faire disparaître. Sans doute il ne donnerait pas, soit
  aux étrangers, soit aux provinciaux, la prononciation si délicate
  et si douce de la bonne compagnie française; mais en conservant
  soigneusement toutes les lettres caractéristiques de l’étymologie
  ou des familles des mots et celles qui indiquent leurs relations
  grammaticales, il écarterait les signes qui ne signifient rien ou
  signifient le contraire de ce qu’ils devraient indiquer. De là ce
  double avantage, que la prononciation serait représentée exactement
  sinon dans ses finesses, au moins dans son ensemble, et que les
  changements que le temps y introduit sans cesse et qui altèrent la
  langue malgré nous, seraient sensiblement ralentis une fois qu’on
  aurait dans les livres imprimés un type partout accepté de la
  prononciation normale.»

En rendant compte de mon premier écrit sur l’orthographe[232], M.
Jullien a résumé les idées qu’il a développées dans ses divers écrits.
Voici article par article les points qu’il a touchés:

      [232] _Revue de l’Instruction publique_, 12 et 19 mars 1868,
      nºs 50 et 51.

I. Il déclare en principe qu’il est impossible de figurer exactement la
prononciation avec notre alphabet incomplet et que, du reste, il faut
respecter l’étymologie.

Je ne crois pas possible de rien changer à notre système alphabétique;
il faut se borner à tirer le meilleur parti de ce que nous avons.

II. M. Jullien ne partage pas l’avis des néographes d’écrire de
la manière suivante les mots _pindre, pintre, pinture, astrindre,
restrindre, findre_[233], etc., à cause des participes présents
et leurs dérivés, où le son _in_ se change en _ei_. Cependant,
les partisans de l’écriture étymologique devraient désirer cette
modification qui rapprocherait davantage ces mots de leurs primitifs
latins. Je crois qu’il n’y aurait pas d’inconvénient d’adopter
l’orthographe conforme à la prononciation, d’autant qu’elle
s’accorderait avec l’étymologie et les dérivés, comme _astriction,
astringent, restriction, fiction, fictif_, etc. Cette raison me
paraît préférable au désir de maintenir la concordance avec quelques
formes parfois irrégulières dans leurs terminaisons, comme les
adjectifs verbaux comparés aux participes présents et aux temps des
verbes. Or, on sait que la permutation des sons se présente assez
fréquemment. On écrit _faire_ et je _ferai_, _voir_ et je _verrai_,
_boire_ et _buvons_, _venir_ et _viendrons_, je _crois_ et nous
_croyons_, _joindre_ et _jonction_[234], et on emploie pour chaque
son le signe qui lui est propre: on pourrait donc écrire _je pins_,
et _nous peignons_, _je fins_ et _nous feignons_. Du reste, ce n’est
qu’une affaire de convention. Si l’on persistait à conserver partout
la voyelle _e_, on devrait la mettre alors dans les adjectifs et
les substantifs correspondants et écrire _exteinction, astreingent,
exteinguible_. D’un autre côté, puisqu’on écrit _contraindre,
craindre, plaindre_ (il faudrait y ajouter encore _enfraindre_, venu
de _frangere_), on pourrait aussi régler l’orthographe de ces verbes
en substituant partout _ain_ à _ein_ et _in_ et écrire uniformément
_paindre, painture, astraindre, faindre, joaindre, adjoaindre_ comme le
fait Firmin Le Ver dans son _Dictionnaire latin-français_, sans aucune
exception.

      [233] C’est l’orthographe qu’a régulièrement suivie Jacques
      Dubois (Sylvius).

      [234] Pourquoi donc, en vue d’une régularité chimérique,
      n’écrit-on pas _joinction_, où l’_i_ resterait muet comme il
      l’est dans _poignard, empoigner, oignon_?

III. M. Jullien juge trop sévèrement ma proposition relative à la
distinction du _g_ dur d’avec le _g_ devant les voyelles _e_ et _i_. Il
en avait émis une, moins pratique, à mon avis. Il propose de supprimer
la boucle supérieure du _g_ romain (g) chaque fois que cette consonne
doit conserver le son dur. Or, cette boucle est trop peu apparente
pour bien distinguer l’une des formes du _g_, et comme elle se casse
facilement sous presse, il en résulterait de fréquentes confusions.

M. Jullien a exprimé le désir de voir étendre l’emploi de la cédille
sous le _c_ à tous les cas où cette dernière a le son chuintant, et par
conséquent devant les voyelles _e, i, y_; mais, par une singulière
contradiction, il trouve que la présence de l’_e_ muet après le _g_
indique suffisamment que cette consonne s’écarte de la prononciation
ordinaire, sans tenir compte que cet _e_ muet joue le même rôle après
le _c_. Pourquoi donc a-t-on préféré d’écrire _commençons_, au lieu
de _commenceons_, si ce n’est pour simplifier l’orthographe, et, par
conséquent, pourquoi ne chercherait-on pas à éliminer le même _e_
euphonique après le _g_? La cédille ne pouvant pas être appliquée à
une lettre à jambage inférieur, il faut recourir à un autre moyen, et
je pense que le _g_ italique, proposé par moi dans la première édition
de cet ouvrage n’est pas une _nouvelle figure_, comme le qualifie M.
Jullien, et qu’il serait toujours préférable à son _g_ sans boucle.
D’ailleurs, pour établir une distinction plus apparente encore, surtout
pour le manuscrit, je me range définitivement à l’opinion de de Wailly
et je propose le _g_ ordinaire surmonté d’un point, _ġ_ dont l’aspect
rappelle le _j_.

IV et XVII. Je ne saurais approuver la proposition de M. Jullien de
mettre une cédille sous le _c_ dans le digramme _ch_ pour distinguer
ainsi le son français du _ch_, c’est-à-dire le son chuintant dans les
mots _çheval, çhariot_, au lieu de _cheval, chariot_ en opposition
aux mots _archiépiscopal, chronologie_, etc.

Pour remédier à ces irrégularités, j’ai indiqué (p. 35 à 38) un
système très-simple, appuyé sur les modifications déjà accomplies. Il
consiste à ranger le petit nombre de ces mots les uns dans la série
des mots comme _caractère, carte_, écrits autrefois _charactère_
et _charte_, les autres dans la série _ch_, en adoptant pour ce
digramme la prononciation française: on continuerait donc à écrire
_archiépiscopal_, mais on le prononcerait comme _archidiacre_. De cette
manière toute difficulté disparaîtrait.

La préoccupation constante de M. Jullien est de conserver l’identité
graphique avec le radical à tous les mots de la même famille; c’est
pourquoi il trouve qu’il vaudrait mieux écrire _monarçhie, monarche_,
au lieu de _monarchie, monarque_. Il soutient avec raison que
l’écriture concourt à fixer la prononciation, mais il ne faut pas
entendre, par ce mot _fixer_, la consécration d’une prononciation
vicieuse qui n’est pas justifiée par les lois de l’euphonie française.
Rien ne s’opposerait à prononcer _chirographe, archétype_, comme
on prononce _chirurgien, archiduc_, d’autant plus que les mots
de cette catégorie sont d’un usage restreint, et que quelques-uns
d’entre eux sont déjà prononcés à la _française_. Si, d’un autre
côté, le changement de la prononciation était contraire à l’euphonie,
comme celle de _monarquique_ au lieu de _monarchique, tactiquien_
au lieu de _tacticien_, pourquoi alors ne pas conformer l’écriture à
la prononciation? Pourquoi, en vue d’une régularité superficielle,
compliquer les difficultés inévitables de la lexicographie? Et
remarquons encore que cette soi-disant régularité ne pourrait pas
s’étendre à toutes les familles de notre langue; elle ne serait donc
que partielle. La permutation des consonnes est commune à toutes
les langues, et elle est très-logique. Nous prononçons _mécanique_
et _mécanicien_, car _mécaniquien_ est impossible; devrions-nous
pourtant écrire _mécaniche_ pour conserver le _c_ radical? La complète
identité du dérivé avec le radical étant souvent impossible dans la
prononciation, il ne semble pas rationnel de la désirer dans l’écriture.

V. L’opinion de M. Jullien sur l’emploi du tréma est très-juste, mais
seulement pour un nombre restreint de cas, comme dans les mots _argüer_
pour le distinguer de _arguer_; _Guïse_ en opposition à _guise_, etc.
Quant aux mots _équitation, équestre, quiétude_ en opposition
à _inquiétude_, _anguille_ en opposition à _aiguille_, c’est leur
prononciation plutôt que leur orthographe qui devrait être régularisée,
et je crois qu’avec le temps l’usage en fera justice, d’autant que la
tendance de prononcer _qu_ comme _k_ et _ui_ comme _i_ se manifeste
de plus en plus. La présence du tréma ne serait qu’un obstacle à une
régularisation progressive.

Il en est de même pour les noms propres venus de l’hébreu et terminés
en _am_, comme _Adam, Abraham, Balaam_, etc., dont la finale est,
par une singulière bizarrerie, nasale dans _Adam_ et sonore dans
_Abraham_. L’usage en rendra la prononciation uniforme.

VI. M. Jullien propose d’introduire le trait d’union dans les mots
_de-sus, de-sous, di-syllabe, dys-entérie_. Cette opinion, tout
en étant logique et conforme à la prononciation, me paraît difficile à
être mise en pratique, vu la tendance générale de toutes les langues à
réunir en un seul les mots composés, ce qui évite la difficulté de les
écrire au pluriel.

VII. La différence qu’il établit dans la prononciation de la
diphthongue _oi_ dans _je bois_ et _du bois_, etc., me paraît trop
faible pour nécessiter l’accent dans _je boìs_ et autres mots
semblables.

VIII. La substitution de l’accent grave à l’accent circonflexe dans
les mots _extrème, thème, suprème_ ne me semble pas indispensable.
L’accent circonflexe suffit très-bien à la fonction de marquer les
voyelles à la fois longues et toniques.

IX. L’addition d’une apostrophe placée devant l’_h_ quand elle n’est
pas aspirée serait une innovation utile, mais il serait préférable de
supprimer cette _h_ du moment où elle n’indique aucune aspiration:
c’est ainsi que Corneille écrit _alte_, où nous avons aujourd’hui une
forte aspiration, et que le mot _aleine_, du latin _halitus_, est écrit
dans le manuscrit de Le Ver.

X et XI. Il blâme avec raison les phonographes qui voudraient voir les
mots _bateau, chapeau_, écrits comme _zéro_, et il fait observer
que l’écriture correcte de _dessiller_ et _forcené_ est _déciller,
forsené_ (_fors_ ou _hors de sens_).

XII. M. Jullien pense comme moi que la difficulté de distinguer les
désinences en _ant_ et en _ent_ devrait engager à adopter la forme
_ant_ pour tous les participes, adjectifs et substantifs verbaux.
«C’est, dit-il, un labyrinthe perpétuel où il est impossible de trouver
un fil pour se guider.»

XIII. Il voudrait qu’on écrivît tous les pluriels par _s_ et qu’on
supprimât les _x_ qui ont usurpé la place de l’_s_. On écrivait
autrefois _beautez, dignitez_; on écrit aujourd’hui _beautés,
dignités_; il faudrait généraliser ce progrès et écrire _heureus,
animaus_, etc.

XIV. Il préfère l’accent grave à la réduplication des consonnes, et
voudrait qu’on écrivît _j’appèle, je jète_, comme on le fait pour _je
gèle, j’achète_.

Je suis aussi de cet avis, mais bien qu’un certain nombre de mots
soient ainsi écrits, et qu’il conviendrait d’en augmenter le nombre
jusqu’au moment où tous seront écrits uniformément, cependant ce serait
apporter, quant à présent, un trouble trop grand aux habitudes.

XV. Il approuve le retranchement des doubles lettres dans l’intérieur
des mots, lorsqu’elles ne sont pas nécessaires pour indiquer la
prononciation.

XVI. M. Jullien appuie ma proposition de remplacer les _ph_ et les _th_
par les _f_ et les _t_. «M. Didot, dit-il, propose d’adopter cette
notation qui n’aurait, en effet, aucun inconvénient. Pourquoi ne pas
écrire, _téorie, téologie_, quand on écrit _trône, trésor_, au lieu
de _thrône, thrésor_? Pourquoi ne pas écrire _fysique_ quand on écrit
_fantaisie, fantôme_? Voltaire dans son _Dictionnaire encyclopédique_
commence son article _philosophie_ par ces mots: «Écrivez _filosofie_
ou _philosophie_ comme il vous plaira.»

  «Il a bien raison; le français doit avoir son orthographe à lui,
  indépendante des langues auxquelles il emprunte quelques mots. Il
  est déraisonnable, si l’on écrit _fantôme_ et _fantaisie_, par des
  _f_, de ne pas écrire de même _diafane_ et _Épifanie_ qui dérivent
  également de φαίνω... Il ne s’agit pas ici des mots grecs d’où les
  mots français sont tirés, il s’agit des mots français entre lesquels
  se trouve l’analogie représentée par la syllabe _fan_ qu’il faut
  conserver partout la même, puisque c’est elle qui exprime l’idée
  principale.

  «De même si vous écrivez _frénétique, frénésie_, écrivez _frénologie,
  Eufrosine_: mettez, en un mot, partout des _ph_ ou partout des _f_.
  Rien n’est plus important pour la régularité des langues et la
  satisfaction de l’esprit que des règles générales.»

Pour terminer cet article, dont l’étendue permet de mieux apprécier le
mérite des travaux de M. Jullien, je transcris un passage important
tiré de ses _Principales étymologies de la langue française_. Il
se rapporte à la double formation de nos mots: l’une, originale,
nationale; l’autre, imitative, scolastique.

  «La raison de l’irrégularité de la plupart de nos racines, c’est
  que nos mots français ont été tirés du latin selon deux systèmes
  fort différents. Pour bien comprendre cette difficulté, il faut se
  rappeler que, quand on prononce des mots isolés, il y a toujours dans
  ces mots une syllabe prononcée plus fortement que les autres. On dit
  que cette syllabe porte l’accent, ou qu’elle est accentuée. Chez nous
  rien de plus simple que la théorie de l’accent: il tombe toujours
  sur la dernière syllabe sonore du mot; et par conséquent, lorsque la
  dernière syllabe est muette, il recule sur la pénultième qui devient
  aussi la dernière sonore. Dans _aimé, venir, opportun_, les syllabes
  fortes sont _mé, nir, tun_, les dernières du mot, parce qu’elles
  sont sonores. Dans _aimable, atteindre_, ils _importunent_, les
  syllabes accentués sont _ma, tein, tu_, pénultièmes dans les mots
  donnés, parce que les dernières sont muettes.

  «La règle latine n’était pas tout à fait aussi simple que chez nous.
  L’accent portait en général sur la pénultième syllabe, comme dans
  _rosa, lupus_; et si cette pénultième était brève, dans les mots
  de plus de deux syllabes, l’accent reculait sur l’antépénultième:
  _dominus, concipere_; _do_ et _ci_ étaient ces syllabes fortes.

  «Personne n’ignore que, quand une langue est prononcée, c’est la
  syllabe accentuée des mots qui est la plus apparente, et celle qui
  se conserve le mieux dans les divers changements que le mot éprouve.
  Il s’ensuit que, quand notre ancienne langue s’est formée du latin,
  c’est-à-dire pendant les dix ou douze premiers siècles de notre ère,
  c’est l’accent, ou, si on l’aime mieux, c’est la syllabe accentuée
  qui a joué le principal rôle dans ce passage. Soient, par exemple,
  les mots latins _tabula_ qui signifie _table_, _fabula_ qui veut dire
  _fable_, _templum_ qui veut dire _temple_, etc., etc. Si nous lisons
  ces mots à la française, nous appuyons sur les dernières syllabes,
  _la_ ou _plum_; mais les Latins appuyaient sur les premières, _ta,
  fa, tem_: celles qui les suivaient ne s’entendaient presque pas, et
  nous les avons en effet remplacées par des _e_ muets, _table, fable,
  temple_.

  «La même chose se verra mieux encore sur le verbe _dire_ venu du
  latin _dicere_, sur _faire_ venu de _facere_, et sur mille autres
  que je pourrais citer ici. On ne reconnaît pas facilement cette
  dérivation quand on prononce ces mots latins à la française:
  _di-cè-ré, fa-cè-ré_. Mais c’est là une prononciation tout à fait
  fausse. Les Romains appuyaient sur _di_ et sur _fa_; les deux
  syllabes suivantes sonnaient très-peu, à peu près comme _cre_ dans
  _sacre, ocre, sucre_. Il a donc suffi d’adoucir cette forme _cre_ en
  _re_ pour avoir les verbes _dire_ et _faire_, au lieu de _dicre_ et
  _facre_; c’est de même que _findere_ nous a donné _fendre_; _legere_,
  _lire_; _solvere_, _soudre_; _conficere_, _confire_, etc.

  «Tant que le français s’est formé sur le latin par l’usage et la
  parole, c’est ainsi qu’on a opéré. Les mots étaient prononcés,
  l’oreille seule en jugeait. La syllabe accentuée dominait tout le
  reste; et l’écriture n’était à peu près rien, puisque ce n’était
  pas sur des mots écrits, mais bien sur les mots prononcés que se
  faisaient les changements.

  «Mais à partir du quatorzième siècle, et surtout vers le quinzième
  et le seizième, les livres intervinrent. Le latin n’était plus
  parlé du tout: on l’étudiait comme une langue morte sur des textes
  écrits. La syllabe accentuée, n’étant plus entendue, perdit toute
  sa supériorité sur les autres, et les lettres qui n’avaient eu
  que peu de valeur auparavant, en prirent une plus grande qu’on ne
  l’aurait jamais pensé, c’est-à-dire que l’on tira alors du latin
  une foule de mots français, où l’on conservait aussi fidèlement
  que possible l’orthographe latine, bien entendu aux dépens de la
  prononciation, puisqu’on y déplaçait l’accent et qu’on le portait à
  la française sur les dernières syllabes des mots où il n’était pas
  naturellement. Je prends pour exemple le mot, d’ailleurs très-peu
  usité, _adminicule_, qui s’est formé du latin _adminiculum_. On voit
  qu’en français la syllabe forte est l’avant-dernière _cu_, tandis que
  chez les Latins c’était l’antépénultième _ni_. Si ce mot se fût formé
  d’après la langue parlée, il eût été _adminicle_, comme nous avons eu
  _spectacle_ de _spectaculum_, _obstacle_ de _obstaculum_, _oracle_
  de _oraculum_, etc. Comme il s’est formé de la langue écrite, on n’a
  tenu compte que des lettres, et on nous a donné _adminicule_. C’est
  ainsi que _exprimere_ et _imprimere_ qui, par l’accent, nous avaient
  donné _épreindre_ et _empreindre_, nous ont, par les lettres, fourni
  _exprimer_ et _imprimer_.

  «Je ne donne cet exemple que pour montrer comment cette double
  origine de notre langue a pu augmenter les difficultés qu’il y avait
  déjà à passer d’un idiome à un autre. On conçoit en effet qu’ainsi
  le même primitif a pu produire des dérivés différents; que, de plus,
  des mots admis pendant les premiers siècles ont pu disparaître plus
  tard et laisser cependant des traces de leur existence première.
  J’en trouve un exemple frappant dans la famille de _concevoir,
  décevoir, recevoir_, etc. _Recevoir_ était autrefois _reçoivre_,
  et ce mot était très-bien formé de _recipere_, qui avait l’accent
  sur l’_i_. _Reçoivre_ a disparu, mais le présent je _reçois_, le
  prétérit je _reçus_ et le participe _reçu_ se déduisent mieux de la
  première forme que de la forme allongée _recevoir_. Voilà donc des
  conjugaisons tout entières qui, rapportées à leur infinitif actuel,
  semblent donner la preuve d’une irrégularité, laquelle n’existait
  pourtant pas dans la première forme du langage.

  «N’est-ce pas là un exemple bien remarquable des difficultés que le
  cours des siècles a successivement ajoutées à l’étude étymologique de
  notre langue?»


    EGGER, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. _Notions
    élémentaires de grammaire comparée._ Paris, Aug. Durand, 1865,
    sixième édition, in-12.

Ce savant écrit joint au mérite de la clarté celui de la sobriété et
donne avec précision l’exposé des faits qui constituent les rapports
existant entre la langue grecque, la langue latine et la langue
française. Je me bornerai à citer ici ce qui concerne l’_orthographie_,
car M. Egger regrette que ce mot ait été défiguré contre toute analogie
par le barbarisme _orthographe_.

   «Comme la langue française, formée d’éléments assez divers, n’a
  pas eu de grammairiens proprement dits avant le XVIe siècle, et que
  l’orthographe en fut, jusqu’à cette époque, abandonnée à tous les
  caprices de l’usage, on comprend que cette partie de notre grammaire
  soit aujourd’hui une des plus irrégulières et en même temps une des
  plus épineuses à réformer. Plusieurs auteurs ont cherché à rapprocher
  l’orthographe française de la prononciation, tantôt par des essais
  partiels, tantôt par des innovations générales et systématiques.
  Les premières réformes, qui sont les plus modestes, ont eu aussi
  plus de succès; les autres, pour lesquelles on a inventé le nom
  de _néographie_, ou _néographisme_, ont toujours échoué; elles
  échoueront toujours contre la force invincible de l’habitude et
  contre quelque chose de plus respectable encore que l’habitude, je
  veux dire la tradition même de la langue française et la loi de ses
  étymologies. Aussi Voltaire a réussi à faire consacrer l’usage de la
  diphthongue _ai_ pour _oi_ dans les noms, comme _français_, et dans
  les verbes, comme _avait_, pour exprimer le son d’un _e_ ouvert;
  changement dont, au reste, il n’avait pas eu la première idée. Mais
  ni Ramus au XVIe siècle, ni Expilly au XVIIe, ni l’abbé Dangeau au
  XVIIIe, ni Domergue et Marle au XIXe, n’ont réussi à faire admettre
  leurs systèmes de réforme _absolue_, et l’on prédira facilement le
  même échec à tous ceux qui les imiteront.»

M. Egger, lorsqu’il écrivait ce passage, n’avait pas connaissance
des transformations successives que les mots ont reçues dans les
différentes éditions du Dictionnaire de l’Académie. Il aurait vu que
ce qui reste à opérer est peu de chose comparé à ce qui a été fait, et
que ce qu’il appelle «la tradition de la langue française et la loi de
ses étymologies» est en opposition avec la vraie et nationale tradition
de notre vieille langue. Quant à l’adoption d’un système de réforme
_absolue_, j’en suis aussi éloigné que lui, mais pour tout ce qui
est conforme à la raison, au génie de notre langue et aux analogies,
je suis sûr qu’il partagera mes opinions, qui d’ailleurs sont celles
de tant hommes éminents dont j’ai voulu m’appuyer pour donner plus
d’autorité à ma faible voix.




APPENDICE _E_.


J’ai cru devoir entrer dans ces détails historiques pour montrer quels
sont les points sur lesquels se sont concentrés les efforts tentés
pour la rectification de l’orthographe et quels sont ceux qui méritent
d’être pris en considération. On a pu voir aussi combien il serait
difficile de concilier la réforme dite phonographique avec le système
orthographique des langues néo-latines, particulièrement avec notre
langue. De cet examen il résulte que notre alphabet, tout incomplet
qu’il est, peut, avec de légères modifications, suffire à l’expression
de tous les sons de notre langue.

Abréger et simplifier sont des besoins impérieux de notre époque:
le système métrique a remplacé l’ancien système, si compliqué et si
irrégulier, de même que la numération des Arabes a remplacé la pénible
numération des Romains. Déjà même lorsque l’on compare l’orthographe du
Dictionnaire de l’Académie de 1694 avec celle d’aujourd’hui, on voit
qu’il reste peu de chose à faire pour compléter l’œuvre de 1740.

S’il est regrettable qu’en 1740, l’Académie française ne se soit pas
montrée aussi hardie que le furent l’Académie de la Crusca en 1612,
l’Académie de Madrid en 1726, et le grand _Vocabulario portuguez_ de
Coïmbre en 1712, qui ont rapproché l’orthographe de la prononciation
autant qu’il était possible de le faire avec notre alphabet, et que,
dans son Dictionnaire, elle se soit arrêtée à moitié chemin, du moins,
en ouvrant la voie aux améliorations qu’elle-même y a introduites
à chaque nouvelle édition, elle l’a débarrassée des entraves d’un
grand nombre de lettres inutiles et d’anomalies qui fatiguent la
mémoire, rebutent l’enfance et surchargent la grammaire de règles et
d’exceptions.

Toute modification qui ne touche en rien à la langue et ne porte
aucune atteinte à nos chefs-d’œuvre, même poétiques, contribuera, bien
plus qu’on ne saurait le croire, à maintenir et prolonger la vie de
notre idiome, qui n’est que la simplification du latin; par là nos
chefs-d’œuvre deviendront de plus en plus accessibles à tous.

Quelques autres petites régularisations de détail, qui ne dérangeraient
en rien l’ensemble de notre système orthographique, lui donneraient
successivement le degré de perfection désirable.

Je veux cependant aller au-devant de cette objection, tant de fois
répétée à propos de toute tentative de réforme, si peu grave qu’elle
soit: toucher à notre écriture actuelle, c’est poser une main profane
sur les œuvres de nos grands écrivains et les trahir en altérant la
forme extérieure qu’ils ont prétendu donner à leurs pensées.

Nos plus grands écrivains ont abandonné la plupart du temps à leurs
imprimeurs le soin d’orthographier leurs œuvres, contrairement même à
l’écriture de leurs manuscrits; ceux de Bossuet et d’autres en sont la
preuve; mais les imprimeurs trouvèrent plus commode d’appliquer à tous
uniformément l’orthographe consignée dans les éditions successives du
Dictionnaire de l’Académie. Les exemples suivants prouveront que les
manuscrits de nos grands auteurs du seizième et du dix-septième siècle
sont écrits d’une tout autre manière qu’ils ont été imprimés de nos
jours. Il est donc regrettable, sous bien des rapports, qu’on ne se
soit pas conformé aux originaux: les réformateurs les plus hardis y
trouveraient souvent de nombreux arguments en leur faveur:


    MONTAIGNE, dans son manuscrit autographe des _Essais_ conservé à la
    bibliothèque de Bordeaux, adopte l’orthographe suivante:

  «Nous devons la subjection et l’obeissance esgalement à tous
  roys, car elle regarde leur office; mais l’estimation non plus
  que l’affection, nous ne la devons qu’à leur vertu. _Donons_
  à l’ordre politique de les souffrir _patiammant_ indignes, de
  celer leurs vices, d’aider de notre _recomandation_ leurs actions
  indifferentes, pendant que leur autorité a besoing de nostre appuy;
  mais nostre commerce fini, ce n’est pas raison de refuser à la
  justice et à nostre liberté l’expression de nos vrays _ressentimans_;
  et _nommeemant_ de refuser aus bons subjets la gloire d’avoir
  _reverrammant_ et _fidelemant_ servi un maistre, les imperfections
  duquel leur estoint si bien conues.

  «J’honore le plus ceux que j’honore le moins; et, où mon âme marche
  d’une grande aleigresse, j’oublie les pas de la contenance.

  «A bienveigner, à _prandre_ congé, à remercier, à saluer, à
  _presanter_ mon service et tels _complimants_ verbeus des lois
  ceremonieuses de nostre civilité, je ne _conois persone_ si sottement
  sterile de lengage que moi; et n’ai jamais esté emploié à faire des
  lettres de faveur et _recomandation_, que celuy pour qui c’estoit
  n’aye trouvées seches et lasches.» (_Essais_, l. I, ch. III,
  manuscrit de Bordeaux.)

Voir plus haut, p. 206, les indications orthographiques qu’il adresse à
son imprimeur.


LA FONTAINE.

Voici, d’après l’exemplaire que je possède et que je crois unique,
la reproduction de la belle et noble supplique adressée au roi par
la Fontaine en faveur de Fouquet. Elle contient des variantes non
reproduites dans aucune édition.

Cette épître forme trois pages petit in-folio fort bien imprimées en
gros caractères italiques. Sur la marge de cet exemplaire est écrit
FOUQUET[235].

      [235] D’après quelques autographes de la Fontaine que je
      possède, je ne crois pas que ce mot soit écrit de sa main.

Dans cette pièce, antérieure d’une trentaine d’années à l’apparition du
premier Dictionnaire de l’Académie, l’orthographe est remarquable, et
probablement nous représente celle même de la Fontaine que l’imprimeur
(il n’est pas nommé) aura suivie fidèlement.

Mais ce que cette édition _princeps_ offre de plus remarquable, c’est
la répétition de la qualification de _Grand_ donnée deux fois à Henri
IV et qui a été remplacée dans toutes les éditions par _magnanime_,
épithète faible comparativement à cette réduplication du mot _Grand_;
ce qui me porte à croire que lorsque cette supplique fut lue à Louis
XIV, ces vers

        Du Grand, du Grand HENRY qu’il contemple la vie;
        Dès qu’il pût se vanger, il en perdit l’envie:

un froncement de sourcil avertit que LOUIS LE GRAND s’en trouvait
offensé.


        ÉLÉGIE.

        Remplissés l’Air de cris, et vos Grotes profondes[236],
        Pleurés Nymphes de Vaux, faites croître vos ondes;
        Et que l’Anqueüil enflé ravage les trézors
        Dont les regars de Flore ont embelly ses bors.
        On ne blâmera point vos larmes innocentes;
        Vous pouvés donner cours à vos douleurs pressantes;
        Chacun atend de vous ce devoir généreux:
        Les Destins sont contens, Oronte est malhûreux.
        Vous l’avez vû n’aguére au bord de vos Fontaines,
        Qui, sans craindre du Sort les faveurs incertaines,
        Plein d’éclat, plein de gloire, adoré des Mortels,
        Recevoit des honneurs qu’on ne doit qu’aux Autels.
        Hélas qu’il est déchû de ce bon-heur suprême!
        Que vous le trouveriés diférent de luy-mesme!
        Pour luy les plus beaux jours sont de secondes nuits;
        Les soucis dévorans, les regrets, les ennuis,
        Hostes infortunés de sa triste demeure,
        En des goufres de maux le plongent à toute heure.
        Voila le précipice où l’ont enfin jetté
        Les atraits enchanteurs de la prospérité!
        Dans les palais des Roys cette plainte est commune;
        On n’y conoît que trop les jeux de la Fortune,
        Ses trompeuzes faveurs, ses apas inconstans:
        Mais on ne les conoît que quand il n’est plus temps.
        Lors-que sur cette Mer on vogue à pleines voiles,
        Qu’on croit avoir pour soy les Vens et les Estoiles,
        Il est bien mal-aizé de régler ses dézirs;
        Le plus Sage s’endort sur la foy des Zéphirs.
        Jamais un Favory ne borne sa carière;
        Il ne regarde point ce qu’il laisse en arière:
        Et tout ce vain amour des Grandeurs et du bruit,
        Ne le sçauroit quiter qu’après l’avoir détruit.
        Tant d’exemples fameux, que l’Histoire en raconte,
        Ne sufizoient-ils pas sans la perte d’Oronte?
        Hâ si ce faux éclat n’ût point fait ses plaizirs!
        Si le séjour de Vaux eut borné ses dézirs!
        Qu’il pouvoit doucement laisser couler son âge!
        Vous n’avés pas chés-vous ce brillant équipage,
        Cette foule de Gens qui s’en vont chaque jour
        Salüer à lons flots le Soleil de la Cour:
        Mais la faveur du Cièl tous donne en récompence,
        Du repos, du loizir, de l’ombre et du silence,
        Un tranquile sommeil, d’innocens entretiens,
        Et jamais à la Cour on ne trouve ces biens.
        Mais quitons ces pensers, Oronte nous apelle:
        Vous, dont il a rendu la demeure si belle,
        Nymphes, qui lui devez vos plus charmans apas,
        Si le long de vos bors LOUYS porte ses pas,
        Tâchez de l’adoucir, fléchissez son courage;
        Il aime ses sujets, il est juste, il est sage;
        Du titre de clément rendez-le ambitieux:
        C’est par-là que les Roys sont semblables aux Dieux.
        Du Grand, du Grand HENRY qu’il contemple la vie;
        Dés qu’il pût se vanger, il en perdit l’envie:
        Inspirés à LOUIS cette mesme douceur;
        La plus belle victoire est de vaincre son Cœur.
        Oronte est à prézent un objet de clémence;
        S’il a crû les conseils d’une aveugle puissance,
        Il est assés puny par son sort rigoureux,
        Et c’est étre innocent que d’étre malhûreux[237].

      [236] Toutes les éditions portent, «en vos grottes profondes.»

      [237] Fouquet fut arrêté en 1661. L’élégie ne parut dans les
      Recueils publiés par la Fontaine qu’en 1671. Cependant on la
      trouve imprimée dans le _Recueil de quelques pièces nouvelles et
      galantes, tant en prose qu’en vers_, in-18, Cologne, 1667, t. II,
      p. 195, sous le titre d’_Élégie pour le malheureux Oronte_. Mais,
      ajoute Walckenaer, «il est probable que la Fontaine fit d’abord
      imprimer cette pièce séparément et sur une feuille volante comme
      il a fait pour beaucoup d’autres de ses ouvrages.» (_Histoire de
      la vie et des ouvrages de J. de la Fontaine_, t. I, p. 100.) Ce
      que présumait Walckenaer se trouve donc réalisé par la présence
      de cet exemplaire.


    BOSSUET, dans son manuscrit des _Sermons_ (t. II, p. 261, Bibl.
    Imp.), écrit de sa main:

  «Sa vangeance nous poursuiura a la vie et a la mort et ny en ce
  monde ny en l’autre iamais elle ne nous laissera aucun repos. Ainsi
  n’atandons pas lheure de la mort pour pardonner à nos ennemis, mais
  plustost pratiquons ce que dit l’apostre, que le soleil ne se
  couche pas sur vostre colere (ce cœur tandre, ce cœur paternel),
  l’apostre ne peut comprendre qu’un chrestien, enfant de paix, puisse
  dormir d’un sommeil tranquille ayant le cœur ulcéré et aigri contre
  son frère, ni qu’il puisse gouster du repos uoulant du mal a son
  prochain dont Dieu prend en main la querelle et les interests. Mes
  frères, le iour decline, le soleil est sur son panchant, lapostre
  ne nous donne guere de loisir et uous nauez plus guere de tems pour
  lui obéir; ne differons pas dauantage une œuvre si necessaire,
  hastons-nous de donner a Dieu nos ressentimens: le iour de la mort
  sur lequel on reiette toutes les affaires du salut n’en aura que trop
  de pressées; commancons de bonne heure a nous preparer les graces
  qui nous seront necessaires en ce dernier iour et en pardonnant sans
  delai asseurons-nous leternelle misericorde du Père, du Fils et du
  Saint-Esprit.»

J’ajouterai ici aux exemples cités précédemment p. 54, p. 55 et 73, les
caractères suivants de son écriture. Souvent il supprime les doubles
lettres; ainsi, dans le début du _Sermon de la Pénitence au temps du
Jubilé_, on lit dans son manuscrit: «Quelle merveilleuse nouvelle nous
_aprenons_ aujourd’hui,» et p. 4 et 5, _aprenons_, et _aprendre_, p.
92. Il écrit aussi _atendre, abatre, atantif, flater, froter_.
Ailleurs il écrit une _tandre_ éducation, p. 99; il écrit aussi
_sepulcre_ sans _h_, p. 27 des Sermons. Voyez pour son opinion au sujet
de l’orthographe, plus haut p. 130 et suiv.


RACINE ET BOILEAU.

  _A Mgr le maréchal de Luxembourg.--Félicitations sur la victoire
  de Fleurus._

  «Au milieu des louanges et des complimens que vous receués de tous
  costés pour le grand seruice que vous venés de rendre à la France,
  trouués bon, Monseigneur, qu’on vous remercie aussi du grand bien
  que vous aués faict à l’Histoire, et du soin que vous prenés de
  l’enrichir. Personne jusqu’ici n’y a trauaillé avec plus de succez
  que vous, et la bataille que vous venés de gagner fera sans doute un
  de ses plus magnifiques ornemens. Jamais il n’y en eut de si propre
  à estre racontée, et tout s’y rencontre à la fois, la grandeur de
  la querele, l’animosité des deux partis, l’audace et la multitude
  des combattans, une résistance de plus de six heures, un carnage
  horrible, et enfin une déroute entière des ennemis. Jugés donc
  quel agrément c’est pour des historiens d’avoir de telles choses
  à escrire, surtout quand ces historiens peuuent esperer d’en
  apprendre de vostre bouche mesme le detail. C’est de quoi nous osons
  nous flatter. Mais, laissant là l’Histoire à part, serieusement,
  Monseigneur, il n’y a point de gens qui soient si veritablement
  touchés que nous de l’heureuse victoire que vous aués remportée;
  car, sans conter l’interest general que nous y prenons avec tout
  le royaume, figurés vous quelle est notre joie d’entendre publier
  partout que nos affaires sont restablies, toutes les mesures des
  ennemis rompues, la France, pour ainsi dire, sauuée, et de songer
  que le heros qui a faict tous ces miracles est ce mesme homme d’un
  commerce si agréable, qui nous honore de son amitié, et qui nous
  donna à disner le jour que le Roi lui donna le commandement de ses
  armées.

      «Nous sommes avec un profond respect, Monseigneur,
      «Vos très-humbles et très-obéissant serviteurs,

      «RACINE, DESPRÉAUX.

      «A Paris, 8e de juillet 1690.»

Parmi les notes que j’ai prises en parcourant les manuscrits de Racine
déposés à la Bibliothèque impériale, j’ai remarqué ce passage dans sa
lettre à l’abbé Levasseur, 1661:

  «Je lis des vers, je tasche d’en faire, je lis les avantures de
  l’Arioste; je ne suis pas moi-même sans avanture..... Mais voilà les
  massons qui arrivent.»

Et ailleurs, dans sa correspondance avec Boileau:

  «Je vas au cabaret deux fois par jour; je commande à des massons.»


Mme de SÉVIGNÉ.

Dans une de ses lettres à Mme de Grignan, je vois écrits de sa
main le mot _tandresse_ quatre fois, et aussi par un _a_ les mots
_commancement, entandre, contante_. Voici cette lettre:

  A Angers, mercredy 29 septembre.

  «I’arive hier à cinq heures au pont de Se, après auoir veu le matin
  a Saumur ma niece de Busy, et entandu la messe a la bonne Nostre
  Dame, ie trouue sur le bort de ce pont vn carosse a six cheuaux qui
  me parut estre mon fils. Cestoit son carosse et labé Charyer quil a
  enuoyé me receuoir, parcequil est vn peu malade aux Rochers. Cet abé
  me fut agreable, il a vne petite impression de Grignan par son pere
  et par vous auoir veue, qui luy donne un pris au dessus de tout ce
  qui pouuoit venir audeuant de moy. Il me donna vostre lettre ecritte
  de Versailles, et ie ne me contraignis point deuant luy de repandre
  quelques larmes tellement ameres que ie serois etoufée sil auoit falu
  me contraindre. Ha ma bonne et tres aymable, que le comancement a
  esté bien vangé. Vous affectes de paroistre vne véritable Dulcinee,
  ha que vous lestes peu, et que iay veu au travers de la peine que
  vous prenes a vous contraindre cette mesme douleur et cette mesme
  tandresse qui nous fit repandre tant de larmes en nous separant. Ha
  ma bonne, que mon cœur est penetré de vostre amitié, que ien suis
  bien parfaitement persuadée, et que vous me faches quand, mesme
  en badinant, vous dittes que ie deurois auoir vne fille come Mlle
  Daleral et que vous estes imparfaite. Cette Aleral est aymable de
  me regretter come elle fait, mais ne me souhaittes iamais rien que
  vous. Vous estes pour moy toutes choses, et iamais on a esté aymee
  sy parfaitement dvne fille bien aymee que je le suis de vous. Ha
  quels tresors infinis mauez vous quelquefois cachés, ie vous assure
  pourtant, ma tres chere bonne, que ie nay iamais douté du fons, mais
  vous me combles presentemant de toutes ces richesses, et ie nen suis
  digne que par la tres parfaite tandresse que iay pour vous, qui
  passe au dela de tout ce que pourois vous en dire. Vous me paroisses
  asses mal contante de vostre voyage et du dos de M. de Brancas,
  vous aues trouué bien des portes fermées, vous aues, ce me semble,
  fort bien fait denvoyer vostre lettre. On mande icy que le voyage
  de la cour est retardé, peut estre poures vous reuoir M. de Lerme.
  Enfin Dieu conduira cela come tout le reste. Vous saves bien come
  ie suis pour ce qui vous touche, ma chere bonne, vous aures soin de
  me mander la suitte. Ie viens denvoyer la lettre que vous ecriues a
  mon fils; quelle tandresse vous y faites voir pour moy, quels soins,
  que ne vous dois ie point, ma chere bonne. Ie consens que vous luy
  fassies valoir mon depart dans cette saison; mais Dieu scait sy
  l’impossibilité et la crainte dvn desordre honteux dans mes affaires
  nen a pas esté la seule raison. SEUIGNÉ[238].»

      [238] Extrait de l’_Isographie des hommes célèbres_  publiée par
      Delarue, t. IV.


LA BRUYÈRE.

La Bruyère, parlant des progrès de la langue, remarque «que depuis
vingt ans que l’on écrit régulièrement, on a secoué le joug du
latinisme et réduit le style à la phrase purement française....., et
qu’on a mis enfin dans le discours tout l’ordre et toute la netteté
dont il est capable, ce qui conduit insensiblement à y mettre de
l’esprit.»

Sans être novateur en fait d’orthographe La Bruyère cependant donna
l’exemple de quelques améliorations, contrairement au Dictionnaire de
l’Académie qui venait de paraître quand il publia sa dernière édition
(la huitième, en 1694).

Comme Corneille, Fénelon, Bossuet, il écrit donc toujours
_vanger[239], avanture, avanturier, restraindre_; il écrit _soupante,
paranthèse, paitrie_ (_ame paitrie de boue_).

      [239] Cependant il écrit _vengeance_. «C’est par faiblesse que
      l’on hait un ennemi et que l’on songe à s’en vanger et c’est par
      elle que l’on s’appaise et que l’on ne se venge point.» (P. 179.)

      Peut-être la Bruyère aurait-il désiré simplifier l’orthographe
      des participes; car je trouve dans toutes ses éditions ce passage
      ainsi écrit: «Il leur envoya tous les éloges qu’il n’a pas
      _cherché_ par le travail et par ses veilles.» (P. 79.)

      Conformément à l’orthographe du temps il écrit _je sçay, sçû,
      vuide, prosneur_, nous sommes _seurs_ (_sûrs_), _beautez, loüez,
      extremitez_, les mieux _flattez_, les mieux _entourez_ et les
      mieux _caressez_, _convents_ (et non _couvents_), _bien-seance_,
      la _vûë_, _fauteüil_.

Il supprime la double lettre dans _sifler, aranger, flater, échaper,
regreter, chaufer_.

Il supprime l’_y_ dans _stile, peristille, hiperbole, patetique, tim,
onix, phisionomie, synonime_. Mais il en met à _parmy, employ, ennemy,
pourquoy, luy, soy, celuy, aujourdhuy_, etc.

Il emploie le _z_ dans _magazin, carrouzel, embrazement, cizelé_.

Il écrit avec raison un homme _pratic_, un homme _fidele_, une femme
_fidelle_, et comme Racine _prétension_ et _masson_. Il écrit avec
la double consonne les mots terminés par _e_ muet, _duppe, secrette,
platte, diette_.


