The Project Gutenberg eBook of Caprices d'un Bibliophile This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Caprices d'un Bibliophile Author: Octave Uzanne Release date: September 27, 2012 [eBook #40877] Most recently updated: October 23, 2024 Language: French Credits: Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CAPRICES D'UN BIBLIOPHILE *** Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont √©t√© corrig√©es. L'orthographe d'origine a √©t√© conserv√©e et n'a pas √©t√© harmonis√©e. Les erreurs indiqu√©es dans l'errata √† la fin du livre ont √©t√© corrig√©es dans le texte. Les mots ou phrases espac√©s dans le text d'origine sont marqu√©s =ainsi=. CAPRICES D'UN BIBLIOPHILE TIR√â A 572 EXEMPLAIRES: 500 sur papier verg√© de Hollande. 50 sur papier Whatman extra-fort. (_Num√©rot√©s de XI √† LX._) 10 sur papier de Chine. (_Num√©rot√©s de I √† X._) 10 sur papier de couleur. (_Non mis dans le commerce._) 2 sur parchemin choisi. [D√©coration] DROITS DE REPRODUCTION ET DE TRADUCTION R√âSERV√âS [Illustration: CAPRICES D'UN BIBLIOPHILE PAR OCTAVE UZANNE.] CAPRICES D'UN BIBLIOPHILE PAR OCTAVE UZANNE [D√©coration] PARIS _LIBRAIRIE ANCIENNE ET MODERNE_ √âDOUARD ROUVEYRE 1, RUE DES SAINTS-P√àRES, 1 1878 [D√©coration] PR√âFACE AU LECTEUR Sunt bona, sunt qu√¶dam mediocria, sunt plura mala; Qui legis h√¶c, aliter non fit, Avite Liber. MARTIAL. _A cette √©poque archi-philosophique, disait un misanthrope du dernier si√®cle, un auteur ne rougit pas de se br√ªler, dans sa pr√©face, tout l'encens dont le public seul est comptable.--Certains √©crivains, nous devons l'avouer, se sont un peu trop montr√©s les ridicules thurif√©raires de leurs ≈ìuvres personnelles; mais il faut ajouter, pour √™tre juste, que, lorsqu'on plaide_ pro domo su√¢, _il est difficile, par modestie, de ne pas faire parade d'une certaine dose de vanit√©._ _Une pr√©face est √† un ouvrage, non-seulement ce que l'affiche est √† une com√©die, c'est aussi le plastron, le rempart, le Palladium du livre; c'est par elle, le plus souvent, que sont par√©s les terribles coups de boutoir de la Critique, c'est derri√®re elle que l'Auteur se r√©fugie, apr√®s y avoir d√©pos√© comme sauvegarde, ses propres aveux, ses craintes, ses pudeurs, ses d√©licatesses; apr√®s s'y √™tre laiss√© voir sous le jour le plus propice, dans un laisser-aller bon enfant ou dans la joie orgueilleuse de l'≈ìuvre accomplie.--Lorsqu'un lecteur tient son ouvrage, et qu'arm√© de toute sa s√©v√©rit√©, il se pr√©pare √† entamer le premier chapitre, le pauvre Auteur, tremblant, presque d√©faillant dans la pens√©e d'√™tre ainsi pris au d√©pourvu, n'a-t-il pas le droit de lui crier: ¬´Un instant... de gr√¢ce, √©coutez-moi! Deux mots, rien que deux simples mots, je vous en prie! et je me livre √† vous!¬ª--La pr√©face, c'est le salut au lecteur, et trop souvent, h√©las! ce terrible salut des Gladiateurs √† C√¶sar, le:_ Morituri te salutant. _Il existe, en Litt√©rature comme en Art, deux fa√ßons de procr√©er bien distinctes: l'une, lente et r√©fl√©chie, r√©clame le travail et impose quelquefois la paresse, cette bonne couveuse, comme la nommait Montaigne; l'autre, fantaisiste, toute de prime-saut, jaillit subitement de l'inspiration ou de l'√©r√©thisme des sensations √©prouv√©es.--La premi√®re m√©thode donne pour r√©sultat des ≈ìuvres m√ªries, soign√©es, polies, coordonn√©es et bien l√©ch√©es: celles-ci sont filles l√©gitimes de l'√©tude et de l'application; la seconde mani√®re produit des opuscules, souvent vifs et color√©s, quelquefois ing√©nieux, hardis, ayant le d√©braill√©, la belle humeur des enfants de Boh√™me: ceux-l√† sont b√¢tards du caprice, du paradoxe ou de la frivolit√©._ _C'est de cette g√©n√©ration spontan√©e que sont issues ces_ Boutades de Bibliophile; _elles ont √©t√© mises au jour dans les innocents badinages d'une plume qui s'essaye et se repose; elles ne poss√®dent pas la pond√©ration, la gravit√©, le solide, le fini des choses cisel√©es √† froid ou faites m√©thodiquement et √† temps voulu; elles ont la valeur de croquis sans pr√©tentions ou pour mieux dire de_ Pochades _bibliographiques, rien de plus._ _Alors que nous ne songions m√™me pas √† les r√©unir en volume, le livre s'est trouve fait.--Au jeune Bibliographe, est venu tendre la main un jeune √âditeur plein de foi dans ses entreprises; bien plus, un Artiste du plus grand talent dont nous ne saurions nous montrer trop fier de revendiquer l'amiti√©, a dessin√© et grav√©, pour nos_ Caprices, _un frontispice spirituel, d√©licat, exquis de composition et d'habilet√© de faire, si coquet d'ensemble et de d√©tails que Gravelot ou Eisen s'en seraient disput√© la signature. Ajoutons √† cela la bienveillance marqu√©e que les Bibliophiles ont daign√© nous accorder jusqu'√† ce jour, et l'on conviendra qu'avec de tels √©l√©ments de succ√®s, il nous faudrait √™tre bien peu t√©m√©raire, pour ne pas embarquer sur ce fr√™le esquif juste ce qu'il faut d'esp√©rance pour ne pas le faire chavirer, en songeant que les livres ont leur destin, et que la bonne devise, pour tout ouvrage que l'on abandonne √† la merci de l'opinion publique, est_: Vogue la gal√®re! [Illustration: signature d'Octave Uzanne] Paris, 15 f√©vrier 1878. [D√©coration] UNE VENTE DE LIVRES A L'HOTEL DROUOT _Ma Biblioth√®que aux Ench√®res._ Les am√®res douleurs, les regrets, la mort se peignent dans mes songes. J. J. ROUSSEAU. I Il est des jours o√π l'on se pend √† Londres, dit-on, sans savoir pourquoi. Ce soir l√† j'√©tais rentr√© terriblement agac√©, les nerfs tendus comme les cordes d'un violon, la mine morose, l'allure courb√©e, dans un accablement intense. Il me bruinait au c≈ìur tant la sombre tristesse m'envahissait, et je logeais dans ma cervelle tous les diables noirs de la m√©lancolie. J'√©tais bourru, aigre, hargneux, misanthrope; une sorte de fi√®vre maligne ravageait tout mon √™tre et j'eus pay√© bien cher l'occasion de pleurer. Il ne me souvient pas, cependant, d'avoir rencontr√© le plus petit cr√©ancier, ni lu le moindre discours acad√©mique, rien d'anormal n'avait voil√© mon front d'un cr√™pe de deuil, rien!... Je m'√©tais uniquement promen√© une partie du jour dans les diff√©rentes salles de l'h√¥tel des ventes; je m'√©tais promen√©, tenant en laisse la meute affam√©e des d√©sirs les plus ardents. O po√´tes et artistes, amants passionn√©s du beau, vous qui dansez sur la corde roide d'un budget fictif et qui jonglez avec les boules d'or de vos caprices, vous qui ne songez qu'√† moelleusement capitonner l'existence selon votre guise, vous tous, comp√©titeurs de luxe, il vous sera ais√© de me comprendre:--savez-vous rien de plus digne d'engendrer le spleen n√©buleux que la vue de superbes collections d'objets d'art dispers√©s √† votre nez, √† votre barbe, par le sort railleur des ench√®res. Vous √™tes l√†, haletants; au banquet de la vente, infortun√©s convives, vos l√®vres s'entrouvrent pour surench√©rir, vos mains se tendent vers le bibelot d√©sir√©, votre imagination en tapisse d√©j√† le coin le plus nu de votre appartement; dans le supplice de la convoitise, votre pouls bat plus fort, votre sang br√ªle, votre poitrine est oppress√©e, mais la d√©esse raison, cette froide b√©gueule, vous chuchote √† l'oreille des r√©alit√©s frapp√©es √† la glace.--_Ceci_ tue _cela_, et, tandis que le commissaire-priseur d√©taille, de son verbe haut, des beaut√©s que vous n'admirez que trop, votre bourse, triste thermom√®tre de vos ressources, accuse dans la poche sa maigre rotondit√©. C'est pour avoir √©prouv√© ces Tantalesques √©motions que le ciel de mon √¢me s'√©tait assombri; les morsures aigu√´s des d√©sirs avaient fourbu mes sens... Je rentrai, remorquant ma fatigue au logis. II Le nid que l'on se cr√©e, le chez soi √©toff√© avec amour, le coin marqu√© au sceau de sa fantaisie, l'int√©rieur, en un mot, o√π la banalit√© du dehors ne saurait avoir acc√®s, le _Home_, est et sera toujours une fra√Æche oasis, o√π nous aimons √† nous reposer des tracas de la foule. Les plus grandes tristesses s'y calment, le moral s'y retrempe dans le laisser-aller du bien-√™tre, l'individualit√© y puise une nouvelle √©nergie. Ouf! avec quel nonchaloir on se laisse tomber dans le grand fauteuil qui tend les bras, et que, la t√™te renvers√©e, dans un d√©lassement alangui, il est doux, apr√®s une journ√©e de fatigue, de promener un ≈ìil mi-ferm√© sur tout le fouillis domestique qui nous environne. Tous les objets, ces √©lus du go√ªt, semblent devenir plus chatoyants pour le retour du ma√Ætre, ils lui sourient, et dans le langage myst√©rieux des choses, ils paraissent le saluer joyeusement √† son arriv√©e. Ce fut avec un bonheur m√™l√© de reconnaissance, que je contemplai ce soir-l√† mes richesses, meubles anciens, statuettes, potiches, tableaux et gravures, tous ces jolis riens amass√©s avec patience; ma Biblioth√®que se dressait fi√®rement, comme orgueilleuse de son noble faix, et la vue de mes livres me rass√©r√©na. Ils √©taient l√†, tous align√©s, dans une magistrale mitoyennet√©, splendides comme √† une revue; les reliures √† petits fers brillaient, semblables √† de beaux uniformes, les volumes broch√©s supportaient modestement leur primitif v√™tement et le vieux veau brun distillait dans l'air ce v√©tuste parfum qui √©nivre si d√©licieusement les amoureux du Bouquin. Je regardai avec joie mes chers livres, anthologie de ma passion; je me surpris √† d√©tailler leurs charmes, √† compulser leur beaut√©, √† analyser leurs perfections; je les caressai de l'≈ìil, je les eus volontiers embrass√©s, et mes sensations vaniteuses de Bibliophile vibr√®rent avec intensit√©. ¬´Bouquins ador√©s, √¥ mes amis, vrais consolateurs de celui qui vous poss√®de, que de jouissances vous versez dans nos c≈ìurs et que barbare est celui qui vous m√©prise! vous √™tes toute la sagesse, la vie, le cerveau, la quintessence des si√®cles pass√©s; bouquins ador√©s, √¥ mes amis, je vous v√©n√®re √† l'√©gal des Dieux!¬ª Le somnif√©rant Morph√©e me paraissait cette nuit-l√†, occup√© √† secouer ses pavots sur d'autres paupi√®res que les miennes, je r√©solus d'attendre patiemment les loisirs de cette d√©it√© inconstante et, prenant sur un rayon, une plaquette, petit in-12, reli√©e en maroquin blanc avec coins, je fus me coucher pour lire dans le grand silence de minuit. Je ne tardai pas n√©anmoins, peu √† peu, √† m'endormir profond√©ment et un essaim de songes tortionnaires vint papillonner dans mon alc√¥ve. III Je fl√¢nais en r√™vant, ou je r√™vais en fl√¢nant, au milieu de ce grand mouvement, de ce perp√©tuel va-et-vient dont l'h√¥tel Drouot est le spectacle √† l'√©poque des belles ventes--c'√©tait une cohue: D'adorables petites femmes mises avec une gr√¢ce exquise, des messieurs tr√®s d√©cor√©s, financiers, peintres, hommes de lettres, des marchands et marchandes √† la toilette, des commissionnaires, que sais-je!--Je m'arr√™tai en premier lieu √† la salle no 2: On y vendait des tapisseries des Gobelins, des meubles Renaissance, des bronzes, des fa√Øences italiennes et japonaises, des √©maux, des statues, tout un bric √† brac √©tonn√© de se trouver r√©uni. Arm√© de son maillet d'ivoire √† manche d'√©b√®ne, lorgnon sur l'≈ìil, la face rouge, ras√©e de frais, plus imp√©tueux que jamais, Ma√Ætre Oudard pontifiait.