Comme ce système d’orthographe se reproduit dans toutes les éditions
qu’il a publiées et qu’il revoyait avec le plus grand soin, on doit
admettre que ces mots ainsi écrits l’ont été par sa volonté.


    VOLTAIRE, dans sa Correspondance (1752-55), a employé une
    orthographe qui varie souvent, mais qui prouve son désir de voir
    prédominer une orthographe plus simple, conformément aux opinions
    de ses prédécesseurs, Dangeau, d’Olivet, Duclos, Beauzée, de
    Wailly et autres académiciens, et conformément aux tendances des
    collaborateurs de l’Encyclopédie, d’Alembert et Diderot.

Dans les lettres inédites de Voltaire publiées par M. Hénin en 1825 et
par M. Th. Foisset en 1836, son orthographe est figurée conformément à
ses manuscrits. Les variations, les erreurs mêmes prouvent combien son
esprit supérieur attachait peu d’importance à ces règles fastidieuses
et incohérentes qui fatiguent l’attention et la mémoire et qui
arrêtent la plume au détriment de la pensée, entravée sans cesse dans
sa liberté et sa rapidité. Ainsi lorsqu’on lui voit écrire (Lettres
au Président de Brosse et au Président Ruffey) dix fois _chat_AU et
sept fois _chat_EAU, d’autres fois _teatre_ et _theatre, parentese,
autentique_, il sait bien d’où dérivent ces mots et qu’ils sont écrits
en grec avec θ; mais soit désir d’abréger le temps qui arrête sa plume,
soit de simplifier l’écriture, il supprime les _h_ inutiles: bien plus,
si deux fois le mot _hippotequés_ et celui d’_hippotèse_ s’offrent dans
ses lettres[240], il sait fort bien que leurs radicaux sont ὑπό et
τίθημι, mais, préoccupé qu’il est de son idée, la réflexion lui fait
défaut et il commet deux barbarismes qui l’eussent fait exclure de tout
concours littéraire et empêché même de devenir instituteur primaire.
Qu’importe après tout? le temps perdu à de telles minuties l’eût été
aussi pour la postérité. Si, mieux inspiré, il eût écrit _ipotequés_
et _ipotèse_, il n’eût pas hésité et il eût économisé quatre lettres.
Ne sommes-nous pas arrêtés aussi quand il nous faut écrire _Hippolyte,
hyperbole, hippiatrique, hypogée, esthétique, apathique_, etc.?

      [240] Lettre à M. Liebault, 12 novembre 1761. Lettre à M. de
      La Marche, 18 décembre 1762. Si l’on trouve _prophane_ dans
      une lettre sans date adressée à M. Ruffey, c’est par la même
      inadvertance causée par l’irréflexion: il sait bien que ce mot
      provient de la préfixe _pro_ pour _pros_ et de _fanum_, le temple.

Il écrit sans exception _avantures_, bien qu’il sache, comme Fénelon
et Racine, que le mot dérive d’_advenire_, mais tous l’ont ainsi
écrit. Les doubles lettres, il les supprime dans _sotise, reconu,
chaufer, efrayer, raporter, nourir, aprobation, acorder, suplier,
embelissement, échaper, afaire, il poura, il a falu_; il écrit même
quelquefois le _tems_. Il supprime l’_y_ dans _sindic, sindicat,
enciclopedie, stile_, et de même qu’il écrit _chatau_, il écrit _potau,
tonnau_[241], _fardau_. Le _z_ remplace aussi le _s_ dans _mazure,
écrazer, lézé, lézine, scandalizé, eau roze, aprez, procez, délabréz_,
etc. Enfin, on remarque souvent le mot _masson_, celui de _sausse_ et
le mot _érecsion_ ainsi écrits.

      [241] Quatre fois _tonnau_ et une fois _tonneau_.

Voici la transcription exacte de quatre de ses lettres à d’Alembert,
toutes d’après les originaux que je possède; la dernière est inédite:

  «A Potsdam, 5 septembre 1752.

  «Vraiment, monsieur, c’est a vous a dire, «je rendray grace au ciel
  et resterai dans Rome.» Quand je parle de rendre grace au ciel,
  ce n’est pas du bien qu’on vous a fait dans votre patrie, mais
  de celuy que vous luy faittes. Vous et Mr Didrot vous faites un
  ouvrage qui sera la gloire de la France, et la honte de ceux qui
  vous ont traversez. Paris abonde de barbouilleurs de papier. Mais
  de philosophes éloquents je ne connais que vous et luy. Il est vrai
  qu’un tel ouvrage devait être fait loin des sots et des fanatiques
  sous les yeux d’un roy aussi _philosofe_ que vous. Mais les secours
  manquent icy totalement. Il y a prodigieusement de _bayonetes_
  et fort peu de livres. Le roy a fort embelli Sparte, mais il n’a
  transporté Athene que dans son cabinet, et il faut avouer que ce
  n’est qu’a Paris que vous pouvez achever cette grande entreprise:
  j’ay assez bonne opinion du ministere pour esperer que vous ne serez
  pas reduit a ne trouver que dans vous même la recompense dun travail
  si utile. Jay le bonheur d’avoir chez moy monsieur labbé de Prades,
  et jespere que le Roy a son retour de la Silesie luy _aportera_ les
  provisions d’un bon benefice. Il ne s’attendait pas que sa _tèse_
  dut le faire vivre du bien de l’eglise, quand elle luy attirait de
  si violentes persecutions. Vous voyez que cette eglise est comme la
  lance d’Achille qui guérissait les blessures qu’elle avait faittes.
  Heureusement les benefices ne sont point en Silesie a la nomination
  de Boyer ny de Couturier. Je ne scai pas si labbé de Prade est
  heretique, mais il me parait honnete homme, aimable et guai. Comme je
  suis toujours tres malade, il _poura_ bien mexhorter a mon agonie,
  il l’eguaiera et ne me demandera point de billet de confession.
  Adieu, monsieur, s’il y a peu de Socrates en France, il y a trop
  d’Anitus et trop de Melitus, et surtout trop de sots, mais je veux
  faire comme Dieu qui _pardonait_ à Sodome en faveur de cinq justes.
  Je vous embrasse de tout mon cœur.»

      V.


  Aux Délices, 18 avril.

  «Ce ne sont pas aujourdui des _liturgies_ que je vous envoie, mon
  cher _philosofe_, ce sont trois brochures de la relligion _vangée_,
  comme elle doit l’être par Bertier et consorts. Je vous prie
  _instament_ de vouloir bien faire rendre à Briasson ce libelle dont
  je n’ay a me reprocher que d’auoir lu la première page.

  «Vos articles de l’_Enciclopedie_ seront l’ecole de la posterité.
  Tout ce qui est de _philosofie_ nouvelle dans ce _dictionaire_ est
  admirable, du moins tout ce que jen ai lu.»

      V.


  Au Chene, par Lausane, 1er septembre.

  «_Manne_ me parait assez bon quoy qu’un peu rabiniste. Je crois que
  les _philosofes_ et les curieux pouront etre _contants_ de l’article.
  Cependant un bon _apoticaire_ en eut dit davantage, et aurait
  demontré _apoticairement_ la superiorité de manne grasse sur manne
  maigre.

  «Mon tres-cher _philosofe_, je suis fort faché d’être à Lausane
  au milieu des platras quand votre _teologal_ est à Geneve. On dit
  que vous _pouriez_ bien revoir le lac cet hiver, vous savez si je
  le souhaitte; nous vous donnerions la comédie à Lausane. Amenes M.
  Didrot et nous luy jouerons son Fils naturel.

  «_Pouriez_-vous, si jamais vous aviez du temps, me dire si vous
  _voiez_ Mme du Deffant, _pouriez_-vous luy dire que je pense toujourz
  a elle quoyque je ne luy écrive point? _Pouriez_-vous faire mes
  compliments au P. Henaut?»

      _Interim vale._

      V.


  Aux Délices, 15 décembre (1756-60).

  «Mon cher maitre, vous ne m’avez point acusé la reception de mon
  petit tribut. Je ne reçois ny mon article _Histoire_, ny ordre de
  vous. J’ay peur davoir parlé trop librement des _Femmes_, mais la
  franchise doit plaire aux _philosofes_. J’ay encor peur de ne vous
  avoir envoyé que des sottises. Une autre peur, c’est de traitter
  fort mal _Idées_. Il y a grande _aparence_ que l’un de vous deux
  s’est chargé de cet article important ou que M. labbé de Condillac le
  fera.

  «J’ay oublié de vous dire que je ne pouvais traitter l’article de
  littérature grecque: 1ment parceque je scais tres peu de grec, 2ment
  parceque je suis sans livres grecs, 3ment parceque je suis ignorant
  surtout en cette partie.

  «Employez moy a boucher des trous, a faire les articles dont vos amis
  de Paris se seront dispensez, et qui _pouront_ être de ma compétence.
  Je suis a vos ordres. Mme Denis vous fait mille compliments. Nous
  souhaittons, mon cher _philosofe_, que toutes vos pensions soient
  toujours payées. Souvenez vous des deux hermites qui vous aiment.»

      V.


Parmi les autres lettres de la correspondance de Voltaire avec
d’Alembert, dont je possède les autographes, je remarque ces mots
écrits ainsi:

  Lettre du 13 novembre.--Aux Delices, où nous voudrions bien vous
  voir: entousiasme, répété _trois fois_, enciclopedie.

  Lettre du 29 novembre 1756.--Je m’aperçois, apartenant, enciclopedie.

  Lettre du 4 février.--Enciclopedie, philosofe, _deux fois_,
  cristianisme.

  Lettre du 29 février.--Enciclopedie.

  Lettre du 22 décembre.--Philosofe, etimologie, biblioteque.

  Lettre du 27, aux Delices.--Dictionaire, teologie, metaphisique.

  Lettre du 8 juillet.--Philosofe, estomac, teologien.

  Lettre du 23 juillet.--Philosofe, _deux fois_.

  Lettre du 2 décembre.--Philosofe, _quatre fois_, citoien, filosofe,
  enciclopedie.

  Lettre du 6 décembre.--Apuyé, vangé, tirannie, philosofe, _deux fois_.

  Lettre du 29 décembre.--Philosofe, téologien, catécumène,
  historiografe.

  Lettre du 3 janvier.--Piramide, metafisique.

  Lettre du 9 janvier.--Biblioteque, teologien, cretien.

  Lettre du 8 juillet.--Philosofe, estomac, teologien.

  Lettre du 23 juillet.--Philosofe, _deux fois_, citoien, filosofe,
  teologien, enciclopedie, bayonete.

  Lettre du 29 décembre.--Philosofe, teologien, catechumène,
  historiographe.

  Lettre du 3 janvier.--Piramides, metaphisicien, teologien, cretien,
  biblioteque.

  Lettre du 21 octobre 1771.--Avantures[242].

      [242] On voit par cet exemple que le mot _avanture_, ainsi écrit
      et imprimé dans les œuvres de Corneille, de Fénelon, de la
      Bruyère, de Racine et autres, était encore ainsi écrit avec _a_
      au temps de Voltaire; et en effet, si l’on voulait se  conformer
      à l’étymologie on devrait aussi écrire _aventage_ qui dérive
      également d’_advenire_.

Je n’ai cru devoir citer ici que l’orthographe personnelle d’un petit
nombre de nos auteurs classiques les plus éminents; mais j’ai pu
m’assurer que l’écriture de la majorité des écrivains distingués du
dix-septième et du dix-huitième siècle est non moins _hétérodoxe_ au
point de vue académique.

Si nous ne possédons aucun autographe de Molière pour nous édifier en
ce qui le concerne, on peut croire qu’il partageait le sentiment si
spirituellement exprimé par Henriette dans les _Femmes savantes_.

On voit, en effet, par la correspondance de Mme de Sévigné que les
femmes les plus spirituelles et les plus élégantes de cette époque ne
se piquaient nullement de purisme orthographique. Leur négligence, sous
ce rapport, semblait une grâce de plus.




APPENDICE _F_.


DES MOTS COMPOSÉS.

J’ai signalé rapidement, dans mes _Observations sur l’orthographe
française_, page 58, le mode de composition des mots susceptibles
d’union adopté par les Grecs et les Latins, et les régularisations
qu’on pourrait opérer, dès à présent, dans notre système de figuration
de ce genre de locutions. Je crois devoir revenir ici sur ce sujet pour
exposer les différentes théories des grammairiens sur la matière, et,
d’abord, les principes mis en usage par les étrangers dans les autres
langues.

Tandis qu’en France l’orthographe des mots composés avec ou sans trait
d’union réclamerait presque une étude de plusieurs années, elle est
d’une simplicité merveilleuse et souvent d’un emploi très-ingénieux
dans toutes les langues de l’Europe.


Les ITALIENS et les ESPAGNOLS ne connaissent l’emploi du trait d’union
que dans le troisième cas ci-dessous des Allemands. Ainsi les Italiens
écrivent: _Dizionario italiano-francese; politico-sociale_; mais ils
emploient la séparation, ou plus souvent l’agglutination, dans tous les
autres cas: après-soupée, _il dopocena_; après-demain, _posdomani_;
contre-poids, _contrappeso_; arc-en-ciel, _arcobaleno_, etc. En
espagnol, on emploie les mêmes procédés: _Diccionario frances-español_;
un entr’acte, _entreacto_; un bas-relief, _bajo relieve_; un
arc-en-ciel, _arco íris_; un porte-drapeau, _portaestandarte_,
etc. Donc, dans ces deux langues néo-latines, point de difficulté
orthographique.


En ALLEMAND: 1er cas. _Sprachkunst_, art du langage, grammaire;
_Sprachlehre_, étude du langage, grammaire; _Springzeit_, le temps de
l’accouplement des bêtes.

Ainsi, deux substantifs joints, sans tiret: point de difficulté pour le
pluriel.

De même, s’il y a trois mots: _Sprachwissenschaft_, mot à mot, création
de la connaissance des langues, la philologie.

2e cas. _Haus- und Familien-Lexikon_, dictionnaire de la maison et de
la famille. Le trait d’union après _Haus_ tient lieu du mot _Lexikon_
et en épargne le double emploi, en dispensant également de l’article.

3e cas. _Theoretisch-praktische Grammatik_, grammaire théorique et
pratique. Les deux adjectifs sont unis pour éviter l’emploi de la
conjonction _und_, et le premier demeure invariable.


Le HOLLANDAIS s’est modelé sur l’allemand.


Le POLONAIS écrit: _Grammatyka teoretyczno-praktyczna_, grammaire
théorique et pratique. _Kolor perlowo-szary_, couleur gris-perle. Le
premier composant est un mot invariable.


Le RUSSE: Русско-французкая Грамматика, grammaire russe-française.
Магазинъ-вахтеръ, un garde-magasin; Магазинъ-вахтеры, des
gardes-magasin: le premier composant est toujours invariable; donc, pas
de difficulté.


L’ANGLAIS possède le trait d’union, dont il fait un emploi aussi simple
qu’ingénieux:

_North-wind_, vent du Nord; _herring-woman_, femme au hareng,
harengère; _eye-service_, service qu’on rend sous les yeux du maître;
_jew-like_, mot à mot, à la manière juive; _Jews-ears_, oreille de
Judas. L’invariabilité du premier mot ne permet jamais d’embarras pour
l’orthographe du pluriel.


En résumé: aucune hésitation pour l’emploi du trait d’union et
l’orthographe des mots composés dans les diverses langues de l’Europe.


Nous sommes moins heureux en FRANÇAIS:

Au lieu de la simplicité des procédés de composition de l’ancien
français qui agglutinait les mots, en les fondant au besoin, ou les
laissait séparés, mais ne connaissait pas le trait d’union, voici DIX
règles, accompagnées d’exceptions, règles sur lesquelles on n’est pas
d’accord, et dont quelques-unes contredisent l’orthographe académique.
Je les extrais de la _Grammaire générale de la langue française_ de M.
Poitevin, tome Ier, p. 74 et suivantes.

  «I. Lorsqu’un nom composé est formé de deux substantifs dont l’un
  qualifie l’autre, ils prennent tous deux la marque du pluriel: des
  _faucons pèlerins_ (sans tiret), des _oiseaux-mouches_ (avec tiret).

  «II. Mais si le second substantif ne peut être considéré comme
  qualificatif de l’autre, l’emploi du nombre est alors subordonné pour
  chacun d’eux au sens particulier qu’il éveille. Ex.: un _appui-main_,
  des _appuis-main_, un _Hôtel-Dieu_, des _Hôtels-Dieu_, un
  _garde-côte_, des _gardes-côtes_, un _bain-marie_, des _bains-marie_,
  un _colin-maillard_, des _colin-maillard_, un _brèche-dents_, des
  _brèche-dents_, un _porc-épics_, des _porcs-épics_.

  «III. Quand un nom est formé d’un substantif et d’un adjectif qui le
  qualifie, ils prennent l’un et l’autre la marque du pluriel. Ex.: des
  _basses-cours_, des _bouts-rimés_.

  «Exceptions: des _grand’mères_, des _grand’messes_, des _grand’rues_,
  etc.; des _blanc-seings_, un _terre-plein_, des _terre-pleins_,
  un _chevau-léger_, des _chevau-légers_, un _cent-suisses_, des
  _cent-suisses_, un _quinze-vingts_, des _quinze-vingts_, un
  _courte-haleine_, des _courte-haleine_.

  «IV. S’il entre dans la formation du nom composé un mot pris
  adjectivement qui ne s’emploie plus seul, il prend, comme le
  substantif, le signe du pluriel. Ex.: un _loup-garou_, des
  _loups-garous_, une _porte cochère_, des _portes cochères_ (sans
  tiret); une _pie-grièche_, des _pies-grièches_, un _loup-cervier_,
  des _loups-cerviers_, un _orang-outang_, des _orangs-outangs_.

  «V. Quand un nom composé est formé de deux substantifs unis par une
  préposition, le premier prend le signe du pluriel, et le second
  substantif, qui sert de complément au premier, reste le _plus
  souvent_ invariable. Ex.: une _belle-de-nuit_, des _belles-de-nuit_,
  un _chef-d’œuvre_, des _chefs-d’œuvre_.

  «VI. Mais quand le terme complémentaire éveille une idée de
  pluralité, ou est le plus ordinairement usité au pluriel, il prend
  un _s_ même au singulier. Ex.: un _serpent-à-sonnettes_, un
  _haut-de-chausses_.

  «VII. Les noms unis par une préposition sont invariables quand ils
  forment une expression où ne figurent que des termes accessoires
  et complémentaires du terme principal sous-entendu. Ex.: des
  _coq-à-l’âne_, des _pied-à-terre_, des _tête-à-tête_.

  «VIII. Quand un nom est formé d’un substantif ou d’un qualificatif et
  d’un mot invariable, le substantif ou le qualificatif s’écrit avec
  ou sans _s_, selon qu’il éveille une idée d’unité ou de pluralité.
  Ex.: des _contre-coups_, des _arrière-saisons_, des _après-dînées_,
  etc.; mais on écrira: des _abat-jour_, des _chasse-marée_, des
  _coupe-gorge_, des _casse-tête_, des _après-midi_, des _hors-d’œuvre_.

  «IX. Les substantifs composés suivants, dans lesquels le second terme
  éveille toujours l’idée de pluralité, devraient prendre, au singulier
  comme au pluriel, un _s_ à la fin de leur terme complémentaire, et
  il serait logique d’écrire: un _brèche-dents_, un _casse-noisettes_,
  un _chasse-chiens_, un _chasse-mouches_, un _cent-gardes_, un
  _cure-dents_, un _cure-oreilles_, un _essuie-mains_, un _garde-fous_,
  un _porte-mouchettes_, un _croque-notes_, etc.

  «Si ce n’est pas, ajoute M. Poitevin, l’orthographe de l’Académie,
  c’est du moins une orthographe essentiellement rationnelle, qui
  subordonne l’expression à l’idée, et, sans considérer l’emploi
  matériel du terme, la met en accord avec l’idée qu’il traduit.»

  «X. Lorsqu’un mot composé ne renferme que des mots invariables
  de leur nature, aucun d’eux ne prend le signe du pluriel: des
  _in-douze_, des _ouï-dire_, des _pourboire_ (sans tiret), des
  _qu’en-dira-t-on_, des _passe-passe_.»

Tout cela est fort ingénieux et très-bien dit; mais, je le demande aux
hommes pratiques, aux instituteurs de la jeunesse, lorsqu’on dictera
une phrase dans laquelle se présente un de ces singuliers à accord
controversé, un de ces pluriels si épineux, accordera-t-on à l’élève
dix minutes de réflexion, et doit-on surcharger sa mémoire d’aussi
puériles minuties? D’ailleurs, ce trait d’union, si multiplié dans nos
dictionnaires et cause de tant d’embarras pour le pluriel, est-il aussi
utile que nos grammairiens semblent le croire? Dans le discours parlé,
on n’en tient jamais compte, et personne, sans doute, ne s’est aperçu
qu’il en résultât la moindre obscurité.

M. Léger Noël, dans l’ouvrage dont nous avons parlé, p. 187, a émis
sur l’emploi du trait d’union des idées toutes différentes de celles de
nos grammairiens. En voici l’analyse:

  «Il faut bien distinguer, dit-il, p. 184, les _noms composés_,
  c’est-à-dire les noms qui, quoique formés de plusieurs mots, ne
  désignent pourtant qu’un seul objet, comme _arc-en-ciel, cul-de-sac_,
  qui équivalent à _iris, impasse_, d’avec certaines locutions
  analogues, certains assemblages de mots qui gardent chacun leur sens
  direct et présentent à l’esprit deux idées successives, comme _robe
  de chambre, billet de logement, billet d’hôpital, aide de camp,
  maréchal de camp, garde du corps, pied de mouton, ver à soie_, etc.

  «Le _trait d’union_ n’est ainsi nommé que parce qu’il sert à marquer
  l’union des parties intégrantes d’un nom composé, lorsqu’elles sont
  de nature à ne pouvoir être mises en contact immédiat. Or, partout où
  il n’y a pas fusion complète des parties, le trait d’union est plus
  qu’inutile, il est nuisible.

  «Des locutions telles que: _barbe-de-bouc, dent-de-loup_, etc.,
  lorsqu’elles sont détournées de leur signification directe,
  et appliquées, par analogie, à certaines plantes, à certains
  instruments, etc., sont des noms composés, ne présentant qu’une idée
  unique sous plusieurs mots, et prennent en conséquence le trait
  d’union. Il ne s’agit ici, en effet, ni de barbe, ni de bouc, ni de
  dent, ni de loup; il ne s’agit que de la plante appelée autrement
  _salsifis sauvage_, et d’une espèce de cheville de fer qui a quelque
  analogie avec une dent de loup. Dans le sens direct et propre, on
  voit qu’il faut écrire sans trait d’union.

  «D’après ce principe, l’Académie a tort d’écrire _eau-de-vie,
  esprit-de-vin, belle-de-jour, écuelle-d’eau, coq-des-jardins_,
  etc.[243]. En effet, quelle différence y a-t-il, au point de vue de
  la grammaire, entre _eau-de-vie_ et _eau de rose, eau de Cologne,
  eau de senteur_? entre _esprit-de-vin_ et _esprit de soufre, esprit
  de sel, esprit de vitriol_? Si vous ne considérez _eau-de-vie_ que
  comme un seul mot, si vous y attachez un autre sens que celui d’une
  _eau_, d’une liqueur _qui donne de la vie_, c’est-à-dire qui excite
  les esprits vitaux, qui ranime, alors pourquoi, dans la formation du
  pluriel, en isolez-vous les termes? Pourquoi n’écrivez-vous pas des
  _eau-de-vies_, sans égard au sens particulier de chaque mot?

      [243] Je ne partage pas sur ce point l’avis de M. L. Noel. Tous
      ces composés, étant détournés de leur sens naturel et direct,
      doivent, selon moi, garder le trait d’union, ou mieux être
      agglutinés en un seul mot. Voyez mon observation à ce sujet, p.
      415.

  «Les mots _de vie, de vin_, dans _eau-de-vie, esprit-de-vin_, comme
  _de senteur, de soufre_, dans _eau de senteur, esprit de soufre_,
  ne sont pas autre chose que le complément déterminatif des mots
  _eau_ et _esprit_. Ces locutions ne sont donc pas plus des noms
  composés que _cul d’artichaut, ciel de lit, bouton d’or, arc de
  triomphe_, etc., parce que chacun des termes qui les composent est
  employé, sinon dans le sens propre, au moins dans un sens naturel et
  direct.

  «Écrivez donc sans trait d’union tout assemblage de mots
  naturellement construits, qui ne s’absorbent pas complètement l’un
  dans l’autre, de manière à n’en faire absolument qu’un; qui ne
  présentent pas dans leur ensemble un sens tout autre que celui qui
  paraît devoir résulter de leurs divers sens particuliers.

  «Mais, si les expressions sont détournées de leur sens naturel, de
  leur sens direct; si le verbe, si l’adverbe est pris substantivement;
  si les adjectifs ne se rapportent plus que d’une manière indirecte
  au substantif qui les accompagne; surtout s’il y a renversement,
  transposition forcée, contraction, etc., alors, à défaut d’une
  intimité plus grande entre les parties, le trait d’union est
  indispensable. Exemples: un _haut-le-pied_, un _pied-plat_[244], un
  _tout-ou-rien_, etc.

      [244] On devrait écrire _piéplat_, comme on écrit _piédestal_
      au lieu de _pied d’estal_.

  «Dans le cas où la réunion des composant semble indiquée, il ne
  faut pas oublier que les consonnes ont entre elles plus ou moins
  d’affinité et qu’elles ne s’accolent pas indistinctement l’une à
  l’autre; qu’il n’est pas dans la nature des organes de la parole de
  pouvoir prononcer rapidement une faible avec une forte, comme _d_,
  par exemple, avec _t, b_ avec _p_. Toute consonne immédiatement
  précédée d’une autre consonne la veut du même degré qu’elle:
  _a_cq_uérir_, _a_ps_ide_, _som_pt_ueux_, etc. De là la nécessité du
  trait d’union, dans certains noms composés, pour tenir à distance
  respectueuse certaines consonnes antipathiques.

  «Pourquoi l’Académie écrit-elle en un seul mot _sangsue, hautbois,
  longtemps_, contrairement à tous les principes? puisque alors
  il faudrait prononcer _sankeçu, hautebois, lonketan_, attendu
  que _toutes les consonnes se prononcent dans le corps des mots_
  (Acad.). La simplification de ces mots ne pourrait s’opérer qu’en
  supprimant la consonne finale du premier mot composant, ainsi qu’il
  suit: _sansue, lontemps, haubois_, etc.; ce qui est du reste tout
  à fait conforme au génie de notre langue, comme le prouvent les
  simplifications suivantes, tout à fait analogues: _voici, soutenir,
  soulever, souligner, soumettre, soupeser, soutirer, souterrain,
  soucoupe, béjaune, chafouin, puîné_, etc.

  «Mais il faut éviter avec le plus grand soin de mettre en contact
  les parties intégrantes d’un nom composé, quand on prévoit que de
  leur choc il pourra résulter quelque perturbation sensible dans le
  système de la prononciation ou de l’orthographe, déjà compliqué
  d’assez de difficultés. N’écrivez donc pas _bouteselle, entresol,
  tournesol, havresac, contreseing, parasol_[245], etc., parce qu’on
  serait induit à prononcer le _s_, entre deux voyelles, comme _z_, et
  que d’ailleurs il est impossible de doubler le _s_ sans rendre fermé
  l’_é_ final du premier mot, lequel nécessairement doit rester muet.

      [245] Dans ces mots, la lettre _s_ conserve toujours son
      véritable son. On ne saurait écrire autrement _parasol_, qui ne
      peut être divisé en deux mots, l’un grec, l’autre français; et
      l’on doit écrire de même _entresol, sousol_.

  «Quand, des deux mots composants, le premier finit par un _e_
  muet et que le second commence par une voyelle, le rapprochement
  ne peut avoir lieu, à cause de l’élision nécessaire de l’_e_
  muet, qui de _porte_, par exemple, ferait _port_, et changerait
  ainsi la physionomie propre du nom entier, de manière à le rendre
  méconnaissable. Il faut donc écrire _morte-eau, porte-aiguille_,
  etc.

  «Mais, chaque fois que rien ne s’oppose au rapprochement des
  parties intégrantes d’un nom composé, rien de mieux que d’opérer ce
  rapprochement, comme l’a fait l’Académie dans _hochequeue, hochepot,
  tournebride, tournebroche, entremets, entretaille, entrelacer,
  entremêler, porteballe, portecollet, portecrayon, portefeuille,
  portemanteau, parterre, atout, trictrac, flonflon_, etc. Pourquoi
  donc écrit-elle encore: _chausse-pied, couvre-pied, couvre-chef,
  chausse-trape, coupe-cul, coupe-gorge, entre-luire, entre-ligne,
  entre-nœud, passe-droit, passe-port, porte-voix, à-compte,
  cric-crac_, etc., mots parfaitement analogues aux premiers?»

       *       *       *       *       *

J’ai encore présente à mon souvenir la discussion qui eut lieu en
1825 au sujet de l’orthographe qu’il conviendrait d’adopter dans le
Dictionnaire de l’Académie pour les mots composés. On reconnaissait
que les mots au nombre de deux, de trois et même de quatre, dont
l’ensemble ne représente qu’un seul objet, qu’une seule idée, ne
devaient pas être laissés écrits séparés les uns des autres, puisque
le sens de chaque mot, pris isolément, offrait une idée tout autre que
celle qu’exprimait leur ensemble. Les grouper en un seul aurait fait
cesser cet inconvénient; mais quoiqu’en eût déjà l’exemple de plusieurs
mots composés ainsi agglutinés, on crut devoir se borner à les réunir
par un tiret plutôt que de les laisser séparés. C’était un acheminement
pour n’en faire plus tard qu’un seul mot, système que je crois le
meilleur. Il est, en effet, le plus logique, et l’Académie, dans ses
diverses éditions, paraît avoir voulu s’y conformer.

Je donne ici, d’après le Dictionnaire de l’Académie, la liste générale
des mots, avec ou sans trait d’union, qui jouent le rôle de mots
composés ou qui méritent véritablement cette dénomination. On jugera
des difficultés qu’offre cette question si compliquée, par l’examen des
contradictions qui ressortent de la comparaison des cas analogues. Il
semble, en y réfléchissant, qu’il soit impossible de sortir d’un pareil
dédale, sans avoir préalablement ramené la théorie de la composition
des mots à des principes simples tirés des lois mêmes qui ont présidé à
la formation de notre langue.

La première colonne de ces tableaux se compose du singulier des
noms composés ou pseudo-composés. Les mots marqués d’un astérisque
ne figurent pas au Dictionnaire de l’Académie. D’après les lexiques
récents, on aurait pu facilement en doubler le nombre.

La seconde colonne contient les pluriels sur lesquels l’Académie s’est
prononcée dans sa dernière édition de 1835.

La troisième colonne renferme les pluriels donnés par M. Poitevin
dans sa _Grammaire générale_, édition de 1856, tome Ier, p. 80. Je
les ai marqués du signe P. Ceux donnés par M. Littré, dans son grand
Dictionnaire historique en cours de publication, sont marqués de
l’abréviation L. Enfin ceux que j’ai fait suivre de la lettre H. sont
tirés du _Code orthographique_ de M. Albert Hétrel, qui a fait de cette
question une recherche approfondie.

La date 1659, que j’ai fait figurer dans quelques cas, se réfère au
_Dictionnaire français-italien_, de Nath. Duez, imprimé à Leyde, chez
Jean Elsevier, cette même année, ouvrage exécuté avec beaucoup de soin
et qui représente fidèlement l’état de l’orthographe française avant
que l’Académie se saisît de cette question.

La quatrième colonne contient les rectifications qu’on pourrait,
peut-être, introduire dès à présent et quelques remarques historiques.


    LISTE GÉNÉRALE

    DES

    MOTS COMPOSÉS OU PSEUDO-COMPOSÉS

    ADMIS AU DICTIONNAIRE DE L’ACADÉMIE.

    Les mots marqués d’un * ne figurent pas au Dictionnaire de
    l’Académie. Le ? indique les mots inutiles.

    Note: Dans la transcription de ce tableau certaines observations
    trop longues dans la troisième et la quatrième colonne ont été
    remplacées par des notes [*] ou numérotées A, B etc.

  +--------------------+------------------+------------------+------------------+
  |        MOTS        |     PLURIELS     |     PLURIELS     |    CORRECTIONS   |
  |  DU DICTIONNAIRE   |      DONNÉS      |  SELON QUELQUES  |     PROPOSÉES    |
  |   DE L’ACADÉMIE    |  PAR L’ACADÉMIE  |   GRAMMAIRIENS   |  ET OBSERVATIONS |
  +--------------------+------------------+------------------+------------------+
  |abandon             |                  |                  |écrit autrefois   |
  |                    |                  |                  |  à bandon        |
  |*abat-faim (un)     |                  |abat-faim (des),  |                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |*abat-foin (un)     |                  |abat-foin (des),  |                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |abat-jour (un)      |abat-jour (des)   |                  |                  |
  |abat-vent (un)      |abat-vent (des)   |                  |                  |
  |abat-voix (un)      |                  |abat-voix (des),  |                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |à-compte (un)       |à-compte (des)    |                  |acompte, L.       |
  |à-coup (un)         |à-coup (des)      |                  |acoup             |
  |acquit-à-caution    |                  |acquits-à-caution |acquit à caution  |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |acquit-patent       |                  |acquits-patents   |                  |
  |adjudant général    |adjudants généraux|                  |                  |
  |  (un)              |  (des)           |                  |                  |
  |adjudant-major (un) |                  |adjudants-majors  |                  |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |adjudant s.-officier|                  |adjudants         |                  |
  |  (un)              |                  |  s.-officiers    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |agnus-castus (un)   |                  |agnus-castus (des)|agnus castus      |
  |aide-chirurgien (un)|                  |aides-chirurgien  |aide-chirurgiens  |
  |                    |                  |  (des)           |  (des)           |
  |aide de camp (un)   |aides de camp     |aides-de-camp     |                  |
  |                    |  (des)           |  (des), P.       |                  |
  |aide-maçon (un)     |                  |aides-maçon (des),|aide-maçons (des) |
  |                    |                  |aides-maçons      |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |aide-major (un)     |aides-majors (des)|                  |                  |
  |aigre-doux, ouce    |aigres-doux, ouces|                  |aigredoux,        |
  |                    |                  |                  |  aigredouces     |
  |aigrefin (un)       |aigrefins (des)   |                  |                  |
  |aigue-marine (une), |                  |aigues-marines    |aigue marine      |
  |  pierre            |                  |  (des), P.       |                  |
  |alentour (d’)       |alentours (les)   |                  |                  |
  |amour-propre (l’)   |amours-propres    |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |*annonce-omnibus    |                  |annonces-omnibus  |                  |
  |  (une)             |                  |  (des)           |                  |
  |antechrist (un)     |                  |antechrists (des) |antichrist        |
  |Anti-Liban (l’)     |                  |                  |                  |
  |antipape            |antipapes (des)   |                  |                  |
  |*Anti-Taurus (l’)   |                  |                  |                  |
  |aparté (un)         |aparté (les)      |                  |apartés (les)     |
  |à peu près          |                  |                  |                  |
  |aplomb (d’)         |                  |                  |                  |
  |appui-main (un)     |                  |appuis-main (des),|appuimain         |
  |                    |                  |  P. L.           |                  |
  |après-demain        |                  |                  |                  |
  |après-dînée (une)   |après-dînées (des)|                  |                  |
  |après-midi (une)    |                  |après-midi (les), |                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |après-soupée (une)  |après-soupées     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |à-propos (un)       |à-propos (des)    |                  |apropos           |
  |arc-boutant (un)    |arcs-boutants     |                  |arcboutant        |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |arc de triomphe (un)|arcs de triomphe  |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |arc-doubleau (un)   |arcs-doubleaux    |                  |arc doubleau      |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |arc-en-ciel (un)    |arcs-en-ciel (des)|                  |arc en ciel       |
  |archidiaconé (un)   |archidiaconés     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |arrache-pied (d’)   |                  |                  |arrachepied (d’)  |
  |arrête-bœuf (un)    |                  |arrête-bœuf (des),|arrêtebœuf        |
  |                    |                  |  H.              |                  |
  |arrière-ban (l’)    |                  |arrière-ban (les),|arrière-bans, au  |
  |                    |                  |  P.              |  pluriel, L.     |
  |arrière-bec (un)    |                  |arrière-becs      |                  |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |arrière bouche (une)|                  |arrière-bouches   |arrière-bouche    |
  |                    |                  |  (des), L. H.    |  (des)           |
  |arrière-boutique    |                  |arrière-boutiques |                  |
  |  (une)             |                  |  (des), P.       |                  |
  |arrière-corps (un)  |                  |arrière-corps     |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |arrière-cour (une)  |                  |arrière-cours     |                  |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |arrière-faix (un)   |                  |arrière-faix      |                  |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |arrière-fief (un)   |arrière-fiefs     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |arrière-garant (un) |                  |arrière-garants   |                  |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |arrière-garde (une) |                  |arrière-gardes    |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |arrière-goût (un)   |                  |arrière-goûts     |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |arrière-ligne (une) |                  |arrière-lignes    |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |arrière-main        |                  |arrière-mains     |                  |
  |  (un et une)       |                  |  (des), P.       |                  |
  |arrière-neveu (un)  |arrière-neveux    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |arrière-pensée (une)|arrière-pensées   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |arrière-petit-fils  |                  |arrière-petits-   |                  |
  |  (un)              |                  |  fils (des), P.  |                  |
  |arrière-point (un)  |arrière-points    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |arrière-saison (une)|                  |arrière-saisons   |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |arrière-train (l’)  |                  |arrière-trains    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |arrière-vassal (un) |                  |arrière-vassaux   |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |arrière-voussure    |                  |arrière-voussures |                  |
  |  (une)             |                  |  (des)           |                  |
  |atout (un)          |atouts (des)      |                  |                  |
  |attrape-lourdaud    |                  |attrape-lourdaud  |                  |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |attrape-mouche (un) |                  |attrape-mouche    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |attrape-nigaud (un) |                  |attrape-nigaud    |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |au deçà             |                  |                  |audeça            |
  |au dedans           |                  |                  |audedans          |
  |au dehors           |                  |                  |audehors          |
  |au delà             |                  |                  |audelà            |
  |au-dessous          |                  |                  |audessous         |
  |au-dessus           |                  |                  |audessus          |
  |au-devant           |                  |                  |audevant          |
  |aujourd’hui         |                  |                  |                  |
  |auparavant          |                  |                  |                  |
  |auprès              |                  |                  |                  |
  |auto-da-fé (un)     |auto-da-fé (des)  |                  |autodafé          |
  |autrefois           |                  |                  |                  |
  |autre fois (une)    |autres fois (les) |                  |                  |
  |auvent (un)         |auvents (des)     |                  |                  |
  |avant-bec (un)      |                  |avant-becs (des), |                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |avant-bras (un)     |                  |avant-bras (les), |                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |avant-corps (un)    |                  |avant-corps (les),|                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |avant-cour (une)    |avant-cours (les) |                  |                  |
  |avant-coureur (un), |avant-coureurs    |                  |avant-courière    |
  |  rrière            |  (les), rrières  |                  |                  |
  |avant-dernier, ière |                  |av.-derniers,     |                  |
  |                    |                  |  ières, P.       |                  |
  |*avant-duc (un)     |                  |avant-ducs (des), |                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |avant faire droit   |                  |avant-faire-droit |avant-faire-droit |
  |  (un)              |                  |  (des), P.       |  (un)            |
  |*avant-fosse (une)  |                  |avant-fosses      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |avant-garde (une)   |avant-gardes (des)|                  |                  |
  |avant-goût (un)     |avant-goûts (des) |                  |                  |
  |avant-hier          |                  |                  |                  |
  |avant-main (un)     |                  |avant-mains       |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |avant-mur (un)      |                  |avant-murs        |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |avant-pêche (une)   |avant-pêches (des)|                  |                  |
  |*avant-pied (l’)    |                  |avant-pieds (des),|                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |avant-port (un)     |                  |avant-ports (des),|                  |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |avant-poste (un)    |avant-postes (des)|                  |                  |
  |avant-propos (un)   |                  |avant-propos      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |avant-quart (un)    |                  |avant-quarts      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |avant-scène (une)   |                  |avant-scènes      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |avant-toit (un)     |                  |avant-toits (des),|                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |avant-train (un)    |                  |avant-trains      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |avant-veille (une)  |                  |avant-veilles     |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |à vau-l’eau         |                  |                  |avauleau, à cause |
  |                    |                  |                  |  de aval et amont|
  |Avé Maria (un)      |Avé Maria (des)   |                  |                  |
  |à verse             |                  |                  |Il pleut à verse. |
  |aveugle-né, née     |                  |aveugles-nés, ées |pl. aveugle-nés[*]|
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] Comme mort-nés, nouveau-nés.                                          |
  |                                                                             |
  |ayant cause (un)    |ayants cause (des)|                  |                  |
  |ayant droit (un)    |ayants droit (des)|                  |                  |
  |bâbord (à)          |                  |                  |                  |
  |bain-marie (un)     |                  |bains-marie (des),|bainmarie         |
  |                    |                  |  P. L. H.        |                  |
  |baisemain (le)      |baisemains (des), |                  |                  |
  |                    |   m. et fém.     |                  |                  |
  |banvin (le)         |banvins (les)     |                  |                  |
  |barbe-de-bouc,      |                  |barbes-de-bouc    |Comme l’Acad.[*]  |
  |  plante            |                  |  (des), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] En 1659, barbe de bouc.                                               |
  |                                                                             |
  |  plante            |                  |  (des), P.       |                  |
  |barbe-de-chèvre,    |                  |barbes-de-chèvre  |                  |
  |  plante            |                  |  (des), P.       |                  |
  |barbe-de-Jupiter,   |                  |barbes-de-Jupiter |                  |
  |  plante            |                  |  (des),          |                  |
  |barbe-de-moine,     |                  |barbes-de-moine   |                  |
  |  plante            |                  |  (des), P.       |                  |
  |barbe-de-renard,    |                  |barbes-de-renard  |                  |
  |  plante            |                  |  (des), P.       |                  |
  |bas bleu (un)       |bas bleus (des)   |                  |                  |
  |bas Breton          |bas Bretons (des) |                  |                  |
  |bas-dessus (un)     |                  |bas-dessus (des)  |                  |
  |Bas-Empire (le)     |                  |                  |Pas de pl.        |
  |bas-fond (un)       |bas-fonds (des)   |                  |                  |
  |bas officier (un)   |bas officiers     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |bas-relief (un)     |bas-reliefs (des) |                  |                  |
  |basse-contre (une)  |                  |basses-contre     |bassecontre       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |basse-cour (une)    |                  |basse-cours       |bassecour         |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |basse-fosse (une)   |basses-fosses     |                  |bassefosse        |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |basse lisse         |                  |basses-lisses     |basselisse        |
  |                    |                  |  (des), P. L.    |                  |
  |                    |Basses-Alpes      |                  |                  |
  |                    |  (départ. des)   |                  |                  |
  |basse-taille (une)  |                  |basses-tailles    |bassetaille       |
  |                    |                  |  (des), P.L.     |                  |
  |*basseterre (une)   |                  |basses terres     |M. P. écrit       |
  |                    |                  |  (des)           |  basse-terre     |
  |*basse voile (une)  |                  |basses voiles     |basse voile[*]    |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] MM. L. et P. écrivent basse-voile.                                    |
  |                                                                             |
  |bas-ventre (le)     |                  |bas-ventre (des), |Pl. bas-ventres.  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |bateau-porte (un)   |                  |bateaux-portes    |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |bateau-poste (un)   |                  |bateaux-poste     |Voir              |
  |                    |                  |  (des)           |  timbres-poste.  |
  |battant-l’œil (un)? |                  |battant-l’œil     |battanlœil        |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |beau-dire (être sur |                  |                  |                  |
  |  son)              |                  |                  |                  |
  |beau-fils (le)      |beaux-fils (des)  |                  |beaufils          |
  |beau-frère (un)     |beaux-frères (des)|                  |beaufrère         |
  |beau-père (un)      |beaux-pères (des) |                  |beaupère          |
  |beaupré (le)        |beauprés (les)    |                  |                  |
  |                    |beaux-arts (les)  |                  |                  |
  |bec-de-cane (un),   |                  |becs-de-cane      |                  |
  |  instr.            |                  |  (des), P.       |                  |
  |bec-à-corbin (un),  |                  |becs-à-corbin     |                  |
  |  instr.            |                  |  (des)           |                  |
  |bec-de-corbin (un)  |becs-de-corbin    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |bec-de-cygne (un)   |                  |becs-de-cygne     |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |bec-de-grue (un),   |                  |becs-de-grue      |                  |
  |  plante            |                  |  (des), P.       |                  |
  |bec-de-lièvre (un)  |                  |becs-de-lièvre    |                  |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |bec-de-vautour,     |                  |becs-de-vautour   |                  |
  |  instr.            |                  |  (des), L.       |                  |
  |becfigue (un)       |becfigues (des)   |                  |                  |
  |béjaune (un), ou bec|béjaunes (des)    |                  |                  |
  |  jaune             |                  |                  |                  |
  |bel esprit (un)     |beaux esprits (de)|                  |                  |
  |belladone (une),    |belladones (des)  |                  |                  |
  |  plante            |                  |                  |                  |
  |bella-donna (la),   |                  |bella-donna (des) |belladonna        |
  |  plante            |                  |                  |                  |
  |belle-dame, plante  |                  |belles-dames      |belledame         |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |belle-de-jour (une),|                  |belles-de-jour    |belledejour       |
  |  pl.               |                  |  (des), P.       |                  |
  |belle-de-nuit (une),|                  |belles-de-nuit    |belledenuit       |
  |  pl.               |                  |  (des), P.       |                  |
  |belle-d’un-jour     |                  |belles-d’un-jour  |belledunjour      |
  |  (la), pl.         |                  |  (des), L.       |                  |
  |belle-fille (une)   |                  |belles-filles     |bellefille        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |belle-mère (une)    |                  |belles-mères      |bellemère         |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |belle-sœur (une)    |belles-sœurs (des)|                  |bellesœur. En     |
  |                    |                  |                  | 1659, belle sœur.|
  |                    |belles-lettres    |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |betterave (une)     |betteraves (des)  |                  |                  |
  |b-fa-si (en)        |                  |                  |                  |
  |bien-aimé, ée       |bien-aimés, ées   |                  |bienaimé          |
  |bien aise           |bien aises        |                  |bienaise          |
  |bien-dire (le)      |                  |bien-dire (des),  |[*]               |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] bien-dire. L'Académie écrit: Le bien faire vaut mieux que le bien dire|
  |       (sans trait d’union).                                                 |
  |                                                                             |
  |bien-disant, ante   |bien-disants,     |                  |biendisant[**]    |
  |                    |  antes           |                  |                  |
  |                                                                             |
  |  [**] biendisant, à cause de _bienfaisant, bienséant_.                      |
  |                                                                             |
  |bien-être (le)      |                  |bien-être, P.     |bienêtre          |
  |bienfaisant, ante   |bienfaisants, tes |                  |                  |
  |bienfait (un)       |bienfaits (des)   |                  |                  |
  |bien-fonds (un)     |biens-fonds (des) |                  |bienfond          |
  |bienheureux, se     |bienheureux, ses  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |   [*] bienheureux. Mais on écrit: il est bien heureux d’en sortir.          |
  |                                                                             |
  |bienséant, ante     |bienséants, antes |                  |                  |
  |bien-tenant, ante   |bien-tenants,     |                  |bientenant,       |
  |                    |  antes           |                  |  à cause de      |
  |                    |                  |                  |  _bienfaisant_.  |
  |bientôt             |                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |   [F] bientôt. Mais on écrit: Vous arrivez bien tôt, bien tard.             |
  |                                                                             |
  |bienveillant, ante  |bienveillants,    |                  |                  |
  |                    |  antes           |                  |                  |
  |*bien-vivre (le)    |                  |                  |bienvivre         |
  |bigame (un), etc.   |bigames (des), etc|                  |                  |
  |bis-blanc (pain)    |                  |bis-blancs (pains)|bis blanc, L.     |
  |bissac (un)         |bissacs (des)     |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |   [*] bissac. De même en un mot tous les composés avec le préfixe latin     |
  |       _bis_.                                                                |
  |                                                                             |
  |blanc-bec (un)      |                  |blancs-becs (des),|blanbec           |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |blanc de baleine    |blancs de baleine |                  |                  |
  |  (le)              |  (les)           |                  |                  |
  |blanc-manger        |                  |blanc-manger      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |blanc seing (un)    |blancs seings     |blanc-seings      |blancs-seings,    |
  |                    |  (des)           |  (des), P.       |   au pl. L.      |
  |blanc signé (un)    |                  |blancs signés     |                  |
  |                    |                  |  (des), 1659     |                  |
  |blé-froment (le)    |                  |                  |blé froment       |
  |blé-mouture (le)    |                  |                  |blé mouture       |
  |blé-seigle (le)     |                  |                  |blé seigle        |
  |bœuf gras (le)      |bœufs gras (les)  |                  |                  |
  |bois gentil (le),   |                  |bois gentils (des)|                  |
  |  arbre             |                  |                  |                  |
  |bon-chrétien (du),  |                  |bons-chrétiens    |bonchrétien       |
  |  poire             |                  |  (des), P. L.    |                  |
  |bonduc (un), arbre  |bonducs (des)     |                  |                  |
  |bon-Henri (le),     |                  |bons-henris (les),|bonhenri[*]       |
  |  plante            |                  |  P.              |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] bonhenri, à cause du pluriel inadmissible autrement.                  |
  |                                                                             |
  |bonhomme (un)       |                  |                  |[**]              |
  |bon homme (un) (V.  |                  |                  |                  |
  |  prud'homme et     |                  |                  |                  |
  |  gentilhomme.)     |                  |                  |                  |
  |                                                                             |
  |  [**] bonhomme: L’Académie ne nous fixe pas pour le pluriel. Je ne crois pas|
  |       qu’on puisse dire comme M. Th. Barrière: les _faux bonshommes_; mais  |
  |       les _faux bonhommes_ (à cause de _bonhomie_), et les enfants          |
  |       s’expriment selon la loi de composition des mots en disant:           |
  |       _Faites-moi des bonhommes._                                           |
  |                                                                             |
  |bonjour (le)        |bonjours (les)    |                  |                  |
  |bonne aventure (dire|                  |bonnes-aventures, |                  |
  |  la)               |                  |  P.              |                  |
  |bonne-dame (la),    |                  |bonnes-dames      |bonnedame         |
  |  plante            |                  |  (des), L.       |                  |
  |bonne fortune (en)  |bonnes fortunes   |bonnes-fortunes,  |                  |
  |                    |  (de)            |  P.              |                  |
  |bonnet-de-prêtre,   |                  |bonnets-de-prêtre |M. L. écrit bonnet|
  |  fortific.         |                  |  (des)           |  à prêtre.       |
  |bonne-voglie (un)?  |                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |   [*] bonne-voglie: Prononcez _voille_. Ce mot n’est plus utile dans un     |
  |       dictionnaire de la littérature.                                       |
  |                                                                             |
  |borne-fontaine (une)|bornes-fontaines  |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |bouche-trou (un)    |                  |bouche-trous      |bouchetrou        |
  |                    |                  |  (des), P. L.    |                  |
  |bouillon-blanc (le),|                  |bouillons-blancs  |                  |
  |  plante            |                  |  (des)           |                  |
  |boule-de-neige (la),|                  |boules-de-neige   |M. L. écrit boule |
  |  plante            |                  |  (des)           |  de neige        |
  |bouledogue (un)     |bouledogues (des) |                  |                  |
  |boule vue (à la)    |                  |                  |                  |
  |bourgmestre (un)    |bourgmestres (les)|                  |                  |
  |bout-dehors ou      |                  |                  |                  |
  |  boute-hors (un)   |                  |boute-hors (des)  |boutehors         |
  |boute-en-train (un) |                  |boute-en-train    |                  |
  |                    |                  |  (des), P. L.    |                  |
  |boute-feu (un)      |boute-feux (des)  |                  |boutefeu          |
  |boute-selle (le)    |                  |boute-selles      |bouteselle        |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |bouton-d’argent     |                  |boutons-d’argent  |                  |
  |  (un), pl.         |                  |  (des), L.       |                  |
  |bouton-d’or (un),   |                  |boutons-d’or      |bouton d’or       |
  |  plante            |                  |  (des), L.       |                  |
  |bout-rimé (un)      |bouts-rimés (des) |                  |bouts rimés       |
  |branche-ursine (la) |                  |branches-ursines  |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |brandevin (du)      |brandevins (des)  |                  |                  |
  |branle-bas (un)     |                  |branle-bas (des), |branlebas         |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |bras-le-corps (à)   |                  |                  |                  |
  |brèche-dent (un ou  |                  |brèche-dents      |brèchedent. M. L. |
  |  une)              |                  |  (des), L.       |  écrit au pl.    |
  |                    |                  |                  |  brèche-dents.   |
  |bredi-breda?        |                  |                  |bredibreda        |
  |bric-à-brac (du)    |                  |bric-à-brac (des),|bricabrac, pour   |
  |                    |                  |  L.              |  éviter le pl.   |
  |                    |                  |                  |  brics-à-bracs.  |
  |*brise-cou (un)     |                  |brise-cou (des),  |brisecou          |
  |                    |                  |  P. L. H.        |                  |
  |brise-glace (un)    |brise-glace (des) |                  |briseglace        |
  |brise-raison (un)   |brise-raison (des)|                  |briseraison       |
  |brise-scellé (un)   |                  |brise-scellés     |brisescellé       |
  |                    |                  |  (des), P. H.    |                  |
  |brise-tout (un)     |                  |brise-tout (des), |brisetout         |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |brise-vent (un)     |brise-vent (des)  |                  |brisevent         |
  |brûle-pourpoint (à) |                  |                  |                  |
  |brûle-tout (un)     |brûle-tout (des)  |                  |brûletout         |
  |çà et là            |                  |                  |                  |
  |cache-cache (à)     |                  |                  |cache cache (à)   |
  |*café-concert (un)  |                  |cafés-concerts    |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |cahin-caha          |                  |                  |cahincaha         |
  |caillebotte (une)   |caillebottes (des)|                  |                  |
  |caille-lait (le),   |                  |caille-lait (des),|                  |
  |  plante            |                  |  P.              |                  |
  |caillot-rosat (du)  |                  |caillots-rosats   |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |cardinal-évêque (un)|                  |cardinaux-évêques |cardinal évêque   |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |carême-prenant (à)  |                  |carême-prenant    |carême-prenant[A] |
  |                    |                  |  (les), P. H.    |                  |
  |casse-cou (un)      |                  |casse-cou (des),  |cassecou[A]       |
  |                    |                  |  P. H.           |                  |
  |*casse-cul (un)?    |                  |casse-cul (des),  |cassecu[C]        |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |*casse-motte (un)   |                  |casse-motte (des),|cassemotte[D]     |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |casse-noisette (un) |                  |casse-noisettes   |cassenoisette[E]  |
  |                    |                  |  (des), P. H.    |                  |
  |casse-noix (un)     |                  |casse-noix (des), |cassenoix         |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |casse-tête (un)     |casse-tête (des)  |                  |cassetête[F]      |
  |                                                                             |
  |   [A] carême-prenant:  M. Littré écrit au pluriel des carêmes-prenants.     |
  |       Caresme prenants, 1659.                                               |
  |   [B] cassecou. M. L. écrit au pl. casse-cou ou casse-cous.                 |
  |   [C] cassecu comme tapecu. Au pl. M. L. écrit casse-cul ou casse-culs.     |
  |   [D] cassemotte, 1659. M. L. écrit au pl. casse-motte ou casse-mottes.     |
  |   [E] cassenoisette. Quelques-uns écrivent, contrairement à l'Acad., un     |
  |       _casse-noisettes_.                                                    |
  |   [F] cassetête. L'Académie écrit: Ce problème est un casse tête, sans trait|
  |       d'union.                                                              |
  |                                                                             |
  |ceci                |                  |                  |                  |
  |cela                |                  |                  |                  |
  |celui-ci, celle-ci  |ceux-ci, celles-ci|                  |                  |
  |celui-là, celle-là  |ceux-là, celles-là|                  |                  |
  |*cent-gardes (un)   |                  |cent-gardes (les) |                  |
  |                    |Cent-jours (les)  |                  |                  |
  |Cent-Suisse (un)    |Cent-Suisses (des)|                  |                  |
  |cerf dix cors (un)  |cerfs dix cors    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |cerf-volant (un)    |                  |cerfs-volants     |cervolant         |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |c’est-à-dire        |                  |                  |                  |
  |champ clos (en)     |                  |champs clos (les) |                  |
  |champ de mai (un)   |champs de mai     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |champ de Mars (le)  |                  |                  |Champ de Mars, à  |
  |                    |                  |                  |  Paris.          |
  |champ de mars (un)  |champs de mars    |                  |assemblée tenue en|
  |                    |  (des)           |                  |  mars            |
  |                    |champs Élysées    |                  |                  |
  |                    |   (les), myth.   |                  |                  |
  |                    |                  |Champs-Élysées    |                  |
  |                    |                  |  (les) à Paris   |                  |
  |chape-chute         |                  |                  |chapechute        |
  |  (chercher)        |                  |                  |                  |
  |char à bancs (un)   |                  |chars-à-bancs     |charaban. Au pl.  |
  |                    |                  |  (des), P. L.    |  on prononce,    |
  |                    |                  |chars à bancs     |  dit M. Littré,  |
  |                    |                  |  (des), H.       |  charaban.       |
  |*chasse-chien (un)  |                  |chasse-chien      |chassechien       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |*chasse-coquin (un) |                  |chasse-coquin     |chassecoquin      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |chasse-cousin (un)  |                  |chasse-cousin     |chassecousin      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                    |                  |chasse-cousins    |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |chassé croisé (un)  |chassés croisés   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |chasse-marée (un)   |chasse-marées     |chasse-marée      |chassemarée       |
  |                    |  (des)           |  (des), P.       |                  |
  |chasse-mouche (un)  |                  |chasse-mouches    |chassemouche[*]   |
  |                    |                  | (des), P.        |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] M. Poitevin écrit, contrairement à l'Acad., un chasse-mouches         |
  |                                                                             |
  |château fort (un)   |châteaux forts    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |*château-margaux    |                  |château-margaux   |                  |
  |  (boire du)        |                  |  (des)           |                  |
  |chat-huant (un)     |chats-huants (les)|                  |chahuant, 1659.   |
  |chauffe-cire (un)   |                  |chauffe-cire      |chauffecire       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |*chauffe-linge (un) |                  |chauffe-linge     |chauffelinge      |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |*chauffe-lit (un)   |                  |chauffe-lit (des),|chauffelit        |
  |                    |                  | P., chauffe-lits,|                  |
  |                    |                  | chauffe-lits     |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |*chauffe-pieds (un) |                  |chauffe-pieds     |chauffepied.      |
  |                    |                  |  (des), P.       |Chauffe-pied,     |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |chausse-pied (un)   |                  |chausse-pieds     |chaussepied       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |chausse-trape (une) |chausse-trapes    |                  |chaussetrape.     |
  |                    |  (des)           |                  |  Chaussetrape,   |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |chauve-souris (une) |chauves-souris    |                  |chauvesouris,     |
  |                    |  (des)           |                  |  1659.           |
  |chef-d’œuvre (un)   |chefs-d’œuvre     |                  |chefdœuvre ou     |
  |                    |  (des)           |                  |  chêdeuvre       |
  |chef-lieu (un)      |chefs-lieux (des) |                  |cheflieu          |
  |*chêne-liége (un)   |                  |chênes-liéges     |chêne liége       |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |*cheval de frise    |chevaux de frise  |                  |                  |
  |  (un)              |  (des)           |                  |                  |
  |chevau-léger (un)   |chevau-légers     |chevaux-légers    |chevauléger.      |
  |                    |  (les)           |  (les), P.       |  Chevaux légers, |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |chèvrefeuille (un)  |chèvrefeuilles    |chèvres-feuilles  |[*]               |
  |                    |   (des)          |  (des), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] Heureusement l’Académie a réuni les parties de ce composé, car le     |
  |       pluriel proposé par M. Poitevin est inadmissible.                     |
  |                                                                             |
  |chèvre-pied, adj. m.|chèvre-pieds      |                  |chèvrepied.       |
  |                    |   (dieux)        |                  |  Chèvre-pied,    |
  |                    |                  |                  |  1659            |
  |*chie-en-lit (un)   |                  |chie en lit (des) |chienlit          |
  |chiendent (du)      |chiendents (des)  |                  |                  |
  |*chien-loup (un)    |                  |chiens-loups      |chien loup        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |*chien-marin (un)   |                  |chiens-marins     |chien marin       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |choléra-morbus (le) |                  |choléra-morbus    |coléra            |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |choucroute (la)     |choucroutes (les) |                  |                  |
  |chou-fleur (le)     |choux-fleurs (les)|                  |choufleur.--Choux |
  |                    |                  |                  |  fleurs, 1659.   |
  |chou-navet (la)     |                  |choux-navets      |chou navet,       |
  |                    |                  |  (les), P. L.    |  ou plutôt       |
  |                    |                  |                  |  chounavet.      |
  |chou-pille (un)     |                  |choux-pille (des) |choupille, chien  |
  |                    |                  |                  |  de chasse.      |
  |chou-rave (le)      |                  |choux-raves       |chou rave, ou     |
  |                    |                  |  (les), P.       |  chourave comme  |
  |                    |                  |                  |  betterave.      |
  |christe marine (une)|christes marines  |                  |[*]               |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] M. L. écrit à tort christe-marine avec trait d’union.                 |
  |                                                                             |
  |ci-après, ci-contre,|                  |                  |cicontre,         |
  |  ci-devant,        |                  |                  |  cidessus, etc., |
  |  ci-dessus,        |                  |                  |  mais ci inclus, |
  |  ci-inclus,        |                  |                  |  ci joint.       |
  |  ci-joint, etc.    |                  |                  |                  |
  |ci-devant (un)      |                  |ci-devant (des)   |cidevant          |
  |ciel de lit (un)    |ciels de lit (des)|ciels-de-lit      |cieldelit, à cause|
  |                    |                  |  (des), P.       |  du pluriel. Ciel|
  |                    |                  |                  |  de lit, 1659.   |
  |ci-git, verbe       |ci-gisent         |                  |                  |
  |                    |Cinq-cents        |                  |                  |
  |                    |  (conseil des)   |                  |                  |
  |*clair-brun, brune  |clair-bruns,      |                  |                  |
  |                    |  brunes          |                  |                  |
  |claire-voie (à)     |                  |claires-voies     |clairevoie        |
  |                    |                  |  (des), P. L.    |                  |
  |clair-obscur (le)   |                  |clairs-obscurs    |clairobscur       |
  |                    |                  |  (les)           |                  |
  |clair-semé, ée      |clair-semés, ées  |                  |clairsemé.--Clair |
  |                    |                  |                  |  semé, 1659      |
  |*claque-bois (un)   |claque-bois (des) |                  |claquebois        |
  |claquedent (un)     |claquedents (des) |                  |                  |
  |claquemurer         |                  |                  |                  |
  |*claque-oreilles    |                  |claque-oreilles   |                  |
  |  (un)              |                  |  (des), P. L.    |                  |
  |cligne-musette      |                  |                  |                  |
  |  (à la)            |                  |                  |                  |
  |clin d’œil (un)     |clins d’œil (des) |clins-d’œil (des),|[*]               |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] C’est à tort que M. Poitevin met un trait d’union, puisque le sens est|
  |       naturel.                                                              |
  |                                                                             |
  |cloche-pied (à)     |                  |                  |clochepied        |
  |clopin-clopant      |                  |                  |clopin clopant    |
  |  (aller)           |                  |                  |                  |
  |*clos-vougeot       |                  |                  |                  |
  |  (boire du)        |                  |                  |                  |
  |coassocié, ée, etc. |coassociés, ées   |                  |[*]               |
  |cœur joie (à)       |                  |                  |cœur-joie (à)     |
  |                                                                             |
  |   [*] Il n’y a pas d’exception pour la juxtaposition des mots avec le       |
  |       préfixe _co_. C’est à tort que M. Poitevin fait trois ou quatre       |
  |       distinctions: _co-associé, co-état, co-évêque, co-religionnaire_.     |
  |                                                                             |
  |coffre-fort (un)    |                  |coffres-forts     |coffrefort        |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |cogne-fétu (un)     |                  |cogne-fétu ou     |cognefétu         |
  |                    |                  |  fétus (des)     |                  |
  |colin-maillard (un) |                  |colins-maillards  |colinmaillard[*]  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |*colin-tampon       |                  |                  |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] colinmaillard, car ce pluriel est un des cas les plus épineux de la   |
  |       syntaxe des noms composés.--Colin maillard,. 1659.                    |
  |                                                                             |
  |colle forte (la)    |colles fortes     |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |collet monté, adj.  |                  |                  |                  |
  |commissaire-priseur |                  |commissaires-     |commissaire       |
  |  (un)              |                  |  priseurs (des)  |  priseur         |
  |commis voyageur (un)|commis voyageurs  |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |compte courant (un) |comptes courants  |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |compte rendu (un)   |comtes rendus     |                  |[*]               |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] M. Arage a fait adopter à l’Académie des sciences cette forme:        |
  |       _compte-rendu_.                                                       |
  |                                                                             |
  |comté-pairie (un)   |                  |comtés-pairies    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |contrapontiste (un) |contrapontistes   |                  |[G]               |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |contre-allée (une)  |contre-allées     |                  |contrallés[H]     |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |                                                                             |
  |   [G] Jamais de disjonction avec le préfixe latin _contra_.                 |
  |   [H] De même tous les composés formés avec la préposition _contre_.        |
  |                                                                             |
  |contre-amiral (un)  |contre-amiraux    |                  |contramiral       |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |*contre-appel (un)  |                  |contre-appels     |contrappel        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                    |contre-approches  |                  |contrapproches    |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |contre-balancer     |                  |                  |contrebalancer,   |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |contrebande (la)    |contrebandes (les)|                  |                  |
  |contre-bas (en)     |                  |                  |contrebas (en)    |
  |contre-basse (une)  |contre-basses     |                  |contrebasse, 1659.|
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |contre-batterie     |                  |contre-batteries  |contrebatterie,   |
  |  (une)             |                  |  (des)           |  1659.           |
  |contre-boutant (un) |                  |contre-boutants   |contreboutant,    |
  |                    |                  |  (des), L.       |  1659.           |
  |contre-calquer      |                  |                  |contrecalquer     |
  |contrecarrer        |                  |                  |                  |
  |*contre-charge (une)|                  |contre-charges    |contrecharge,     |
  |                    |                  |  (des), P.       |  1659.           |
  |contre-charme (un)? |                  |contre-charmes    |contrecharme      |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |contre-châssis (un) |                  |contre-châssis    |contrechâssis     |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |contre-clef (une)   |                  |contre-clefs      |contreclef        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-cœur (un),   |                  |contre-cœurs      |contrecœur        |
  |  serr.             |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-cœur (à)     |                  |                  |contrecœur (à),   |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |contre-coup (un)    |                  |contre-coups      |contrecoup        |
  |                    |                  |  (les), P.       |                  |
  |contre-courant (un) |contre-courants   |                  |contrecourant     |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |contredanse (une)   |contredanses (des)|                  |                  |
  |contredire          |                  |                  |                  |
  |contredisant, ante  |contredisants,    |                  |                  |
  |                    |  antes           |                  |                  |
  |contredit (un)      |contredits (des)  |                  |                  |
  |contre-échange (un) |                  |contre-échanges   |contréchange.     |
  |                    |                  |  (des), P.       |  Contreschange,  |
  |                    |                  |                  |  1659            |
  |contre-enquête (une)|                  |contre-enquêtes   |contrenquête      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-épreuve (une)|                  |contre-épreuves   |contrépreuve      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-espalier (un)|                  |contre-espaliers  |contrespalier,    |
  |                    |                  |  (des)           |  comme           |
  |                    |                  |                  |  contrescarpe.   |
  |contrefaçon (la)    |contrefaçons (des)|                  |                  |
  |contrefacteur (un)  |contrefacteurs    |                  |                  |
  |                    |   (des)          |                  |                  |
  |contrefaiseur (un)  |contrefaiseurs    |                  |                  |
  |                    |   (des)          |                  |                  |
  |*contre-fenêtre     |                  |contre-fenêtres   |contrefenêtre.    |
  |  (une)             |                  |  (des), P.       |  Contrefenestre, |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |*contre-fente(une)  |                  |contre-fentes     |contrefente       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-fiche (une)  |contre-fiches     |                  |contrefiche       |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |contre-finesse (une)|                  |contre-finesses   |contrefinesse,    |
  |                    |                  |  (des), P.       |  1659.           |
  |contre-fort (un)    |contre-forts (des)|                  |contrefort, 1659. |
  |contre-fugue (une)  |                  |contre-fugues     |contrefugue       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-garde (une)  |                  |contre-gardes     |contregarde, 1659 |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |contre-hachure (une)|                  |contre-hachures   |contrehachure     |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |contre-hâtier (un)  |                  |contre-hâtiers    |contrehâtier      |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |contre-indication   |                  |contre-indications|contrindication   |
  |  (une)             |                  |  (des), L.       |                  |
  |contre-jour (un)    |                  |contre-jour (des),|contrejour        |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |contre-latte (une)  |                  |contre-lattes     |contrelatte       |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |contre-lettre (une) |                  |contre-lettres    |contrelettre,     |
  |                    |                  |  (des), P.       | 1659.            |
  |contre-maître (un)  |                  |contre-maîtres    |contremaître, pour|
  |                    |                  |  (des), P        | éviter le pluriel|
  |                    |                  |                  | illogique:       |
  |                    |                  |                  | contre-maîtres   |
  |contremander        |                  |                  |                  |
  |contre-marche (une) |                  |contre-marches    |contremarche,     |
  |                    |                  |  (des), P.       | 1659.            |
  |contre-marée (une)  |                  |contre-marées     |contremarée       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-marque (une) |                  |contre-marques    |contremarque      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-mine (une)   |                  |contre-mines      |contremine, 1659. |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-mont, loc.   |                  |                  |contremont, 1659. |
  |  adv.              |                  |                  |                  |
  |contre-mur (un)     |                  |contre-murs (des),|contremur         |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |contre-opposition   |                  |contre-oppositions|contropposition   |
  |  (une)             |                  |  (des), L.       |                  |
  |contre-ordre (un)   |                  |contre-ordres     |contrordre        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |*contre-ouverture   |                  |contre-ouvertures |controuverture    |
  |   (une)            |                  |  (des), H.       |                  |
  |*contre-pal (un)    |                  |contre-pals (des),|contrepal         |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |contre-partie (une) |                  |contre-parties    |contrepartie      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-peser        |                  |                  |contrepeser       |
  |contre-pied (le)    |                  |                  |contrepied[*]     |
  |                                                                             |
  |   [*] contrepied, 1659. L'idée de pied a disparu; pas de pl.                |
  |                                                                             |
  |contre-platine (une)|                  |contre-platines   |contreplatine     |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |contre-poids (un)   |                  |contre-poids (des)|[*]               |
  |                                                                             |
  |   [*] On écrit généralement contrepoids.--Contrepois, 1659.                 |
  |                                                                             |
  |contre-poil (à)     |                  |                  |contrepoil (à),   |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |*contre-poinçon (un)|                  |contre-poinçons   |contrepoinçon     |
  |                    |                  |  (les)           |                  |
  |contre-point (le)   |                  |contre-points     |contrepoint, 1659.|
  |                    |                  |  (les), P.       |                  |
  |*contre-pointe (la) |                  |                  |contrepointe      |
  |contre-pointer      |                  |                  |contrepointer,    |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |contre-poison (un)  |                  |contre-poisons    |contrepoison,     |
  |                    |                  |  (des), P.       |  1659.           |
  |contre-porte (une)  |                  |contre-portes     |contreporte, 1659.|
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-révolution   |                  |contre-révolutions|contrerévolution  |
  |  (une)             |                  |  (des), P.       |                  |
  |*contre-ronde (une) |                  |contre-rondes     |contreronde, 1659.|
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |contre-ruse (une)   |                  |contre-ruses      |contreruse, 1659. |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |*contre-saison (une)|                  |contre-saisons    |contresaison      |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |contre-sanglon (un) |                  |contre-sanglons   |contresanglon     |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |contrescarpe (une)  |contrescarpes     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |contre-scel (un)    |                  |contre-scels      |contrescel[*]     |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |   [*]  contrescel, pour qu’on ne soit pas tenté par analogie avec ce qui    |
  |        précède de former le pluriel _contre-sceaux_.--Contrescel, 1659.     |
  |                                                                             |
  |contre-seing (un)   |                  |contre-seings     |contreseing, 1659.|
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |contre-sens (un)    |contre-sens (des) |                  |contresens        |
  |contre-signer       |                  |                  |contresigner      |
  |*contretaille (une) |                  |contretailles     |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |contre-temps (un)   |contre-temps (des)|                  |contretemps, 1659.|
  |contre-terrasse     |                  |contre-terrasses  |contreterrasse    |
  |  (une)             |                  |  (des), L.       |                  |
  |contre-tirer        |                  |                  |contretirer, 1659.|
  |contrevallation     |contrevallations  |                  |                  |
  |  (une)             |  (des)           |                  |                  |
  |contrevenir         |                  |                  |                  |
  |contrevent (un)     |contrevents (des) |                  |                  |
  |contre-vérité (une) |contre-vérités    |                  |contrevérité      |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |copartageant (un)   |copartageants     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |copropriétaire (un) |copropriétaires   |                  |[*]               |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] C’est à tort que M. Poitevin met ici le trait d’union.                |
  |                                                                             |
  |coq-à-l’âne (un)    |coq-à-l’âne (des) |                  |cocalâne          |
  |coq en pâte (un)    |coqs en pâte (des)|                  |                  |
  |cordon bleu (un)    |cordons bleus     |cordons-bleus     |[*]               |
  |                    |  (des)           |  (des), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] C’est à tort que M. Poitevin introduit le trait d’union.              |
  |                                                                             |
  |cordon bleu (un),   |cordons bleus     |                  |cordonbleu        |
  |  cuisin.           |  (des)           |                  |                  |
  |coreligionnaire (un)|coreligionnaires  |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |corps de garde (un) |corps de garde    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |corps de logis (un) |corps de logis    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |corps franc (un)    |corps francs (des)|                  |                  |
  |corps-saint (un)    |corps-saints (des)|                  |corps saint, sans |
  |                    |                  |                  | trait d’union: le|
  |                    |                  |                  | sens est direct. |
  |couci-couci         |                  |                  |couci couci, comme|
  |                    |                  |                  | flic flac.       |
  |cou-de-pied (un)    |                  |cou-de-pied (des),|coudepied, à cause|
  |                    |                  |  P., cous-de-pied| du pluriel       |
  |                    |                  |  (des), L. et H. | litigieux.       |
  |coup d’œil (un)     |coups d’œil (des) |                  |                  |
  |coupe-cul (un)      |                  |coupe-cul (des),  |coupecu, comme    |
  |                    |                  |  P.              | tapecu.          |
  |coupe-gorge (un)    |                  |coupe-gorge (des),|coupegorge        |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |coupe-jarret (un)   |coupe-jarrets     |                  |coupejarret[*]    |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] M. Poitevin écrit: un coupe-jarrets. Coupe jarret, 1659.              |
  |                                                                             |
  |*coupe-pâte (un)    |                  |coupe-pâte (des), |coupepâte         |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |coupe-tête (un)     |                  |coupe-tête (des), |coupetête         |
  |                    |                  |  P., H.          |                  |
  |court-bouillon (un) |                  |courts-bouillons  |court bouillon,   |
  |                    |                  |  (des), P., L.   |  1659            |
  |courte-botte (un)?  |                  |courtes-bottes    |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |courte paille (la)  |                  |courtes-pailles   |Pas de trait      |
  |                    |                  |  (des), P.       |  d'union, pas de |
  |                    |                  |                  |  pluriel         |
  |courte-pointe (une) |                  |courtes-pointes   |courtepointe, en  |
  |                    |                  |  (des), P.       |  latin: _culcitra|
  |                    |                  |                  |  puncta_.        |
  |courtier marron (un)|courtiers marrons |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |court-jointé, ée    |court-jointés, ées|                  |                  |
  |court vêtu, ue, adj.|court vêtus, ues  |                  |                  |
  |couvre-chef (un)    |                  |couvre-chef (des),|couvrechef.       |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |couvre-feu (le)     |                  |couvre-feu (des), |couvrefeu.        |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |couvre-pied (un)    |                  |couvre-pieds      |[*]               |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] M. Poitevin écrit avec raison: un couvre-pieds; mais couvrepied d’un  |
  |        seul mot est plus simple.                                            |
  |                                                                             |
  |crête-de-coq (la),  |                  |crêtes-de-coq     |                  |
  |  plante            |                  |  (des), L.       |                  |
  |crève-cœur (un)     |                  |crève-cœur (des), |un crèvecœur, des |
  |cric crac           |                  |  P.              |   crèvecœurs[*]. |
  |                                                                             |
  |   [*] MM. P. et L. mettent ici un trait d’union: je le crois inutile.       |
  |                                                                             |
  |crincrin (un)       |crincrins (des)   |                  |                  |
  |croc-en-jambe (un)  |                  |crocs-en-jambes   |[*]               |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                    |                  |  crocs-en-jambe  |                  |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] Pluriel litigieux. M. Poitevin a tort d’écrire au singulier:          |
  |        croc-en-jambes, puisque le croc n’opère que sur une seule jambe, et  |
  |        personne ne consentira à prononcer avec lui: des _crozenjambes_. Ce  |
  |        mot serait mieux écrit crocanjambe.                                  |
  |                                                                             |
  |croix-pile (à)      |                  |                  |croix ou pile (à) |
  |croque-mort (un)    |                  |croque-morts      |croquemort[*]     |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |croque-note (un)    |                  |croque-notes (des)|croquenote[**]    |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] croquemort: le pluriel est embarrassant, et il y a évidemment         |
  |        métaphore.                                                           |
  |  [**] croquenote: M. Poitevin écrit au singulier croque-notes.              |
  |                                                                             |
  |cul-blanc (un),     |                  |culs-blancs (des),|cublanc           |
  |  oiseau            |                  |  L.              |                  |
  |cul de basse-fosse  |culs de           |                  |basse fosse       |
  |  (un)              | basse-fosse (des)|                  |                  |
  |cul-de-jatte (un)   |                  |culs-de-jatte     |[*]               |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |cul-de-lampe (un)   |culs-de-lampe     |                  |[**]              |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |                                                                             |
  |   [*] cudejatte est plus convenable, et le pluriel cudejattes sans          |
  |       difficulté. Cul de jatte, 1659.                                       |
  |  [**] On écrirait mieux cudelampe et cudelampes au pluriel: l’idée          |
  |       représentée par le premier mot du composé n’étant pas exacte.         |
  |                                                                             |
  |cul de plomb (un)   |culs de plomb     |                  |cudeplomb         |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |cul de poule (un),  |culs de poule     |culs-de-poule     |cudepoule         |
  |  serrur.           |  (des)           |  (des), L.       |                  |
  |cul-de-sac (un)     |                  |culs-de-sac (des),|De même pour      |
  |                    |                  |  P.              |  cudesac.        |
  |cure-dent (un)      |cure-dents (des)  |                  |curedent, 1659. M.|
  |                    |                  |                  |  Poitevin écrit  |
  |                    |                  |                  |  un cure-dents.  |
  |cure-môle (un)      |                  |cure-môles (des), |                  |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |cure-oreille (un)   |                  |cure-oreilles     |M. Poitevin écrit |
  |                    |                  |  (des), P. L.    |  un cure-oreilles|
  |custodi-nos (un)?   |custodi-nos (des) |                  |_custodi-nos_     |
  |dame-jeanne (une)   |                  |dames-jeannes     |damejeanne[*]     |
  |                    |                  |  (des), O. L. H. |                  |
  |*danse de Saint-Guy |                  |                  |[**]              |
  |                                                                             |
  |   [*] damejeanne, pour la simplicité et la logique.                         |
  |  [**] On pourrait peut-être écrire danse de saint Gui.                      |
  |                                                                             |
  |de ci, de là,       |                  |                  |                  |
  |  au delà, en delà, |                  |                  |On écrit deçà et  |
  |  par delà          |                  |                  |   delà           |
  |déjà                |                  |                  |Contraction de dès|
  |                    |                  |                  |  jà              |
  |demi-aune (une),    |                  |demi-aunes (des)  |                  |
  |  etc.              |                  |                  |                  |
  |demi-bain (un)      |demi-bains (des)  |                  |                  |
  |*demi-fortune (une),|                  |demi-fortunes     |demifortune       |
  |  carr.             |                  |  (des)           |                  |
  |demi grand aigle    |                  |                  |                  |
  |  (papier)          |                  |                  |                  |
  |dent-de-lion (une), |                  |dents-de-lion     |dandelion[*]      |
  |  (plante)          |                  |  (des)           |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] dandelion, comme Pissenlit. Voir COMPL. DE L’ACAD.                   |
  |                                                                             |
  |dent-de-loup (une), |                  |dents-de-loup     |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |derechef            |                  |                  |                  |
  |dès-là              |                  |                  |dès là, comme dès |
  |                    |                  |                  |  lors.           |