--Je m'approchai. ¬´Nous allons vendre, disait l'expert, _deux colonnes Doriques avec tores et chapiteaux en Brocatelle_, l'une est en br√™che de Sicile, l'autre en porphyre rouge de Su√®de.... Remarquez, je vous prie, la beaut√© de ces deux pi√®ces, c'est une occasion unique.¬ª Voyons, Messieurs, reprenait Me Oudard, _deux superbes colonnes Doriques des plus curieuses_, combien dit-on?... Il y a marchand √†....tant, Personne ne couvre l'ench√®re? c'est pour rien, Messieurs;... une fois, deux fois, vu, personne ne dit mot? Examinez ces deux pi√®ces, je vous prie;... une fois, deux fois, vu, non;... pas par vous √† gauche, c'est donn√©, Messieurs, vu, non, on renonce..... Adjug√©.¬ª Les gar√ßons emportaient, un mouvement se faisait dans l'auditoire, puis l'expert avec calme mettait un nouvel objet en vente, et la voix de Me Oudard reprenait de plus belle: ¬´une fois, deux fois, vu,... non, faites passer,... vu, personne ne dit mot... vu,... non, on renonce;...¬ª pour accentuer, d'un coup de maillet sec, l'irr√©m√©diable: Adjug√©. Ces deux colonnes Doriques ne m'√©taient pas inconnues, et afin de me rendre compte de leurs provenances, je demandai les catalogues du jour au distributeur qui passait. Mais, h√©las! Il ne s'agissait plus de colonnes Doriques, sur l'un des catalogues que je venais de r√©clamer, _Horresco referens!_ Je lus les lignes suivantes imprim√©es en rouge et noir sur la couverture bleu tendre d'un assez copieux in-8¬∫: ¬´CATALOGUE DES LIVRES ANCIENS ET MODERNES, _rares et curieux.--Belles-lettres, Histoire, Beaux-Arts et Th√©√¢tre.--La plupart orn√©s de belles reliures et de cartonnages fantaisistes. Provenant de la Biblioth√®que de M..._¬ª Ici mes Nom, Pr√©noms et Qualit√©s s'√©talaient scandaleusement.--Le _Man√©, Th√©cel, Phar√®s_ ne dut pas √©tinceler aussi lumineux aux yeux de Balthazar que les d√©tails imprim√©s que je venais de lire ne brill√®rent aux miens; je crus devenir fou, un frisson glacial parcourut tout mon corps. Je r√©unis ce qu'il me restait de forces pour ne pas m'√©vanouir, et, bl√™me, d√©fait, dans un √©tat impossible √† d√©crire, je m'√©lan√ßai vers la salle no 6 o√π la vente devait avoir lieu. IV La salle no 6 √©tait magistralement pleine. Impossible de me frayer un passage par la porte du vestibule. Je me rendis au magasin √©galement encombr√© et l√†, avec grandes peines, je parvins, √† gravir sur un tabouret d'o√π je d√©couvris un affreux spectacle. Me Maurice Delestre occupait la chaire, correct et √©l√©gant comme un jeune sportman; √† sa droite, derri√®re une table surcharg√©e de livres, la t√™te maigre et √† lunettes de M. L... surgissait. Des gar√ßons emmagasinaient brutalement des livres que je ne pus voir, mais que je reconnus aux palpitations de mon c≈ìur... Et d'ailleurs pourquoi douter? N'avais-je pas l√† devant moi, horrible! horrible! horrible! mes trois corps de biblioth√®ques √† colonnes torses que les draperies vertes de la salle rendaient encore plus belles? Les rayons √©taient d√©j√† clair-sem√©s, je cherchai des yeux mes tr√©sors des XVIe, XVIIe et XVIIIe si√®cles,... disparus! Une sueur froide inondait mon front, mes jambes faiblissaient; je voulus crier, appeler, faire rendre gorge aux acqu√©reurs et assassiner dans la m√™me haine MM. L... et Maurice Delestre, complices de cette noire trahison! H√©las! mes jambes √©taient fix√©es au tabouret et ma voix paraissait s'√™tre √† jamais fig√©e dans mon gosier; il me fallut demeurer spectateur de pierre avec une √¢me de feu, et me r√©soudre √† voir et √† entendre sans prof√©rer un son. J'examinai la salle. Au premier rang toute la haute librairie patent√©e √©tait assise, coudes sur tables, crayon aux dents, catalogue ouvert. Je reconnus les yeux ardents du jeune Ed. R..., la silhouette de Faune de M..., et le visage rabelaisien de son associ√© F...; puis, plus loin, dans la p√©nombre, le profil railleur de C..., la d√©sinvolture de Le F... et la haute taille de V..., ainsi que les figures bien connues de D..., de St-D..., de R..., de B..., de H..., et autres.--Toute la fine fleur des bouquinistes parisiens. Au second plan, √¥ torture! hiss√©s sur des chaises, mes amis au grand complet, joyeux, pimpants, se frottant les mains et inspectant mon catalogue avec des petits sourires entendus. J'√©touffais. L'inquisiteur... je veux dire le filet de voix aigre, gr√™le et per√ßant de M. L... rompit ce silence. ¬´No 160, clama-t-il. Nous allons mettre en vente les Romantiques dont la collection est surtout remarquable!¬ª ¬´No 160. _Th√©ophile Gautier._ LA COM√âDIE DE LA MORT, _Paris, Desessart, 1838_, in-8, broch√©. _√âdition originale._¬ª ¬´Il y a plusieurs √©tats de la vignette de Louis Boulanger grav√©e par Lacoste. Exemplaire en admirable √©tat, la reliure est de fantaisie. Les plats en cuirs japonais √† ramages, les gardes sont orn√©es d'√©tranges dessins repr√©sentant une Danse Macabre.--Je demande 150 francs.¬ª Quelques libraires esquiss√®rent une hilarit√© Hom√©rique, mais tout le clan s√©rieux tendit les bras. Les prunelles tomb√®rent en arr√™t, on entendit des ¬´_on demande √† voir_¬ª de tous c√¥t√©s, et un grand bourdonnement parcourut l'assistance. On demande 150 francs, r√©p√©ta Me Maurice Delestre.--Il y a marchand dit r√©solument un de mes amis les plus intimes,--160 lan√ßa ED. R...,--180 fit M...,--200 reprit l'ami intime...