  |dès lors            |                  |                  |                  |
  |désormais           |                  |                  |[*]               |
  |deux-centième (un)  |                  |                  |[**]              |
  |                                                                             |
  |    [*] Contr. de: dès ore mais (mais, de _magis_).                          |
  |   [**] On écrit: les deux centièmes, la deux centième partie.               |
  |                                                                             |
  |deux-points (un)    |                  |deux-points (les) |                  |
  |dissyllabe          |dissyllabes       |                  |disyllabe         |
  |docteur ès sciences |docteurs ès       |                  |                  |
  |  (un)              |  sciences (des)  |                  |                  |
  |docteur-médecin (un)|                  |docteurs-médecins |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |doit et avoir (par) |                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] M. Poitevin met ici abusivement des traits d’union.                  |
  |                                                                             |
  |                    |dommages et       |                  |                  |
  |                    |  intérêts (des)  |                  |                  |
  |                    |dommages-intérêts |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |dorénavant          |                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] Contraction de de ore en avant.                                      |
  |                                                                             |
  |double-as (le),     |                  |                  |                  |
  |  domino            |                  |                  |                  |
  |*double-blanc (le), |                  |doubles-blancs    |                  |
  |  dom.              |                  |  (les)           |                  |
  |double croche (une) |doubles croches   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |double feuille (une)|                  |                  |[*]               |
  |double-quarte       |                  |double-quartes    |                  |
  |  (fièvre)          |                  |                  |                  |
  |douce-amère (la)    |                  |douces-amères     |[**]              |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] M. Poitevin met ici abusivement un trait d’union.                    |
  |   [**] Quel sera la pluriel? Douces-amères, sans doute. Puisqu’il s’agit de |
  |        traduire le latin _dulcamara_, et non _dulcis amara_, que            |
  |        n’écrivons-nous douçamère?                                           |
  |                                                                             |
  |duché-pairie (un)   |                  |duchés-pairies    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |dure-mère (la),     |                  |dures-mères (les) |                  |
  |  anat.             |                  |                  |                  |
  |eau-de-vie (une)    |                  |eaux-de-vie       |eau de vie, 1659  |
  |                    |                  |  (des), P.       | ou même eaudevie.|
  |eau-forte (une)     |eaux-fortes (des) |                  |eauforte. Eau     |
  |                    |                  |                  | forte, 1659.     |
  |eau mère (une)      |eaux mères (des)  |                  |                  |
  |                    |eaux et forêts    |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |ecce homo (un)      |                  |ecce homo (des),  |_ecce homo_       |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |écoute s’il pleut   |                  |écoute-s’il-pleut |[*]               |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] M. Poitevin met le trait d’union, contrairement à l’Académie.        |
  |                                                                             |
  |*électro-aimant (un)|                  |électro-aimants   |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |*électro-chimique,  |                  |électro-chimiques |électrochimique   |
  |  adj.              |                  |                  |                  |
  |électrophore (un)   |électrophores     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |*électrotypie (l’)  |                  |                  |Pas de pl.        |
  |*encaisse (l’)      |                  |encaisses (les)   |                  |
  |*en cas (un)        |                  |encas (des), H.   |encas             |
  |en deçà, en delà,   |                  |                  |                  |
  |  en dedans,        |                  |                  |                  |
  |  en dehors,        |                  |                  |                  |
  |  en dessus,        |                  |                  |                  |
  |  en dessous        |                  |                  |                  |
  |*entête (un)        |                  |entêtes (des)     |                  |
  |entr’accorder (s’)  |                  |                  |entracorder (s’)  |
  |entr’accuser (s’)   |                  |                  |entraccuser (s’)  |
  |entr’acte (un)      |entr’actes (des)  |                  |entracte[*]       |
  |                                                                             |
  |    [*] entracte: M. Poitevin écrit un entr’actes.                           |
  |                                                                             |
  |entr’admirer (s’)   |                  |                  |entradmirer (s’)  |
  |entr’aider (s’)     |                  |                  |entraider (s’)    |
  |entr’aimer (s’)     |                  |                  |entraimer (s’)    |
  |entr’appeler (s’)   |                  |                  |entrappeler (s’)  |
  |entr’avertir (s’)   |                  |                  |entravertir (s’)  |
  |entre autres        |                  |                  |                  |
  |entre-bâiller       |                  |                  |entrebâiller[*]   |
  |                                                                             |
  |    [*] Entrebâiller. Entrebasiller, 1659.                                   |
  |                                                                             |
  |entre-baiser (s’)   |                  |                  |entrebaiser (s’), |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |entrechat (un)      |entrechats (des)  |                  |                  |
  |entre-choquer (s’)  |                  |                  |entrechoquer (s’) |
  |                    |                  |                  |  Entrechocquer,  |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |entre-colonne (un)  |entre-colonnes    |                  |entrecolonne[*]   |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |entre-côte (un)     |                  |entre-côtes (des),|entrecôte[**]     |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] entrecolonne (une). M. Poitevin écrit un entre-colonnes.             |
  |   [**] entrecôte, fém. M. Poitevin écrit une entre-côtes.                   |
  |                                                                             |
  |entrecouper         |                  |                  |                  |
  |entre-croiser (s’)  |                  |                  |entrecroiser (s’),|
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |entre-déchirer (s’) |                  |                  |entredéchirer (s’)|
  |entre-détruire (s’) |                  |                  |entredétruire (s’)|
  |entre-deux (un)     |                  |entre-deux (des), |entredeux[*]      |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] entredeux, 1659. L’Académie écrit aussi: entre-deux, dans l’acception|
  |        d’entre les deux.                                                    |
  |                                                                             |
  |entre-dévorer (s’)  |                  |                  |entredévorer (s’) |
  |entre-donner  (s’)  |                  |                  |entredonner (s’), |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |entre eux           |                  |                  |                  |
  |                    |entrefaites (les) |                  |                  |
  |*entre-filets (un)  |                  |entre-filets      |entrefilet        |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |entre-frapper       |                  |                  |entrefrapper      |
  |entregent (un)      |                  |                  |                  |
  |entr’égorger (s’)   |                  |                  |entrégorger (s’)  |
  |entrelacer          |                  |                  |                  |
  |                    |entrelacs (des)   |                  |                  |
  |entrelarder         |                  |                  |                  |
  |entre-ligne (un)    |entre-lignes (des)|                  |entreligne. M. P. |
  |                    |                  |                  |  écrit un        |
  |                    |                  |                  |  entre-lignes.   |
  |entre-luire         |                  |                  |entreluire, 1659. |
  |entre-manger (s’)   |                  |                  |entremanger (s’), |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |entremêler          |                  |                  |                  |
  |entremets (un)      |entremets (des)   |                  |                  |
  |entremise (une)     |entremises (des)  |                  |                  |
  |entre-nœud (un)     |entre-nœuds (les) |                  |entrenœud         |
  |entre-nuire (s’)    |                  |                  |entrenuire (s’)   |
  |entrepas (un)?      |entrepas (des)    |                  |                  |
  |entre-percer (s’)   |                  |                  |entrepercer (s’)  |
  |entre-pont (un)     |entre-ponts (les) |                  |entrepont         |
  |entreposer          |                  |                  |                  |
  |entre-pousser (s’)  |                  |                  |entrepousser (s’),|
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |entreprendre (et    |                  |                  |                  |
  |  ses dérivés)      |                  |                  |                  |
  |entre-quereller (s’)|                  |                  |entrequereller    |
  |                    |                  |                  |  (s’)            |
  |entre-répondre (s’) |                  |                  |entrerépondre (s’)|
  |entre-secourir (s’) |                  |                  |entresecourir (s’)|
  |entre-sol (un)      |                  |entre-sol[*]      |entresol[**]      |
  |                                                                             |
  |    [*] entre-sol (des), P., entre-sols (des), L.                            |
  |   [**] entresol. On l'écrit ainsi partout, sans qu'on hésite sur la         |
  |        prononciation.                                                       |
  |                                                                             |
  |entre-suivre (s’)   |                  |                  |entresuivre (s’)  |
  |entretaille (une)   |entretailles (des)|                  |                  |
  |entre-tailler (s’)  |                  |                  |entretailler[*]   |
  |entretaillure (une) |entretaillures    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |entre-temps (un)    |entre-temps (des) |                  |entretemps[**]    |
  |                                                                             |
  |    [*] entretailler (s’), 1659, à cause de entretaille.                     |
  |   [**] entretemps, comme contretemps, 1659                                  |
  |                                                                             |
  |entretenir et ses   |                  |                  |                  |
  |  dérivés           |                  |                  |                  |
  |entretoile (une)    |entretoiles (des) |                  |                  |
  |entretoise (une)    |entretoises (des) |                  |                  |
  |entre-vifs          |                  |                  |entre vifs        |
  |  (donation)        |                  |                  |                  |
  |*entrevoie (une)    |                  |entrevoies (des), |                  |
  |                    |                  |  H.              |                  |
  |entrevoir et ses    |                  |                  |                  |
  |  dérivés           |                  |                  |                  |
  |entr’ouïr           |                  |                  |entrouïr          |
  |entr’ouverture (une)|entr’ouvertures   |                  |entrouverture     |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |entr’ouvrir         |                  |                  |entrouvrir, en    |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |épine-vinette (une) |                  |épines-vinettes   |épine vinette.    |
  |                    |                  |  (des), P.       |  Espine vinette, |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |e-si-mi?            |                  |                  |                  |
  |ès arts, ès         |                  |                  |                  |
  |  sciences, etc.    |                  |                  |                  |
  |esprit de bois (l’) |esprits de bois   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |esprit-de-vin (l’)  |esprits-de-vin    |                  |esprit de vin     |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |esprit de vitriol   |esprits de vitriol|                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |esprit fort (un)    |esprits forts     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |essuie-main (un)    |                  |essuie-mains[*]   |[**]              |
  |                                                                             |
  |    [*] essuie-mains (des), P.H., ou essuie-main ou mains, L.                |
  |   [**] essuie-mains, au singulier, selon M. P. Ne pourrait-on pas écrire    |
  |        essuimain et appuimain?--Essuy-main, 1659.                           |
  |                                                                             |
  |état-major (un)     |                  |états-majors      |état major        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |état civil (un)     |états civils (des)|                  |                  |
  |                    |états généraux    |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |                    |États-Unis (les)  |                  |                  |
  |excommunication     |excommunications  |                  |[*]               |
  |  (une)             |  (des)           |                  |                  |
  |ex-député (un)      |ex-députés (des)  |                  |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] Les composés avec _ex_, comme ceux avec _co, extra, intra_, etc., se |
  |        réunissent: excroissance, exhausser, exposé, extension; il n’y a pas |
  |        lieu de faire exception pour ex-député, etc.                         |
  |                                                                             |
  |expert juré (un)    |experts jurés     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |_ex professo_       |                  |                  |                  |
  |extrajudiciaire,    |extrajudiciaires, |                  |                  |
  |  etc.              |  etc.            |                  |                  |
  |extrême-onction (l’)|                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] extrême onction, car le sens n’est pas détourné de l’acception       |
  |        première.                                                            |
  |                                                                             |
  |ex-voto (un)        |ex-voto (des)     |                  |_ex voto_ (un)    |
  |_fac-simile_ (un)   |                  |fac-simile (des), |facsimilé, le mot |
  |                    |                  |  L.              |  étant devenu    |
  |                    |                  |                  |  français.       |
  |faim-valle (la)?    |                  |                  |faimvalle         |
  |faire part (lettre  |                  |                  |                  |
  |  de)               |                  |                  |                  |
  |*faits-divers (un)  |                  |faits divers (des)|                  |
  |faubourg (un)       |faubourgs (des)   |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] Primitivement fors bourg, puis forbourg, puis faux bourg.            |
  |                                                                             |
  |faufiler (se)       |                  |                  |                  |
  |fausse clef (une)   |fausses clefs     |                  |fausse clé        |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |faux bond (faire)   |                  |                  |                  |
  |faux-bourdon (en)   |                  |                  |faux bourdon      |
  |faux-fuyant (un)    |                  |faux-fuyants      |faufuyant         |
  |                    |                  |  (des), P. L.    |                  |
  |faux-marcher (le)   |                  |                  |faux marcher      |
  |faux-monnayeur (un) |faux-monnayeurs   |                  |faux monnayeur    |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |faux-saunier (un)   |                  |faux-sauniers     |faux saunier      |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |faux semblant (un)  |faux semblants    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |faux titre (un)     |faux titres (des) |                  |                  |
  |*feld-maréchal (un) |feld-maréchaux    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |feldspath (le)      |feldspaths (les)  |                  |                  |
  |fer-blanc (du)      |                  |fers-blancs (des) |ferblanc, à cause |
  |                    |                  |                  |  de ferblantier. |
  |ferblantier (un)    |ferblantiers (des)|                  |                  |
  |fesse-cahier (un)   |                  |fesse-cahier      |fessecahier.--    |
  |                    |                  | (des), P. L., ou |  Fesse-cayer,    |
  |                    |                  | fesse-cahiers, L.|  1659.           |
  |fesse-mathieu (un)  |fesse-mathieux    |fesse-mathieu     |[*]               |
  |                    |  (des)           |  (des), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] En écrivant fessemathieu, on éviterait ce pluriel et l’embarras      |
  |        qui naît de la suppression de la majuscule.--Fesse-matthieu, 1659.   |
  |                                                                             |
  |fête-Dieu (la)      |                  |fêtes-Dieu (les), |Voy. Hôtel-Dieu.  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |feuille-morte       |                  |                  |[I]               |
  |  (couleur)         |                  |                  |                  |
  |fier-à-bras (un)    |                  |[J]               |[K]               |
  |                                                                             |
  |    [I] couleur de feuille morte sans trait d’union.                         |
  |    [J] fiers-à-bras (des), P., fier-à-bras (des), L.H.                      |
  |    [K] fierabras, d’après un héros de roman nommé Ferabras ou Fierabras. Le |
  |        pluriel de fier est inadmissible.                                    |
  |                                                                             |
  |fil à plomb (un)    |fils à plomb (des)|                  |                  |
  |fleurdelisé, ée     |fleurdelisés, ées |                  |                  |
  |flic flac (faire)   |                  |                  |                  |
  |flicflac (un)       |flicflacs (des)   |                  |                  |
  |flint-glass (du)    |                  |                  |flintglace, comme |
  |                    |                  |                  |   biftec.        |
  |flonflon (un)       |flonflons (des)   |                  |                  |
  |folle enchère (une) |folles enchères   |                  |M. Poitevin ajoute|
  |                    |  (des)           |                  |  un trait d’union|
  |                    |                  |                  |  inutile.        |
  |forte-piano (un)    |                  |forte-piano (des) |fortepiano        |
  |fort-vêtu (un)      |                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] M. L. écrit forvêtu, de fors vêtu, un homme vêtu hors de sa          |
  |        condition.                                                           |
  |                                                                             |
  |fouille-au-pot (un) |                  |fouille-au-pot    |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |fourmi-lion (un)    |                  |fourmis-lions     |fourmilion (le),  |
  |                    |                  |  (des), P.       | comme écrivent   |
  |                    |                  |                  | les naturalistes.|
  |franc-alleu (un)    |francs-alleux     |francs-alleus     |franc alleu.--    |
  |                    |  (des)           |  (des), L.       | Franc alleu,     |
  |                    |                  |                  | 1659.            |
  |franc archer (un)   |francs archers    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |franc-bord (un)     |                  |francs-bords      |franc bord        |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |Franc-Comtois (un)  |Francs-Comtois    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |Franc-Comtoise (une)|Franc-Comtoises   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |franc-fief (un)     |francs-fiefs (des)|                  |franc fief        |
  |franc-maçon (un)    |francs-maçons     |                  |Pl. franc-maçons, |
  |                    |  (des)           |                  | à cause de       |
  |                    |                  |                  | franc-maçonnerie.|
  |franc-maçonnerie    |                  |franc-maçonnerie  |Ce pluriel est    |
  |  (une)             |                  |  (des), P.       | inadmissible.    |
  |franc parler (le)   |                  |                  |                  |
  |franc-quartier (un),|                  |francs-quartiers  |franc quartier    |
  |  blason            |                  |  (des)           |                  |
  |franc-réal (un)     |                  |francs-réals      |                  |
  |                    |                  |  (des), P. L.    |                  |
  |franc-salé (un)     |                  |francs-salés      |                  |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |fripe-sauce (un)    |                  |fripe-sauce (des),|fripesauce        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |*fulmicoton (le)    |                  |fulmicotons (les),|                  |
  |                    |                  |  H.              |                  |
  |gagne-denier (un)   |gagne-deniers     |gagne-denier      |gagnedenier       |
  |                    |  (des)           |  (des), P.,      |                  |
  |                    |                  |  gagne-deniers   |                  |
  |                    |                  |  (des), L. H.    |                  |
  |gagne-pain (un)     |                  |gagne-pain (des), |gagnepain         |
  |                    |                  |  P. L.           |                  |
  |gagne-petit (un)    |                  |gagne-petit (des),|gagnepetit        |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |garçon-major (un)   |                  |garçons-majors    |                  |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |garde-bois (un)     |gardes-bois (des) |garde-bois (des), |gardebois         |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |garde-bourgeoise    |                  |gardes-bourgeoises|garde bourgeoise. |
  |  (la)              |                  |  (des), L.       |  Écrit ainsi au  |
  |                    |                  |                  |  mot BOURGEOIS   |
  |                    |                  |                  |  du Dict.        |
  |garde-boutique (un) |garde-boutique    |garde-boutiques   |gardeboutique,    |
  |                    |  (des)           |  (des), L.       |  1659.           |
  |garde champêtre (un)|gardes champêtres |                  |M. P. introduit   |
  |                    |  (des)           |                  |  ici à tort le   |
  |                    |                  |                  |  trait d’union.  |
  |                    |                  |gardes-chasse     |gardechasse, à    |
  |garde-chasse (un)   |                  | (des), P. H.     |  cause du        |
  |                    |                  | garde-chasse ou  |  pluriel.        |
  |                    |                  | chasses (des), L.|                  |
  |*garde-chiourme (un)|                  |garde-chiourme    |gardechiourme     |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |garde-corps (un)    |                  |garde-corps (des),|gardecorps        |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |garde-côte, adj.    |gardes-côtes      |garde-côtes (des),|gardecôte         |
  |                    |                  |  L. H.           |                  |
  |garde du corps (un) |gardes du corps   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |garde-étalon (un)   |gardes-étalon     |garde-étalon ou   |                  |
  |                    |  (des)           |  étalons (des),  |                  |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |garde-feu (un)      |                  |garde-feu (des),  |gardefeu          |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |garde forestier (un)|gardes forestiers |                  |M. P. place ici à |
  |                    |  (des)           |                  |  tort le trait   |
  |                    |                  |                  |  d’union.        |
  |garde-fou (un)      |garde-fous (des)  |                  |gardefou, 1659.   |
  |garde-française (un)|gardes françaises |                  |M. L. écrit un    |
  |                    |  (les)           |                  |  garde française |
  |                    |                  |                  |  sans tiret.     |
  |garde-magasin (un)  |                  |[L]               |[M]               |
  |garde-malade (une)  |                  |garde-malade ou   |[N]               |
  |                    |                  | malades (des), L.|                  |
  |                                                                             |
  |    [L] gardes-magasin (des), P.--garde-magasin ou magasins (des), L., ou    |
  |        gardes-magasins (des), (gardiens), H.                                |
  |    [M] gardemagasin, à cause de ce pluriel équivoque des mots composés avec |
  |        _garde_ substantif et _garde_ verbe.                                 |
  |    [N] gardemalade. M. P. écrit abusivement des gardes-malades.--Garde de   |
  |        malades, 1659.                                                       |
  |                                                                             |
  |garde-manche (un)   |                  |garde-manches     |gardemanche       |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |garde-manger (un)   |garde-manger (des)|                  |gardemanger       |
  |garde-marine (un)   |gardes-marine     |gardes-marine     |gardemarine       |
  |                    |  (des)           |  (des), L. H.    |                  |
  |garde-marteau (un)  |gardes-marteau    |garde-marteau,    |                  |
  |                    |  (des)           |  ou marteaux     |gardemarteau      |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |garde-meuble (un)   |garde-meubles     |garde-meuble ou   |gardemeuble       |
  |                    |  (des)           |  meubles (des),  |                  |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |garde national (un) |gardes nationaux  |                  |Le trait d’union, |
  |                    |  (des)           |                  |  placé ici par   |
  |                    |                  |                  |  M. Poitevin,    |
  |                    |                  |                  |  est inutile.    |
  |garde nationale (la)|                  |                  |Idem.             |
  |garde-noble (la)    |                  |gardes-nobles     |garde noble       |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |garde-note (un)     |gardes-notes (des)|garde-note ou     |                  |
  |                    |                  |  notes (des), L. |gardenote         |
  |garde-pêche (un)    |gardes-pêche (des)|garde-pêche ou    |                  |
  |                    |                  |  pêches (des), L.|gardepêche        |
  |garde-robe (une)    |garde-robes (des) |                  |garderobe.        |
  |                    |                  |                  | Garderobbe, 1659.|
  |garde-rôle (un)     |gardes-rôle (des) |garde-rôle ou     |garderôle.        |
  |                    |                  |  rôles (des), L. |                  |
  |garde royal (un)    |gardes royaux     |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |garde-sacs (un)     |gardes-sacs (des) |garde-sacs (des), |gardesac          |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |garde-scel (un)     |gardes-scel (des) |garde-scel (des), |gardescel, à cause|
  |                    |                  |  L.              |  du pluriel, qui |
  |                    |                  |                  |  sans cela serait|
  |                    |                  |                  |  garde-sceaux.   |
  |garde-vaisselle (un)|gardes-vaisselle  |garde-vaisselle   |gardevaisselle    |
  |                    |  (des)           |  (des), L.       |                  |
  |garde-vente (un)    |gardes-vente (des)|garde-vente ou    |                  |
  |                    |                  |  ventes (des), L.|gardevente        |
  |garde-vue (un)      |                  |garde-vue (des),  |gardevue          |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |gâte-enfant (un)    |                  |gâte-enfant ou    |gâtenfant         |
  |                    |                  |  enfants (des),  |                  |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |gâte-métier (un)    |                  |gâte-métier, H. ou|gâtemétier        |
  |                    |                  |  métiers (des),  |                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |gâte-pâte (un)      |                  |gâte-pâte (des),  |gâtepâte          |
  |                    |                  |  L. H.           |                  |
  |*gâte-sauce(un)     |                  |gâte-sauce (des), |gâtesauce         |
  |                    |                  |  P. L. H., ou    |                  |
  |                    |                  |  gâte-sauces, L. |                  |
  |gendarme (un)       |gendarmes (des)   |                  |Au XVe s. gens    |
  |                    |                  |                  |  d’armes.        |
  |gentilhomme (un)    |gentilshommes     |                  |Comp. anormale    |
  |                    |  (des)           |                  |  rem. à 1659.    |
  |gobe-mouches (un)   |gobe-mouches (des)|                  |gobemouche        |
  |gomme copal (la)    |                  |gommes copal (les)|                  |
  |gomme-gutte (la)    |                  |gommes-guttes     |gomme gutte, sans |
  |                    |                  |  (les)           |  trait d’union.  |
  |gomme laque (la)    |gommes laques     |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |gomme-résine (la)   |gommes-résines    |                  |gomme résine.     |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |gorge-de-pigeon     |                  |gorge-de-pigeon   |gorge de pigeon,  |
  |  (couleur)         |                  |                  |  sans trait      |
  |                    |                  |                  |  d’union.        |
  |goutte-crampe (la)  |                  |gouttes-crampes   |goutte crampe.    |
  |                    |                  |  (les), L.       |                  |
  |grand aigle (papier)|                  |grand aigle       |voir le plur. de  |
  |                    |                  |  (papiers)       |  grand raisin.   |
  |grand aumônier,     |grands aumôniers  |                  |                  |
  |  grand maréchal,   |  (des), etc.     |                  |                  |
  |  grand officier,   |                  |                  |                  |
  |  grand veneur, etc.|                  |                  |                  |
  |grand’chambre,      |grand'chambres,   |                  |[*]               |
  |  grand’chère,      |  grand'tantes,   |                  |                  |
  |  grand’chose,      |  etc.            |                  |                  |
  |  grand’fête,       |                  |                  |                  |
  |  grand'garde,      |                  |                  |                  |
  |  grand'messe       |                  |                  |                  |
  |  grand'pitié,      |                  |                  |                  |
  |  grand'tante.      |                  |                  |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] L’apostrophe, dans ces mots, constitue une orthographe vicieuse. Dans|
  |        l’ancien langage, d’où nous viennent ces locutions, _grand_          |
  |        représentait les deux genres; on disait _Rome la grant_, grand faim, |
  |        grand honte, grand ville, etc. Il en était de même de tous les       |
  |        adjectifs formés sur la troisième déclinaison latine. Il n’y avait   |
  |        donc pas élision de l’_e_ muet. On dit aujourd’hui grande chère,     |
  |        grande-tante; grand’mère devrait seul s’écrire grandmère.            |
  |                                                                             |
  |grand cordon (le)   |grands cordons    |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |grand-cordon (un)   |                  |grands-cordons    |La personne       |
  |                    |                  |  (les)           | décorée du       |
  |  grand'tante.      |                  |                  | grand cordon.    |
  |grand-croix (un)    |grands-croix (les)|                  |grandcroix, pour  |
  |                    |                  |                  | éviter ce pluriel|
  |                    |                  |                  | illogique.       |
  |grand-duc (le), etc.|                  |grands-ducs (les) |                  |
  |*grand-duc (le),    |                  |grands-ducs (les) |                  |
  |  oiseau            |                  |                  |                  |
  |grand’faim (avoir)  |                  |                  |une grande faim   |
  |grand-livre (le)    |                  |                  |Grand Livre       |
  |grand merci (un)    |                  |grands mercis     |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |grand raisin (du),  |grands raisins    |                  |grand raisin      |
  |  papier            |  (des)           |                  |  (papiers)       |
  |grand vizir (le)    |grands vizirs     |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |gras-cuit (pain)    |                  |gras-cuits (pains)|                  |
  |gras-double (du)    |                  |gras-double (des),|gradouble         |
  |                    |                  |  H., gras-doubles|                  |
  |                    |                  |  (des), P. L.    |                  |
  |gras-fondu (le),    |                  |grafondu,         |                  |
  |  vétér.            |                  |  grafondure      |                  |
  |gratte-cul (un)     |gratte-culs (des) |gratte-cul (des), |grattecu, comme   |
  |                    |                  |  P. L.           |  tapecu.         |
  |gratte-papier (un)  |                  |gratte-papier ou  |grattepapier      |
  |                    |                  |  papiers, L.     |                  |
  |grippe-sou (un)     |                  |grippe-sou (des), |                  |
  |                    |                  |  P., grippe-sous |grippesou         |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |gros-bec (un)       |                  |gros-becs (les),  |                  |
  |                    |                  |  H.              |                  |
  |guet-apens (un)     |                  |guets-apens (des),|guétapens[*]      |
  |                    |                  |  P. L. H.        |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] guétapens. Étymologie: de guet apensé.--De guet à pens, 1659.        |
  |                                                                             |
  |guide-âne (un)      |                  |guide-âne ou ânes |guidâne           |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |hache-paille        |                  |hache-paille      |hachepaille       |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |hausse-col (un)     |hausse-cols (des) |hausse-col (des), |haussecol[*]      |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] haussecol. M. L. écrit des hausse-col ou cols.                       |
  |                                                                             |
  |haut-à-bas (un)     |                  |haut-à-bas (des), |                  |
  |                    |                  |  L.              |                  |
  |                    |                  |haut-à-bras (des),|                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |haut-à-haut (un)?   |                  |                  |                  |
  |haut bord (vaisseau |                  |hauts-bords (des),|                  |
  |  de)               |                  |  P.              |                  |
  |haut-de-chausse (un)|hauts-de-chausse  |                  |haudechausse[*]   |
  |                    | ou               |                  |                  |
  |                    | hauts-de-chausses|                  |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] haudechausse, comme justaucorps. M. P. écrit un haut-de-chausses.    |
  |        Avec cette orthographe, les vers de Molière:                         |
  |            ..... _Que sa vertu se hausse_                                   |
  |            _A connaître un pourpoint_                                       |
  |            _d’avec un haut-de-chausse_,                                     |
  |        ne seraient plus exacts.--Haut de chausse, 1659.                     |
  |                                                                             |
  |haute-contre (une)  |hautes-contre     |                  |hautecontre       |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |haute cour (la)     |hautes cours (les)|hautes-cours      |[*]               |
  |                    |                  |  (les), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] Ce trait d’union ajouté par M. P. est tout à fait inutile.           |
  |                                                                             |
  |haute futaie (une)  |hautes futaies    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |haute justice       |hautes justices   |hautes-justices   |Idem.             |
  |                    |  (les)           |  (les), P.       |                  |
  |haute lisse (de)    |                  |hautes-lices      |[*]               |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] Cette orthographe de M. P. est archaïque.--De haute lice, 1659       |
  |                                                                             |
  |*haute-lissier (un) |                  |haute-liciers     |hautelissier      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |haut-fond (un)      |hauts-fonds (des) |                  |haufond, comme    |
  |                    |                  |                  |  plafond, bâbord.|
  |haut-le-corps (un)  |haut-le-corps     |                  |[*]               |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] Beaucoup de gens disent haut-de-cœur pour haut-le-cœur.              |
  |                                                                             |
  |haut-le-pied (un)?  |                  |haut-le-pied (des)|                  |
  |haut mal (le)       |                  |haut-mal (des), P.|Pas de pluriel.   |
  |haute paye (une)    |hautes payes (des)|hautes-payes      |hautepaye         |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |haute-taille (une)  |                  |hautes-tailles    |hautetaille       |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |                    |hautes œuvres     |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |havre-sac (un)      |havre-sacs (des)  |                  |havresac, comme   |
  |                    |                  |                  |  bissac          |
  |hémicycle (un), etc.|hémicycles (des), |                  |                  |
  |                    |  etc.            |                  |                  |
  |héraut d’armes (un) |hérauts d’armes   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |héroï-comique, adj. |héroï-comiques    |                  |                  |
  |hochepied (un)      |hochepieds (des)  |                  |                  |
  |hochepot (un)       |hochepots (des)   |                  |                  |
  |hochequeue (un)     |hochequeues (des) |                  |                  |
  |hormis              |                  |                  |Contr. de         |
  |                    |                  |                  |  hors mis.       |
  |hors-d’œuvre (un),  |hors-d’œuvre (des)|                  |hordeuvre. Hors   |
  |  cuisine           |                  |                  |  d’œuvre, terme  |
  |                    |                  |                  |  d’architecture. |
  |hôtel de ville (un) |hôtels de ville   |                  |Mais écrivez      |
  |                    |  (des)           |                  |  l’Hôtel de ville|
  |                    |                  |                  |  à Paris         |
  |hôtel-Dieu (un)     |hôtels-Dieu (des) |                  |Idem[*]           |
  |                                                                             |
  |    [*] Au XIIIe s. _li ostel Dieu; ostel_, cas suj.; _Dieu_, cas rég.       |
  |                                                                             |
  |huis clos (le)      |                  |                  |                  |
  |huissier-priseur    |                  |huissiers-priseurs|huissier priseur  |
  |  (un)              |                  |  (des), L.       |                  |
  |ici-bas             |                  |                  |icibas            |
  |in-douze (un)       |in-douze (des)    |                  |indouze           |
  |in-folio (un)       |in-folio (des)    |                  |infolio[*]        |
  |                                                                             |
  |    [*] infolio, pour éviter ce pluriel équivoque et contradictoire avec     |
  |        les autres composés de _in_.                                         |
  |                                                                             |
  |interrègne (un),    |interrègnes (des),|                  |                  |
  |  etc.              |  etc.            |                  |                  |
  |*intra-utérin, ine, |                  |intra-utérins,    |                  |
  |  adj.              |                  |  ines            |                  |
  |in-trente-deux (un) |in-trente-deux    |                  |intrentedeux      |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |ivre mort, e, adj.  |ivres morts, tes  |                  |                  |
  |jardinier-fleuriste |                  |jardiniers-       |jardinier         |
  |  (un)              |                  |  fleuristes (des)| fleuriste        |
  |jet d’eau (un)      |jets d’eau (des)  |                  |M. P. met à tort  |
  |                    |                  |                  | le trait d’union.|
  |joli cœur (faire le)|                  |                  |                  |
  |juge-commissaire    |                  |juges-commissaires|juge commissaire  |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |jusqu’alors         |                  |                  |jusque alors      |
  |jusqu’à présent     |                  |                  |                  |
  |jusqu’aujourd’hui   |                  |                  |jusqu’à           |
  |                    |                  |                  |  aujourd’hui     |
  |                    |                  |                  |  ou jusques      |
  |                    |                  |                  |  aujourd’hui.    |
  |jusque-là           |                  |                  |jusque là         |
  |jusques à quand     |                  |                  |                  |
  |jusqu’ici, jusqu’où |                  |                  |                  |
  |justaucorps (un)    |justaucorps (des) |                  |En 1659,          |
  |                    |                  |                  |  justecorps.     |
  |juxtaposition (la), |juxtapositions    |                  |                  |
  |  etc.              |  (les), etc.     |                  |                  |
  |kirsch-wasser (le)  |                  |                  |kirschvasser, des |
  |                    |                  |                  |  kirschvassers,  |
  |                    |                  |                  |  ou mieux des    |
  |                    |                  |                  |  kirsch.         |
  |là-bas, là-dessus,  |                  |                  |Supprimer le trait|
  | là-haut, là dedans,|                  |                  |  aux trois       |
  | là dehors, là      |                  |                  |  premiers, comme |
  | auprès, là contre, |                  |                  |  aux suivants.   |
  | etc.               |                  |                  |                  |
  |laisser-aller (du)  |                  |                  |                  |
  |laisser-courre (le) |                  |laisser-courre    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |laisser-passer (un) |                  |laisser-passer    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |lait de poule (un)  |laits de poule    |                  |lait-de-poule     |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |langue mère (une)   |langues mères     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |lapis-lazuli (du)   |                  |lapis-lazuli      |lapis lazuli      |
  |                    |                  |  (des), L.       |                  |
  |laurier-cerise (le) |                  |lauriers-cerises  |                  |
  |                    |                  |  (les)           |                  |
  |laurier-rose (un)   |                  |lauriers-roses    |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |laurier-tin (un)    |                  |lauriers-tins     |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |lèche-doigt (à)     |                  |                  |lèchedoigt, comme |
  |                    |                  |                  |  lèchefrite.     |
  |lèchefrite (une)    |lèchefrites (des) |                  |                  |
  |légat-né (un)       |                  |légats-nés (des)  |                  |
  |lèse-majesté (de)   |                  |                  |lèsemajesté. Lèse |
  |                    |                  |                  |  majesté, 1659   |
  |lèse-nation (de)    |                  |                  |lèsenation        |
  |lettre de change    |lettres de change |                  |                  |
  |  (une)             |  (des)           |                  |                  |
  |                    |lettres patentes  |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |lever Dieu (le)     |                  |                  |                  |
  |lez Paris           |                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] Cette vieille préposition (du lat. _latus_) pourrait s’écrire auj.   |
  |        _les_.                                                               |
  |                                                                             |
  |lieutenant-colonel  |lieutenants-      |                  |lieutenant colonel|
  |  (un)              |  colonels (des)  |                  |                  |
  |lieutenant général  |lieutenants       |                  |                  |
  |  (un)              |  généraux (des)  |                  |                  |
  |                    |lieux d’aisances  |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |long-jointé, adj.   |long-jointés, ées |                  |lonjointé         |
  |longue main (de)    |                  |                  |longuemain[*]     |
  |                                                                             |
  |    [*] longuemain. On disait autrefois: de longuement.                      |
  |                                                                             |
  |longue-vue (une)    |                  |longues-vues (des)|longuevue         |
  |loup-cervier(un)    |                  |loups-cerviers    |loup cervier      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |loup-garou (un)     |                  |loups-garous      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |loup marin (un)     |                  |loups-marins      |M. P. place ici un|
  |                    |                  |  (des), P.       |  tiret inutile.  |
  |luni-solaire, adj.  |                  |luni-solaires     |lunisolaire       |
  |mâchefer (du)       |mâchefers (des)   |                  |                  |
  |main basse (faire)  |                  |                  |mainbasse         |
  |main chaude (jouer  |                  |                  |                  |
  |  à la)             |                  |                  |                  |
  |main courante (une) |mains courantes   |                  |maincourante      |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |main-d’œuvre (la)   |                  |mains-d’œuvre     |maindeuvre[O]     |
  |                    |                  |  (les)           |                  |
  |main-forte          |                  |                  |mainforte[P]      |
  |mainlevée (une)     |mainlevées (des)  |                  |[Q]               |
  |                                                                             |
  |     [O] maindeuvre, pour résoudre le pluriel. Les différentes mains-d’œuvre,|
  |         cela me paraît choquant.                                            |
  |     [P] mainforte, pas de pluriel.--Main forte, 1659.                       |
  |     [Q] M. P. rétablit à tort le trait d’union.                             |
  |                                                                             |
  |mainmise (une)      |mainmises (des)   |                  |                  |
  |mainmorte (la)      |mainmortes (les)  |                  |                  |
  |main morte (aller   |                  |                  |                  |
  |  de)               |                  |                  |                  |
  |mainte fois         |maintes fois      |                  |maintefois[*]     |
  |                                                                             |
  |     [*] maintefois, comme quelquefois, toutefois, parfois.                  |
  |                                                                             |
  |maintenue (la)      |maintenues (les)  |                  |                  |
  |maire adjoint (un)  |maires adjoints   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |maître-autel (le)   |                  |maîtres-autels    |maître autel      |
  |                    |                  |  (des)           |  ou maîtrautel   |
  |maître ès arts (un) |maîtres ès arts   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |maître d’hôtel (un) |maîtres d’hôtel   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |maîtresse femme     |maîtresses femmes |                  |                  |
  |  (une)             |  (des)           |                  |                  |
  |malaise (un)        |malaises (des)    |                  |                  |
  |mal-appris (un)     |                  |mal-appris (des)  |malappris.        |
  |malavisé (un)       |malavisés (des)   |                  |                  |
  |malbâti, tie, adj.  |malbâtis, ties    |                  |                  |
  |malcontent, ente    |malcontents, entes|                  |                  |
  |maldisant, ante     |maldisants, antes |                  |                  |
  |malebête (une)      |malebêtes (des)   |                  |                  |
  |malefaim (une)      |malefaims (des)   |                  |                  |
  |malemort (une)      |malemorts (des)   |                  |                  |
  |malencontre (une)   |malencontres (des)|                  |                  |
  |mal-en-point, adv.  |                  |                  |malenpoint, comme |
  |                    |                  |                  |  embonpoint.     |
  |malentendu (un)     |malentendus (des) |                  |                  |
  |malepeste, interj.  |                  |                  |                  |
  |mal-être (un)       |                  |mal-être (des), P.|malêtre ainsi que |
  |                    |                  |                  |  bienêtre.       |
  |malfaçon (une)      |malfaçons (des)   |                  |                  |
  |malfaire, verbe     |                  |                  |                  |
  |malfamé, ée         |malfamés, ées     |                  |                  |
  |malgracieux, euse   |malgracieux, euses|                  |                  |
  |malgré              |                  |                  |Cependant on      |
  |                    |                  |                  |  écrit: bon gré, |
  |                    |                  |                  |  mal gré.        |
  |malhabile, adj.     |malhabiles        |                  |                  |
  |malheureux, euse    |malheureux, euses |                  |                  |
  |malhonnête, adj.    |malhonnêtes       |                  |                  |
  |malintentionné, ée  |malintentionnés,  |                  |                  |
  |                    |  ées             |                  |                  |
  |mal-jugé (le)       |                  |mal-jugés (les)   |maljugé           |
  |malle-poste (la)    |                  |malles-poste (les)|V. bateaux-poste, |
  |                    |                  |                  |  paquebots-poste,|
  |                    |                  |                  |  timbres-poste.  |
  |malmené             |                  |                  |                  |
  |malpeigné (un)      |malpeignés (des)  |                  |                  |
  |malplaisant, ante   |malplaisants,     |                  |                  |
  |                    |  antes           |                  |                  |
  |malpropre, adj.     |malpropres        |                  |                  |
  |malsain, e, adj.    |malsains, nes     |                  |                  |
  |malséant, te        |malséants, tes    |                  |                  |
  |malsonnant, ante    |malsonnants, antes|                  |                  |
  |maltraiter          |                  |                  |                  |
  |malvoulu, ue, adj.  |malvoulus, ues    |                  |                  |
  |mange-tout (un)     |                  |mange-tout (des)  |mangetout         |
  |mappemonde (une)    |mappemondes (des) |                  |                  |
  |marchepied (un)     |marchepieds (des) |                  |                  |
  |maréchal de camp    |maréchaux de camp |                  |                  |
  |  (un)              |  (des)           |                  |                  |
  |maréchal des logis  |maréchaux des     |                  |                  |
  |  (un)              |  logis (des)     |                  |                  |
  |marie salope (une), |                  |maries-salopes    |                  |
  |  t. de navig.      |                  |  (des), H.       |                  |
  |martin-pêcheur (un) |                  |martins-pêcheurs  |martin pêcheur    |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |*martin-sec (poire  |                  |martins-secs      |martinsec. Plus   |
  |  de)               |                  |  (des), P.       |  d’embarras au   |
  |                    |                  |                  |  pluriel.--Martin|
  |                    |                  |                  |  sec, 1659.      |
  |massepain (un)      |massepains (des)  |                  |                  |
  |                    |Menus Plaisirs    |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |mère nourrice (une) |mères nourrices   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |mère patrie (la)    |mères patries     |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |messire Jean (poire |                  |messire-jean      |Un messirejean,   |
  |   de)              |                  |  (des), P.       | des messirejeans.|
  |*meurt-de-faim (un) |                  |meurt-de-faim     |meurdefaim        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |mezzo-termine (un)  |mezzo-termine     |mezzo-termine     |Nous avons en fr. |
  |                    |  (des)           |  (des), P.       |  moyen terme.    |
  |mezzo-tinto (un)    |                  |mezzo-tinto (des) |Nous avons:       |
  |                    |                  |                  |  demi-teinte.    |
  |mi-août (la)        |                  |mi-août (aux), P. |Prononcez mi-oût. |
  |mi-carême (la)      |                  |mi-carême (les),  |                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |mi-corps (à), etc.  |                  |                  |[*]               |
  |mille-feuille (une) |                  |mille-feuilles    |millefeuille[**]  |
  |                                                                             |
  |    [*] Tous les subst. composés avec _mi_, sauf minuit, prennent le         |
  |        trait d’union.                                                       |
  |   [**] millefeuille. M. P. écrit la mille-feuilles. En 1659, millefueille.  |
  |                                                                             |
  |                    |mille-fleurs (eau |                  |                  |
  |                    |  de)             |                  |                  |
  |mille-pertuis (le)  |                  |mille-pertuis     |millepertuis,     |
  |                    |                  |  (les)           |  1659.           |
  |mille-pieds (un)    |mille-pieds (des) |                  |millepied.--En    |
  |                    |                  |                  |  1659,           |
  |                    |                  |                  |  millepieds.     |
  |mi-parti, ie, adj.  |mi-partis, ies    |                  |miparti           |
  |moins-value (la)    |                  |                  |moinvalue         |
  |mont-de-piété (un)  |monts-de-piété    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |montjoie            |                  |                  |monjoie.--En 1659,|
  |                    |                  |                  |  monjoye.        |
  |mort aux rats (la)  |morts au rat (des)|                  |                  |
  |mort-bois (le)      |                  |morts-bois (les)  |mort bois, 1659.  |
  |morte-eau (en)      |                  |                  |[*]               |
  |morte-paye (?)      |                  |mortes-payes (des)|morte paye[**]    |
  |                                                                             |
  |    [*] morte-eau: L’Ac., au mot MOURIR, l’indique sans trait d’union.       |
  |   [**] morte paye: En 1659, morte-paye.                                     |
  |                                                                             |
  |morte-saison (une)  |mortes-saisons    |                  |morte saison,     |
  |                    |  (des)           |                  |  1659            |
  |mort-gage (un)      |                  |morts-gages (des) |mort gage         |
  |mort-né, ée, adj.   |mort-nés, ées     |                  |                  |
  |mouille-bouche (la) |                  |mouille-bouche    |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                    |                  |mouille-bouches   |mouillebouche     |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |moyen âge (le)      |                  |                  |Pas de pluriel.   |
  |_nec plus ultrà_    |                  |                  |[*]               |
  |  (le)              |                  |                  |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] _nec plus ultrà_: Au mot NON-PLUS-ULTRA, le Dict. donne le composé   |
  |        nec-plus-ultra avec tirets.                                          |
  |                                                                             |
  |*néo-chrétien (un)  |                  |néo-chrétiens     |néochrétien, comme|
  |                    |                  |  (des)           |  néologisme.     |
  |*néo-latin, e       |                  |néo-latins, es    |novolatin         |
  |nerf-férure (la)    |                  |[*]               |nerférure         |
  |                                                                             |
  |    [*] nerf-férure (des), P., nerfs férures (des), H.                       |
  |                                                                             |
  |_noli me tangere_   |                  |                  |                  |
  |non-activité (la)   |                  |                  |                  |
  |nonchalant, ante    |nonchalants, antes|                  |                  |
  |non-conformiste,    |non-conformistes  |                  |nonconformiste    |
  |  adj.              |  (des)           |                  |                  |
  |non-jouissance (la) |                  |non-jouissances   |nonjouissance     |
  |                    |                  |  (les)           |                  |
  |*non-lieu           |                  |                  |nonlieu           |
  |  (ordonnance de)   |                  |                  |                  |
  |nonobstant, prép.   |                  |                  |                  |
  |non-pair, e, adj.   |non-pairs, es     |                  |nonpair           |
  |nonpareil, eille    |nonpareils, eilles|                  |                  |
  |non-payement (un)   |                  |non-payements     |nonpayement       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |non-plus-ultrà (le) |                  |                  |_non plus ultra_  |
  |                    |                  |                  |  (le)            |
  |non-prix (à)        |                  |                  |nonprix           |
  |non-recevoir        |                  |                  |nonrecevoir       |
  |  (fin de)          |                  |                  |                  |
  |non-résidence (la)  |                  |non-résidences    |nonrésidence      |
  |                    |                  |  (les)           |                  |
  |non-sens (un)       |non-sens (des)    |                  |nonsens           |
  |non-seulement       |                  |                  |nonseulement      |
  |non-usage (le)      |                  |                  |nonusage          |
  |non-valeur (une)    |non-valeurs (des) |                  |nonvaleur         |
  |non-vue, t. de mar. |                  |non-vues (les)    |nonvue            |
  |nord-est (le)       |                  |                  |nordest           |
  |nouveau monde (le)  |                  |                  |                  |
  |nouveau-né, ée      |nouveau-nés, ées  |                  |nouveauné, comme  |
  |                    |                  |                  |  puîné.          |
  |nouveau venu (un)   |nouveaux venus    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |nue propriété (la)  |                  |nues propriétés   |                  |
  |                    |                  |  (les)           |                  |
  |nu-jambes, loc. inv.|                  |                  |                  |
  |nu-propriétaire (un)|                  |nu-propriétaires  |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |nu-tête (aller)     |                  |nu-tête (des      |                  |
  |                    |                  |  enfants), P.    |                  |
  |œil-de-bœuf (un)    |œils-de-bœuf (des)|                  |œil-de-bœuf, en   |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |œil-de-bouc (un),   |                  |œils-de-bouc (des)|                  |
  |  coquillage        |                  |                  |                  |
  |œil-de-chat (un),   |                  |œils-de-chat (des)|                  |
  |  pierre            |                  |                  |                  |
  |œil-de-chèvre (un), |                  |œils-de-chèvre    |                  |
  |  plante            |                  |  (des)           |                  |
  |œil de dôme (un)    |œils de dôme (des)|                  |                  |
  |œil-de-perdrix (un) |                  |œils-de-perdrix   |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |œil-de-serpent (un),|                  |œils-de-serpent   |                  |
  |  pierre            |                  | (des)            |                  |
  |oiseau-mouche (un)  |                  |oiseaux-mouches   |                  |
  |                    |                  | (des)            |                  |
  |on-dit (un)         |on-dit (des)      |                  |                  |
  |opéra-comique (un)  |opéras-comiques   |                  |[*]               |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |orang-outang (un)   |                  |orangs-outangs    |[**]              |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] On écrit le théâtre de l’Opéra-Comique.                              |
  |   [**] Quelques-uns écrivent orang-outan.                                   |
  |                                                                             |
  |oreille-d’ours      |                  |oreilles-d’ours   |oreilledours      |
  |  (une), plante     |                  |  (des)           |                  |
  |ortie-grièche (une) |                  |orties-grièches   |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |oui-da              |                  |                  |ouida             |
  |ouï-dire (un)       |ouï-dire (des)    |                  |ouidire           |
  |outrecuidance (une) |outrecuidances    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |outremer (un),      |outremers (des)   |                  |                  |
  |  couleur           |                  |                  |                  |
  |outre-mer           |                  |                  |outre mer         |
  |  (voyage d’)       |                  |                  |                  |
  |outre-passe (une)   |outre-passes (des)|                  |outrepasse, 1659. |
  |paille-en-cul (un), |                  |paille-en-cul     |paillencu         |
  |  oiseau            |                  |  (des)           |                  |
  |paille-en-queue     |                  |paille-en-queue   |paillenqueue      |
  |  (un), idem        |                  |  (des)           |                  |
  |Palais-Royal (le),  |                  |                  |                  |
  |  à Paris.          |                  |                  |                  |
  |palma-christi (un)  |                  |palma-Christi     |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |papier-arabesque    |                  |papiers-arabesques|                  |
  |  (un)              |                  | (des)            |                  |
  |papier-damas (un)   |                  |papiers-damas     |                  |
  |                    |                  | (des)            |                  |
  |papier-granit (un)  |                  |papiers-granit    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |papier-journal (un) |                  |papiers-journal   |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |papier-lambris (un) |                  |papiers-lambris   |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |papier-marbre (un)  |                  |papiers-marbre    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |papier-monnaie (un) |                  |papiers-monnaie   |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |papier-tenture (un) |                  |papiers-tenture   |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |papier-tontisse (un)|                  |papiers-tontisse  |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |*paquebot-poste (un)|                  |paquebots-poste   |voir malle-poste. |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |parachute (un)      |parachutes (des)  |                  |                  |
  |parapluie (un)      |parapluies (des)  |                  |                  |
  |parasol (un)        |parasols (des)    |                  |                  |
  |paravent (un)       |paravents (des)   |                  |                  |
  |par-ci, par-là      |                  |                  |par ci, par là    |
  |par deçà, par delà, |                  |                  |pardeçà, etc.     |
  |  par dehors        |                  |                  |                  |
  |par dedans          |                  |                  |pardedans         |
  |par derrière        |                  |                  |parderrière       |
  |par-dessous         |                  |                  |pardessous        |
  |par-dessus          |                  |                  |pardessus         |
  |*pardessus (un),    |pardessus (des)   |                  |                  |
  |  vêtem.            |                  |                  |                  |
  |par devant          |                  |                  |pardevant         |
  |par-devant notaire  |                  |                  |pardevant         |
  |par-devers          |                  |                  |pardevers         |
  |parfois             |                  |                  |                  |
  |par ici, par là     |                  |                  |                  |
  |  (passer)          |                  |                  |                  |
  |par le Roi (de)     |                  |                  |de part le Roi,   |
  |                    |                  |                  |  v. fr.          |
  |parterre (un)       |parterres (des)   |                  |                  |
  |par terre (tomber)  |                  |                  |                  |
  |partout             |                  |                  |                  |
  |pas-d’âne (un),     |                  |pas-d’âne (des)   |                  |
  |  plante            |                  |                  |                  |
  |passavant (un)      |passavants (des)  |                  |                  |
  |passe-carreau (un)  |                  |passe-carreau,    |                  |
  |                    |                  |  (des), passe-   |passecarreau      |
  |                    |                  |  carreaux, H.    |                  |
  |passe-cheval (un)   |                  |passe-cheval (des)|passecheval       |
  |passe-debout (un)   |                  |passe-debout      |passedebout       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |passe-dix (un)      |                  |passe-dix (des),  |passedix          |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |passe-droit (un)    |passe-droits (des)|passe-droit (des) |passedroit        |
  |passe-fleur (une)   |                  |passe-fleur (des),|                  |
  |                    |                  |  passe-fleurs    |passefleur, 1659. |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |*passe-lacet (un)   |                  |passe-lacet (des),|                  |
  |                    |                  |  passe-lacets    |passelacet        |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |passe-méteil (un)   |                  |passe-méteil (des)|passeméteil       |
  |passe-parole (un)   |                  |passe-parole      |passeparole       |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |passe-partout (un)  |passe-partout     |                  |passepartout.     |
  |                    |  (des)           |                  |  Passe-par-tout, |
  |                    |                  |                  |  en 1659.        |
  |passe-passe (un)    |                  |passe-passe (des),|passepasse        |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |passe-pied (un)     |                  |passe-pied (des)  |passepied, 1659.  |
  |passe-pierre (une)  |                  |passe-pierre (des)|passepierre       |
  |passe-poil (un)     |passe-poils (des) |passe-poil (des), |passepoil         |
  |                    |                  |  P., H.          |                  |
  |passe-port (un)     |passe-ports (des) |                  |passeport[*]      |
  |                                                                             |
  |    [*] passeport, comme on l’écrit généralement.                            |
  |                                                                             |
  |passerage (une)     |passerages (des)  |                  |                  |
  |passerose (une)     |passeroses (des)  |                  |                  |
  |passe-temps (un)    |passe-temps (des) |                  |passetemps        |
  |passe-velours (un)  |                  |passe-velours     |passevelours      |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |passe-volant (un)   |passe-volants     |                  |passevolant       |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |patte-d’oie (une)   |pattes-d’oie (des)|                  |En 1659, patte    |
  |                    |                  |                  |  d’oye.          |
  |patte-pelu (un),   }|                  |patte-pelus (des),|pattepelu         |
  |  patte-pelue (une)}|                  |  pattes-pelues   |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |paulò-post-futur    |                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] On s’étonne de trouver ce mot au Dict. de l’Ac.                      |
  |                                                                             |
  |                    |Pays-Bas (les)    |                  |                  |
  |pêle-mêle           |                  |                  |pêlemêle. Autref. |
  |                    |                  |                  |  peslemesle.     |
  |perce-bois (un)     |                  |perce-bois (des)  |percebois         |
  |perce-feuille (un)  |                  |perce-feuille     |percefeuille      |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |perce-forêt (un)    |                  |perce-forêt (des) |perceforêt        |
  |perce-neige (une)   |                  |perce-neige (des),|perceneige[R]     |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |perce-oreille (un)  |                  |perce-oreille[S]  |[T]               |
  |                                                                             |
  |    [R] perceneige. M. Lamartine a dit:                                      |
  |            «... Mes bourgeons en pleurs                                     |
  |            Ont de mes perceneige épanoui les fleurs.»                       |
  |    [S] perce-oreille (des), perce-oreilles (des), H.                        |
  |    [T] M. P. écrit un perce-oreilles, des perce-oreilles.                   |
  |                                                                             |
  |perce-pierre (une)  |                  |perce-pierre (des)|percepierre       |
  |pèse-lait (un)      |                  |pèse-lait (des)   |pèselait          |
  |pèse-liqueur (un)   |                  |pèse-liqueur      |M. Poitevin écrit |
  |                    |                  |  (des),          |  un              |
  |                    |                  |  pèse-liqueurs   |  pèse-liqueurs.  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |pet-en-l’air (un)   |                  |pets-en-l’air     |pétenlair. Pl.    |
  |                    |                  |  (des)           |  imp. autrem.    |
  |                    |                  |  ou pet-en-l’air |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |                    |                  |                  |                  |
  |petite-maîtresse    |                  |petites-maîtresses|                  |
  |  (une)             |                  |  (des), P.       |                  |
  |petite maison (une).|petites maisons   |                  |                  |
  |  Voy. ACAD.        |                  |                  |                  |
  |                    |Petites-Maisons   |                  |                  |
  |                    |  (les), hôpital. |                  |                  |
  |petite-oie (la)     |                  |                  |En 1659, petite   |
  |                    |                  |                  |  oye.            |
  |petite vérole (la)  |petites véroles   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |petit-fils (un)     |petits-fils (des) |                  |                  |
  |*petit-four (un)    |                  |petits-fours      |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |petit-gris (le)     |                  |petits-gris (les) |En 1659, petit    |
  |                    |                  |                  |  gris.           |
  |petit-lait (un)     |                  |petits-laits (des)|                  |
  |petit-maître (un)   |                  |petits-maîtres    |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |petit-neveu (un)    |                  |petits-neveux     |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |petit pâté (un)     |petits pâtés (les)|                  |                  |
  |                    |petits pieds (des)|                  |Écrit à tort      |
  |                    |  (des), cuisine. |                  |  petits-pieds au |
  |                    |                  |                  |  mot PETIT du    |
  |                    |                  |                  |  Dict.           |
  |petit-texte (le),   |petits-textes     |petits-textes     |                  |
  |  imprimerie        |  (des)           |  (des), H.       |                  |
  |peu à peu           |                  |                  |                  |
  |peuple-roi (le)     |                  |                  |                  |
  |peut-être           |                  |                  |peutêtre          |
  |*pick-pocket (un)   |                  |pick-pocket (des) |Donne en français,|
  |                    |                  |                  |   pique-poquet.  |
  |pied-à-terre (un)   |                  |pied-à-terre      |                  |
  |                    |                  |   (des), P. H.   |                  |
  |pied bot (un)       |pieds-bots (des)  |                  |M. P. indique un  |
  |                    |                  |                  |  trait d’union.  |
  |                    |                  |                  |En 1659, piedbot. |
  |pied-d’alouette (un)|                  |pieds-d’alouette  |En 1659, pied     |
  |                    |                  |  (des)           |  d’alouette.     |
  |pied-de-biche (un)  |                  |pieds-de-biches   |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |pied de bœuf (jouer |                  |                  |[*]               |
  |  au)               |                  |                  |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] M. P. met le trait d’union et indique un pluriel: pieds-de-bœuf.     |
  |                                                                             |
  |pied-de-chat (un),  |                  |pieds-de-chat     |En 1659, pied de  |
  |  plante            |                  |  (des), P.       |  chat.           |
  |pied-de-cheval (un) |                  |pieds-de-cheval   |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |pied-de-chèvre (un),|                  |pieds-de-chèvre   |                  |
  |  instr.            |                  |  (des)           |                  |
  |pied-de-griffon (un)|                  |pieds-de-griffon  |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |pied-de-lion (un),  |                  |pieds-de-lion     |En 1659, pied de  |
  |  plante            |                  |  (des)           |  lion.           |
  |pied-de-mouche (un),|pieds de mouche   |pieds-de-mouche   |                  |
  |  typ.              |  (des), écriture.|  (des), P.       |Mieux patte de    |
  |                    |                  |                  |  mouche.         |
  |pied-de-veau (un),  |                  |pieds-de-veau     |pied de veau, en  |
  |  plante            |                  |  (des)           |  1659.           |
  |*pied de roi (un),  |                  |pieds-de-roi      |M. P. indique à   |
  |  mesure            |                  |  (des),          |  tort le trait   |
  |                    |                  |                  |  d’union.        |
  |pied-d’œuvre (à)    |                  |                  |                  |
  |pied-droit (un)     |                  |pieds-droits (des)|piédroit. En 1659,|
  |                    |                  |                  |  pied droit.     |
  |piédestal (un)      |piédestaux (des)  |                  |                  |
  |pied-fort (un),     |pieds-forts (des) |                  |piéfort           |
  |  monnayage         |                  |                  |                  |
  |pied plat (un)      |pieds plats (des) |                  |piéplat. En 1659, |
  |                    |                  |                  |  piedplat.       |
  |pied poudreux (un)  |pieds poudreux    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |pie-grièche (une)   |                  |pies-grièches     |piegrièche        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |pie-mère (la),      |                  |                  |                  |
  |  anatomie          |                  |                  |                  |
  |pierre ponce (la)   |pierres ponces    |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |pince-maille (un)   |                  |pince-maille      |pincemaille       |
  |                    |                  |  (des), P.,      |                  |
  |                    |                  |  pince-mailles   |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |*pince-sans-rire    |                  |pince-sans-rire   |                  |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |pinne marine (une)  |pinnes marines    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |pique-assiette (un) |                  |pique-assiette    |                  |
  |                    |                  |  (des), pique-   |piquassiette      |
  |                    |                  |  assiettes (des),|                  |
  |                    |                  |  H.              |                  |
  |pique-nique (un)    |pique-niques (des)|                  |piquenique. M. P. |
  |                    |                  |                  |  écrit des pique-|
  |                    |                  |                  |  nique           |
  |pis aller (le)      |pis aller (des)   |                  |pis-aller (un)    |
  |pissenlit (un)      |pissenlits (des)  |                  |                  |
  |plafond (un)        |plafonds (des)    |                  |En 1659, platfond.|
  |plain-chant (le)    |                  |plains-chants     |plainchant        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |plain-pied (de)     |plain-pied (des)  |                  |plainpied         |
  |plat-bord (un)      |                  |plats-bords (des),|                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |*plat-de-côte (un)  |                  |plats-de-côte     |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |plate-bande (une)   |plates-bandes     |                  |platebande. En    |
  |                    |  (des)           |                  |  1659, platte    |
  |                    |                  |                  |  bande.          |
  |plate-forme (une)   |plates-formes     |                  |plateforme, 1659. |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |plate-longe (une)   |                  |plates-longes     |platelonge.       |
  |plat-pied (un)      |plats-pieds (des) |  (des)           |plapied           |
  |pleure-misère (un)  |pleure-misère     |                  |pleuremisère      |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |pleure-pain (un)    |                  |pleure-pain (des) |pleurepain        |
  |plupart (la)        |                  |                  |                  |
  |plus-pétition (une) |                  |plus-pétitions    |pluspétition      |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |plus-que-parfait    |                  |plus-que-parfaits |plusqueparfait    |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |plus tôt, plus tard,|                  |                  |                  |
  |  plutôt mourir     |                  |                  |                  |
  |plus-value (une)    |                  |plus-values (des) |pluvalue, comme   |
  |                    |                  |                  |  plupart, plutôt |
  |poix-résine (la)    |                  |poix-résines (les)|poix résine       |
  |pont-levis (un)     |ponts-levis (des) |                  |                  |
  |pont-neuf (un)      |ponts-neufs (des) |                  |                  |
  |                    |ponts et chaussées|                  |                  |
  |porc-épic (un)      |                  |porcs-épics (des) |M. P. adopte un   |
  |                    |                  |                  |  porc-épics, des |
  |                    |                  |                  |  porcs-épics.    |
  |porte-aiguille (un) |                  |porte-aiguille    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |porte-arquebuse (un)|                  |porte-arquebuse   |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |porte-baguette (un) |                  |porte-baguette    |portebaguette     |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |porteballe (un)     |porteballes (des) |                  |                  |
  |porte-barres (un)   |                  |porte-barres (des)|portebarre        |
  |porte-bougie (un)   |                  |porte-bougie (des)|portebougie, comme|
  |                    |                  |                  |  porteballe et   |
  |                    |                  |                  |  portechape.     |
  |porte-carabine (un) |                  |porte-carabine    |portecarabine     |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |*porte-caustique    |                  |porte-caustique   |portecaustique    |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |portechape (un)     |portechapes (des) |                  |                  |
  |portechoux (un)     |portechoux (des)  |                  |                  |
  |*porte-cigare (un), |                  |porte-cigare (des)|╭M. Hetrel a      |
  |  instr.            |                  |                  ||recueilli cet    |
  |*porte-cigares (un),|                  |porte-cigares     ||ingénieux ex. de |
  |  étui              |                  |  (des)           ||la subtilité de  |
  |                    |                  |                  ||l’emploi des     |
  |                    |                  |                  |╰ mots composés.  |
  |porte-clefs (un)    |                  |porte-clefs (des) |porteclé          |
  |portecollet (un)    |portecollets (des)|                  |                  |
  |portecrayon (un)    |portecrayons (des)|                  |                  |
  |porte-croix (un)    |                  |porte-croix (des) |portecroix        |
  |porte-crosse (un)   |                  |porte-crosse (des)|portecrosse       |
  |porte-Dieu (le)     |                  |                  |Pas de pluriel.   |
  |porte-drapeau (un)  |                  |porte-drapeau     |portedrapeau      |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |porte-enseigne (un) |                  |porte-enseigne    |portenseigne,     |
  |                    |                  |  (des)           |  1659.           |
  |porte-épée (un)     |                  |porte-épée (des)  |portépée. En 1659,|
  |                    |                  |                  |  portespée.      |
  |porte-étendard (un) |                  |porte-étendard    |portétendard      |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |porte-étriers (un)  |                  |porte-étriers     |portétrier        |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |porte-étrivières    |                  |porte-étrivières  |portétrivière     |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |portefaix (un)      |portefaix (des)   |                  |                  |
  |*porte-fenêtre (une)|                  |portes-fenêtres   |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |porte-fer (un)      |                  |porte-fer (des)   |portefer          |
  |portefeuille (un)   |portefeuilles     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |porte-hache (un)    |                  |porte-hache (des) |portehache        |
  |*porte-huiller (un) |                  |porte-huilier     |portehuilier      |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |porte-malheur (un)  |                  |porte-malheur     |portemalheur      |
  |                    |                  |                  |                  |
  |portemanteau (un)   |portemanteaux     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |*porte-monnaie (un) |                  |porte-monnaie     |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |porte-montre (un)   |porte-montres     |porte-montre (des)|portemontre       |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |porte-mors (un)     |                  |porte-mors (des)  |portemors         |
  |porte-mouchettes    |                  |porte-mouchettes  |portemouchette    |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |porte-mousqueton    |                  |porte-mousqueton  |portemousqueton   |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |porte-page (un)     |porte-page (des)  |                  |portepage         |
  |porte-pierre (un)   |                  |porte-pierre (des)|portepierre       |
  |*porteplume (un)    |                  |porteplumes (des) |                  |
  |porte-respect (un)  |                  |porte-respect     |porterespect      |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |porte-tapisserie    |                  |porte-tapisserie  |portetapisserie   |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |porte-trait (un)    |                  |porte-trait (des),|                  |
  |                    |                  |  porte-traits    |portetrait        |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |porte-vent (un)     |                  |porte-vent (des)  |portevent         |
  |porte-verge (un)    |                  |porte-verge (des) |porteverge        |
  |porte-vis (un)      |                  |porte-vis (des)   |portevis          |
  |porte-voix (un)     |                  |porte-voix (des)  |portevoix         |
  |postface (une)      |postfaces (des)   |                  |                  |
  |postscénium (un)    |postscéniums (des)|                  |                  |
  |post-scriptum (un)  |post-scriptum     |                  |postscriptum      |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |pot à fleurs (un)   |pots à fleurs     |                  |[*]               |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |pot-au-feu (un)     |pot-au-feu (des)  |                  |potaufeu[**]      |
  |                                                                             |
  |    [*] M. P. écrit à tort un pot-à-fleur, des pots-à-fleurs.                |
  |   [**] potaufeu. M. P. écrit des pots-au-feu. L’Académie écrit mettre le pot|
  |        au feu, sans tiret.                                                  |
  |                                                                             |
  |pot de chambre      |pots de chambre   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |pot-de-vin (un)     |pots-de-vin (des) |                  |podevin. Pot de   |
  |                    |                  |                  |  vin, 1659.      |
  |pot pourri (un)     |pots pourris (des)|                  |popourri          |
  |potron-jaquet       |                  |                  |Pas de pl.        |
  |potron-minet        |                  |                  |Idem.             |
  |pou-de-soie (le)    |                  |pous-de-soie      |poudesoie. En     |
  |                    |                  |  (les),          |  1659, pou de    |
  |                    |                  |  pou-de-soie     |  soye.           |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |pourboire (un)      |pourboires (des)  |                  |                  |
  |pourparler (un)     |pourparlers (des) |                  |                  |
  |pourtant            |                  |                  |                  |
  |pousse-cul (un)     |pousse-culs (des) |                  |poussecu[*]       |
  |                                                                             |
  |    [*] poussecu, comme tapecu. M. P. écrit des pousse-cul.                  |
  |                                                                             |
  |pousse-pieds (un)   |                  |pousse-pieds (des)|poussepied        |
  |premier-né (un)     |premiers-nés (les)|                  |premierné, comme  |
  |                    |                  |                  |  puîné.          |
  |*premier-Paris (un) |                  |premier-Paris     |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |premier pris (un)   |premiers pris     |                  |Indiqué avec tiret|
  |                    |  (des)           |                  |  au mot PREMIER. |
  |presqu’île (une)    |presqu’îles (des) |                  |presquîle         |
  |prête-nom (un)      |prête-noms (des)  |                  |prêtenom          |
  |prie-Dieu (un)      |prie-Dieu (des)   |                  |                  |
  |prime abord (de)    |                  |                  |Pas de pluriel.   |
  |prime saut (de)     |                  |                  |primesaut         |
  |prime-sautier, ière |prime-sautiers,   |                  |primesautier      |
  |                    |  ières           |                  |                  |
  |primevère (une)     |primevères (les)  |                  |                  |
  |*prince-époux (le)  |                  |princes-époux     |                  |
  |                    |                  |  (les)           |                  |
  |prix courant (un)   |prix courants     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |procès-verbal (un)  |procès-verbaux    |                  |procès verbal     |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |prud’homie (la)     |                  |                  |prudhomie         |
  |prud’homme (un)     |prud’hommes (des) |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] _Prudus_, en v. fr. prude, donnerait prudehomme ou prudhomme de      |
  |        _prudhomus_, bas lat.                                                |
  |                                                                             |
  |pseudo-acacia (un)  |                  |pseudo-acacias    |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |pseudo-prophète (un)|                  |pseudo-prophètes  |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |puisque alors       |                  |                  |                  |
  |puisqu’il, puisqu’un|                  |                  |                  |
  |quant-à-soi (son)   |                  |                  |Pas de pluriel.   |
  |                    |                  |                  |  Quant à soy,    |
  |                    |                  |                  |  1659.           |
  |quartier-maître (un)|                  |quartier-maîtres  |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |                    |                  |quartiers-maîtres |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |quartier-mestre (un)|                  |quartier-mestres  |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |quasi-délit (un),   |                  |quasi-délits      |                  |
  |  etc.              |                  |  (des), P.       |                  |
  |                    |quatre-saisons    |                  |quatre saisons    |
  |                    |  (marchand des)  |                  |  (march. des)    |
  |                    |Quatre-Temps (les)|                  |                  |
  |                    |quatre-vingts     |                  |Mais on écrit:    |
  |                    |                  |                  | quatre-vingt-six.|
  |quelquefois         |                  |                  |                  |
  |quelqu’un, une      |quelqu’uns, unes  |                  |                  |
  |qu’en dira-t-on     |                  |qu’en dira-t-on   |                  |
  | (le)               |                  |  (des), P.       |                  |
  |queue-d’aronde      |                  |queues-d’aronde   |En 1659, queue    |
  | (une)              |                  |  (des)           |  d’arondelle.    |
  |queue-de-cheval     |                  |queues-de-cheval  |                  |
  |  (une), pl.        |                  |  (des)           |                  |
  |queue-de-cochon     |                  |queues-de-cochon  |                  |
  |  (une), outil      |                  |  (des)           |                  |
  |queue-de-lion (une),|                  |queues-de-lion    |                  |
  |  plante            |                  |  (des)           |                  |
  |queue-de-pourceau   |                  |queues-de-pourceau|                  |
  |  (une)             |                  |  (des)           |                  |
  |queue-de-rat (une), |                  |queues-de-rat     |                  |
  |  outil             |                  |  (des)           |                  |
  |queue-de-renard     |                  |queues-de-renard  |En 1659, queuë de |
  |  (une)             |                  |  (des)           |  renard.         |
  |queue-de-souris     |                  |queues-de-souris  |                  |
  |  (une), plante     |                  |  (des)           |                  |
  |*queue-du-chat (la),|                  |                  |                  |
  |  t. de danse       |                  |                  |                  |
  |queue leu leu (à la)|                  |                  |                  |
  |queussi-queumi?     |                  |                  |                  |
  |Quinze-Vingt (un)   |Quinze-Vingts     |                  |[CY]              |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] M. P. écrit un quinze-vingts. En 1659, les quinze vingts.            |
  |                                                                             |
  |quiproquo (un)      |quiproquo (des)   |                  |                  |
  |qui-va-là           |                  |                  |                  |
  |qui-vive (le)       |                  |qui-vive (les)    |                  |
  |quote-part (une)    |                  |quotes-parts (des)|                  |
  |quoique ici         |                  |                  |                  |
  |quoiqu’il           |                  |                  |                  |
  |quoi qu’il arrive   |                  |                  |                  |
  |rabat-joie (un)     |                  |rabat-joie (des)  |rabajoie. En 1659,|
  |                    |                  |                  |  rabbat-joye.    |
  |*railway (un)       |                  |railways (des)    |                  |
  |rat de cave (un)    |rats de cave (des)|                  |                  |
  |rebrousse-poil (à)  |                  |                  |                  |
  |reine-Claude (une)  |reines-Claude     |                  |reineclaude[*]    |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] reineclaude, pour sauver l’anomalie du pluriel.--M. P. écrit une     |
  |        reine-claude, des reines-claudes.                                    |
  |                                                                             |
  |reine marguerite    |reines marguerites|                  |                  |
  |  (une)             |  (des)           |                  |                  |
  |relève-quartier (un)|                  |relève-quartier   |relèvequartier    |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |remue-ménage (un)   |                  |remue-ménage (des)|remueménage. En   |
  |                    |                  |                  |  1659, remuë-    |
  |                    |                  |                  |  ménage.         |
  |rendez-vous (un)    |rendez-vous (des) |                  |                  |
  |réveille-matin (un) |                  |réveille-matin    |réveillematin     |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |revenant-bon (un)   |revenants-bons    |                  |revenantbon, ou   |
  |                    |  (des)           |                  |  revenanbon,     |
  |                    |                  |                  |  comme plafond.  |
  |rez-de-chaussée (un)|rez-de-chaussée   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |rez terre           |                  |                  |rès. Antr. res ou |
  |                    |                  |                  | _rez_ de _rasum_.|
  |ric-à-ric           |                  |                  |ric à ric. Ric,   |
  |                    |                  |                  |  terre inculte.  |
  |rogne-pied (un),    |                  |rogne-pieds (des) |rognepied         |
  |  instrum.          |                  |                  |                  |
  |ronde bosse (la)    |rondes bosses     |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |ronde-major (une)   |                  |rondes-major (des)|rondemajor        |
  |rond-point (un)     |                  |ronds-points (des)|                  |
  |rose-croix (un)     |rose-croix (les)  |                  |rosecroix         |
  |rose pompon (une)   |roses pompons     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |rosée-du-soleil     |                  |rosées-du-soleil  |En 1659, rosée du |
  |  (la), plante      |                  |  (des)           |   soleil.        |
  |rouge bord (un)     |rouges bords (des)|                  |                  |
  |*rouge-cerise, adj. |rouge-cerise      |                  |                  |
  |                    |  (fers)          |                  |                  |
  |rouge-gorge (un)    |rouges-gorges     |                  |rougegorge        |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |rouge-queue (un)    |                  |rouges-queues     |rougequeue. En    |
  |                    |                  |  (des)           |  1659, rougecul  |
  |                    |                  |                  |  ou rougequeuë.  |
  |Royaume-Uni (le),   |                  |                  |                  |
  |  l'Angleterre      |                  |                  |                  |
  |Royaume-uni de la   |                  |                  |                  |
  |  Grande-Bretagne   |                  |                  |                  |
  |rue du faubourg     |                  |                  |rue du faubourg   |
  |  Saint-Jacques     |                  |                  |  saint Jacques   |
  |rubis balais (un)   |rubis balais (des)|                  |                  |
  |sage-femme (une)    |sages-femmes (des)|                  |sagefemme         |
  |saint-augustin      |                  |saint-augustins   |                  |
  |  (corps)           |                  |  (des), H.       |                  |
  |sainte-barbe (la)   |                  |saintes-barbes    |saintebarbe       |
  |                    |                  |  (les)           |                  |
  |Saint-Barthélemy    |                  |saint-barthélemys |[*]               |
  |  (la)              |                  |  (des)           |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] M. Hetzel l’écrit par y, mais il me semble que cette forme archaïque |
  |        doit disparaître.                                                    |
  |                                                                             |
  |sainte nitouche     |saintes nitouches |                  |                  |
  |  (une)             |  (des)           |                  |                  |
  |saint-esprit d’or   |saint-esprit (des)|                  |                  |
  |  (un)              |                  |                  |                  |
  |Saint-Germain en    |                  |                  |Saint Germain en  |
  |  Laye              |                  |                  |  Laye            |
  |saint-germain (un), |                  |saint-germains    |saingermain       |
  |  poire             |                  |  (des), H.       |                  |
  |Saint-Lazare (ordre |                  |                  |saint Lazare      |
  |  de)               |                  |                  |  (ordre de)      |
  |saint-office        |                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] L’Académie l’écrit de deux manières différentes. Voir OFFICE et      |
  |        SAINT.                                                               |
  |                                                                             |
  |saint-père (le)     |                  |                  |                  |
  |saint sacrement (le)|                  |                  |                  |
  |saint sépulcre (le) |                  |                  |                  |
  |saint-siége (le)    |                  |                  |saint siége       |
  |*saint-simonien (un)|                  |saint-simoniens   |saintsimonien, ou |
  |                    |                  |  (des)           |   sainsimonien.  |
  |saisie-arrêt (une)  |                  |saisies-arrêts    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |salvanos (un)       |                  |                  |_salvanos_        |
  |san-benito (un)     |                  |san-benito (des)  |sanbenito         |
  |sang-de-dragon      |                  |sang-de-dragon    |sang de dragon, ou|
  |                    |                  |  (des)           |  mieux sandragon.|
  |sang-froid (le)     |                  |sangs-froids      |                  |
  |sangsue (une)       |sangsues (des)    |  (des), H.       |sansue. En 1659,  |
  |                    |                  |                  | sangsuë ou sansuë|
  |*sans-culotte (un)  |                  |sans-culottes     |sanculotte.       |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |sans-dent (une)     |sans-dents (des)  |                  |                  |
  |*sans-façon (le)    |                  |                  |                  |
  |sans-fleur (une),   |                  |sans-fleur (des)  |sanfleur          |
  |  fruit             |                  |                  |                  |
  |*sans-gêne (le)     |                  |                  |                  |
  |sans-peau (une),    |                  |sans-peau (des)   |sanpeau           |
  |  fruit             |                  |                  |                  |
  |sans-souci (un)     |                  |sans-souci (des)  |sansouci, comme   |
  |                    |                  |                  |  soucoupe,       |
  |                    |                  |                  |  souterrain      |
  |sapeur-pompier (un) |sapeurs-pompiers  |                  |sapeur pompier    |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |sauf-conduit (un)   |sauf-conduits     |                  |saufconduit       |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |saute-ruisseau (un) |                  |saute-ruisseau    |sauteruisseau     |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |sauvegarde (une)    |sauvegardes (des) |                  |                  |
  |sauve qui peut (un) |sauve qui peut    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |sauve-vie (la),     |                  |sauve-vie (des),  |sauvevie          |
  |  plante            |                  |  H.              |                  |
  |savoir-faire (le)   |                  |                  |savoirfaire. Pas  |
  |                    |                  |                  |  de pl.          |
  |savoir-vivre (le)   |                  |                  |savoirvivre. Pas  |
  |                    |                  |                  |  de pl.          |
  |semaine sainte (la) |semaines saintes  |                  |semaine-sainte,   |
  |                    |  (des)           |                  |  livre de prières|
  |semen-contra (du)   |                  |semen-contra (des)|semencontra       |
  |*semi-authentique,  |semi-authentiques |                  |                  |
  |  adj.              |                  |                  |                  |
  |semi-double, adj.   |semi-doubles      |                  |semidouble, comme |
  |                    |                  |                  |  hémisphère      |
  |semi-pension (une)  |                  |semi-pensions     |semipension       |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |semi-preuve (une)   |                  |semi-preuves (des)|semipreuve        |
  |semi-ton (un)       |                  |semi-tons (des)   |semiton, en 1659. |
  |semper virens, adj. |                  |semper virens     |_sempervirens_    |
  |sénatus-consulte    |sénatus-consultes |                  |                  |
  |  (un)              |  (des)           |                  |                  |
  |sens devant derrière|                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] On écrivait primitivement ce en devant derrière, ou c’en devant      |
  |        derrière, 1659                                                       |
  |                                                                             |
  |sergent de ville    |sergents de ville |                  |                  |
  |  (un)              |  (des)           |                  |                  |
  |sergent-fourrier    |                  |sergents-fourriers|                  |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |sergent-major (un)  |                  |sergents-majors   |sergent major,    |
  |                    |                  |  (des)           |  1659            |
  |serre-file (un)     |                  |serre-file (des)  |serrefile         |
  |serre-papiers (un)  |serre-papiers     |                  |serrepapier       |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |*serre-point        |                  |serre-point (des) |serrepoint        |
  |serre-tête (un)     |serre-tête (des)  |                  |serretête         |
  |servante-maîtresse  |                  |servantes-        |                  |
  |  (une)             |                  |  maîtresses (des)|                  |
  |soi-disant          |soi-disant        |                  |soidisant         |
  |soixante et un      |                  |                  |L’Ac. écrit aussi |
  |                    |                  |                  |  soixante-un.    |
  |songe-creux (un)    |                  |songe-creux (des) |songecreux        |
  |songe-malice (un)   |                  |songe-malice (des)|songemalice       |
  |sot-l’y-laisse (un)?|                  |sot-l’y-laisse    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |soucoupe (une)      |soucoupes (des)   |                  |                  |
  |souffre-douleur (un)|                  |souffre-douleur   |souffredouleur    |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |soulever            |                  |                  |                  |
  |souligner           |                  |                  |                  |
  |soumettre           |                  |                  |                  |
  |soupente (une)      |soupentes (des)   |                  |                  |
  |sourd-muet (un)     |sourds-muets (des)|                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] On imprime, contr. à l’Ac., l’Institution des Sourds-Muets. H.       |
  |                                                                             |
  |sourire (un)        |sourires (des)    |                  |                  |
  |sous-affermer       |                  |                  |                  |
  |sous-aide (un)      |sous-aides (des)  |                  |                  |
  |sous-amender        |                  |                  |                  |
  |sous-arbrisseau (un)|                  |sous-arbrisseaux  |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |sous-bail (un)      |sous-baux (des)   |                  |soubail[*]        |
  |                                                                             |
  |    [*] soubail, comme soucoupe, soupente,                                   |
  |                                                                             |
  |sous-barbe (une)    |                  |sous-barbes (des) |soubarbe. En 1659,|
  |                    |                  |                  |  sousbarbe.      |
  |sous-chef (un)      |                  |sous-chefs (des), |souchef           |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |sous-clavier, ière  |sous-claviers,    |                  |souclavier[*]     |
  |                    |  ères            |                  |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] souclavier. En 1659, sousclavière.                                   |
  |                                                                             |
  |sous-délégué, ée    |sous-délégués, ées|                  |soudélégué        |
  |sous-diacre (un)    |                  |sous-diacres      |soudiacre. En     |
  |                    |                  |  (des), P.       | 1659, sousdiacre.|
  |sous-dominante (la) |                  |sous-dominantes   |soudominante      |
  |                    |                  |  (les)           |                  |
  |sous-double, adj.   |sous-doubles      |                  |soudouble         |
  |sous-entendu (un)   |sous-entendus     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |sous-faite (un)     |                  |sous-faites (des) |soufaite          |
  |sous-ferme (une)    |sous-fermes (des) |                  |souferme          |
  |sous-garde (une)    |                  |sous-gardes (des) |sougarde          |
  |sous-gorge (une)    |                  |sous-gorges (des) |sougorge. En 1659,|
  |                    |                  |                  |  sousgorge.      |
  |sous-lieutenant (un)|sous-lieutenants  |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |sous-locataire (un) |                  |sous-locataires   |soulocataire      |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |*sous-main (un)     |                  |sous-main (des),  |soumain           |
  |                    |                  |  H.              |                  |
  |sous-maître (un),   |                  |sous-maîtres      |soumaître,        |
  |  esse              |                  |  (des), esses    |  soumaîtresse    |
  |sous-marin, ine     |sous-marins, ines |                  |soumarin          |
  |sous-multiple       |sous-multiples    |                  |soumultiple       |
  |sous-officier (un)  |sous-officiers    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |sous-ordre (un)     |sous-ordres (des) |                  |                  |
  |sous-pied (un)      |sous-pieds (des)  |sous-pieds (des), |soupied[*]        |
  |                    |                  |  H.              |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] soupied. M. P. fait invariable ce mot composé. En 1659, souspied.    |
  |                                                                             |
  |sous-préfet (un)    |                  |sous-préfets (des)|soupréfet         |
  |*sous-secrétaire    |                  |sous-secrétaires  |sousecrétaire[*]  |
  |  (un)              |                  |  (des)           |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] sousecrétaire. En 1659, soussecrétaire.                              |
  |                                                                             |
  |*sous-seing (un)    |                  |sous-seings (des),|sousseing.        |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |sous seing privé    |                  |                  |                  |
  |soussigné, ée       |soussignés, ées   |                  |                  |
  |sous-sol (un)       |                  |sous-sols (des)   |sousol            |
  |sous-tangente (une) |                  |sous-tangentes    |soutangente       |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |sous-tendante (une) |                  |sous-tendantes    |soutendante       |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |sous-traitant (un)  |                  |sous-traitants    |soutraitant       |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |soustylaire (une)   |soustylaires (des)|                  |                  |
  |sous-ventrière (une)|                  |sous-ventrières   |souventrière      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |soutenir            |                  |                  |                  |
  |souterrain (un)     |souterrains (des) |                  |                  |
  |soutirer            |                  |                  |                  |
  |_spina-ventosa_ (le)|                  |                  |_spina ventosa_   |
  |                    |                  |                  |  [*]             |
  |sud-sud-est         |                  |                  |                  |
  |sur-aller, vén.     |                  |                  |suraller[**]      |
  |                                                                             |
  |    [*] _spina ventosa_, sans tiret et sans plur.                            |
  |   [**] suraller, comme surajouter.                                          |
  |                                                                             |
  |sur-andouiller (un) |                  |sur-andouillers   |surandouiller     |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |sur-arbitre         |                  |sur-arbitres      |surabitre[*]      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |sur-le-champ        |                  |                  |surlechamp[**]    |
  |                                                                             |
  |    [*] surabitre, comme les autres composés avec _sur_.                     |
  |   [**] surlechamp, comme surtout.--Sur le champ, 1659.                      |
  |                                                                             |
  |surtaxe (une)       |surtaxes (des)    |                  |                  |
  |surtout, adv.       |                  |                  |                  |
  |surtout (un)        |surtouts (des)    |                  |                  |
  |susdit, ite         |susdits, dites    |                  |                  |
  |*sus-dominante, adj.|                  |sus-dominantes, P.|susdominante      |
  |sus-énoncé, ée      |sus-énoncés, ées  |                  |susénoncé, comme  |
  |                    |                  |                  |  susdit          |
  |*sus-mentionné, ée  |                  |sus-mentionnés,   |susmentionné      |
  |                    |                  |  ées             |                  |
  |*sus-nommé, ée      |                  |sus-nommés, ées   |susnommé          |
  |*sus-visé, ée       |                  |sus-visés, ées    |susvisé           |
  |taille-douce (une)  |                  |tailles-douces    |tailledouce. En   |
  |                    |                  |  (des), P.       | 1659, tailledouce|
  |*taille-doucier     |                  |taille-douciers   |tailledoucier     |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |taille-mer (un)     |                  |taille-mer (des)  |taillemer, à cause|
  |                    |                  |                  |   du pluriel.    |
  |tambour-maître (un) |tambours-maîtres  |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |tambour-major (un)  |tambours-majors   |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |tam-tam (un)        |                  |tam-tams (des), ou|tamtam, à cause de|
  |                    |                  |  tam-tam         |  crincrin,       |
  |                    |                  |                  |  flicflac,       |
  |tantôt              |                  |                  |  flonflon.       |
  |tapecu (un)         |tapecus (des)     |                  |                  |
  |tâte-vin (un)       |                  |tâte-vin (des)    |tâtevin           |
  |taupe-grillon (un)  |                  |taupes-grillons   |Il fallait grillon|
  |                    |                  |  (des)           |  taupe.          |
  |_Te Deum_ (un)      |                  |Te-Deum (des), P. |                  |
  |*tente-abri (une)   |                  |tentes-abris      |tente abri        |
  |terre à terre (le)  |                  |  (des), H.       |                  |
  |terre ferme (la)    |terres fermes     |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |terre-neuvier (un)  |                  |terre-neuviers    |terreneuvier      |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |terre-noix (une)    |                  |terre-noix (des)  |terrenoix         |
  |terre-plein (un)    |                  |terre-pleins (des)|terreplein        |
  |terre sainte (la)   |                  |                  |Pas de pl.        |
  |tête à tête, loc.   |                  |                  |                  |
  |  adv.              |                  |                  |                  |
  |tête-à-tête (un)    |tête-à-tête (des) |                  |                  |
  |théâtre français    |                  |                  |                  |
  |  (le), en général  |                  |                  |                  |
  |Théâtre-Français    |                  |                  |                  |
  |  (le), rue         |                  |                  |                  |
  |  Richelieu         |                  |                  |                  |
  |tic tac             |                  |tic-tac (des), P. |tictac. Voir      |
  |                    |                  |                  |  tam-tam.        |
  |tiers arbitre (un)  |tiers arbitres    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |tiers état (le)     |tiers états (les) |                  |                  |
  |tiers ordre (le)    |                  |                  |Pas de pl.        |
  |tiers-point (un)    |                  |tiers-points      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |*timbre-poste (un)  |                  |timbres-poste     |Voir malles-poste.|
  |tire-balle (un)     |tire-balles (des) |  (des)           |tireballe         |
  |tire-botte (un)     |                  |tire-bottes (des),|tirebotte, 1659,  |
  |                    |                  |  P.              |  comme tirelire. |
  |tire-bouchon (un)   |                  |tire-bouchon      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                    |                  |tire-bouchons     |tirebouchon       |
  |                    |                  |  (des), H.       |  (coiffure en)   |
  |tire-bourre (un)    |                  |tire-bourre (des),|                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |                    |                  |tire-bourres      |tirebourre        |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |tire-bouton (un)    |                  |tire-bouton (des) |tirebouton. M. P. |
  |                    |                  |tire-boutons      |  écrit un        |
  |                    |                  |  (des), H.       |  tire-boutons.   |
  |tire-d’aile (un)    |tire-d’aile (des) |                  |                  |
  |tire-fond (un)      |                  |tire-fond (des),  |tirefond, 1659.   |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |tirelaine (un)      |                  |tirelaines (des)  |tirelaine, 1659.  |
  |tire-laisse (un)    |                  |tire-laisse (des),|tirelaisse        |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |tire-larigot (à)    |                  |tire-larigot      |tirelarigot[*]    |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] tirelarigot, 1659. Cette expression ne comporte peut-être pas le     |
  |        pluriel proposé par M. P.                                            |
  |                                                                             |
  |tire-liard (un)     |                  |tire-liard (des)  |                  |
  |tire-ligne (un)     |                  |tire-ligne (des), |tireligne, et     |
  |                    |                  |  P., tire-lignes | aussi entreligne,|
  |                    |                  |  (des), H.       | comme interligne.|
  |tirelire (une)      |tirelires (des)   |                  |                  |
  |tire-moelle (un)    |                  |tire-moelle (des),|tiremoelle        |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |tire-pied (un)      |                  |tire-pied (des),  |                  |
  |                    |                  |  P., tire-pieds  |tirepied, 1659.   |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |tire-tête (un)      |tire-têtes (des)  |                  |tiretête          |
  |*tohu-bohu          |                  |tohu-bohu (des)   |tohubohu          |
  |torche-cul (un)     |                  |torche-cul (des)  |torchecu (un), à  |
  |                    |                  |                  |  cause de tapecu.|
  |torche-nez (un)     |                  |torche-nez (des)  |torchenez         |
  |tour à tour         |                  |                  |                  |
  |tournebride (un)    |tournebrides (des)|                  |                  |
  |tournebroche (un)   |tournebroches     |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |tournemain (en un)  |                  |                  |                  |
  |tournesol (un)      |tournesols (des)  |                  |                  |
  |tournevis (un)      |tournevis (des)   |                  |                  |
  |Toussaint (la)      |                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] On écrivait autrefois la Toussaints.                                 |
  |                                                                             |
  |tout à coup         |                  |                  |                  |
  |tout à fait         |                  |                  |                  |
  |tout à l’heure      |                  |                  |                  |
  |tout-courant, adv.  |                  |                  |toutcourant[*]    |
  |                                                                             |
  |    [*] toutcourant. L’Ac. donne ce composé au mot COURANT.                  |
  |toute-bonne (la),   |                  |toute-bonnes      |toutebonne        |
  |  plante            |                  |  (des), P.       |                  |
  |toute-épice (une)   |                  |toute-épice (des),|toutépice         |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |toutefois, adv.     |                  |                  |[*]               |
  |                                                                             |
  |    [*] Id., mais on écrit toutes fois et quantes.                           |
  |                                                                             |
  |toute-saine (une),  |                  |toute-saines      |                  |
  |  arbre             |                  |  (des), P.       |                  |
  |                    |                  |  toutes-saines   |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |tout-ou-rien (un)   |                  |                  |                  |
  |tou-tou (un)        |                  |tou-tou (des),    |toutou            |
  |                    |                  |  tou-tous (des), |                  |
  |                    |                  |  H.              |                  |
  |tout-puissant,      |tout-puissants,   |                  |On devrait dire   |
  |  toute-puissante   | toutes-puissantes|                  |  tout-puissante. |
  |trachée-artère (la) |                  |trachées-artères  |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |tragi-comédie (une) |tragi-comédies    |                  |                  |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |tranchefile (une)   |tranchefiles (des)|                  |                  |
  |tranchelard (un)    |tranchelards (des)|tranche-lard      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |tranche-montagne    |                  |tranche-montagne  |tranchemontagne,  |
  |  (un)              |                  |  (des), tranche- |  comme           |
  |                    |                  |  montagnes (des),|  tranchelard     |
  |                    |                  |  H.              |                  |
  |transsubstantiation |                  |                  |                  |
  |  (la)              |                  |                  |                  |
  |tréfonds (le)       |                  |                  |Écrit autrefois   |
  |                    |                  |                  |  très-fonds.     |
  |trente et quarante  |                  |trente et quarante|                  |
  |  (le)              |                  |  (les)           |                  |
  |*trente et un (le)  |                  |trente-et-un      |trente et un[*]   |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |                                                                             |
  |    [*] trente et un (jeu de), comme trente et quarante.                     |
  |                                                                             |
  |très-bon, etc.      |                  |                  |très bon, etc.    |
  |tré-sept (un)       |                  |tré-sept (des)    |trésept (jouer au)|
  |                    |                  |                  |  (jouer au),     |
  |                    |                  |                  |  comme trictrac. |
  |trictrac (le)       |trictracs (des)   |                  |                  |
  |trique-bale (une)   |                  |trique-bales (des)|triquebale        |
  |trique-madame (une) |                  |trique-madame     |triquemadame,     |
  |                    |                  |  (des)           |  1659.           |
  |trois-mâts (un)     |                  |trois-mâts (des)  |                  |
  |trois-quart (un),   |                  |trois-quarts (des)|On écrit portrait |
  |  ou trocart        |                  |                  |  de trois quarts.|
  |trompe-l’œil (un)   |trompe-l’œil (des)|                  |                  |
  |trop-plein (le)     |                  |trop-plein (les)  |                  |
  |trouble-fête (un)   |                  |trouble-fête      |                  |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |trou-madame (un)    |                  |trous-madame      |troumadame        |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |trousse-étriers (un)|                  |trousse-étriers   |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |trousse-galant (un) |                  |trousse-galant    |                  |
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |trousse-pète (une)  |                  |trousse-pète (des)|troussepète       |
  |trousse-queue (un)  |                  |trousse-queue     |troussequeue (une)|
  |                    |                  |  (des)           |                  |
  |tu-autem (le)       |                  |tu-autem (des), P.|_tu autem_        |
  |tue-chien (le)      |                  |tue-chien (des)   |                  |
  |tue-tête (à)        |                  |                  |                  |
  |*ultra-royaliste    |                  |ultra-royalistes  |L’Acad. écrit par |
  |  (un)              |                  |  (des)           |  abréviation des |
  |                    |                  |                  |  ultra. ultras   |
  |                    |                  |                  |  vaut mieux, H.  |
  |vade-mecum (un)     |                  |vade-mecum (des), |                  |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |va-et-vient (mouv.  |                  |va-et-vient (des),|                  |
  |  de)               |                  |  P.              |                  |
  |valet-à-patin (un)  |                  |valets-à-patin    |                  |
  |                    |                  |  (des), valets-à-|                  |
  |                    |                  |  patins (des), H.|                  |
  |va-nu-pieds (un)    |                  |va-nu-pieds (des),|vanupied          |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  |va-t’en, vas-y      |                  |                  |va-s-y            |
  |va-tout (le)        |                  |va-tout (des)     |vatout            |
  |vau-de-route (à)    |                  |                  |                  |
  |vau-l’eau (à)       |                  |                  |                  |
  |veine cave (la)     |veines caves (les)|                  |                  |
  |veine porte (la)    |veines portes     |                  |                  |
  |                    |  (les)           |                  |                  |
  |veni-mecum (un)     |                  |veni-mecum (des)  |_veni mecum_      |
  |ver à soie (un)     |vers à soie (des) |                  |                  |
  |ver-coquin (un)     |                  |vers-coquins      |vercoquin, comme  |
  |                    |                  |  (des), P.       |  dans l’ancien   |
  |                    |                  |                  |  français.       |
  |ver luisant (un)    |vers luisants     |vers-luisants     |                  |
  |                    |  (des)           |  (des), P.       |                  |
  |vert-de-gris (un)   |                  |verts-de-gris     |verderis[246]     |
  |                    |                  |  (des), P.       |                  |
  |*vert-dragon, adj.  |                  |                  |invariable.       |
  |vert-pomme, adj.    |                  |                  |invariable.       |
  |vert-pré, adj.      |                  |                  |invariable.       |
  |vesse-de-loup (la), |                  |vesses-de-loup    |                  |
  |  plante            |                  |  (des)           |                  |
  |vice-amiral (un)    |vice-amiraux (des)|                  |viçamiral         |
  |vice-bailli (un)    |vice-baillis (des)|                  |vicebailli, etc.  |
  |vice-chancelier (un)|vice-chanceliers  |                  |id.               |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |vice-consul (un)    |vice-consuls (des)|                  |id.               |
  |vice-gérant (un)    |vice-gérants (des)|                  |id.               |
  |vice-gérent (un)    |vice-gérents (des)|                  |id.               |
  |vice-légat (un)     |vice-légats (des) |                  |id.               |
  |vice-président (un) |vice-présidents   |                  |id.               |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |vice-reine (une)    |vice-reines (des) |                  |id.               |
  |vice-roi (un)       |vice-rois (des)   |                  |id.               |
  |vice-sénéchal (un)  |vice-sénéchaux    |                  |id.               |
  |                    |  (des)           |                  |                  |
  |_vice versâ_        |                  |                  |                  |
  |vide-bouteille (un) |                  |vide-bouteille    |videbouteille.    |
  |                    |                  |  (des), vide-    |  M. P. écrit un  |
  |                    |                  |  bouteilles      |  vide-bouteilles.|
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |*vide-poche (un)    |                  |vide-poche (des), |videpoche         |
  |                    |                  |  vide-poches     |                  |
  |                    |                  |  (des), H.       |                  |
  |vif-argent (le)     |                  |vifs-argents (les)|vifargent         |
  |virevolte (une)     |virevoltes (des)  |                  |                  |
  |virevousse ou       |virevousses (des) |                  |                  |
  |  virevouste (une)  |                  |                  |                  |
  |vis-à-vis (un)      |                  |vis-à-vis (des)   |                  |
  |vive voix (de)      |                  |                  |                  |
  |vol-au-vent (un)    |vol-au-vent (des) |                  |M. P. écrit       |
  |                    |                  |                  |  vole-au-vent. On|
  |                    |                  |                  |  pourrait adopter|
  |                    |                  |                  |  volauvent       |
  |volte-face (faire)  |                  |volte-face (des), |volteface         |
  |                    |                  |  P.              |                  |
  +--------------------+------------------+------------------+------------------+