--Ce fut un ouragan d'ench√®res, au milieu desquelles, √¥ surprise! je crus remarquer la voix d√©licate et timide d'une femme. V Cette petite voix f√©minine √©tait langoureuse et fr√©missante; par une filiation myst√©rieuse, elle semblait comprendre mon martyre et mon impuissance; c'√©tait comme un √©cho de moi-m√™me qui r√©sonnait dans la salle, et, sans le mutisme √©pouvantable dont j'√©tais frapp√©, je n'aurais pas, √† ma propre vente, mieux conduit les ench√®res. Elle √©tait fi√®re et vibrante jusque dans sa timidit√©, cette ch√®re petite voix f√©minine, aussi je la b√©nissais en d√©pit de ma douleur et de ma rage, et tous mes plus galants d√©sirs se portaient vers le coin d'ombre d'o√π elle me paraissait sortir.--A 350 francs; LA COM√âDIE DE LA MORT fut adjug√©e √† cette folle ench√©risseuse. J'attendais qu'on lan√ß√¢t le nom de ma sympathique inconnue;... qui cela pouvait-il bien √™tre?... J'√©tais sur des charbons ardents et ma curiosit√© n'avait plus de bornes. H√©las! aucun nom ne fut prononc√© et le crieur fit silencieusement passer au commissaire-priseur une carte, une simple carte,... un bristol ros√© du plus doux effet. Je me pris √† b√¢tir les suppositions les moins fond√©es, tout en scrutant du regard les personnes assises ou debout; mais, soit que ma vue f√ªt troubl√©e, soit que, dissimul√©e habilement dans la foule, la dame ne t√Ænt pas √† √™tre d√©couverte, il me fut impossible d'entrevoir le plus mignon profil fuyant, pas un bout de dentelle, une main gant√©e, une plume de chapeau, une m√®che de cheveux blonds ou bruns, rien,... absolument rien; je ne vis que la houle mugissante des spectateurs, attentifs et pr√™ts √† d√©vorer mes Romantiques. Le monotone, aga√ßant et peu viril organe de M. L... reprenait la nomenclature du catalogue. VI Il serait trop long de peindre la furia des ench√®res. Jamais, de m√©moire de libraire, on n'avait vu bataille si acharn√©e. Me Maurice Delestre s'√©tait lev√©, l'≈ìil mobile, la voix saccad√©e, droit comme un g√©n√©ral au feu. Le crieur paraissait ext√©nu√©, tant l'animation √©tait grande, et, sous les verres convexes de ses lunettes, les yeux de l'expert marquaient un supr√™me ahurissement. Le marteau d'ivoire voltigeait dans l'air et ne pouvait s'abattre, c'est √† peine si l'on entendait le bruit des salles voisines et, sur leurs chaises hiss√©s, mes amis se regardaient effar√©s. Dans cette m√™l√©e de voix m√¢les, la petite voix de femme se faisait entendre, sonore comme un clairon qui rallie, elle √©tait devenue plus alti√®re et poss√©dait des intonations hardies et chaudes. Brave petite voix f√©minine! elle menait ma vente tambour battant, elle montait cr√¢nement √† l'assaut par des surench√®res de dix, quinze et vingt francs. Vrai Dieu! je l'adorais, j'avais presque oubli√© que j'assistais au plus affreux des d√©sastres, mais,... pourquoi ne pouvais-je la d√©couvrir? Tous mes Romantiques s'√©lev√®rent √† des prix inou√Øs, et tous, chose singuli√®re, furent adjug√©s √† la suave petite voix. Pas un des _Gautier_, √©ditions originales, avec reliures √©tranges et envois curieux, ne descendit au-dessous de 200 francs. Les _Victor Hugo_ de chez _Renduel_ et de chez _Gosselin et Bossange_, les _Musset_ de chez _Urbain Canel_; les _Sainte-Beuve_, les _Nodier_, les _Drouineau_, les _M√©rim√©e_, les _Antoni Deschamps_, les _Alphonse Royer_, etc., tous de la bonne date, furent pay√©s au poids de l'or; LA MADAME PUTIPHAR de P√©trus Borel, avec un quatrain tr√®s-bizarre du Lycanthrope, atteignit 500 francs, et un exemplaire intact des ROUERIES DE TRIALPH, _notre contemporain avant son suicide_, eut l'honneur d'√™tre violemment disput√©, jusqu'√† la somme de 370 francs. Bref, ce fut du d√©lire, et mon orgueil d√©licieusement chatouill√© pansait de son mieux les plaies que cette cruelle vente avait faites dans mon c≈ìur de Bibliophile. VII Je me fis tout √† coup cette judicieuse r√©flexion que je n'√©tais arriv√©, dans la salle no 6, qu'au no 160 (s√©rie des belles-lettres, XIXe si√®cle) de mon catalogue, car, par suite d'une r√©daction tout √† fait anormale, ledit catalogue se trouvait divis√© en quatre grandes s√©ries num√©rot√©es s√©par√©ment. La premi√®re partie se composait des XVe et XVIe si√®cles. Le XVIIe si√®cle formait la seconde partie, la plus compl√®te de ma Biblioth√®que, et mon titre le plus s√©rieux √† ma gloire de chercheur. Une admirable collection de livres √† vignettes et d'ouvrages gaillards du XVIIIe si√®cle donnait √† ma troisi√®me s√©rie plus de 500 num√©ros, et la quatri√®me partie enfin se trouvait remplie par nos ma√Ætres contemporains du XIXe si√®cle, depuis _N√©pomuc√®ne Lemercier_, jusqu'√† J. Barbey d'Aurevilly, de Goncourt et Zola. Je songeai donc avec effroi que ma vente √©tait sans doute arriv√©e √† sa quatri√®me ou cinqui√®me vacation et que je ne devais pas me laisser aussi mollement bercer par l'heureux succ√®s de mes Romantiques. Mais comment savoir les prix d'adjudication des livres vendus les jours pr√©c√©dents? J'√©tais l√† sans voix, presque inerte, fix√© sur un tabouret, comme un mis√©rable sur la sellette. Mes angoisses me reprirent plus fortes, plus √©touffantes et plus am√®res. Je n'entendais plus rien, ni le soprano de M. L..., ni la basse-taille du crieur, ni le l√©ger baryton du commissaire-priseur; je ne percevais m√™me pas le ravissant contralto de la jeune femme qui, quelques minutes auparavant, me charmait si bien par son entrain audacieux; j'√©tais an√©anti. Un de mes voisins, d'une distinction parfaite, suivait attentivement la vente, un petit crayon d'or d'une main, le catalogue de l'autre. Je pensai que, depuis le premier jour, un aussi s√©rieux Gentleman devait assister aux vacations et, par un effort d√©sesp√©r√©, je parvins, avec des mimes de politesse, √† lui faire entendre que je d√©sirais la communication de son catalogue. Il me crut muet, sans doute, mais avec la meilleure gr√¢ce du monde, il me tendit le pr√©cieux catalogue annot√©, que dans ma brutale impatience je faillis lui arracher. VIII Ma fi√®vre de savoir √©tait telle, que j'ouvris au hasard le catalogue de mon aimable voisin. Je tombai sur la seconde partie, mes yeux s'arr√™t√®rent √† cet article: LA PUCELLE, ou _la France d√©livr√©e, po√´me h√©ro√Øque_, par M. CHAPELAIN; √† _Paris_, chez _Augustin Courb√©, 1656_, in-folio, _maroquin rouge, fil. comp. aux armes de l'√©v√™que d'Orl√©ans_. Sur la marge au crayon, je crus lire 10 francs. Ce fut un coup terrible que je re√ßus avec accablement. Ma _Pucelle_, une merveille, un admirable exemplaire, une des joies de ma vie de fureteur! une trouvaille inestimable, et si superbement reli√©e, qu'on pourrait songer √† Le Gascon, ma _Pucelle_, vendue 10 francs...!!! Toujours au hasard, j'ouvris et lus: LE ROLAND FVRIEVX, de _messire Loys Arioste_, NOBLE FERRAROIS, _traduit d'Italien en Fran√ßois, √† Lyon_, pour _Estienne Michel_, 1582, 1 vol. in-12 v√©lin. Et sur la marge... 5 fr. Oh! les monstres!! 5 francs un _Roland_ en tr√®s-bel √©tat, un _Roland_ sortant de la Biblioth√®que du fameux Yem√©niz et portant son ex-libris: une m√©daille antique, un lion sur le recto et le monogramme du Bibliophile Lyonnais sur le verso. 5 francs! oh les barbares! J'ouvris vingt fois, toujours au hasard, et toujours je trouvais des prix ridicules et disproportionn√©s √† la valeur r√©elle des livres mis en vente, c'en √©tait trop pour moi. Le dictionnaire de Tr√©voux me serait tomb√© sur la t√™te, que je n'eusse pas subi une commotion plus forte que celle que je ressentis √† la vue de mes pauvres livres vilipend√©s. C'√©tait le dernier coup... mes jambes se d√©robaient sous moi, les bras me tomb√®rent le long du corps, je me sentis enti√®rement d√©faillir, et de la hauteur de mon tabouret je me laissai choir sur une pile de volumes qu'un portefaix sans √¢me emmagasinait. IX Quand je me r√©veillai, il me semblait encore entendre la voix per√ßante de M. L. et sentir le marteau de Me Maurice Delestre me taper sur le cr√¢ne. Ce n'√©tait bien qu'un r√™ve cependant. Le soleil brisait ses rayons sur ma courtine de soie et se jouait avec des reflets d'or sur les tentures, les petits oiseaux chantaient de d√©licieuses aubades sur mes persiennes, au travers desquelles j'apercevais des bandes de ciel bleu;--tapie paresseusement √† mes pieds, Isis, ma chatte blanche, ronronnait en entr'ouvrant son ≈ìil vert, et, par l'entre-b√¢illement de la porte de ma chambre, je voyais dans la pi√®ce voisine, brillants et bien √©clair√©s par la lumi√®re du matin, mes trois corps de Biblioth√®que √† colonnes torses, ou chatoyantes comme d'harmonieuses toilettes; les tons des reliures formaient l'ensemble le plus r√©jouissant. Je vous poss√©dais donc toujours, √¥ mes livres ch√©ris! vous √©tiez l√†, sous mes yeux, bien √† moi; je pouvais vous contempler en √©go√Øste et jouir seul √† seul de tous vos appas. Vous demeuriez toujours mes heureux tributaires, mes amis, mes consolateurs, et cette vente affreuse n'√©tait qu'un r√™ve, qu'un d√©testable mensonge de mon imagination agit√©e! Je sautai vivement √† bas de mon lit, et, sans prendre le temps de mettre mes pantoufles, je courus √† eux, je les regardai, je les compulsai, caressant sp√©cialement ma _Pauvre Pucelle_, et _Messire Loys Arioste, Gentilhomme Ferrarois_, ainsi que tous ceux que mon cerveau encore syncop√© se rappelait avoir vu vendre. Apr√®s plus d'une heure de muette contemplation, pendant laquelle je revis mes vieux Bouquins avec plus de joie qu'un amant qui √©treint son amante longtemps attendue, je revins enfin me coucher. Sur la table de nuit, √† c√¥t√© du bougeoir Louis XV en cuivre cisel√©, dont la bougie √©tait √† moiti√© consum√©e, je vis la plaquette petit in-12 en maroquin blanc avec coins... c'√©tait L'ENFER DU BIBLIOPHILE, cette boutade saisissante d'Asselineau que j'avais relue en entier avant que de m'assoupir. X Mais la petite voix de femme, me direz-vous? Bah! c'est juste, cher lecteur, j'allais oublier... Oui, au fait,... la petite voix de femme... √† qui diable la supposer? Tenez, tout net, sans paraphrase ni paralogisme, je suis assur√© que si, apr√®s avoir trouv√© philosophiquement la v√©ritable clef des songes, nous cherchions √† d√©chiffrer la carte de la Dame myst√©rieuse, nous lirions imprim√©, sur le bristol rose remis au Commissaire-priseur, le nom d'une de nos ma√Ætresses √† nous tous Bibliophiles, d'une ma√Ætresse qui nous est fid√®le et qu'il nous sera toujours p√©nible de quitter... [Illustration: Mademoiselle Vanit√©.] [D√©coration] LA GENT BOUQUINI√àRE _Esquisse parisienne_ Si l'on me demande quel est l'homme le plus heureux, je r√©pondrai: c'est un bibliophile, en admettant que ce soit un homme; d'o√π il r√©sulte que le bonheur, _c'est un bouquin_. P. L. (bibliophile Jacob.) O vous, qui poss√©dez l'art de vous promener au milieu de tout ce brouhaha de Paris, parmi cette multitude bigarr√©e, affair√©e et distraite qui se meut, va, vient, marche, court et fl√¢ne dans les rues, le nez en l'air, l'oreille au vent; avez-vous remarqu√© quelquefois l'attitude particuli√®re, inqui√®te et absorb√©e de certains hommes √† l'≈ìil fureteur qui passent graves, coudoient les uns et les autres sans crier gare, et qui semblent suivre, comme dans un r√™ve, leurs pas trop