      [246] Ce mot devrait être écrit _verderis_ comme dans le
      dictionnaire de Nat. Duez, où on lit: «Verderis ou verd de gris,
       en italien _verderame_.» _Rame_ en italien, abrégé de _æramen_,
      signifie _le cuivre_; vert-de-gris, corruption de _verderis_, est
      donc le _vert de cuivre_.




APPENDICE _G_.


Je terminerai cette longue revue des systèmes proposés, des idées et
des opinions émises depuis l’origine de la critique littéraire pour ou
contre la réforme orthographique, par la citation de quelques articles
que ma première édition du présent ouvrage a provoqués de la part
d’écrivains distingués dans des journaux ou des recueils importants.
L’article si remarquable de M. Sainte-Beuve a déjà été inséré en
partie, p. 165-175. M. Victor FOURNEL a publié, dans la _Gazette de
France_ du 28 janvier 1867, un compte rendu dont j’extrais les passages
les plus importants:

  «L’orthographe française jouit d’une renommée redoutable,
  légitimement acquise par ses anomalies, ses complications et ses
  incohérences. Elle est assurément la plus puissante barrière qui
  subsiste aujourd’hui contre la diffusion universelle de notre langue,
  et c’est la langue elle-même qui l’a élevée, comme pour racheter
  ainsi sa clarté proverbiale et faire payer sa conquête au prix
  qu’elle vaut.

  «Cette orthographe n’est pas seulement bizarre, elle est irrégulière
  dans ses bizarreries et contradictoire dans ses irrégularités. Sa
  logique est entachée d’arbitraire: nous l’allons montrer tout à
  l’heure. Il en est du code grammatical comme de l’autre, où l’avocat
  général Servan se plaignait jadis qu’on ne pût se reconnaître à
  travers ce dédale de lois sur des lois, de lois contre des lois,
  de lois sans objet, de lois inutiles, insuffisantes, redondantes,
  oubliées, dangereuses, opposées, impossibles, et qu’on n’a cessé de
  compliquer soigneusement depuis, jusque dans les moindres recoins de
  la jurisprudence, par des arrêts sur des arrêts, contre des arrêts,
  autour des arrêts, pour les expliquer, pour les appuyer, pour les
  casser, pour les élargir, pour les restreindre, pour les éclaircir et
  pour les embrouiller.

  «Les causes de ces variations ne tiennent pas exclusivement à
  l’origine mixte de notre langue: elles seraient trop longues à
  expliquer en détail, et il suffit d’en constater le résultat.
  S’il est vrai, comme on l’a dit, que l’orthographe est une de ces
  sciences qu’il n’y a aucune gloire à connaître, mais qu’il y a honte
  à ignorer, avouons franchement que chacun de nous porte sa part de
  cette honte. Qui n’a été obligé de recourir cent fois au Dictionnaire
  pour vérifier tel mot composé, pour savoir si _contre-coup_ ne prend
  point de trait d’union, comme _contrebande_, ou en prend un comme
  _contre-temps_; s’il faut bien deux _n_ à _confessionnal_, tandis
  qu’il n’en faut qu’une à _national_; comment s’écrit _conso_nn_ance_
  et comment s’écrit _disso_n_ance_; et si le substantif _clou_, au
  pluriel, a l’_s_, comme _filou_, ou l’_x_, comme _hibou_, etc., etc.?
  Ces cas sont innombrables, et déconcertent à chaque pas les esprits
  les plus exacts comme les mémoires les plus tenaces.

  «On assure que Chateaubriand ne savait pas l’orthographe; il lui
  suffisait de savoir sa langue; pour le reste, il s’en remettait à
  son secrétaire ou à son imprimeur. Béranger a avoué lui-même que
  pendant longtemps il n’avait pu l’apprendre. Tout le monde n’a point
  les priviléges de Béranger ou de Chateaubriand, et, à les imiter,
  on risquerait beaucoup plus de se faire accuser d’ignorance que de
  se faire soupçonner de génie. Le temps n’est plus où l’orthographe
  était considérée comme une science mesquine, faite pour les maîtres
  d’école et les professeurs d’écriture, et où un hobereau pouvait dire
  fièrement:

  «Je n’aime point la pédanterie. Pour moi, je mets l’orthographe en
  gentilhomme, et non en académicien.»

  «Il orthographiait en gentilhomme, bien qu’il fût académicien, cet
  illustre maréchal de Richelieu, dont on conserve le discours de
  réception écrit de sa propre main, et plus criblé de fautes que
  ne le fut jamais la dictée d’un écolier de huitième. Et aussi ce
  glorieux maréchal de Saxe, qui eut du moins l’esprit de ne point se
  laisser ranger au nombre des immortels, et dont on a une lettre toute
  pleine de couleur locale et portant sa démonstration en elle-même,
  où se lit le passage suivant: «Ils veule me fere de la Cadémie;
  cela miret come une bage a un chas.» Louis XIV avait l’orthographe
  du premier gentilhomme de France, et Napoléon celle d’un homme de
  génie. Orthographier correctement, c’était l’exception jadis, et,
  pour ainsi dire, le privilége des seuls savants. Rien n’était plus
  rare dans le meilleur monde, quelquefois parmi les personnes les plus
  instruites, les plus spirituelles et les plus lettrées: les amateurs
  d’autographes le savent bien. Qui n’a, par exemple, péniblement
  déchiffré, à travers le charmant fouillis de leurs griffes de chat,
  quelques-uns de ces jolis billets écrits par les grandes dames du
  dix-huitième siècle, souvent avec la grâce, la finesse et la verve
  d’une Sévigné, mais presque toujours aussi avec l’orthographe du
  maréchal de Saxe?

  «Il n’y a plus guère aujourd’hui que les cuisinières qui aient gardé
  sur ce point les traditions des duchesses du temps passé. Cette
  différence ne tient pas seulement au progrès de l’instruction, mais
  au progrès de l’orthographe elle-même, jadis flottante, maintenant
  fixée, simplifiée, rapprochée du type unique et de la logique, vers
  laquelle il lui reste un dernier et assez large pas à faire encore,
  si elle veut y toucher pleinement.

  «L’enseignement de l’orthographe est l’une des parties les plus
  laborieuses de l’éducation enfantine. On a recours à tous les
  expédients pour graver dans les jeunes têtes ces règles souvent sans
  règle, et ces principes incohérents, violés par de continuelles
  exceptions. On a même essayé de la réduire en jeux. En 1509,
  Ringmann publiait à Saint-Dié une _Grammaire figurée_, où toutes
  les parties du discours sont symbolisées par autant de figures
  vivantes: le nom par un curé, le verbe par un roi, le participe par
  un moine, la préposition par un marguillier et l’interjection par
  un fou. Cela valait bien ces ballets scolaires des Jésuites où l’on
  voyait le Supin en _u_ danser avec le Gérondif en _do_. A la fin du
  siècle suivant, on inventa une façon d’apprendre l’orthographe «en
  jouant avec un dé ou avec un rotin». Barthélemy publia en 1787 la
  _Cantatrice grammairienne_, ou méthode pour arriver au même résultat
  par le moyen de chansons, sans le secours d’aucun maître. Je lisais
  encore dernièrement, dans une revue destinée à l’adolescence, une
  espèce de petit roman grammatical où le Substantif vient causer sur
  la scène avec son remplaçant le Pronom, comme un héros de tragédie
  avec son confident, précédé de l’Article qui lui sert de hérault, et
  escorté de l’Adjectif en guise de suivant.

  «Mais ce qui, mieux que ces enfantillages, prouve la réalité du
  mal, c’est le nombre et la vigueur des tentatives de réformation
  essayées depuis plus de trois siècles chez nous. Dans aucun autre
  pays, il ne s’en est produit autant. M. Firmin Didot les a passées
  en revue dans un curieux et savant appendice du livre qui nous a
  inspiré cette rapide excursion à travers les steppes grammaticales,
  rarement visitées par la critique. La première qu’il signale date
  de 1527, et la dernière de 1865. Entre ces deux dates se déroule
  une chaîne ininterrompue de noms, où les plus obscurs se mêlent
  aux plus illustres, les _mathématiciens_ aux poëtes, les _bohêmes_
  littéraires aux académiciens, et les esprits les plus aventureux aux
  réformateurs les plus sages et les plus modérés. Les uns veulent
  bouleverser entièrement l’orthographe et changer jusqu’à l’alphabet;
  les autres,--des écrivains comme Corneille, Bossuet et Voltaire, des
  philosophes ou des grammairiens autorisés comme Richelet, l’abbé
  de Dangeau, les auteurs de Port-Royal, Beauzée, le père Buffier,
  Duclos, Du Marsais et Wailly,--essaient simplement d’en bannir les
  bizarreries et les incongruités les plus flagrantes.»

M. Fournel analyse ensuite les systèmes de réforme proposés depuis
Meigret jusqu’à nos jours, puis il constate l’importance des pas que
l’Académie a faits depuis sa première édition dans les voies de la
réforme.

  «L’usage, dit-il, qu’elle reconnaissait, après Horace et Vaugelas,
  comme le maître et l’arbitre suprême de la langue, lui avait imposé
  ces changements. Mais M. Firmin Didot fait très-justement observer
  qu’elle ne peut plus attendre aujourd’hui les décisions de l’usage
  pour les suivre, et qu’au lieu de se borner à lui obéir, il lui
  appartient de le déterminer. Les conditions ne sont plus les mêmes
  qu’autrefois: tout écrivain s’est soumis à la loi du Dictionnaire,
  et les imprimeries le prennent pour règle absolue. Ce serait se
  condamner à l’immobilité perpétuelle, et tourner sans fin dans un
  cercle vicieux, que d’attendre le mot d’ordre d’un monarque déchu;
  et pour se refuser aux sages et légitimes réformes qui lui sont
  réclamées, elle ne peut arguer de ce que l’usage ne les a point
  admises, puisque l’usage, en ce qui concerne l’orthographe, a abdiqué
  entre ses mains.

  «En principe, le projet proposé par M. Didot, sous forme de
  respectueuse requête à l’Académie, se justifie donc pleinement. Il
  sait qu’en fait de réformes dans les règles consacrées par une longue
  prescription, tout ce qui n’est pas nécessaire est condamné d’avance,
  et tout ce qui est superflu revêt une apparence tyrannique. Les
  meilleures même et les plus indispensables ont besoin de se produire
  avec ménagement, par respect pour une tradition qui a pris force de
  loi, et afin de ne pas introduire le trouble et la confusion sur
  le terrain qu’elles prétendent débrouiller. M. Didot se distingue
  des Meigret, des Ramus, des Rambaud, des Marle, de M. Erdan et de
  M. Féline, en ce qu’il n’est pas un révolutionnaire, mais un simple
  réformateur. Il se borne, du moins dans son plan général, au strict
  nécessaire, en s’enfermant dans les limites déterminées par les
  précédents de l’Académie elle-même. Il intervient au moment opportun,
  et, ce semble, dans les meilleures conditions de succès, grâce à
  l’influence que lui assurent la juste autorité de son nom, de ses
  travaux, etc.»

  «Quels sont les principaux inconvénients de l’orthographe française,
  et les reproches sérieux qu’on est en droit de lui adresser? Elle
  emploie beaucoup de lettres surérogatoires, qui embarrassent et
  encombrent sa marche, des lettres qui pourraient se remplacer
  par d’autres, des lettres à double et triple emploi, changeant
  arbitrairement de valeur suivant leur entourage, des lettres
  identiques se prononçant différemment, et des lettres différentes
  se prononçant d’une façon identique, des caractères dont elle n’a
  pas les sons, et des sons dont elle n’a pas le caractère, une
  complication de lettres, accumulées parfois comme à plaisir pour
  traduire les émissions les plus simples, la confusion du singulier
  avec le pluriel dans beaucoup de cas, et, en une foule d’autres, la
  différence des signes employés pour exprimer le pluriel dans les
  mêmes catégories de mots, enfin un inextricable enchevêtrement,
  un chaos de règles détruites, aussitôt qu’elles sont posées, par
  des listes d’exceptions souvent aussi nombreuses que les cas
  d’application régulière.

  «On ne peut pas espérer de porter remède d’un seul coup à toutes
  ces anomalies; il y faudrait une véritable révolution. Les
  réformes proposées par M. Didot se bornent aux points essentiels
  et s’attaquent aux incohérences les plus criantes. Je commence
  toutefois par éliminer celle qui occupe le dernier rang dans son
  cahier de doléances; la distinction des deux _g_ (g et _ɡ_) employés
  à l’avenir, l’une pour les sons durs comme dans _fi_ɡ_ure_, l’autre
  pour les sons doux, comme dans _gageure_, que l’on écrirait alors
  _ɡagure_, en supprimant la lettre parasite _e_, qui a le tort de
  donner à ce terme la même physionomie, sans lui donner le même
  son, qu’au mot _demeure_. L’introduction de ce _g_ doux serait
  quelque chose d’analogue à la création de la cédille pour le _c_,
  et, comme elle, pourrait amener la suppression d’un grand nombre
  d’_e_ surérogatoires, placés après le _g_ actuel pour l’adoucir.
  Mais, sous prétexte de simplification, c’est là une complication
  véritable, toute de fantaisie, dont les avantages assez minces ne me
  paraissent pas suffisamment compensés par les inconvénients, et qui
  charge l’alphabet d’une lettre de plus, ou du moins d’une nouvelle
  forme de lettre, d’ailleurs absolument inutile, puisque son emploi se
  confondrait avec celui du _j_[247].

      [247] J’ai fait droit à cette juste critique dans cette seconde
      édition.

  «Sur les autres points, les réclamations de M. Didot sont d’une
  incontestable justesse, et ses réformes les unes nécessaires, les
  autres très-logiques et presque toujours très-souhaitables. Il est
  évident, par exemple, qu’il y a toute une révision à accomplir
  dans les mots composés, labyrinthe plus embrouillé que celui de
  Dédale, et où il est impossible de trouver un fil conducteur. On ne
  comprendra jamais pourquoi l’Académie écrit _clairvoyant_, tandis
  qu’elle écrit _clair-semé_; pourquoi, d’une part, _contrebande_ et,
  de l’autre, _contre-coup_. Elle a déjà supprimé beaucoup de ces
  traits d’union, pour fondre en un seul les deux termes, quelquefois
  en élidant ou en contractant le premier: qu’elle poursuive cette
  tâche, qui, en effaçant une contradiction perpétuelle, fera
  disparaître en même temps la difficulté insoluble de la formation
  du pluriel dans certains mots composés! Il n’est pas moins évident
  que rien n’est plus arbitraire et plus irrégulier que l’emploi
  des doubles lettres. Comment, lorsqu’on ne met qu’un _g_ dans
  _agression, agrandir, agréer_, etc., en laisser subsister deux
  dans _agglomérer, agglutiner, aggraver_, et faire une exception
  pour ces trois mots _seuls_? Les mêmes variations existent dans
  les dérivés des mots terminés en _on_ et en _ion_ (_timo_n_ier_
  et _cano_nn_ier, violo_n_iste_ et _bâto_nn_iste, do_n_ateur_ et
  _ordo_nn_ateur_); dans l’emploi du double _t_ à la finale des
  mots (_démaillo_t_er_ et _emmaillo_tt_er_, contradiction vraiment
  intolérable), et le redoublement de certaines lettres, telles que le
  _p_ dans _a_pp_auvrir, a_pp_laudir_..., lorsqu’on écrit _a_p_lanir,
  a_p_ercevoir_, etc. Les tableaux dressés par M. Didot, avec une
  conscience et un soin scrupuleux, mettent ces anomalies dans tout
  leur jour, et les rendent plus choquantes encore par le rapprochement.

  «Qui n’a entendu conter dix fois une charmante anecdote dont Nodier
  est le héros? Lisant à l’Académie des remarques sur la langue
  française, il disait que le _t_ entre deux _i_ a d’ordinaire, et sauf
  quelques exceptions, le son de l’_s_:

  «Vous vous trompez, Nodier; la règle est sans exception, lui
  cria Emmanuel Dupaty.--Mon cher confrère, répliqua le malicieux
  grammairien avec une humilité sarcastique, prenez pi_c_ié de mon
  ignorance, et faites-moi l’ami_c_ié de me répéter seulement la
  moi_c_ié de ce que vous venez de dire.»

  «L’Académie rit, et Dupaty resta convaincu qu’il y avait des
  exceptions. Au fond, la réplique de Nodier était une épigramme
  contre le Dictionnaire. Qui dira en vertu de quel principe le _t_
  suivi d’un _i_ se prononce tantôt _ti_ et tantôt _ci_? M. Didot
  propose de remédier à cette confusion soit par la substitution du
  _c_ au _t_,--car rien n’empêcherait d’écrire _ambi_c_ieux_ comme
  on écrit _pré_c_ieux_,--soit par l’emploi du _t_ avec une cédille,
  particulièrement dans les substantifs d’une forme absolument
  identique à celle de verbes dont la prononciation n’est point
  la même (_nous éditions, les éditions; nous inspections, les
  inspections_, etc.). Cette dernière anomalie se retrouve, et appelle
  un remède analogue, dans les substantifs en _ent_ qui présentent une
  homographie complète, malgré la différence du son, avec la troisième
  personne plurielle du présent de l’indicatif (_un affluent, ils
  affluent; un équivalent, ils équivalent_).

  «Le chapitre sur la régularisation de l’orthographe étymologique est
  l’un des plus intéressants du livre. Nulle part les contradictions ne
  fourmillent pareillement. Ainsi, dans les mots tirés du grec, le χ
  est représenté tantôt par le _c_, ou le _k_, ou le _qu_ (_acariâtre,
  kilo, monarque_), tantôt par le _ch_ dur (_archéologue_), tantôt
  par le _ch_ doux (_anarchie_). Le _th_ est censé représenter le
  θ grec, mais c’est dans notre langue un signe sans aucun son
  correspondant, comme le _ph_, qui répond au φ, mais qui se prononce
  _f_, et ne sert qu’à surcharger certains mots, en leur donnant une
  physionomie barbare. Qu’est-ce donc quand le _th_ et le _ph_ se
  trouvent réunis, quelquefois en double exemplaire (_diphthongue,
  apophthegme, ichthyophage_)? Assurément, il faut tenir grand compte
  de l’étymologie dans l’orthographe, et c’est pour l’avoir méprisée
  que les révolutionnaires qui veulent qu’on écrive comme on prononce
  ont échoué dans le ridicule. Mais l’Académie elle-même a porté les
  premiers et les plus rudes coups à l’orthographe étymologique. Sur
  les 20,000 mots environ dont se compose le dictionnaire, il y en a,
  d’après les calculs de Marle, 3,000 d’étymologie inconnue, 1,500
  d’étymologie douteuse, 10,000 qui se sont dépouillés successivement
  de leurs lettres étymologiques, et 500 dont l’orthographe est
  absolument contraire à l’étymologie. Pourquoi _paragra_ph_e_
  et _agra_f_e_, ph_iloso_ph_e_ et f_antaisie_, rh_ythme_ et
  _eu_r_ythmie_? La logique la plus élémentaire exigerait qu’on écrivît
  f_énomène_ comme f_antôme_, ou qu’on revînt à l’ancienne orthographe,
  qui disait ph_antôme_, comme ph_énomène_. Ce qu’on demande à
  l’Académie française, ce n’est pas d’effacer l’étiquette étymologique
  des mots, c’est de se montrer conséquente avec elle-même, de
  mettre de l’unité dans l’œuvre qu’elle a commencée, et de rayer de
  perpétuelles contradictions qui déconcertent l’esprit.

  «Puisqu’on a supprimé l’_h_ étymologique dans _trône, trésor_ (jadis
  _throsne, thrésor_), il serait aussi logique de la supprimer dans
  _anathème, athlète_, etc. Cependant je suis le premier à convenir
  qu’il ne faut pas pousser toujours la logique à l’extrême, et j’avoue
  que j’aurais la faiblesse de reculer devant quelques-unes de ces
  simplifications, auxquelles il est pourtant impossible de faire, en
  théorie, la moindre objection sérieuse. Dans la pratique, il est des
  réformes qui me paraissent plus urgentes que cette dernière, par
  exemple, la régularisation de la marque du pluriel dans les mots en
  _ou_, dont je m’étonne que M. Didot n’ait pas fait l’objet d’une
  proposition formelle.

  «Je suis obligé de tourner court: le sujet m’a déjà entraîné bien
  au-delà de mes limites habituelles; mais j’espère que le lecteur me
  pardonnera cette petite conférence grammaticale, frugale orgie d’eau
  claire et de racines grecques. La conclusion se déduit d’elle-même.
  Il y a évidemment quelque chose, il y a même beaucoup à faire, de
  l’aveu unanime des grammairiens et des lexicographes. L’occasion est
  propice: elle ne se retrouvera peut-être pas avant un siècle, car
  les nouvelles éditions du Dictionnaire de l’Académie sont rares. M.
  Didot a déblayé la route et tracé la marche: il ne reste plus qu’à
  suivre ce guide expérimenté, en tenant compte de tous les intérêts et
  de tous les besoins, en appliquant les réformes dans les limites où
  elles peuvent se concilier avec le respect des meilleures traditions,
  et améliorer le mécanisme de la langue sans trop bouleverser les
  habitudes jusqu’à présent consacrées par la loi.»


M. Auguste BERNARD, dans le journal l’_Imprimerie_, de janvier 1868, a
inséré une lettre qu’il a bien voulu m’adresser et dont j’extrais les
passages qui ont trait à la doctrine.

      «Cher et honoré maître,

  «Rien ne pouvait m’être plus agréable que votre intéressant travail,
  car il y a longtemps que ce sujet me préoccupe. J’annonçais, en
  effet, il y a bientôt trente ans, dans ma préface des _Procès-verbaux
  des États généraux de 1593_ (vol. in-4º de la Collection des
  documents inédits relatifs à l’histoire de France), un livre
  sur l’histoire de l’orthographe française depuis l’invention de
  l’imprimerie.

  «Je me félicite aujourd’hui d’avoir été détourné par d’autres
  occupations de la réalisation de ce projet; car votre nouveau travail
  aurait probablement rendu mes peines inutiles. Personne ne pouvait
  aborder ce sujet avec plus d’autorité que vous, qui réunissez à
  l’érudition d’un académicien toutes les connaissances du typographe.

  «Au reste, c’est chez vous-même, et en travaillant au _Dictionnaire
  de l’Académie_ de 1835, dont j’étais la cheville ouvrière, que cette
  idée m’était venue. J’avais été souvent choqué des irrégularités
  qui se glissaient dans ce livre, faute d’un praticien pour les
  relever, et si je n’avais pas été si jeune alors, j’aurais peut-être
  hasardé quelques observations; mais, n’osant pas le faire, je me
  mis dès lors à étudier les progrès de l’orthographe depuis le
  commencement du seizième siècle, progrès opérés par les imprimeurs,
  qui ont plus fait pour cela, à mon avis, que les grammairiens et
  les académiciens ensemble. Et cela se conçoit facilement. Avant les
  travaux de l’Académie, l’orthographe était incertaine: l’écrivain ne
  s’inquiétait pas, en poursuivant sa pensée, de la forme plus ou moins
  régulière des mots qu’il employait, pourvu qu’ils fussent compris.
  Mais le compositeur, ou pour mieux dire le correcteur, est obligé
  d’adopter un système. Il ne pourrait laisser passer dans un livre
  soumis à son contrôle un mot écrit de cinq manières différentes,
  comme cela se voit dans le _Livre des Métiers_ d’Estienne Boileau,
  que vous citez p. 195. Il faut qu’il adopte l’une ou l’autre. Or,
  avant d’adopter, il compare, il raisonne: de là la régularisation et
  l’amélioration de l’orthographe.

  «Voilà ce que fait un correcteur. Mais il faut s’entendre sur la
  valeur de ce mot. Le véritable correcteur doit être à la fois érudit
  et typographe. Si ce n’est qu’un érudit, un déclassé, qui fait ce
  métier parce qu’il n’en trouve pas de meilleur, il ne remplira que la
  moitié de sa tâche.....

  «En parcourant l’analyse des livres des législateurs de
  l’orthographe, que vous avez donnée dans la seconde partie de votre
  ouvrage, j’ai vu avec joie qu’aucun ne pouvait être comparé à mon
  cher Tory pour l’importance de sa réforme. En effet, lorsqu’il parut,
  le français était encore dans ses langes latins, ne possédant aucun
  signe particulier pour représenter les sons qui lui étaient propres.
  La création de l’accent aigu à elle seule fut toute une révolution
  dans la langue. On a depuis inventé les accents grave et circonflexe,
  mais ces derniers, tout euphoniques, n’ont pas l’importance
  grammaticale de l’accent aigu, qui, en distinguant, par exemple, le
  participe passé du présent de l’indicatif, dans certains verbes, a
  permis au lecteur de se soustraire à une confusion déplorable.

  «Je citais naguère cette phrase qui, dans l’ancienne orthographe,
  pouvait avoir deux sens opposés: «Un homme mange des vers.» Cet homme
  mangeait-il des vers ou au contraire était-il mangé par eux? Une
  simple virgule placée sur la lettre _e_ nous a tiré d’embarras, en
  distinguant l’_e_ féminin de l’_e_ masculin, comme on disait alors,
  et en permettant de lire sans hésitation l’un ou l’autre. Quelques
  auteurs avaient déjà signalé la nécessité de cette réforme; mais
  aucun ne l’avait réalisée; et Tory ne l’a faite (de même que celle de
  la cédille et de l’apostrophe) que parce qu’il était, comme vous le
  dites, «aussi habile artiste que savant typographe».

  «Je ne regrette qu’une chose pour Tory, c’est qu’il n’ait pas la
  gloire d’avoir distingué l’_i_ et l’_u_ consonnes (_j_ et _v_) de
  l’_i_ et de l’_u_ voyelles. Cette amélioration était bien facile,
  puisqu’il ne s’agissait que d’appliquer à un usage spécial deux
  lettres qui existaient déjà dans la typographie, l’_u_ initial (_v_),
  et l’_i_ final (_j_); elle ne fut pourtant réalisée qu’un siècle
  après lui, et par les imprimeurs de Hollande encore. Toutefois, il
  est juste de dire que les imprimeurs français avaient déjà en partie
  paré à cet inconvénient en mettant un tréma sur l’_u_ consonne. Ainsi
  le mot _boue_ était imprimé _boüe_, pour empêcher de lire _bove_.
  De même nous mettons aujourd’hui un tréma sur l’_e_ final des mots
  _aiguë_, et _contiguë_, etc., pour qu’on ne lise pas _gue_. Cette
  innovation du tréma sur l’_u_ voyelle fut adoptée par toutes les
  personnes intelligentes du seizième siècle.

  «C’est ce que n’a pas compris l’académicien Berger de Xivrey, qui,
  dans la collection des _Lettres de Henri IV_, a conservé cet _u_
  tréma partout où il l’a trouvé, sans se douter que cette forme
  orthographique jurait dans son livre, où il a mis les _v_ à la place
  des _u_ consonnes, comme aujourd’hui. Cela rappelle un peu ces
  braves gens qui, ayant vu le mot _univers_, par exemple, écrit jadis
  _Vniuers_, c’est-à-dire avec un _u_ initial au commencement (_v_), et
  un _u_ médial (_u_) au milieu, se figurent que nos pères mettaient
  toujours le _v_ pour l’_u_, et réciproquement, et ils ne manquent pas
  de suivre cette règle dans leurs essais d’archaïsme. Cela se voit
  journellement dans les catalogues de librairie, et je ne jurerais pas
  qu’on n’en puisse trouver des exemples dans le _Manuel de Brunet_.»


M. Maurice MEYER, Inspecteur de l’instruction primaire du département
de la Seine, a publié dans la _Revue nationale et étrangère_ du 28 mars
1868, un article dont j’extrais le passage suivant:

  «Que de dictionnaires, combien de grammaires surtout, depuis quelques
  années, se sont multipliés, pour faire à notre langue une sorte
  de rempart et pour rappeler aux saines doctrines les insurgés de
  la parole et les fauteurs du désordre, je ne pourrais le calculer
  exactement. Malgré tout, il faut bien le confesser, le but n’a été
  qu’imparfaitement atteint: on a plus écrit que sagement écrit, et il
  y a eu plus de bonnes intentions que de bonnes grammaires.

  «C’est que la composition d’une bonne grammaire française n’est
  pas d’une médiocre difficulté. Outre qu’il lui faut l’appui et
  l’autorité d’un bon Dictionnaire académique, le talent d’y mettre
  tout ce qu’il faut, et rien que ce qu’il faut, est tout simplement
  un art véritable. Elle exige un don d’expérience, une méthode rares.
  L’esprit de l’auteur, sa finesse peut s’y faire sentir, jamais
  voir. Il faut qu’il comprenne la langue par le côté métaphysique et
  la fasse comprendre par le côté vulgaire. Point de raisonnements
  quintessenciés, point d’ambages abstraits. Tout cela peut se
  concentrer dans le démonstrateur, mais non se répandre dans la
  démonstration, s’il veut qu’elle pénètre et se grave. Chercher le
  simple, éviter le compliqué, voilà le secret; parce que le simple, en
  matière aussi abstraite, annonce le plus souvent une vérité acquise,
  et le compliqué une vérité qui se voile ou qu’on cherche. Le simple
  porte avec lui cette clarté rapide, sans laquelle l’esprit français
  refuse d’avancer, tandis que le compliqué produit le trouble qui le
  met en défiance ou le rebute.

  «La simplicité d’ailleurs n’est-ce pas la qualité maîtresse du
  parler français? Notre langue n’est si simple, si ennemie des
  inversions, que parce qu’elle place la raison avant l’imagination.
  Dans la grande famille des langues, elle est un des instruments
  de précision les mieux trempés pour la pensée, et elle ne dit si
  parfaitement ce qu’elle veut dire que parce qu’elle est affamée de
  justesse. Malheureusement la fantaisie et le chimérique menacent de
  la corrompre depuis longtemps, et il est pressant, pour l’Académie,
  de les écarter au moyen d’un bon Dictionnaire.

  «Je cherche, par exemple, dans quelle catégorie elle classera le mot
  _train express_. Si _express_ est un adjectif, pourquoi ne peut-il
  prendre ni la forme du féminin, ni celle du pluriel? S’il est un
  substantif, avec sa finale sifflante et bizarre, comment l’écrirai-je
  au pluriel, et à quelle famille de mots le rattacher? De plus, chacun
  sait-il bien la signification de ce mot _express_, qu’il ne faut pas
  confondre avec _exprès_? Même remarque pour _timbres-poste_, dont la
  deuxième partie est invariable. Pourquoi n’avoir pas dit _timbres de
  poste_, comme on dit _voitures de poste, train de poste_? pourquoi
  avoir accru, au grand dommage de la clarté, cette race de noms
  composés et bâtards qui inquiètent notre orthographe et troublent
  notre logique?

  «M. Didot a, là-dessus, tout un chapitre bien curieux et une
  nomenclature finale des mots composés, qui se dresse comme une liste
  d’accusation contre les complaisances de notre Académie. Il en est
  qu’elle a enregistrés quand ils avaient pris rang, au lieu de les
  écarter d’autorité, avant leur intrusion définitive, oubliant que les
  mots qui sont de mode finissent par devenir d’usage, et que l’usage à
  son tour, même quand il a bravé la règle, ne tarde pas à en devenir
  une. M. Didot adopte ces mots mal venus, mais il propose d’effacer
  le trait d’union qui les sépare, pour qu’on n’hésite plus sur leur
  orthographe. Il lui est facile de prouver que, l’Académie l’ayant
  effacé pour beaucoup d’entre eux, il y aurait justice et harmonie à
  le faire pour _tous_. Mais peut-être demande-t-il trop.

  «Bien d’autres désordres d’orthographe, signalés dans cet
  excellent Mémoire, appellent toute l’attention de l’Académie pour
  la publication de sa septième édition. M. Sainte-Beuve, avec son
  érudition piquante, en a relevé finement un grand nombre. Mais il
  n’a pu tout dire: c’eût été trop long, même sous sa plume charmante.
  Je voudrais plus encore que ce que demandent M. Sainte-Beuve et M.
  Didot: je désirerais que les mots, les locutions vicieuses fussent
  aussi corrigés dans cette dernière édition.

  «Tous ces vœux seront-ils écoutés par les académiciens qui sont à
  l’œuvre? Je ne sais, car je me souviens des résistances séculaires
  que les dictionnaires antérieurs ont opposées aux nouveautés les
  plus légitimes. Toutefois, j’ai bon espoir que l’Académie, mieux
  informée et plus juste cette fois, fera comme nous et accueillera
  favorablement la plupart des _Observations_ si sensées de M. Didot.»


Je signalerai aussi l’article de M. Léger NOEL, dans le _Journal de
Rouen_ du 3 mars 1868, celui de M. Louis LIEVIN dans la _Liberté_
du 5 avril et ceux de plusieurs autres littérateurs distingués qui
ont donné, avec une extrême bienveillance, leur assentiment à mes
recherches.


L’imprimerie parisienne s’est associée à ce mouvement des littérateurs
et des érudits en faveur de la Réforme orthographique. Il me suffira
de signaler ici la Lettre de la Société des correcteurs à l’Académie
française, dans laquelle, à la suite d’un vote unanime (le 19 avril),
la société supplie la docte compagnie de vouloir bien admettre le
principe de l’uniformité orthographique dans sa prochaine édition.


Le mouvement d’adhésion s’est étendu jusqu’au-delà du détroit. Un
typographe instruit en même temps que linguiste distingué, M. Théodore
Küster, a publié à Londres dans le _Printer’s Register_ du 6 janvier
1868, un article dont je traduis les passages où l’auteur, après avoir
analysé mes propositions, émet ses vues propres.

A propos des mots du Dictionnaire de l’Académie empruntés de l’anglais
ou de l’allemand, comme _vagon, cipaye, valse, paquebot, railway,
choucroute_, etc., dont l’orthographe a été francisée, il s’exprime
ainsi:

  «Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les mots où les _th_ et les
  _ph_ figurent aussi désagréablement que les _w_ et _k_ des Saxons?

  «A notre point de vue, dans toute réforme orthographique, soit
  en France, soit en Angleterre ou dans tout autre pays, notre seul
  désir est de voir concilier, par une sorte de compromis entre eux,
  les deux systèmes basés l’un sur l’étymologie seule, l’autre sur
  la prononciation seule. M. Didot, dans ses observations, suggère
  quelque chose de fort juste à cet égard. Il fait deux listes de mots
  qu’il range sous deux titres: «mots d’un usage ordinaire» et «mots
  d’un usage exceptionnel», et il propose de simplifier les premiers,
  lorsqu’ils sont entrés dans le langage usuel, et de laisser aux
  savants leurs termes scolastiques tels qu’ils les ont formés. L’école
  grecque peut, si elle veut, forger des expressions techniques et les
  écrire comme elle veut, mais elle n’a pas le droit d’embarrasser le
  simple artisan avec des difficultés; car une grande partie du public
  et même du public _liseur_ ne sait ni grec ni latin, et sera par
  conséquent incapable de distinguer les étymologies provenant de ces
  langues.

  «Les remarques sur les doubles lettres sont très-justes, et on
  maintiendrait la double consonne dans le cas où elle se fait
  entendre, comme dans _correcteur_; mais il est utile de supprimer
  l’une des consonnes dans des mots tels que _nourrir_ et de les écrire
  comme _mourir_.

  «Les mots composés, en français, sont une source de grande
  perplexité, non-seulement pour les étrangers, mais même pour
  les indigènes; car il existe une grande diversité d’opinion
  relativement à la forme du pluriel dans les mots qui s’écrivent
  avec un trait d’union. Si le trait d’union était omis (comme le
  propose M. Didot), cette difficulté serait grandement diminuée; au
  lieu de _chefs-d’œuvre_, on écrirait _chefdœuvres_ ou probablement
  _chédœuvres_. Nous mentionnerons à ce propos que l’introduction d’une
  branche de l’industrie britannique en France a doté ce pays d’un
  nouveau mot, _pickpocket_, qui, d’après la réforme orthographique,
  s’écrirait _piquepoquet_.

  «En anglais l’emploi du trait d’union dans les mots composés est un
  peu incertain. Malheureusement nous n’avons pas, pour décider les
  questions d’orthographe, l’autorité d’un corps analogue à l’Académie
  française. Ce serait le devoir de la société philologique, mais elle
  ne s’en acquitte pas.

  «Le caractère distinctif de l’esprit français est une fine perception
  de l’ordre et une tendance à introduire en tout une règle et une
  méthode. Les tendances des nations saxonnes et teutoniques sont tout
  autres: là c’est l’action individuelle. Nous, Anglais, nous sommes
  intolérants pour la centralisation, comme ne pouvant s’accorder
  avec ce droit individuel. Nous laissons les choses suivre leur
  cours, tandis que nos voisins d’outre-mer assignent aux choses le
  cours qu’elles auront à suivre. Il est aisé de voir de quel côté
  est l’avantage dans l’emploi des anomalies de la grammaire ou du
  dictionnaire. Dans cinquante ans ils auront fait de leur langue
  une armée bien réglée et bien disciplinée, tandis que la nôtre
  ressemblera à une foule énergique et indisciplinée, qui se pressant
  dans les rues d’une grande ville, y cause de la confusion.»

M. Küster critique ensuite ma proposition du _t_ cédille:

  «Nous ne pouvons admettre, dit-il, cette innovation, par la raison
  que nous avons plusieurs fois donnée dans le «_Printer’s register_»
  _que l’ensemble des caractères restera toujours uniforme avec
  lui-même_, attendu que pour se procurer de nouveaux caractères, soit
  _g_, soit _t_, les imprimeurs seraient entraînés à des dépenses
  qu’ils ne voudront pas plus faire pour ces lettres qu’ils ne l’ont
  fait pour l’À. ils sont forcés d’adopter le proverbe: «Il faut
  travailler avec les outils que l’on a[248].»

      [248] Quand on voit avec quel empressement on introduit dans les
      livres des caractères si variés de forme et d’aspect, uniquement
      par caprice et pour satisfaire au désir de nouveauté aussi
      général en Angleterre qu’en France, on ne conçoit pas ce motif
      d’une économie sordide; et l’on s’étonne qu’en Angleterre on
      réimprime encore des ouvrages ou passages de notre langue sans
      employer l’_à_, sous prétexte que l’usage en est étranger à la
      langue.

  «Nous sommes persuadé que beaucoup de personnes tenteront de
  s’opposer aux changements proposés dans l’ouvrage que nous avons sous
  les yeux. Elles ont appris le français d’après la méthode actuelle,
  et considéreront ces modifications comme une félonie à leur égard;
  mais, quand nous mettons en balance les plus grands inconvénients
  qui peuvent résulter de ces changements et l’énorme perte de temps
  qu’entraîne, pour ceux qui étudient le français, le système actuel,
  il nous semble que toute personne impartiale décidera en faveur de la
  réforme.

  «Nous avons consacré à cette analyse plus de place que nos colonnes
  ne nous le permettraient à la rigueur; mais ce travail sera
  probablement d’un tel poids dans l’amélioration de l’orthographe
  française qu’il ne peut manquer d’avoir de l’influence même sur
  notre orthographe. Il suffira de dire, pour conclure, que l’auteur
  a déployé, dans ce volume, une vaste érudition, et il prouve ses
  propositions avec tant de clarté et de force, que nous souhaitons
  sincèrement de voir l’Académie adopter les changements qui lui sont
  proposés. Elle facilitera ainsi aux étrangers l’étude de l’une des
  langues les plus belles et les plus utiles du monde entier.»


_La Patrie, gazette suisse_, dans son numéro du 17 janvier, conclut
ainsi l’article qu’elle a consacré à ma première édition:

  «Si l’orthographe phonétique, conforme, comme on l’a vu, aux origines
  et à l’esprit de la langue française, présente d’incontestables
  avantages comme _méthode_ de lecture et d’écriture, comme orthographe
  de ceux qui n’ont pas le temps d’apprendre celle des lettrés, et
  comme moyen de figurer exactement la _prononciation_ de la langue
  française et de plusieurs langues étrangères, cette écriture ne doit
  pas encore avoir ses entrées dans le Dictionnaire de l’Académie,
  d’après M. Didot. Le peuple fera le sien quand il le jugera bon.
  Le savant imprimeur-libraire de l’Institut de France ne pouvait
  évidemment parler à l’Académie française que de l’orthographe des
  lettrés, et on doit lui savoir un gré infini d’avoir si nettement
  posé la question, et pris si courageusement l’initiative des
  importantes réformes indiquées dans son volume.

  «Si l’on ajoute à cette publication du savant éditeur parisien les
  Rapports qui viennent d’être faits à l’Institut genevois par deux de
  ses membres, rapports très-favorables à la réforme orthographique,
  on verra que cette question mérite d’attirer partout l’attention des
  lettrés aussi bien que celle des amis de l’instruction populaire.»


M. O. HAVARD, dans la _Revue du monde catholique_ du 25 mai dernier,
adhère, avec de grandes réserves, au principe de la réforme:

  «Comme conclusion pratique, dit-il, M. Didot voudrait, avec M.
  Raoux, voir les lexicographes représenter la prononciation, en
  tête des dictionnaires anglais, arabes et turcs, dans un système
  phonographique perfectionné et convenu entre les linguistes.

  «Mais, avant d’en arriver à ce développement, la méthode phonétique
  a besoin de mûrir; jusque-là il faut se défier des innovations
  désordonnées, imprudentes, et ne pas éliminer une difficulté pour
  nous gratifier aussitôt d’une autre. Plus tard alors pourra-t-on voir
  l’Académie française se montrer aussi hardie que l’Académie de la
  Crusca en 1612, l’Académie de Madrid en 1726, le grand _Vocabulario
  portuguez_ de Coïmbre en 1712, et concilier, dans la mesure
  légitime, le système phonographique avec le système orthographique
  des langues néo-latines. Mais l’anarchie qui règne en France
  dans la prononciation de la langue rendra toujours difficile, et
  peut-être d’ici longtemps impraticable, le projet des phonographes.
  Non-seulement entre les provinces du Nord et du Midi, mais dans la
  même contrée, on se trouvera en présence de dialectes et d’idiomes
  qui modifient singulièrement la prononciation littéraire. Il faudrait
  donc adopter une méthode conventionnelle: mais avec l’éducation
  insuffisante des classes inférieures, pourra-t-on la populariser?»




TABLE DES MATIÈRES.


                                                              Pages.

  INTRODUCTION                                                    1

  DICTIONNAIRE DE L’ACADÉMIE ET SON ORTHOGRAPHE:

         Première édition                                         6
         Deuxième édition                                        10
         Troisième édition                                       11
         Quatrième édition                                       13
         Cinquième édition                                       17
         Sixième édition                                         18

    I. ORTHOGRAPHE ÉTYMOLOGIQUE:

       De la lettre χ.
         Mots de la langue française où la lettre χ
           est figurée par _c, k_ ou _qu_ et par _ch_            35
       De l’esprit rude et de la lettre _h_                      38
       Des lettres Θ et Φ représentées en latin par
         _th_ et _ph_                                            40
         Mots d’un usage ordinaire ayant conservé le _th_        43
         Mots avec _th_ d’un usage exceptionnel                  44
       Du Φ qui devrait toujours être représenté par _f_      _Ibid._
         Mots avec _ph_ d’un usage ordinaire                     45
         Mots avec _ph_ d’un usage exceptionnel                  47
         Mots avec _th_ et _ph_ réunis                        _Ibid._
         Mots avec deux _ph_ ou deux _th_                     _Ibid._

   II. DOUBLES LETTRES                                           48

  III. DES TIRETS OU TRAITS D’UNION                              58

   IV. DE L’ORTHOGRAPHE ET DE LA PRONONCIATION DES MOTS
         TERMINÉS EN _ANT_ OU _ENT_.

       Adjectifs et substantifs verbaux provenant du
         participe présent                                       67
         Liste des adjectifs et substantifs verbaux formés
           de participes latins en _ens_ (haute, moyenne et
           basse latinité) provenant de la 2e, 3e ou 4e
           conjugaison, et qui en français se terminent en
           _ant_                                                 69
         Liste des adjectifs et substantifs verbaux provenant
           des trois dernières conjugaisons latines et qui se
           terminent en _ent_                                    71
         Mots en _ent_ prononcés différemment, bien qu’écrits
           de même                                               72
       De l’orthographe et de la prononciation des mots en
          _ance_ et _ence_                                       75
         Mots en _ance_                                          78
         Mots en _ence_                                       _Ibid._

    V. SYLLABES _ti, tion_                                       80

   VI. DE L’_Y_ GREC                                             85

  VII. DE LA LETTRE ġ                                            88
       DE LA LETTRE X                                            90

  CONCLUSION                                                     91

  EXPOSÉ DES OPINIONS ET SYSTÈMES CONCERNANT L’ORTHOGRAPHE
    FRANÇAISE DEPUIS 1527 JUSQU’A NOS JOURS                      99

  APPENDICE A.

    Les dictionnaires français antérieurs à celui de
      l’Académie de 1694:

      Firmin Le Ver (Dictionnaire manuscrit de 1420)            101
      _Catholicon abbreviatum_                                  107
      _Vocabularius nebrissensis_                               108
      Robert Estienne                                         _Ibid._
      Guillaume de Laimarie                                     109
      Jean Nicot                                              _Ibid._
      Philibert Monet                                           110
      Nathaniel Duez                                            111
      César Oudin                                             _Ibid._
      Pierre Richelet                                         _Ibid._
      Tableau synoptique du changement d’orthographe
        depuis le XVe siècle dans les mots difficiles         112_b_

    Orthographe de l’Académie en 1694, date de la première
      édition du dictionnaire                                   113
    Préface du dictionnaire de l’Académie                       114
    Cahiers de remarques rédigés pour le Dictionnaire de
      1694                                                      117
    Grammaire de Regnier des Marais                             120

  APPENDICE B.

    Opinion de Ronsard sur l’orthographe étymologique           121

  APPENDICE C.

    Opinion de plusieurs membres de l’Académie française
      et de l’Académie des belles-lettres sur l’orthographe
      et la réforme orthographique:

      Nicolas Perrot d’Ablancourt                               124
      Pierre Corneille                                          125
      Jacques-Bénigne Bossuet                                   130
      L’abbé de Dangeau                                         133
      L’abbé de Choisy                                          134
      L’abbé Girard                                             139
      Charles-Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre               143
      Duclos                                                    147
      Nicolas Beauzée                                           148
      Noël-François de Wailly                                   150
      Voltaire                                                  154
      François de Neufchateau                                   156
      Urbain Domergue                                           157
      Volney                                                    158
      Fortia d’Urban                                            159
      Destutt de Tracy                                        _Ibid._
      Jouy                                                      160
      Charles Nodier                                            161
      Andrieux                                                _Ibid._
      Laromiguière                                              162
      Daunou                                                  _Ibid._
      Littré                                                    163
      Max Müller (correspondant)                                164
      L. Quicherat                                              165
      Charles-Auguste Sainte-Beuve                              167

  APPENDICE D.

  Historique des réformes orthographiques proposées
    ou accomplies                                               175

    XVIe SIÈCLE:

      Geoffroy Tory                                             177
      Jean Salomon                                            _Ibid._
      _Très-utile et compendieux traité de l’art et
        science d’ortographie gallicane_ (anonyme)              178
      Gilles du Wès (ou Dewes, ou du Guez)                    _Ibid._
      Jean Palsgrave                                            179
      Jacques Sylvius (Dubois)                                  181
      Etienne Dolet                                           _Ibid._
      Robert Estienne                                           182
      Louis Meigret et Guillaume des Autels                     184
      Joachim du Bellay                                         187
      Jacques Pelletier                                         188
      Joachim Périon                                            189
      Jean Garnier                                              190
      Jean Pillot                                             _Ibid._
      Abel Mathieu                                              191
      Pierre Ramus (La Ramée)                                   191
      Etienne Pasquier                                          194
      Henri Estienne                                            197
      Jean-Antoine de Baïf                                      199
      Honorat Rambaud                                           200
      Laurent Joubert                                           203
      Claude de Saint-Lien                                      204
      Claude Mermet                                             206
      Montaigne                                               _Ibid._
      De Palliot                                                207

    XVIIe SIÈCLE:

      Robert Poisson                                            209
      Pierre le Gaygnard                                        212
      Etienne Simon                                           _Ibid._
      Claude Expilly                                            213
      Jean Godard                                             _Ibid._
      Charles Sorel                                             219
      Pierre de la Noue                                         220
      Antoine Oudin                                             221
      Le P. Antoine Dobert                                      223
      Du Tertre                                               _Ibid._
      Le P. Laur. Chiflet                                     _Ibid._
      Claude Lancelot (_Grammaire de Port-Royal_)               226
      Antoine Bodeau de Somaize                               _Ibid._
      Simon Moinet                                              230
      Jacques d’Argent                                          231
      De Bleigny                                              _Ibid._
      Jacques de Gevry                                        _Ibid._
      Louis de l’Esclache                                     _Ibid._
      De Mauconduit                                             232
      Lartigaut                                                 233
      Gilles Ménage                                             236
      François Charpentier                                      237
      J.-B. Bossuet                                             239
      Jean Hindret                                            _Ibid._
      Jérôme-Ambroise Langen-Mantel                           _Ibid._
      De Soule                                                  240
      René Milleran                                           _Ibid._
      Rodilard                                                _Ibid._
      Louis de Courcillon, abbé de Dangeau                      241
      _Alphabet ingénieux pour le françois_ (anonyme)           247
      André Renaud                                            _Ibid._
      César-Pierre Richelet                                     248

    XVIIIe SIÈCLE:

      _Projet d’un Esei de granmére francéze_ (anonyme)         248
      L’abbé Régnier des Marais                                 251
      Nicolas de Frémont d’Ablancourt                           257
      Le P. Claude Buffier                                      258
      Pierre Panel                                              259
      De Grimarest                                            _Ibid._
      Le P. Gilles Vaudelin                                     260
      Nicolas Dupont                                            261
      L’abbé Girard                                           _Ibid._
      _Plan d’une ortographe suivie_ (anonyme)                  264
      Pierre Py-Poulain de Launay                               265
      L. Pierre de Longue                                       266
      Ch.-Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre                   267
      Maurice Jacquier                                          270
      Cheneau, sieur Du Marsais                                 271
      _La Bibliotèque des enfans ou les premiers elemens
        des letres_ (anonyme)                                   273
      _Le Précepteur_ (anonyme)                                 274
      De Wailly                                                 276
      Claude Lancelot (_Grammaire de Port-Royal_)               283
      Douchet                                                   285
      L’abbé Cherrier                                           287
      _Ortografe des dames pour aprandre a ècrire et a
        lire corectemant_ (anonyme)                             288
      _Manière d’étudier les langues_ (anonyme)               _Ibid._
      _De l’orthographe_ (anonyme)                              289
      _Le grand vocabulaire françois_, par une société de
        gens de lettres (anonyme)                               290
      Viard                                                   _Ibid._
      J.-B. Roche                                               291
      Brambilla                                                 295
      Boulliette                                              _Ibid._
      Beauzée                                                 _Ibid._

    XIXe SIÈCLE:

      Jean-Etienne-Judith Forestier Boinvilliers-Desjardins     305
      Urbain Domergue                                           306
      Girault-Duvivier                                          310
      C.-F. Volney                                              311
      P.-R.-Fr. Butet                                           314
      Marle                                                     316
      V.-A. Vanier                                              324
      S. Faure                                                  328
      Joseph de Malvin-Cazal                                    329
      Adrien Féline                                             330
      Charles La Loy                                            333
      Alexandre Erdan                                           334
      P. Poitevin                                               337
      Léger Noel                                                338
      Casimir Henricy                                           342
      B. Legoarant                                              343
      B. Pautex                                               _Ibid._
      F.-P. Terzuolo                                          _Ibid._
      Tell                                                      345
      _Esai de simplificacion du français_ par E. A. C(lerc)    348
      Frédéric Dübner                                           348
      Émile Négrin                                              349
      Édouard Raoux                                             351
      Albert Hetrel                                             369
      E. de Girardin                                          _Ibid._
      Bernard Jullien                                           372
      Egger                                                     393

  APPENDICE E.

    Orthographe personnelle de:

      Montaigne                                                 396
      La Fontaine                                               397
      Bossuet                                                   399
      Racine                                                    400
      Mme de Sévigné                                            401
      La Bruyère                                                403
      Voltaire                                                  404

  APPENDICE F.

    Des mots composés                                           408
    Liste générale des mots composés ou pseudo-composés         417

  APPENDICE G.

    Adhésions de quelques écrivains au principe
      de la réforme:

      Victor Fournel                                            453
      Auguste Bernard                                           458
      Maurice Meyer                                             460
      Léger Noel                                                461
      Louis Lievin                                            _Ibid._
      Théodore Küster                                         _Ibid._
      _La Patrie_ (Gazette suisse)                              463
      O. Havard                                               _Ibid._




INDEX.


=A=

  A. Histoire de cette lettre: GODARD, 214.

  _Abandonner_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  ABLANCOURT (Nicolas DE FRÉMONT D’). _Dialogue des lettres de
    l’alphabet_; question de l’F et du PH, 257.

  ABLANCOURT (PERROT D’), 9, 73.--Son système orthographique sert
    d’appui à celui de Richelet, 112.--Comment dans la préface
    de sa traduction de Thucydide il entend la simplification de
    l’orthographe, 124.--Supprime les doubles lettres qui ne se
    prononcent pas, et certaines lettres étymologiques, 124.

  Abréviation (Tendance constante du langage français à l’), 95.

  Académie (l’) est arbitre légitime des changements dans
    l’orthographe, 1.--Réformes qu’elle a déjà accomplies, 6 et
    suiv.--Elle était engagée dans son système orthographique avant
    l’apparition du Dictionnaire de Richelet, 112.--Ses idées sur
    l’orthographe lors de sa première édition, 113 et suiv.--Son rôle
    en matière d’orthographe, 346.

  ACADÉMIE DE LA CRUSCA (l’) réforme l’orthographe de la langue
    italienne, 153.

  ACADÉMIE DE MADRID (l’) simplifie et régularise l’orthographe
    espagnole, 39.

  Accent. Mots où la double lettre a été remplacée par un accent,
    49.--Son rôle en orthographie, 380.

  Accent tonique du français, découvert par PALSGRAVE, 179.--Son
    rôle, 391.--LÉGER NOEL, 341.

  Accentuation. SYLVIUS, 181.--DOLET, 182.--Comme moyen de figurer la
    prononciation, BEAUZÉE, 298.

  Adjectifs et substantifs verbaux provenant des trois dernières
    conjugaisons latines et qui se terminent en _ant_ et _ent_, dans le
    _Dictionnaire de l’Académie_, 67, 68, 69, 71, 72, 73.

  Adverbes en _ammant_ et en _emment_, BEAUZÉE, 301.--JULLIEN, 383.

  Agglutination. Voir Mots composés.

  Alphabet (réforme de l’): MEIGRET, 185.--RAMUS, 192.--BAÏF,
    199.--RAMBAUD, 201.--POISSON, 209.--DOMERGUE, 307.--VOLNEY, 159,
    311.--FAURE, 328.--FÉLINE, 331.--RAOUX, 362, 367.

  _Alphabet ingénieux pour le françois_, 247.

  Alphabet phonétique (Utilité de la création d’un), 313,
    359.--Utilité de perfectionner l’alphabet phonétique, 332.--Étude
    critique sur cet alphabet, 353, 354.

  Alphabet phonographique, 362.

  _Ance_ (Orthographe des mots terminés en), 75.--Les vocables latins
    en _entia_ sont représentés généralement en français par des mots
    en _ance_, 76.--Dans LE VER, _ibid._--Dans les _Quatre livres des
    Rois_ et les _Sermons de S. Bernard_, 78.

  ANDRIEUX, 20.--Sa lettre à MARLE sur l’orthographe, 161, 320.

  _Ant._ De l’orthographe et de la prononciation des adjectifs et
    substantifs verbaux provenant du participe présent et terminés
    en _ant_, 67.--Liste des adjectifs et des substantifs terminés en
    _ant_ et ne provenant pas du latin, 68.--Liste des mots terminés
    en _ant_ autres que le participe présent, 69.--Motifs pour adopter
    la désinence _ant_ pour tous les adjectifs ou substantifs verbaux,
    72.--BOSSUET, 73, 130.--DANGEAU, 383.--Pluriel des mots terminés en
    _ant_, DOLET, 182;--JULLIEN, 383.

  ANTOINE DE LEBRIXA. Son glossaire enrichi du français par BUSA, 108.

  _Aphte_ ou _Aphthe_ (le mot), 22.

  _Apostrophe_ (le mot). L’étymologie ne permet pas de préciser le
    sens de ce mot, 27.

  _Apprenmolire_, etc. Voy. Gaygnard.

  Arabes (Enseignement du français aux), 4, 330.

  ARAGO, 21.

  Archaïsmes bons à renouveler, 163.

  ARGENT (Jacques d’), 231.

  ARNAULD condamne l’épellation vicieuse de son temps, 16.

  _Assonance._ Contradiction de l’orthographe de ce mot avec le mot
    _dissonnance_, 75.

  AUGUSTE (l’empereur). Son opinion sur l’orthographe, 34.


=B=

  BAÏF (Jean-Antoine de). Son système orthographique dans ses
    _Etrénes de poézie fransoeze an vers mezurés_, 199.--Il remplace le
    _c_ dur par le _k_. Il remplace de même _em, en_, par _an_, 200.

  BEAUZÉE (Nicolas). Son opinion sur la réforme orthographique,
    148.--Inutilité pour le peuple et même pour les savants de
    l’orthographe étymologique, 149.--_Néographisme_, 295.--Exposé
    des motifs en faveur de l’écriture étymologique.--Défense du
    néographisme.--Système orthographique, 297.--De l’accentuation,
    298.--De l’_s_ et du _z_ dans la prononciation.--Du _ch_ et du _k_,
    299.--Du _t_ cédille, 300.--Régularisation de l’orthographe des
    finales, 300.--Il élimine la lettre _x_ dans les finales, 301.--Des
    adverbes formés par les adjectifs terminés en _ant_ ou _ent_,
    301.--Régularisation des lettres caractéristiques, 302.--Extension
    de l’emploi de l’_œ_, 303.--De l’_l_ mouillé, 303.--Discussion des
    droits de l’étymologie, 304.--Exemple de l’orthographe de Beauzée,
    305.

  BELLAY (Joachim du). _La défense et illustration de la langue
    françoise._--Comment il s’exprime au sujet de l’orthographe, 187.

  BÉRANGER, 319.

  BERNARD (Auguste). Coup d’œil sur la réforme de TORY.--Du tréma sur
    l’_u_ pour distinguer l’_u_ du _v_, 459.

  BÈZE (Théodore de), 37, 236.

  _Bibliothèque des enfans._ Système orthographique de cet ouvrage,
    273.--Multiplicité des manières dont l’enfant est contraint de
    figurer un son, 274.

  BIOT, 21.

  BLEIGNY (de). _L’Ortografe francoise_, 234.

  BODEAU DE SOMAIZE (Antoine). _Le Grand Dictionnaire des
    Prétieuses_, 226.

  _Bœuf._ Histoire de ce mot, 112 _bis_.

  BOILEAU écrivait _lètre_ au lieu de _lettre_, 49, 400.

  BOINVILLIERS-DESJARDINS (Jean-Étienne-Judith FORESTIER). _Grammaire
    raisonée_, 305.--Son code orthographique, 306.--Se prononce contre
    les doubles consonnes, 306.

  _Bonne_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  BOSSUET (Jacques-Bénigne). Il cherche à régulariser l’orthographe
    des mots terminés en _ant_ et _ent_, 73, 130.--Ses idées de progrès
    en matière d’orthographe exposées dans le manuscrit intitulé:
    _Résolutions de l’Académie françoise touchant l’orthographe_, 130,
    239.--Son orthographe, 399.

  BOULLIETTE. _Traité des sons de la langue française_, 295.

  BRACHET (Auguste). _Grammaire historique de la langue française_,
    167.

  BRAMBILLA. _Nouveaux principes de la langue françoise_, 295.

  BUFFIER (le P. Claude). _Grammaire sur un plan nouveau_, 258.--Il
    s’oppose aux réformes trop absolues.--Système qu’il propose pour
    apprendre à lire plus facilement, 259.--Il supprime les doubles
    lettres, 259.

  BUTET (P.-R.-Fr.). _Mémoire historique et critique dans lequel l’S
    se plaint des irruptions orthographiques de l’X._--Rôle de l’_X_
    chez les Latins, 314.


=C=

  _C._ Suppression de la lettre étymologique c, 6, 12, 356.--_Ç_
    introduit par G. Tory, 177.--Son rôle dans le système de M.
    Jullien, 387, 388.

  _Cahiers de remarques sur l’orthographe françoise rédigées pour le
    Dictionnaire de 1694._--Analyse de quelques-unes des principales
    remarques.--Des consonnes qui sont doublées.--Suppression de la
    consonne _d_ dans _advis_, etc., 118.--L’Académie de 1740 décide
    contrairement aux règles des Cahiers.--Du circonflexe, 119.--De la
    division, 120.

  CAMPENON, 21.

  _Caractère_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  Caractéristiques (lettres). Argumentation du P. Chiflet contre leur
    maintien, 124.--Opinion de Dangeau, 246, 275.--Raisons en faveur
    de leur maintien, 296.--Régularisation de leur emploi: BEAUZÉE,
    302.--JULLIEN, 375, 386.

  Cas (les deux) du français; leur persistance jusqu’au XVe siècle
    attestée par le dictionnaire de Firmin LE VER, 104.--Définition des
    cas du français, 122.

  CASTEL (Charles-Irénée), abbé DE SAINT-PIERRE, 143.--Son discours
    sur la polysynodie.--Défense du néologisme, 144.--Exemples de
    quelques-uns des nouveaux mots, 146.--_Discours pour perfectioner
    l’ortographe_, 267.--Des lettres qui ne se prononcent pas,
    268.--Causes des dissidences orthographiques, 269.

  _Catholicon abbreuiatum de 1506._--Orthographe de ce vocabulaire,
    107.

  _Catholique_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  _Ch._ Sa suppression dans un grand nombre de mots, 15.--DOUCHET,
    287.--_Çh_, son rôle: BEAUZÉE, 297.--JULLIEN, 388.

  CHAPELAIN. Abus qu’il faisait du grécisme et du latinisme, 8.

  CHARPENTIER (François). _De l’excellence de la langue
    françoise._--Il établit la _précellence_ du langage français même
    sur le latin, 237, 238.

  CHATEAUBRIAND s’oppose à la correction de l’_oi_ des imparfaits, 19.

  _Chef-d’œuvre._ Inconvénient dans l’écriture du pluriel de ce mot,
    60.

  CHENEAU, sieur DU MARSAIS. Voy. DU MARSAIS.

  CHERRIER (l’abbé). _Equivoques et bizareries de l’orthographe
    françoise._--Changements qu’il croit devoir opérer, 287.

  CHIFLET (le P. Laurent). _Essay d’une parfaite grammaire de la
    langue françoise_, 223.--Exposé de celles de ses règles qui ont été
    admises dans la première édition du _Dictionnaire de l’Académie_,
    224.

  _Chifre, chiffre_, 109.

  CHOISY (l’abbé de), 134.--Difficulté qu’offrait la révision du
    Dictionnaire de 1694.--Il propose de réserver le _z_ au verbe pour
    permettre de distinguer le verbe du substantif et du participe,
    135.--Question du participe, 137.

  _Chrême_ (histoire du mot), 112 _bis_.

  _Chrysocale_ est un barbarisme pour _chrysoïde_, 35.

  CICÉRON, 8.

  _Cie._ Observations sur l’orthographe des mots terminés en _cie_,
    81.

  Circonflexe (accent).--Son emploi selon les _Cahiers_,
    119.--Extension de son emploi.--DE WAILLY, 277.--VANIER,
    325.--JULLIEN, 389.

  Classiques. Orthographe personnelle de nos écrivains classiques,
    395.

  COMMINES, 363.

  Composés. Voy. Mots composés.

  Composition des mots en français. Absence de règles à cet égard,
    415.

  _Conaître, conètre_, 25.

  Conclusion. Opportunité des réformes, 91.

  CONRART est ennemi du grécisme et du latinisme en français, 8.

  Consonnes (doubles). Voyez Lettres (doubles).

  _Coq-à-l’âne._ Remarque sur le pluriel de ce mot, 60.

  CORNEILLE (Thomas). Son supplément à la première édition de
    l’Académie, 10.

  CORNEILLE (Pierre), 5.--Il écrit souvent _je tien, je vien, je
    croi_, etc., 17.--Innovations faites par lui dans l’orthographe,
    125.--Il demande des règles pour distinguer le son de l’_s_,
    127.--L’emploi qu’il fait des trois sortes d’_e_, 127.--Propose un
    signe particulier pour l’_l_ mouillée, 128.

  Correcteurs (société des). Se prononce en faveur de la réforme,
    461.--Rôle du correcteur dans la question de l’orthographe, 153,
    458.

  Courants (les deux) de formation du français qui ont agi sur
    l’orthographe, 6, 168, 391.

  COURIER (Paul-Louis), 8.

  _Courte-pointe_, barbarisme pour _coute-pointe_, 425.

  COUSIN, 21, 27.

  CUVIER, 21.

  _Cylindre, cilindre_, 109.


=D=

  DANGEAU (Louis de COURCILLON, abbé de), 5, 9.--Son système
    grammatical; sa détermination des voyelles, 133.--Il distingue le
    premier les voyelles nasales, 133.--Il demande la substitution
    de l’_f_ au _ph_, 134.--Ses nombreux ouvrages sur l’orthographe,
    241.--Ce que Saint-Simon dit dans ses _Mémoires_ en parlant
    de l’abbé de Dangeau, 242.--Modifications introduites par
    lui, 242.--_Remèdes aus défauts de la vieille orthografe_,
    243.--Conditions pour rendre l’écriture plus conforme a la
    prononciation, 245.--Des voyelles nasales dans les mot en _ent_,
    383.

  DARU, 21.

  DAUMAS (le général). Comment il applique le système de Féline à
    l’enseignement des Arabes, 4.

  DAUNOU. Demande la révision de tout notre système orthographique,
    162.

  _De par le Roi_, solécisme pour _de part le Roi_, 440.

  _Dessiller_ pour _déciller_, 385.

  DESTUTT DE TRACY. Voy. TRACY.

  Dictionnaires (les) français antérieurs à celui de l’Académie,
    100.--Dictionnaire de Firmin LE VER, 101.--Intérêt singulier de
    ce manuscrit pour l’histoire de l’orthographe et de la langue,
    103.--Introduction tardive de certains mots au dictionnaire,
    103.--Trace de la persistance des deux cas dans ce dictionnaire,
    104.--Plus riche sous certains rapports que le Glossaire de Du
    Cange, 105.--Exemples de l’orthographe des anciens dictionnaires,
    107, 108, 109, 111.--Tableau synoptique de l’orthographe des mots
    difficiles depuis le XVe siècle, 112.

  _Dictionnaire de l’Académie._ 1re édition, 6.--2me édition,
    10.--3me édition: modifications apportées à son orthographe,
    11.--Suppression de l’_s_ étymologique, 12.--4me édition,
    13.-Préface de l’Académie pour la 4me édition, 14.--Nouveau mode
    d’épellation, 16.--5me édition: Loi de 1795 à ce sujet, 17.--6me
    édition, 18.--Substitution de l’_a_ à l’_o_, 19.--Exemples
    des modifications apportées dans les différentes éditions du
    Dictionnaire, 25.--Préface de cette édition par M. VILLEMAIN, p.
    26.--Préface de l’édition de 1694, p. 114.--_Cahiers de remarques_
    pour cette édition, 117.--Critique du Dictionnaire, 343.

  DIDOT père. Son opinion sur le remplacement du _ph_ par l’_f_, 33.

  Digamma éolique (_F_) figure légitimement dans un mot tiré du grec,
    33.

  Diphthongues. Voyez Doubles lettres.

  _Diphthongue, diftongue_, 28, 46.--_Diptongue_, 41.

  _Dissyllabe._ Observation sur l’orthographe de ce mot, 62.

  Division. Voyez Trait d’union.

  Dix-neuvième siècle (réformateurs du), 304 et suiv.

  DOBERT (Le P. Antoine), 223.

  DOLET (Etienne). Son opinion sur l’accent enclitique, 59.--_La
    maniere de bien traduire d’une langue en aultre, de la ponctuation
    françoyse, des accens d’ycelle_, 181.--Exposé de sa réforme.--On
    lui doit l’accent grave sur _à_, préposition.--Il rétablit le _t_
    au pluriel des mots terminés en _ant_, 182.

  DOMERGUE (Urbain). Son opinion sur les conditions d’une
    réforme.--Il demande que chaque son simple soit représenté par
    un signe simple.--Prosopopée qu’il adresse à Napoléon Ier, 157,
    158.--_La prononciation françoise_, 306.--Ses travaux sur la
    langue française, 307.--Tableau des voyelles et des consonnes,
    308.--Réforme de l’alphabet, 307.

  _Dompter._ Histoire de ce mot, 112 _bis_.

  _Dorénavant._ Histoire de ce mot, 59.

  Doubles lettres. Voyez Lettres doubles.

  Doublets du français, 238.

  DOUCHET. _Principes généraux et raisonnés de l’orthographe_,
    285.--De l’_e_ muet, 286.--De l’emploi du _t_, du _ph_, du _ch_ et
    du _k_, 287.

  DROZ, 21.

  DUBNER (Frédéric). _Examen du programme officiel des humanités,
    année scolaire 1863-1864._--Six années de grammaire et
    d’orthographe françaises! 345.

  DUBOIS. Voyez SYLVIUS.

  DU CANGE. Son glossaire comparé à celui de Firmin LE VER, 104.

  DUCLOS. Son jugement sur l’écriture étymologique, 147.--Son système
    de réforme, 284.

  DUEZ (Nathaniel). _Dictionnaire françois-italien_, 111, 416.

  DU MARSAIS (CHENEAU, sieur). _Des tropes._--Opinion de D’Alembert
    sur cet ouvrage, 271.--Errata du traité _des tropes_, 271,
    272.--Du Marsais se prononce contre les lettres doubles, 272.

  DUMAS, 273.--_Bibliothèque des enfans, ibid._

  DUPIN, 21.

  DUPONT (Nicolas). _Examen critique du traité de l’orthographe de M.
    l’abbé Regnier des Marais_, 261.

  DU WÈS ou DEWES ou DU GUEZ (Gilles). _Grammaire destinée à
    apprendre le français à Marie, fille de Henri VIII d’Angleterre_,
    178.--Spécimen de l’orthographe de cet ouvrage, 179.

  _Dyssenterie._ Correction indispensable à ce mot, 54.


=E=

  _É._ Distinction des différentes sortes d’_e_, par CORNEILLE, 127.

  _École_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  Écriture française. Sa bizarrerie, 31.--Dangers de l’introduction
    d’une double écriture, l’une vulgaire et l’autre savante,
    94.--Modifications proposées n’apportant pas un grand trouble dans
    l’écriture, 91.

  Édit de Villers-Cotterets, 4.

  Éditions récentes (Les modifications successives de l’orthographe
    ne sauraient causer préjudice aux), 24.

  EGGER regrette que l’on dise _orthographe_ au lieu de
    _orthographie_, 394.--Son opinion sur la réforme, 395.

  _Eler_ (verbes en), 54.--WAILLY, 278.--VANIER, 325.--JULLIEN, 380.

  _Ence_ (Orthographe des mots terminés en), 75.--LE VER, 76.

  Enfants. Leurs progrès dans la lecture au moyen d’une orthographe
    phonétique, 273.

  Enseignement primaire (Simplification de l’orthographe en vue de
    l’), 4, 330.

  _Ensemble_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  _Ent_ (De l’orthographe et de la prononciation des adjectifs et
    substantifs verbaux provenant du participe présent et terminés
    en), 67.--Liste des adjectifs et substantifs verbaux provenant des
    trois dernières conjugaisons latines et qui se terminent en _ent_,
    71.--Mots en _ent_ prononcés différemment quoique s’écrivant de la
    même manière, 72.--Mots auxquels on devrait conserver la désinence
    _ent_, 74.

  _Entia._ Liste de vocables latins en _entia_ traduits par des mots
    français en _ance_ dans le dictionnaire de LE VER, 76.

  Épellation vicieuse du français, 16, 203, 273.

  ERDAN (Alexandre). _Congrès linguistique._ _Les révolutionnaires de
    l’A, B, C_, 334.--Nie l’opportunité de l’étymologie dans l’écriture
    française, 335.--Sa réforme, 336.

  _Esai de simplification du français en vue de le fair accepter
    come langue internacionale_ (par E. A. C.), 348.

  ESCLACHE (Louis de l’). _Les véritables règles de l’ortografe
    francéze_, etc., 231.--Ses idées et son orthographe, 232.

  Espagnole (Simplification de l’orthographe de la langue), 39.

  Esprit rude (de l’) et de la lettre _H_, 38.--Contradictions de
    l’orthographe des mots où figure l’esprit rude, 39.

  ESTIENNE (Robert). _Dictionnaire francois-latin, autrement dict
    les mots francois, auec les manières duser diceulx, tournez en
    latin_, 108, 182.--_Dictionarium puerorum_, 109.--Son influence sur
    l’orthographe, 6, 109.--Son respect pour les formes orthographiques
    du français consacrées par l’usage, 109.--Spécimen de son
    orthographe, 183.--Influence persistante de son orthographe pendant
    deux siècles, 110.

  ESTIENNE (Henri). _Traicté de la conformité du language françois
    avec le grec_, etc., 197.--Il reconnaît la nécessité de simplifier
    l’écriture française, 198.--Il propose la suppression de certaines
    lettres muettes étymologiques, 199.--Son intention d’introduire
    quelques formes nouvelles ou signes, 198.

  _Eter_ (Verbes en), 54.--VANIER, 325.--JULLIEN, 380.

  Étymologie (Contradictions de l’orthographe avec l’),
    53.--L’étymologie des mots ne saurait être douteuse pour ceux qui
    savent le latin et le grec, 92.

  Étymologique (orthographe). Opposition à son établissement,
    7.--Son inutilité pour la recherche du sens des mots, 26, 149,
    349.--Contradiction de l’usage actuel et de l’orthographe
    étymologique, 32.--Orthographe étymologique de la lettre χ,
    35.--Opinions de: MEIGRET, 185.--PÉRION, 190.--ESTIENNE (Henri),
    199.--RONSARD, 121.--DUCLOS, 147.--BEAUZÉE, 149, 297.--ERDAN,
    335.--JULLIEN, 390.--SAINTE-BEUVE, 168.

  EXPILLY (Claude). _L’ortographe françoise selon la prononciation de
    notre langue_, 213.


=F=

  _F_ (Histoire de l’), 214.--_F_ faible, _F_ forte, 30.--_F_ double,
    109.--_F_ devant remplacer le φ comme lettre de naturalisation,
    45.--Les Latins ont écrit avec _f_ et non avec _ph_ certains mots
    d’origine grecque, 45.--DANGEAU, 134.--GODARD, 214.--D’ABLANCOURT,
    257.--ROCHE, 293.--JULLIEN, 373, 390.

  _Faisan_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  _Fantaisie, phantaisie_, 118.

  _Fantastique_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  _Fantôme_, 33.

  FAURE (S.). _Essai sur la composition d’un nouvel alphabet_, etc.,
    328.

  FÉLETZ (de), 21.

  FÉLINE (Adrien). Son système mis en pratique avec succès pour
    l’enseignement du français aux Arabes, 4.--_Mémoire sur la réforme
    de l’alphabet_, etc.--_Dictionnaire de la prononciation de la
    langue française indiquée au moyen de caractères phonétiques_,
    330.--Sa réforme comme méthode pédagogique, 330.--Son alphabet,
    331.--But de son dictionnaire, 332.

  FÉNELON, 73.

  _Filosofe_, 33.--_Filosofie_, 189.

  Flamande (langue). Arrêté du roi des Belges pour fixer son
    orthographe, 378.

  _Forcené_ au lieu de _forsené_, 385.

  FORESTIER-BOINVILLIERS-DESJARDINS. Voyez BOINVILLIERS.

  FORTIA D’URBAN. _Nouveau système de bibliographie alphabétique_,
    159.

  FOURIER, 21.

  FOURNEL (Victor). Bizarreries et contradictions de la langue
    française.--Embarras causés par les mots composés et les lettres
    doubles, ainsi que par la formation du pluriel des mots en _ou_,
    453-456.--Orthographe du maréchal de Saxe.--Le progrès opéré dans
    la connaissance de l’orthographe depuis le siècle dernier tient
    aux simplifications qui s’y sont faites.--Diverses tentatives pour
    faciliter l’étude de l’orthographe, 454.--Marche successive de
    l’Académie dans la voie de la réformé depuis la première édition de
    son Dictionnaire.--Des principaux inconvénients de l’orthographe
    française, 455.--M. Fournel rejette la proposition du _g_ doux,
    456.--Des syllabes _ti_ se prononçant _ci_.--Il approuve les
    propositions relatives au _k_, au _th_ et au _ph_, 457.--L’Académie
    a porté elle-même les plus rudes coups à l’orthographe
    étymologique, 457.

  Français (Histoire de la formation du), 92, 100, 167, 391.

  Francisation des mots empruntés aux langues vivantes, 31,
    87.--Francisation des mots que le vieux français a empruntés au
    latin, 78, 238.

  FRÉMONT D’ABLANCOURT. Voyez d’ABLANCOURT.

  _Frénésie._ L’étymologie ne précise pas le sens de ce mot, 28.

  FROISSART, 353.

  FURETIÈRE. _Dictionnaire universel_, 113.


=G=

  _Ġ_ doux, 387.--Artifice orthographique employé primitivement pour
    le distinguer du _g_ dur, 88.--Souvent employé indifféremment pour
    le _j_, 89.