h√¢tifs qui les devancent? Ils marchent la prunelle en arr√™t, anatomisant les vitrines; Paris pour eux est un vaste livre rempli de documents int√©ressants. Ils se plaisent √† en relever les annotations et √† en compter les culs-de-lampe, et les quais forment la marge qu'ils parcourent pieusement. Viennent-ils de Bercy ou d'Auteuil, de Montmartre ou du Panth√©on, sans mot d'ordre, mus par la m√™me passion, ayant au c≈ìur le m√™me d√©sir, tous se dirigent, l'imagination irradi√©e, √¢pres √† la cur√©e, vers l'espace que bornent, sur la rive gauche de la Seine, le pont Saint-Michel et le pont Royal. Ils forment sans se conna√Ætre une race √† part, dont l'idiome singulier, les m≈ìurs √©tranges, les aptitudes et les go√ªts fantastiques ont quelquefois tent√© la plume des humoristes. Leur vie, c'est un bouquin, et s'ils entrevoient un monde meilleur, un √©den d√©licieux, ils ne peuvent se le figurer sans des parterres d'elz√©virs, des massifs d'incunables, des montagnes d'in-folios et des parcs ombrag√©s de feuilles manuscrites. Le matin, ils d√©jeunent √† la h√¢te d'un catalogue et de leur derni√®re trouvaille, puis, sans consulter le ciel, heureux comme des jouvenceaux en bonne fortune, ils partent le pied l√©ger, le c≈ìur battant d'une sainte √©motion, inquiets de savoir si la ma√Ætresse qu'ils conquerront sera blonde ou brune, s'ils d√©nicheront, _rar√¶ aves_, un _Alde_ ou un _Estienne_, un _Giolito_ ou un _Torrentin_.--Arriv√©s au but de leurs jouissances, sur les doctes parapets, ils se pr√©parent √† la lutte, enl√®vent leurs gants, fixent leurs chapeaux, donnent du jeu √† la manche, entr'ouvrent leurs poches myst√©rieuses et profondes, et commencent.--Qu'il vente, qu'il pleuve ou que le soleil dissolve le bitume, comme ces Fakirs de l'Inde qui se tiennent sur un pied, ils vont _piano, pianissimo_, toujours debout, l'≈ìil plong√© dans les cases, scrutant les livres jusque dans l'√¢me.--Paris les enveloppe dans son grand bourdonnement, les femmes en passant les fr√¥lent avec un froufrou soyeux; impassibles, noy√©s dans un oc√©an de volupt√©s, ces chiffonniers de la science revivent tout un pass√©. Ils bouquinent, bouquinent, bouquinent: _C'est la gent bouquini√®re!_ De midi √† six heures en √©t√©, de deux √† quatre en hiver, ils sont l√†, √† leur poste de joie, sur le Qui-vive, le sourire aux l√®vres, l'≈ìil vif et per√ßant, la main en avant ob√©issant au regard. Ils se chuchotent √† eux-m√™mes des phrases intraductibles, ils paginent fi√©vreusement un volume, le replacent, plongent de nouveau leurs mains noires de poussi√®re dans un casier qui est tout un monde, et, respirant avec d√©lices l'odeur du vieux veau racorni, des feuillets mouill√©s et des cartons pourris, ils reconstituent des yeux, entre les nervures us√©es des bouquins qu'ils d√©vorent, les titres d√©dor√©s, abr√©g√©s, effac√©s dont ces pauvres d√©sh√©rit√©s semblent ne plus vouloir se parer. L'√©talagiste, lazzarone parisien, assis comme un commissionnaire sur un si√©ge ressemel√©, consid√®re d'un air bienveillant tous ces pionniers de sa marchandise; le Bouquiniste est quelquefois issu du Bouquinier, et il se compla√Æt √† voir la figure mobile de ses habitu√©s; il les regarde lentement d√©filer, s'arr√™ter ind√©cis et s'arracher avec peine du capharna√ºm de ses bo√Ætes; il les compte, remarque les absents, bavarde avec _ces Messieurs_, et, si l'un de ces _Bibliophobes_ avec un signe particulier l'appelle pour payer le bouquin qu'il vient d'exhumer, l'√©talagiste accourt, la main √† son gousset, affable, empress√©; il voit presque partir avec regret l'√©lu du chercheur qui le lui marchande, il f√©licite l'acqu√©reur, remet en ordre ses caisses bouscul√©es par la passion de la recherche, puis il retourne √† son si√©ge, d'o√π il examine son pauvre √©talage qui s'√©tend au loin, semblable au berger nonchalant qui surveille son troupeau. Que de classes cependant, que de sectes, que de divergences d'opinions dans cette race bouquinante! chacun a son Dada, sa marotte, son but; chacun d√©friche son si√®cle de pr√©dilection, depuis l'Hell√©niste jusqu'au Romantique;--pour ce dernier: les _Renduel_, les _Barba_, les _Desessart_, les _Lecou_; pour d'autres: les _Barbin_, les _Courb√©_, les _Guillaume de Luynes_, les _De Sercy_; pour les piocheurs: les outils de travail, quels que soient la date de l'√©dition ou le nom du libraire, et pour les ambitieux enfin, les _√©ditions de Verard_, les _Moli√®re_ de chez Jean Ribou, les _contes_ de La Fontaine, _√©dition dite: Des Fermiers G√©n√©raux_, et les bibles interfoli√©es de billets de banque, comme celle que l√©gua jadis le marquis de Chalabre √† Mlle Mars. Mais, pour arriver √† satisfaire ces _pia desiderata_, il leur faudra soulever des collines d'in-12 ou d'in-8, empiler _Capefigue_ sur l'_Annuaire des longitudes_, rejeter des monceaux d'_Ann√©es chr√©tiennes_ et de _G√©ographies de Malte-Brun_, retomber √† chaque pas sur _l'Almanach des Muses_ ou les _Spectacles de la nature de Pluche_ et voir enfin surgir le _Manuel du parfait fumiste_ √† c√¥t√© de _l'Archi-Monarqu√©ide de Gagne_, ou de l'_Histoire philosophique des deux Indes, de Raynald_. Quoi qu'il en soit, l'espoir guide ces vaillants chercheurs, rien n'√©branle leur robuste foi, ils passent √† travers les s√©ries les plus compl√®tes de la _Revue des deux mondes_, sautent √† pieds joints par-dessus les _Cours de litt√©rature de Laharpe_, franchissent _Anquetil et son Histoire_, _Napol√©on Landais et son Dictionnaire_, _Sainte-Foix et ses Essais sur Paris_, _Mably et Condillac_; ils avancent malgr√© tous les obstacles, et s'ils rentrent les poches vides, l'abattement et le d√©sespoir ne les accompagnent pas au logis. Par contre, s'ils mettent la main, _les veinards!_ sur l'unique cheveu de l'occasion, s'ils peuvent d√©terrer le merle blanc de leurs r√™ves, ils exultent comme Archim√®de l√¢chant son _Eureka_, et l'immense bonheur qui emplit tout leur √™tre les d√©dommage amplement des fatigues pass√©es. Comme il est choy√©, dorlot√©, admir√©, ce bijou d√©couvert! de quelles larmes de reconnaissance il est arros√©! Harpagon, serrant pr√©cieusement sa cassette contre son c≈ìur, n'eut jamais d'expression de joie plus f√©roce que le bouquinier qui emporte sa trouvaille. ¬´Va, pauvre bouquin, murmure-t-il en lui m√™me, tu vas oublier ton existence errante, les injures du temps et ta mis√®re pass√©e, viens; tu auras la meilleure place √† mon foyer, dans la noble famille dont tu es digne, entre tes fr√®res ch√©ris; le fastueux maroquin et l'odorant cuir de Russie seront fiers de t'avoir pour voisin, car tu seras d√©barbouill√©, lav√©, encoll√©, habill√©; viens, tu es des miens et je te b√©nis pour toute l'all√©gresse que tu me causes.¬ª * * * * * O vous, qui passez sur les quais de Paris, admirez ces heureux qui bouquinent, bouquinent, bouquinent: _C'est la gent bouquini√®re!_ [D√©coration] [D√©coration] LES GALANTERIES DU SIEUR SCARRON _A Madame la Baronne de X***_ Saint-Louis en l'Isle, Paris. Paris, 1er janvier 1878. La d√©licieuse soir√©e que nous pass√¢mes le premier jour de l'an dernier! cela nous vieillit bien un peu; mais vous en souvenez-vous, ch√®re petite Baronne? C'√©tait sur le soir, vous √©tiez seule dans votre grand salon Louis XV,--seule devant un bon feu,--seule sur une causeuse. Lorsque je parus, Dieu sait o√π voltigeaient vos r√™ves; votre petit √©cran japonais d'une main, un livre entr'ouvert de l'autre, vous √©tiez affaiss√©e dans la morne contemplation de l'√¢tre, et c'est √† peine si la voix de la soubrette qui m'annon√ßa vous fit tourner la t√™te de mon c√¥t√©. C'est qu'ils √©taient bien loin, bien loin vos r√™ves, ch√®re Baronne; ils dansaient capricieusement avec les flammes du foyer, et votre ≈ìil fixe s'engourdissait √† suivre leurs √©bats mutins; je pensai tout de suite, vous le dirai-je, au curieux volume, reli√© avec art en maroquin bleu, √† vos armes, que votre bras abattu laissait nonchalamment glisser. N'√©tait-ce pas lui, dites-moi, qui avait d√©bauch√© les charmants diables roses de votre mignonne cervelle? Ah! Baronne, qu'il faisait froid! Paris finissait cette longue journ√©e de saturnales, Paris avait la pompe insipide des jours f√©ri√©s; on n'entendait que le rire perl√© de la jeunesse ou le chant rauque et monotone de l'ivrogne; les pelures d'orange attentaient √† la vie du promeneur, et sur le seuil de leurs portes, mines rev√™ches, les concierges diss√©quaient la g√©n√©rosit√© des locataires. Rappelez-vous avec quelle triste figure de conspirateur je vins me mettre √† vos c√¥t√©s!--Oh! le vilain causeur que je fis d√®s les premiers moments; ce n'√©tait qu'indolents b√¢illements, que p√©nibles hum! hum! que mon gosier grognon prof√©rait; et quel oubli total des convenances! Camp√© au beau milieu du feu, les jambes allong√©es, les pieds sur les tisons, je me r√¥tissais comme un saint Laurent sans usage,--tant√¥t me frictionnant les jarrets avec impertinence, tant√¥t frappant du pied et lan√ßant des roulades grelottantes de _brrrr_ √† morfondre un rocher.--Mon adorable amie, j'en ai honte encore aujourd'hui! Lorsque Mariette apporta le th√©, vos r√™ves me parurent rentrer effar√©s et timides dans leur joli nid,--votre silence fut moins complet,--mon attitude fut plus d√©cente. Le th√© √©tait exquis, chaud, parfum√©, vers√© par la main des Gr√¢ces, c'√©tait de l'ambroisie.--Vous √©tiez ce soir-l√† enivrante de beaut√© et de langueur, dans ce coquet peignoir Watteau bleu cendr√©, rehauss√© de malines; vous poss√©diez ce teint, p√©tri de lis et de roses, dont les anciens po√´tes nous ont l√©gu√© l'expression; votre fine chevelure blonde brillait, avec des reflets de bronze p√¢le; et puis, votre grand salon √©tait si purement, si voluptueusement Louis XV, depuis ses lambris en cama√Øeu jusqu'√† votre mule de satin, que, par ma foi, j'aurais √©t√© pendable, si, d√©pouillant mon humeur brutale, je ne me fusse mis √† _Cr√©billonner_ avec vous. Combien je vous sus gr√©, du fond de mon c≈ìur, de n'entrevoir chez vous ni sac de chez Boissier, ni coffret de chez Giroux, ni √©crin de chez Fontana; votre logis semblait vierge de toute importation d'√©trennes, et je trouvais enfin un refuge, une ti√®de oasis, contre l'enfer du jour de l'an. Nous √©tions l√† sur la causeuse, le gu√©ridon plac√© tout pr√®s, un d√©licat service de Saxe √† port√©e de la main. ¬´Un nuage de lait? me disiez-vous. ¬´--Mille gr√¢ces? ¬´--Pourquoi cette curiosit√©? repreniez-vous, suivant le fil de la conversation, savez-vous bien que vous devenez tr√®s-indiscret; mais, tenez, je vous le donne en cent, en mille, en dix mille, quel est l'auteur du petit volume qui m'entretenait lors de votre arriv√©e?¬ª Vous me regardiez malicieusement, tandis que me vouant √† tous les saints, je vous citais: _Musset_, _Lamartine_, _Hugo_, _Gautier_, ainsi que toute une pl√©iade de po√´tes modernes; et vous, dodelinant de la t√™te, avec de fines roueries dans l'≈ìil, vous ne me disiez pas une fois, ch√®re petite Baronne: ¬´Vous br√ªlez, mon cher, vous br√ªlez.