  _ġ_. Son emploi pour indiquer le _g_ doux, 88.--Il supprimerait
    l’emploi de l’_e_ devant les voyelles _a, o, u_, 89.--DE WAILLY,
    281.

  GARAT, auteur de la préface de la 5e édition du Dictionnaire, 17.

  GARBIN (Louis). Son glossaire imprimé en 1487, aujourd’hui perdu,
    106.

  _Garde-malade_, Pluriel embarrassant de ce mot, 61.

  GARNIER (Jehan). _Institutio gallecæ linguæ ad usum juventutis
    germanicæ_, 190.

  GAYGNARD (Pierre le). _L’Apprenmolire françois pour apprendre les
    ieunes enfans et les estrangers à lire en peu de temps les mots des
    escritures françoizes avec la vraye ortographe françoize_, 212.

  GENCE, 18.

  Genres (Orthographe des). LÉGER NOEL, 339.

  GEVRY (Jacques de), 231.

  GIRARD (l’abbé). _Synonymes françois, leurs différentes
    significations et le choix qu’il faut en faire pour parler avec
    justesse._--_Justesse de la langue françoise._--_L’ortografe
    françoise sàns équivoques et dàns sés principes naturels_, etc.,
    139, 261.--Exposé de son projet de réforme.--L’_Usage_ et la
    _Raison_, 140.--Il expose les inconvénients de notre orthographe
    tout embarrassée de latinité.--Modifications qu’il propose, 262.

  GIRARDIN (Émile de). Sa lettre à M. Hetrel où il critique
    l’arbitraire dans le langage, 369.

  GIRAULT-DUVIVIER. _Grammaire des grammaires_, etc.--Ignorance avec
    laquelle il parle de la réforme, 310.

  Glossaires (les plus anciens) latins-français, 105.--Comparés à
    celui de Firmin LE VER, _ibid._

  _Gobe-mouches_ et _chasse-mouche_. Distinctions dans l’orthographe
    du pluriel de ces mots, 61.

  GODARD (Jean). _L’H françoise._--_La langue françoise de Jean
    Godard Parisien_, etc., 213.--_L’A françois._--_L’F françoise_, 214.

  _Gothique._ Orthographe de ce mot contradictoire à celle du mot
    _visigot_, 43.

  Grammaire française (Importance et difficulté d’une bonne), 460 et
    _passim_.

  GRIMAREST (de). _Éclaircissements sur les principes de la langue
    françoise_, 259.--Incertitude sur l’orthographe des noms propres,
    260.


=H=

  _H._ Suppression de la lettre _h_, représentant l’esprit rude.--Son
    introduction abusive au commencement de certains mots, 39, 237.--LE
    VER, 213.--GODARD, _ibid_.--RAOUX, 356.--_H_ aspirée. Proposition
    d’un signe pour l’_h_ aspirée, 288, 349.--De la suppression de
    l’_h_ muette, BAÏF, 200; ERDAN, 336; RAOUX, 366.

  _Hache._ Orthographe étymologique défectueuse du mot _hache_
    venant de _ascia_, 39.

  HAVARD adhère avec de grandes réserves au principe de la réforme,
    463.

  HENRICY (Casimir). _Traité de la réforme de
    l’orthographe._--_Gramère fransèze d’après la réforme ortografiqe_,
    342.

  HETREL (Albert). _Code orthographique, monographique et
    grammatical._--Lettre de M. Émile de Girardin à l’auteur,
    369.--Difficultés grammaticales et syntaxiques.--Singulier
    et pluriel des substantifs qui prennent le trait
    d’union.--Accentuation, 371.--Doubles et simples.--Genre
    embarrassant.--Majuscules et minuscules, 372.--Son orthographe des
    noms composés, 417.

  HINDRET (Jean). _L’Art de bien prononcer et de bien parler la
    langue françoise._--Il se prononce en faveur de la réforme, 239.

  _Hiver_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  _Homonymes_, leur orthographe, 96, 326.

  _Honneur_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  HOSPITAL (Michel de L’), 25.

  _Huile._ Orthographe défectueuse et contraire à l’étymologie du mot
    _huile_, venant de _oleum_, 39.--Écrit sans _h_ se confondait avec
    _vile_, 237.

  _Huître_ (Histoire du mot), 112 _bis_, 237.

  _Hydrogène_ (Composition défectueuse du mot), 38.


=I=

  I, consonne.--Réclamation de RONSARD en faveur de l’emploi du _j_
    et du _v_, 121.--Séparation de la voyelle _i_ de la consonne _j_,
    123.--RAMUS, 193.--Liste des mots où la présence simultanée de
    l’_i_ et de l’_y_ est une cause d’embarras, 87.

  _Idropisie._ _Idropique_, 102.

  _Ieux._ Orthographe des mots terminés en _ieux_, 81.

  Imparfait du subjonctif en _assions_, condamné par _l’usage_, 216.

  Imprimeurs, leur influence sur l’orthographe, 153, 294, 343.--Ont
    beaucoup fait pour le progrès de la langue, 458.

  Indicatif présent (de la première personne de l’).--Introduction
    vicieuse de l’_s_ à la première personne de cet indicatif, 17.

  _Insu_ (Histoire du mot), 12.

  Italiens et Espagnols. Leur orthographe, 242.


=J=

  JACQUIER (Maurice). _Méthode très-facile pour apprendre
    l’orthographe_, 270.

  JOINVILLE. Ses manuscrits, 353.

  JOUBERT (Laurent). _Dialogue sur la cacographie fransaise_, 203.

  JOUY, 160.--Il signale l’inutilité des doubles lettres dans les
    mots où l’on n’en prononce qu’une, 161.

  JULLIEN (Bernard). _De l’orthographe et des systèmes
    néographiques._--_Thèses de grammaire._--_Les principales
    étymologies de la langue française._--_De la nécessité de quelques
    réformes dans l’orthographe française_, 372.--Il oppose un grave
    inconvénient aux idées purement phonographiques dans l’article
    intitulé _la Partie de dominos_, 373.--Cause de l’introduction
    des lettres doubles, 377.--Il approuve leur retranchement et la
    substitution de l’_f_ au _ph, ibid._--Le mouvement de retour,
    375.--Inconséquences dans l’orthographe des mots _dessiller,
    forcené_, 385.--Contradictions dans le Dictionnaire de
    l’Académie.--Il demande que notre orthographe soit soumise à un
    système régulier, 380.--Il rappelle les différents changements
    proposés par DUCLOS, DANGEAU, BEAUZÉE, 382.--Il ne partage pas
    l’avis des néographes d’écrire: _pindre, pintre_, 387.--Lettres
    caractéristiques.--Ce qu’il propose pour distinguer le _g_ dur,
    387.--Il propose de mettre la cédille sous le _c_ du _ch_ quand il
    a le son chuintant, 388.--Il blâme les phonographes qui voudraient
    écrire _chapo, bato_, et demande le remplacement du _ph_ et du _th_
    par l’_f_ et le _t_, 390.--Cause de l’irrégularité de la plupart de
    nos racines.--L’accent tonique du français, 391.


=K=

  K (la lettre) remise en honneur par RONSARD, 5;--par BAÏF,
    200.--Son emploi pour remplacer le _c_ dur ou le _ch_.--THÉODORE
    DE BÈZE, 37.--SAINT-LIEN, 205.--DOUCHET, 287.--BEAUZÉE,
    299.--Suppression proposée de la lettre _k_, 356.

  KÜSTER (Théodore). Il désire la suppression du _th, ph, w_,
    461;--celle du trait d’union dans les mots composés.--De la méthode
    particulière à l’esprit français en matière orthographique,
    462.--Il repousse l’emploi du _t_ cédille, _ibid_.


=L=

  L double, 5.--Causes du redoublement de l’_l_.--JULLIEN, 377.--L
    mouillé.--RONSARD réclame un signe distinctif pour cet _l_,
    121.--Pierre CORNEILLE, _id._, 129.--BEAUZÉE, _id._, 303.

  LA BRUYÈRE proteste contre l’usage en fait d’orthographe, 339.

  LACRETELLE, 21.

  LA FONTAINE. Sa supplique en faveur de Fouquet.--Orthographe de
    cette pièce dans l’édition princeps, 399.

  LAIMARIE (Guill. de) donne une édition améliorée du dictionnaire
    français-latin de Robert Estienne, 109.

  LA LOY (Charles). _Balance orthographique_, 333.

  LANCELOT, 16, 226. Voyez Port-Royal.

  LANGEN-MANTEL (Jérôme-Ambroise). _L’orthographe de la langue
    françoise_, 239.

  Langues vivantes (Mots empruntés aux), 31, 87.

  Langue française, défrancisée par la formation des mots
    scientifiques, 21.--Coup d’œil sur l’histoire de la langue
    française, 167.--_Grammaire historique de la langue française_,
    167.--Durée de son enseignement d’après le programme universitaire,
    348.

  LA NOUE. Ouvrage sur l’orthographe qui lui est attribué, 220.

  LA RAMÉE, voy. RAMUS.

  LAROMIGUIÈRE. Lettre à M. Marle à propos de son système, 162.

  LARTIGAUT. _Les progrès de la véritable ortografe._--Extrait de
    l’_avis important_ placé en tête de son livre, 233.--Spécimen de
    son orthographe, 234.--Aperçu de ses modifications.--Il propose la
    suppression de l’_œ_, 235.

  Latinité. Son influence prédomine dans la première édition du
    Dictionnaire, 9.--Son influence considérable sur l’orthographe
    depuis la Renaissance, 6, 92, 168, 391.

  LAUNAY (PY-POULAIN de). _Voy._ PY-POULAIN de LAUNAY.

  Lausanne (société phonographique de), 366.

  Lecture et écriture française accessibles à tous (Moyen de rendre
    la), 97.

  LÉGER NOEL. _Les anomalies de la langue française, ou la nécessité
    démontrée d’une révolution grammaticale_, 338.--Spécimen de
    l’orthographe qu’il propose, 339.--Réclamation en faveur de l’_y_,
    341.--Orthographe du genre, 339.--Sa théorie du trait d’union,
    412.--Adhésion, 451.

  LEGOARANT (B.). _Nouveau dictionnaire critique de la langue
    française_, 343.

  _Lettre, lètre, voy._ BOILEAU, 49.

  Lettres Θ et Φ représentées en latin par _th_ et _ph_.--Différence
    de prononciation du θ et du τ, 30;--du φ et du digamma éolique, 30.

  Lettres caractéristiques, _voy._ Caractéristiques (lettres).

  Lettres doubles, 48.--RONSARD, 40.--Elles sont souvent remplacées
    dans notre orthographe par l’accent grave, 49.--BOILEAU,
    _ibid._--On doit les conserver au milieu des mots quand la
    prononciation l’exige, 50, 377.--Contradiction de l’emploi
    dans certains mots de lettres doubles, 54.--Elles n’ont pas
    toujours fait partie du système orthographique de la langue
    française.--Tableau comparatif de l’orthographe des _quatre
    livres des Rois_, du dictionnaire de LE VER et de celui de ROBERT
    ESTIENNE, 56.--Écrivains contraires à l’emploi des lettres doubles:
    PERROT D’ABLANCOURT, 124.--JOUY, 161.--MONTAIGNE, 207.--CHIFLET,
    226.--RODILARD, 241.--REGNIER DES MARAIS, 252.--Le P. BUFFIER,
    259.--DE LONGUE (Pierre), 267.--DU MARSAIS, 272.--DE WAILLY,
    278.--ROCHE, 294.--BEAUZÉE, 297.--VOLNEY, 312.--ERDAN, 336.--HETREL,
    372.--Lettres doubles qui ne se prononcent pas condamnées par
    MÉNAGE, 236.--Causes de leur introduction (JULLIEN), 377, 382.
    --Règles de leur emploi dans les _Cahiers des remarques_, 118.

  Lettres euphoniques, _s, t_, 65.

  LE VER (Firmin). Son dictionnaire latin-français, 39,
    101.--Orthographe francisée des mots tirés du grec admis dans son
    dictionnaire, 41.--Il traduit par des mots français en _ance_ des
    vocables latins en _entia_, 76.--Lumière que ce dictionnaire jette
    sur l’état de l’écriture et de la prononciation au commencement du
    XVe siècle, 102 et suivantes.

  _Lierre_ (Histoire du mot), 54.

  LIEVIN (Louis). Adhésion, 461.

  Liste comparative de l’orthographe et du mode de composition de
    certains mots dans différents glossaires de la fin du XVe et du
    commencement du XVIe siècle, 105.

  _Lithontriptiques_ (Mauvaise composition du mot), 44.

  LITTRÉ. _Histoire de la langue française_, 164.--Ses idées sur les
    archaïsmes bons à renouveler, 163, 379.--Réaction de l’écriture sur
    la prononciation, 164.--Son orthographe des noms composés, 417.

  LIVET (Ch.-L.). _La grammaire française et les grammairiens au_
    XVIe _siècle_, 190.

  LONGUE (L. Pierre de). Principes de l’orthographe françoise,
    266.--Il se prononce contre les doubles lettres, 267.


=M=

  MALVIN-CAZAL (Joseph de). _Prononciation de la langue française au_
    XIXe _siècle_, etc., 329.

  _Manière d’étudier les langues_, 288.

  Manuscrits (Orthographe des anciens), 76, 92, 102.

  MARAIS (des), _voy._ REGNIER.

  MARLE. _Réforme orthographique_ et autres ouvrages.--Exposé de sa
    réforme, 316.--Marche que l’auteur déclare adopter, 318.--Lettre
    de M. ANDRIEUX, 320.--Réclamation de M. ANDRIEUX contre M. Marle,
    321.--Diagraphie, 323.--Critique du système de M. Marle, 326, 373.

  _Martyre_, 102.

  MATHIEU (Abel). _Devis de la langue françoise_, etc., 191.

  MAUCONDUIT (de). _Traité de l’orthographe_, etc., 232.

  MEIGRET (Louis), 121.--Distinction de l’_i_ et du _j_, 123.--Ses
    ouvrages sur l’orthographe, 184.--Sa réforme, 185.--Les
    meigretistes, 185.--Suppression des lettres étymologiques qui ne se
    prononcent pas, 186.

  MÉNAGE (Gilles). _Observations sur la langue française._--Services
    rendus à la langue par cet écrivain et orthographe de son ouvrage,
    236.

  _Ment._ Régularisation de l’orthographe des mots en _ment_
    (_aboiement, balbutiement_), 379.

  MERMET (Claude). _La Pratique de l’orthographe françoise avec la
    manière de tenir livre de raison_, 206.

  MEYER (Maurice). Précautions à prendre dans l’admission des mots
    composés au Dictionnaire, 460.

  MILLERAN (René). Ses ouvrages sur l’orthographe, 240.

  MOINET (Simon). _La Rome ridicule du sieur de Saint-Amant,
    travêstie à la nouvêle ortografe, pure invantion de Simon Moinêt,
    Parisiïn_, 84, 230.

  MOLIÈRE. Son orthographe des mots _Misanthrope_ et _Psyché_, 29.
    Voir 408.

  MONET (Le P. Philibert). _Invantaire des deus langues françoise
    et latine_, 6, 7, 110.--_Parallèle des deus langues latine et
    françoise_, 110.--Premier lexicographe réformateur, _ib._--Son
    système orthographique, _ib._

  MONTAIGNE. _Essais._--Son orthographe personnelle, 206,
    396.--Instruction à son imprimeur au sujet de l’orthographe,
    206.--Suppression des lettres doubles inutiles, 207.

  Mots au bout des lignes (De la division des), 65.

  Mots avec _ch_, 35.--Moyen de les ramener à l’uniformité, 36.

  Mots avec _ph_ d’un usage ordinaire, 45.--D’un usage exceptionnel,
    47.

  Mots d’un usage ordinaire ayant conservé le _th_, 43.--Mots avec
    _th_ d’un usage exceptionnel, 44.

  Mots où le _th_ et le _ph_ sont réunis (Forme barbare des),
    46.--Mots avec _ph_ et _th_ réunis, 47.--Mots avec deux _ph_ ou
    deux _th_, 47.

  Mots composés, chez les Latins et les Grecs, 58.--Chez les
    Anglais et les Italiens, 59.--Anomalies dans l’écriture des
    mots composés, 61.--Utilité de la suppression du tiret pour
    simplifier le pluriel des mots composés, 60 et 64.--Mots
    composés avec ou sans tiret, 60.--Difficulté de leur recherche
    dans le Dictionnaire de l’Académie, 64.--Utilité de leur
    agglutination, _ibid._--Agglutination des mots composés d’origine
    étrangère, 169.--Mots composés dans l’ouvrage de Palsgrave,
    179.--Agglutination des expressions prépositives et adverbiales,
    BAÏF, 200;--MÉNAGE, 237.--Emploi du trait d’union dans l’italien,
    409;--l’espagnol, _ibid._;--l’allemand, _ibid._;--le hollandais,
    _ibid._;--le polonais, _ibid._;--le russe, _ibid._;--l’anglais,
    410.--Les dix règles et les exceptions dans l’emploi du trait
    d’union selon M. POITEVIN, _ibid._--Distinction des noms
    composés d’avec les locutions analogues d’après M. LÉGER NOEL,
    412.--Principes pour la composition des mots, 413.--Liste des
    mots composés ou pseudo-composés admis au Dictionnaire de
    l’Académie, 417.--Mots composés du Dictionnaire de l’Académie,
    _ibid._--Pluriels donnés par l’Académie, _ibid._--Pluriels
    selon quelques grammairiens, _ibid._--Corrections proposées et
    observations, _ibid._--Précautions à observer dans l’admission des
    mots composés au Dictionnaire, 460.

  Mots corrigés par les Précieuses (Liste d’une partie des), 228.

  Mots étrangers (les) admis dans la langue devraient être francisés,
    87, 169.

  Mots inconnus aux lexicographes figurant dans le Dictionnaire de
    Firmin LE VER, 104.

  Mouillés (sons). Voyez _l_ mouillé et _n_ mouillé.

  MÜLLER (Max). Son opinion sur la réforme orthographique de M.
    Pitman en Angleterre, 164.--Son adhésion à une réforme établie sur
    la prononciation, 164.

  _Mystère_ (Histoire du mot), 112 _bis_.


=N=

  N double. Liste des mots s’écrivant avec un seul _n_, et des mots
    s’écrivant avec deux _n_, 51.--Mots où le double _n_ devrait être
    supprimé, 52.--Causes du redoublement de l’_n_ selon M. JULLIEN,
    377.--Du double _n_ dans les verbes formés sur des substantifs en
    _ion_, 57.--Mots dans lesquels il devrait être supprimé, 58.

  N mouillé d’après RONSARD, BUFFIER, VOLNEY, MARLE, FÉLINE, RAOUX,
    361. Voy. ces mots.

  _Napoléon Ier_. Ses efforts en faveur du progrès de la langue
    française, 346.

  NÉGRIN (Émile). _Grammaire française des gens du monde_, 349.--Abus
    de l’orthographe étymologique, 349.--Signe distinctif pour l’H
    aspirée, 349.--Son système orthographique, 350.--Décadence de la
    langue française, 350.

  Néographes. MONET, 110.--RICHELET, 111.--GIRARD, 139.--CORNEILLE,
    125.--CASTEL, 144.--DE WAILLY, 150.--BEAUZÉE, 295.--JULLIEN, 373.

  Néologisme (Droit de), 144.

  Néolatines (langues). Simplicité orthographique dans les langues
    néolatines autres que le français, 92.

  NEUFCHATEAU (François de). Son opinion sur la simplification de la
    lecture par le perfectionnement de l’alphabet, 156.

  NICOT (Jean). _Dictionnaire françois-latin et Thrésor de la langue
    françoyse_, 109.--Se déclare continuateur de Robert Estienne, 110.

  _Nimphe_, 122.

  NODIER (Charles). Son sentiment sur la réforme, 161.--Les
    dictionnaristes, 161.--Son opinion sur la réforme d’Honorat
    Rambaud, 202.--Anecdote, 457.

  NOEL (Léger). Voyez LÉGER NOEL.

  Noms propres.--GRIMAREST, 260.--Les noms propres résistent à
    l’emploi de l’orthographe phonétique, 367.


=Œ=

  Œ. LARTIGAUT propose sa suppression, 235.--Extension de l’emploi de
    l’_œ_, 303.


=O=

  _Oi_ remplacé par _ai_ dans les imparfaits, etc., 2,
    19.--Difficultés soulevées à l’occasion de cette réforme, 172.

  OLIVET (l’abbé d’), chargé de régulariser l’orthographe dans la
    troisième édition du Dictionnaire, opère une large réforme, 12.--Il
    regrette de n’avoir pu établir partout l’uniformité désirée,
    13.--Lettre au président Bouhier, _ibid._

  Opinions et systèmes concernant l’orthographe française depuis 1527
    jusqu’à nos jours, 99.

  _Orphelin_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  Orthographe ou ortografie (voir le titre). Influence sur
    l’orthographe du mouvement général des esprits et du développement
    des sciences, 21.--Améliorations proposées à l’orthographe
    actuelle, 23.--Résumé de l’histoire de l’orthographe française,
    92.--Orthographe de certains mots au commencement du XVe
    siècle comparée avec leurs formes respectives à la fin de ce
    même siècle, 105.--Tableau des variations de l’orthographe
    de certains mots depuis le XVe siècle et d’après différents
    auteurs, 112.--Orthographe de l’Académie dans le Dictionnaire de
    1694, 113.--Motifs allégués dans la préface de ce dictionnaire,
    114.--Opinions de plusieurs membres de l’Académie française et
    de l’Académie des belles-lettres sur l’orthographe et la réforme
    orthographique, 124.--Ce qui est dit _de l’orthographe françoise_
    à la fin de l’ouvrage intitulé _le Grand Dictionnaire des rimes
    françoises_, 220.--Et _de l’orthographe, ou des moyens simples et
    raisonnés de diminuer les imperfections de notre orthographe_,
    289.--Seul moyen d’apprendre l’orthographe, 289, 292.--Caractère
    de l’orthographe au XIVe siècle, 353.--Orthographe personnelle des
    écrivains classiques, 395.

  _Ortografe des dames_ (anonyme), 288.

  _Orthographie_ ou _ortografie_, 42, 204.--Histoire de ce mot, 372,
    112 _bis_.

  _Oter_ (contradiction orthographique des verbes en), 54.

  _Ou._ Réforme proposée du pluriel de quelques mots terminés en
    _ou_, 90, 279, 453.

  OUDIN (Antoine). _Grammaire française, rapportée au langage du
    temps_, 221.--Ses arguments contre la réforme phonographique,
    _ibid._

  OUDIN (César). _Trésor des deux langues françoise et espagnolle_,
    111.

  _Oxygène_ (Composition défectueuse du mot), 38.


=P=

  P (double), 55.

  PALLIOT (de). _Le vray orthographe françois_, 207. Il est ennemi de
    toute innovation orthographique, 207.

  PALSGRAVE (Jehan). _Lesclarcissement de la langue françoyse,
    composé par maistre Jehan Palsgrave, angloys, natyf de Londres et
    gradue de Paris_, 179. La table de ce livre peut être considérée
    comme un glossaire du XVe siècle, 107.--A constaté le premier la
    position de l’accent tonique en français, _ib._

  PANEL (Pierre). _Le tableau de l’orthographe françoise_, 259.

  _Parrain_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  Participe passé (Discussion dans l’Académie sur l’accord du),
    137.--M. Tell propose de le rendre invariable, 346.

  PASQUIER (Étienne) combat la réforme de Ramus, 194.

  PASTORET (de), 21.

  PAUTEX. _Errata du Dictionnaire de l’Académie française_,
    342.--Utilité de son travail principalement pour les imprimeurs,
    343.

  PEIGNÉ (M.-A), membre actif de la Société de la Réforme fondée par
    M. Marle, 323.

  PELLETIER (Jacques), du Mans. _Dialogue de l’ortografe e
    prononciation françoese, departi an deus liures_, 188.

  PÉRION (Joachim). _Joachimi Perionii Benedictini cormæriaceni
    dialogorum de linguæ gallicæ origine, eiusque cum græca cognatione,
    libri quatuor_, 189.--Curieux exemple de l’abus de la méthode
    étymologique en matière d’orthographe, 190.

  PERROT D’ABLANCOURT, voyez ABLANCOURT.

  _Ph._ Sa prononciation chez les Grecs et les Latins, 29.--Utilité
    de son remplacement par l’_f_, 12, 15, 29.--Emploi du _ph_ chez
    les Latins, 30, 33.--Question du _ph_, 41, 43, 46, 118, 124, 218,
    342.--DANGEAU, 134.--RODILARD, 241.--d’ABLANCOURT, 257.--DOUCHET,
    287.--ROCHE, 293.--DIDOT père, 33.--NEGRIN, 349.--JULLIEN, 373, 390.

  Φ (du), qui devrait toujours être représenté par un F, 44.

  _Phantosme_, 25, 33.

  _Philosophe, filosofe_, 33, 400.

  Phonétique (réforme). Motifs qui s’opposent à son admission,
    175.--Utilité de son étude, 176.--Argumentation contre son principe
    (VANIER), 326.--JULLIEN, 373.--Les résultats économiques de cette
    réforme, 354.

  Phonographes, absolus ou modérés: MEIGRET, 184.--PELLETIER,
    188.--RAMUS, 191--BAÏF, 199.--RAMBAUD, 200.--L’ESCLACHE,
    231.--LARTIGAUT, 233.--DANGEAU, 241.--Le P. VAUDELIN,
    260.--DOMERGUE, 137, 306.--MARLE, 316.--FÉLINE, 330.--HENRICY,
    342.--RAOUX, 351.

  Phonographie (Critique de la), 96, 326, 363, 373.

  _Phthisique_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  _Phtisie, phthisie_, 22, 46, 112 _bis_.

  _Physicien_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  _Pickpocket_ devrait s’écrire en français _piquepoquet_, 462.

  PILLOT (Jean). _Gallicæ linguæ institutio_, 190.

  _Plan d’une ortographe suivie, pour les imprimeurs_ (anonyme).
    Réformes proposées dans cet ouvrage, 264.

  _Plein_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  POISSON (Robert). _Alfabet nouveau de la vrée et pure ortografe
    fransoize et modèle sus iseluy en forme de dixionére_,
    209.--Changements qu’il indique et qui furent adoptés plus tard,
    209.--Quatrains indiquant la valeur et l’emploi de chaque lettre de
    l’alphabet, 210.

  POITEVIN (P.). _Grammaire générale et historique de la langue
    française_, 337.--Il demande la suppression des lettres inutiles,
    338.--Ses règles pour l’emploi du trait d’union, 410.--Son
    orthographe du pluriel des mots composés, 417 et suiv.

  _Pomme_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  Port-Royal. _Grammaire générale et raisonnée, contenant les
    fondements de l’art de parler, expliqués d’une manière claire et
    naturelle_, 226, 283.--Principes de sa réforme, 284.--Le premier
    emploi du _t_ pointé destiné au même usage que le _t_ cédille est
    indiqué dans cet ouvrage, 84.

  _Précepteur_ (le), 274.--Nécessité de faire concorder l’orthographe
    avec la prononciation, 275.

  Précieuses (les). Leur réforme orthographique, 94, 227.--Liste de
    mots écrits d’après leur orthographe, 228.

  Présent de l’indicatif (Orthographe régulière de la première
    personne du), 17.

  _Projet d’un esei de granmére francéze_, 248.--Système de
    l’auteur.--Il expose les avantages d’une réforme pour les étrangers
    et pour les dames, 249.

  Prononciation. Influence funeste d’une écriture contraire à
    la prononciation, 56.--Utilité historique des ouvrages où la
    prononciation se trouve figurée, 192, 233.--DE WAILLY, 281.

  Prosodie française.--Bossuet réclame l’indication des règles de la
    prosodie dans la Dictionnaire, 132.--Figuration de la prosodie, 286.

  _Psychologie_, 37.

  _Ptisanne_, 25.

  PY-POULAIN DE LAUNAY (Pierre). _L’art d’apprendre à lire le
    françois et le latin_, 265.


=Q=

  Q. Proscription de cette lettre par BAÏF, 200.

  Quantité latine.--Son influence sur le redoublement des consonnes,
    53.

  QUICHERAT, 62.--Préface de son _Dictionnaire français-latin_,
    165.--Corrections au Dictionnaire de l’Académie, 166.

  QUINTILIEN, 29.


=R=

  _R_ double. Cas où l’on devrait le conserver, 53.

  RACINE. Correction de la diphthongue _ai_ dans l’_Andromaque_,
    19.--Son orthographe dans la lettre au maréchal de Luxembourg, 400.

  Radicaux grecs (les) en s’introduisant dans l’ancien français ont
    subi l’influence de la latinité, 29.--Mots forgés irrégulièrement
    avec des radicaux grecs, 177.

  RAMBAUD (Honorat). _La Déclaration des abus que l’on commet en
    escriuant, et le moyen de les éuiter et représenter nayuement les
    paroles: ce que iamais homme n’a faict_, 200.--Comment il expose
    ses principes, 201.--C’est lui qui le premier a proposé la nouvelle
    épellation _be, ce, de_, 203.

  RAMUS ou LA RAMÉE (Pierre). _Gramere_, 191.--Son système,
    192.--Spécimen de son orthographe, 192.--Avantages et vices de son
    système, 193.--Le premier il a distingué le _v_ de l’_u_, le _j_ de
    l’_i, ibid._

  RAOUX (Édouard). _Orthographe rationnelle, ou écriture phonétique_,
    351.--Exposé de ses principes, 352.--Ce qu’étaient à l’origine la
    langue parlée et la langue écrite, 353.--Résultats économiques de
    la réforme phonétique, 354.--Critique du système graphique actuel,
    355.--Il propose la suppression des lettres inutiles de l’alphabet,
    356.--Sons différents s’écrivant de la même manière, 358.--Son
    alphabet phonétique complet, 359.--Son alphabet phonographique
    complet, 362.--Critique de son système, 363.--Application de la
    phonographie à l’écriture des langues autres que le français,
    365.--Supplément à son ouvrage, 366.--Son nouvel alphabet
    phonétique pour le français seulement, 367.--Son nouvel alphabet
    phonographique, 367.--Exemple de son écriture, 368.

  RAYNOUARD, 20.

  Réformes orthographiques (Avantages des), 3.--La réforme modérée
    n’est qu’un retour aux règles primitives du français, 91.--PERROT
    D’ABLANCOURT, 124.--BEAUZÉE, 148.--MAX MÜLLER, 164.--Histoire des
    réformes proposées ou accomplies, 175.

  REGNARD, 60.

  REGNIER DES MARAIS. Son influence sur la rédaction du dictionnaire
    de 1694, 9.--Sa _Grammaire_, 76, 120.--Elle tend à s’écarter
    de l’orthographe des _Cahiers_, 121.--L’auteur se prononce
    contre l’écriture phonétique, 251.--Du redoublement des lettres,
    252.--Règle suivie par l’Académie dans l’orthographe de son
    Dictionnaire, 254.--Contradictions dans le système de l’auteur,
    _ibid._--Son texte même démontre que l’écriture suit la loi du
    progrès, 256, 381.

  Renaissance grecque et latine. Son influence sur le système
    orthographique du français, 93, 106, 168, 238.

  RENAUD (André). _Traité de l’orthographe et de la prononciation
    françoise_, 247.

  Retour (Mouvement de) en orthographie, 375.

  _Rh._ De son inutilité, 38, 347.

  RICHELET (César-Pierre). Particularités de son système
    orthographique, 7, 111.--Son orthographe devance celle
    de la première édition du _Dictionnaire de l’Académie_,
    112.--Dictionnaire françois, 248.

  RICHELIEU (maréchal de). Son orthographe, 454.

  ROCHE (J.-B.). _Entretiens sur l’orthographe françoise_, 290.--De
    l’_y_ et de l’_i_, du _ph_, de l’_f_, 293.--Des lettres doubles,
    294.

  ROCHEFORT (César de). _Dictionnaire général et curieux_, 113.

  RODILARD. _Doutes sur l’ortographe franceze._--Lettre _aus maitres
    imprimeurs_, 240.--Il propose la substitution de l’_f_ au _ph_ et
    la suppression des lettres doubles, 241.

  ROI DES BELGES. Son arrêté pour fixer l’orthographe de la langue
    flamande, 378.

  RONSARD. _La Franciade._--_L’Art poétique_, 5, 123.--Son opinion
    sur les diphtongues (lettres doubles), 40.--Partisan du système de
    Meigret, 121.--Distinction de l’_i_ et du _j_, 123.--Orthographe
    qu’il a suivie dans son Abrégé de l’Art poétique, _ibid._

  ROYER-COLLARD, 21.

  _Rythme, rhythme, eurythmie_, 22.


=S=

  _S_. Suppression de l’_s_ du radical grec et latin. ACADÉMIE,
    12.--_S_ euphonique, 65.--Substitution de l’_s_ à l’_x_ comme
    marque du pluriel dans certains mots, 90.--BUTET, 315.--Distinction
    des diverses sortes d’_s_ proposée par CORNEILLE, 126.--_S_ ayant
    le son du _z_, 299.

  SAINT-LIEN (Claude de). _Claudii Sancto a Vinculo de pronuntiatione
    linguæ gallicæ_, 204.--Ses idées orthographiques, 205.

  SAINT-PIERRE (l’abbé de), voyez CASTEL.

  SAINTE-BEUVE (Charles-Auguste). Son opinion sur la légitimité de
    la réforme, 167.--Coup d’œil sur l’histoire du français, 167.--De
    la timidité actuelle en matière de réforme, 172.--Inconséquences
    orthographiques du Dictionnaire, 173.

  SALOMON (Jean). _Briefue doctrine pour deuement escripre selon la
    proprieté du langage francoys_, 177.

  SANADON (le P.). Son orthographe simplifiée dans sa traduction
    d’Horace, 273.

  _Sansue_, 109.

  SAXE (maréchal de). Son orthographe, 454.

  _Sceau._ Dérivation de ce mot, 296.

  SÉGUR (de), 21.

  Seizième siècle (Histoire de la réforme pendant le), 177.

  SELIS, 18.

  SÉVIGNÉ (Mme de). Orthographe d’une de ses lettres à Mme de
    Grignan, 401.

  _Sibille_, 122.

  SIMON (Étienne). _La vraye et ancienne orthographe françoise
    restaurée_, 212.--Exemple de son système, _ibid._

  _Sire_ (Étymologie du mot), 122.

  Société. Voyez Correcteurs et Lausanne.

  Société de la réforme fondée par M. Marle, 323.

  _Solvique et phonique_, 316.

  SOMAIZE (BODEAU de), voyez BODEAU.

  Son _an_. Différentes manières dont il est figuré.--Son _in_,
    274.--Sons différents s’écrivant de la même manière, 358.

  SOREL (Charles). _Histoire comique de Francion_, 219.--Où il est
    question de la suppression des lettres inutiles, 220.

  SOULE (de). _Traité de l’ortographe françoise_, 240.

  _Sphère, sfère_, 26.

  _Stile_ (Dérivation du mot), 86.

  _Strophe, strofe_, 27.

  Suisses du Dictionnaire (les), 145.

  Syllabes nasales, 358.

  SYLVIUS (Jacques) (DUBOIS). Ses essais pour faciliter l’étude du
    français.--Accents pour déterminer la valeur des diphthongues, 181.


=T=

  _T_ final.--Suppression du _t_ final au pluriel des mots terminés
    en _ant_, 16.--Son rétablissement, 18.--Régularisation des
    désinences en _ant_ et _ent_, 23.--_T_ double, 54.--_T_ euphonique,
    65.--Mots où il conviendrait de faire usage du _t_ cédille afin
    d’éviter toute confusion, 82, 83.--_T_ ponctué employé par
    PORT-ROYAL, 84.--DOUCHET, 287.--BEAUZÉE, 300.

  Tableau synoptique des variations de l’orthographe de certains mots
    difficiles du français depuis la XVe siècle, 112.

  TELL. _Exposé général de la langue française._--Il propose de
    rendre les participes invariables, 346.--Du rôle de l’Académie en
    matière d’orthographe, 346.

  TERTRE (du). _Méthode universelle_, 223.

  TERZUOLO (F.-P.). _Études sur la Dictionnaire de l’Académie_, 343.

  _Th._ Sa prononciation chez les Grecs, 30;--chez les Anglais,
    30.--Son remplacement par le _t_, 12, 15, 23, 41, 43, 46,
    347.--NEGRIN, 349.--JULLIEN, 390.

  _Théâtre_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  THENARD, 21.

  _Ti, tion_ (syllabes), 80.--Emploi du _t_ cédille pour en
    déterminer la prononciation, _ibid._--Emploi uniforme du _c_
    pour écrire les mots qui se prononcent _cion, cieux, cie, ciel_,
    82.--Liste des mots écrits _tion_ et prononcés différemment,
    _ibid._--L’étymologie latine n’indique pas toujours l’écriture et
    la prononciation des mots en _tion_, 83.

  _Tie_ (Observation sur les mots terminés en), 81.

  Tiret. Voyez Trait d’union.

  _Tisane_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  Tonique (syllabe). Rôle considérable de la syllabe tonique du latin
    dans la formation primitive du français, 391.

  TORY (Geofroy). Il fait le premier usage du _c_ cédille, 80.--Ses
    réformes, 177.

  TRACY (DESTUTT de), 21.--Désordre de notre alphabet et difficulté
    d’épellation, 160.

  Tradition étymologique (Moyen de conserver la), 31.

  Trait d’union.--Son apparition dans l’écriture française, 20,
    59.--Les Latins et les Grecs ne divisaient pas les noms composés,
    58.--Son absence des anciens manuscrits, 59.--_T, s, z_
    euphoniques entre deux traits d’union, 65.--Son rôle d’après les
    _Cahiers_, 120.--Théorie du trait d’union selon M. POITEVIN,
    410;--M. LÉGER NOEL, 412.--Anarchie complète dans l’emploi du trait
    d’union, 415. Voir Mots composés.

  _Tranquille, tranquile_, 129.

  _Trésor_ (Histoire du mot), 112 _bis_.

  _Tyran_ (Histoire du mot), 112 _bis_.


=U=

  _U._ Séparation de la voyelle _u_ de la consonne _v_. RAMUS,
    193.--La lettre _u_ (υ), représente l’_y_ dans beaucoup de mots
    tirés du grec, 123.--Explication de l’emploi de l’_ü_ tréma dans
    les vieux manuscrits, 459.

  Usage (l’) en fait d’orthographe ne peut être constaté qu’au moyen
    des lexiques, 100.--A varié incessamment depuis l’origine jusqu’à
    nos jours, _ib._--Sa définition par DUCLOS, 147.--L’usage tend à
    faire disparaître les doubles lettres, 48.--L’usage et la raison,
    140, 190.--Selon LA BRUYÈRE, 339.


=V=

  VANIER (V.-A.). _La Réforme orthographique aux prises avec le
    peuple._--Exposé de sa réforme, 324.--Dialogue entre la réforme et
    l’opposition, 326.--Difficultés qu’offrent pour notre orthographe
    les verbes en _eler_ et _eter_, 324.--Il se prononce contre les
    lettres doubles, 325.--Extension d’emploi de l’accent circonflexe,
    325.--Argumentation contre l’écriture phonétique, 326.

  VAUDELIN (le P. Gilles). _Nouvelle manière d’écrire comme on parle
    en France._--Son alphabet phonétique, 261.

  VAUGELAS veut que chaque langue soit maîtresse chez elle, 8.

  VAUXELLES (l’abbé de), 18.

  _Vert-de-gris_ (en italien _verderame_) devrait être remplacé par
    _verderis_ (vert de cuivre), 452.

  VIARD. _Les Vrais Principes de la lecture_, 290.

  VILLEMAIN, 20.--Auteur de la préface du Dictionnaire de 1835, 26.

  Villers-Cotterets (édit de), 4.

  _Vocabularius latinis, gallicis et theutonicis verbis scriptum_, de
    1515, 107.--Exemples de l’orthographe de ce recueil, _ibid._

  _Vocabularius nebrissensis_ de 1524, 108.--Orthographe de ce
    glossaire, _ibid._

  VOLNEY, _Alfabet européen appliqué aux langues asiatiques_, 159.--
    Désordre des alphabets des langues européennes, 1589.--Alphabet
    commun aux langues de l’Europe et de l’Asie, 311.--Distinction
    des diphthongues et des digrammes, _ibid._--Tableau des voyelles
    reconnues par Volney, 312.

  VOLTAIRE, 19, 34, 154, 155.--Transcription de quatre de ses lettres
    à d’Alembert avec leur orthographe, 402.

  Voyelles. Classification des voyelles: DANGEAU, 133.--DOMERGUE,
    308.--VOLNEY, 312.--FÉLINE, 331.--RAOUX, 359.


=W=

  _W._ Suppression proposée de cette lettre, 356, 451.

  WAILLY (Noël-François de). _De l’orthographe._--_L’orthographe
    des dames ou l’orthographe fondée sur la bonne prononciation,
    démontrée la seule raisonnable._ Fragments de cet ouvrage, 32,
    150.--Plaidoyer des dames en faveur de la réforme, 152.--Nécessité
    pour les protes et les compositeurs d’une orthographe conforme à
    la bonne prononciation, _ibid._--Des doubles consonnes, 276.--De
    l’accent circonflexe, _ibid._--Suppression des lettres inutiles,
    277.--Mots écrits autrement qu’ils ne se prononcent, 278.--De l’_x_
    comme marque du pluriel, 279.--Exemple de la difficulté de la
    prononciation par suite de la bizarrerie orthographique, 280.--De
    l’emploi du _g_ ponctué.--Pratique de l’orthographe fondée sur la
    bonne prononciation, 281.--Du _c_, 282.

  WEY (Francis). _Remarques sur la langue française_, 227.


=X=

  X (de la lettre). Critique de son emploi comme marque du pluriel,
    90.--De son remplacement par l’_s_ dans le pluriel de certains
    mots, _ibid._--MÉNAGE, 236.--BEAUZÉE, 314.--Réclamations de l’_S_
    contre l’_X_ (BUTET), 314.--Travail de WAILLY sur cette lettre,
    279.--Sa suppression proposée (BAÏF), 200.--RAOUX, 356.


=Y=

  _Y._ Son remplacement par l’_i_, 12, 14, 18, 23.--Élimination de
    l’_y_ par l’ACADÉMIE, 85.--Par RONSARD, 122.--Introduction de l’_y_
    dans le français par une influence calligraphique, 85.--Emploi
    de l’_i_ au lieu de l’_y_ dans beaucoup de mots.--Exemple de
    BOSSUET.--Embarras causé par la présence simultanée de l’_y_ et de
    l’_i_ dans certains mots, 86.--Mots avec _y_ tirés de l’anglais,
    87.--ROCHE, 293.--LÉGER NOEL, 341.

  _Yeux._ Orthographe défectueuse de ce mot due à la raison
    calligraphique (_ieux_ pour _jeux_), 123.


=Z=

  _Z._ Restriction fâcheuse dans l’emploi de cette lettre en
    français.--Liste des mots où elle figure, 62.--_Z_ euphonique,
    65.--Son emploi comme finale du participe passé, 135.




ERRATA.


  Page 106, ligne 6 en remontant, 1587, lisez 1487.

   --  181. Les signes orthographiques adoptés par Sylvius et placés
       au-dessus des lignes ne doivent être considérés que comme système
       pédagogique pour indiquer la prononciation de son temps et non
       comme méthode orthographique.

   --  248. Ajoutez en titre après l’article de Richelet ces mots:
       DIX-HUITIÈME SIÈCLE.






*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 73912 ***