¬ª Alors, je remontais d'un si√®cle et j'amoncelais des kyrielles de noms d'auteurs: quelques-uns excitaient votre joli rire argentin; d'autres, ne le niez pas, vous faisaient rougir et baisser pudiquement les yeux. Cela dura bien une heure, pendant laquelle nous f√Æmes √† deux un cours de litt√©rature √† faire mourir de honte l'ennuyeux Laharpe.--C'√©tait √† damner un Bibliographe, vous deveniez aussi taquine, aussi spirituelle que Madame de S√©vign√©, que j'allais victorieusement vous jeter √† la t√™te, quand, audacieusement, d√©masquant vos batteries, vous me lan√ß√¢tes cette renversante apostrophe: ¬´Connaissez-vous Scarron, mon cher Bibliophile? ¬´--La belle question! Scarron le bouffon, Scarron _le malade de la Reine_, Scarron le burlesque √©poux de la malheureuse d'Aubign√©, Scarron _le raccourci de toutes les mis√®res humaines_, Scarron enfin... et c'est avec Scarron, Madame, que vous conversiez? Ah! la vilaine compagnie que celle d'un cul-de-jatte, et comme je b√©nis le ciel qui a permis √† votre serviteur de se mettre entre vous et ce petit fagoteur de rimes.¬ª Ici, Baronne, vous deveniez irascible, vous d√©fendiez votre po√´te, et, gentil inquisiteur, vous repreniez les instruments de torture;--les demandes insidieuses sortaient press√©es de vos l√®vres coralines: ¬´Quel est le volume de Scarron que je lisais? ¬´--_Le Roman comique_, parbleu! ¬´--Fi donc! ¬´--_Le Typhon?_ ¬´--Point. ¬´--_Le Virgile travesti?_ ¬´--Nenni. ¬´--_Jodelet duelliste!_ ¬´--En aucune fa√ßon. ¬´--_Les √âpistres chagrines?_ ¬´--Pouvez-vous le penser? ¬´--_Les Nouvelles?_ ¬´--Eh! mon cher, ne courez pas si loin, ce sont tout bonnement les _Po√©sies_ du Sieur Scarron, ce petit fagoteur de rimes, comme vous l'appelez si m√©chamment, et, dussiez-vous me traiter de bas-bleu, je tiens √† honneur de vous avertir que j'ai un furieux tendre pour les vers de ce cul-de-jatte rabelaisien.¬ª ¬´--Ce furieux tendre est un go√ªt perverti, et permettez-moi d'avancer, √† ce sujet, mon humble avis; contr√¥l√© et appuy√© par...¬ª Mais le livre d√©j√† √©tait ouvert;--plac√©e dans l'attitude du Mascarille des _Pr√©cieuses ridicules_, et avec des gr√¢ces toutes f√©minines, vous tendiez le volume en avant d'une main, tandis que de l'autre, un doigt lev√©, vous m'imposiez silence. ¬´Oyez, je vous prie, me dites-vous.¬ª Je vous mangeais des yeux tant vous √©tiez divine, ainsi pos√©e et ma√Ætrisant mon √©motion, j'√©coutai. A MADEMOISELLE DE LENCLOS Estrennes _O belle et charmante Ninon, A laquelle jamais on ne r√©pondra: Non, Pour quoi que ce soit qu'elle ordonne, Tant est grande l'authorit√© Que s'acquiert en tous lieux une jeune personne, Quand avec de l'esprit elle a de la beaut√©. Ce premier jour de l'an nouveau, Je n'ay rien d'assez bon, je n'ai rien d'assez beau De quoi vous bastir une Estrenne;_ _Contentez-vous de mes souhaits, Je consens de bon c≈ìur d'avoir grosse migraine Si ce n'est de bon c≈ìur que je vous les ay faits. Je souhaite donc √† Ninon Un mary peu hargneux, mais qui soit bel et bon, Force gibier tout le car√™me, Bon vin d'Espagne, gros marron, Force argent, sans lequel tout homme est triste et blesme, Et qu'un chacun l'estime autant que fait Scarron._ Tudieu! avec quelle √©motion vraie vous r√©cit√¢tes ces vers burlesques, quelle voix chaude et vibrante, quelles intonations senties, et que votre regard √©tait vif, pendant la lecture de ces _Etrennes_! j'oubliai presque Scarron, et je n√©gligeai de le maltraiter--v√©ritable magicienne, vous veniez, par cette seule √©vocation de Ninon, de me reporter de deux si√®cles en arri√®re, parmi cette soci√©t√© polie, o√π les petits po√´tes, m√™me, savaient donner de si galantes √©trennes. Je revis Ninon, sa cour brillante et ses _passants_ de qualit√©: le Comte de Coligny, le Chevalier de Grammont, les Marquis de La Ch√¢tre et de S√©vign√©, le Prince de Cond√©, l'Abb√© de Chaulieu, Villarceaux, Gourville, Saint-√âvremont et tant d'autres. Je n'√©tais plus chez vous, Baronne, je me trouvais en plein Marais, dans la ruelle de cette impure adorable, de cette femme, trois fois femme, par le c≈ìur, l'esprit, l'inconstance et la frivolit√©.--J'√©tais environn√© de beaux esprits, parmi lesquels, votre cher Scarron, alors ingambe, alors _petit collet_, courant de groupe en groupe avec cette bonne humeur, cette gaiet√© bouffonne, et cet atticisme piment√© de sel gaulois. Vous paraissiez de m√™me songer √† tout cet autre √¢ge, vos r√™ves avaient repris leurs √©bats mutins, et votre ≈ìil noir refl√©tait purement le temps jadis. Alors, je vous pris la main, petite Baronne, et pendant un temps incalculable, tous deux nous comprenant, tous deux vivant une autre vie, toute une √©poque √©voqu√©e, nous rest√¢mes r√™veurs, sans mot dire, murmurant faiblement en cadence: O belle et charmante Ninon... Lorsque nous sort√Æmes de notre torpeur, quel assaut de souvenirs, c'√©tait √† qui r√©citerait le plus d'_Estrennes_ jusqu'√† ce que, la m√©moire vid√©e et fourbue, votre Biblioth√®que f√ªt mise au pillage. Vous √©tiez un vrai d√©mon: et nous boulevers√¢mes tous les _Parnasses d'antan_, nous piquant d'amour-propre, admirant, critiquant, discutant, nous alambiquant l'esprit avec des agaceries √† r√©veiller l'ombre de tous nos chers po√´tes. Quelle surprise, dites-moi, lorsque nous entend√Æmes sonner trois heures du matin! nos regards √©tonn√©s se crois√®rent, les miens disaient: ¬´Il fait bien froid, il est bien tard, soyez mis√©ricordieuse! La nuit est sombre, il me faut vous quitter, petite Baronne, ayez piti√©!¬ª Votre ≈ìil √©tait indulgent, et je ne sais trop ce qu'il m'e√ªt r√©pondu, si Mariette, lass√©e d'attendre, ne s'√©tait mise √† ronfler dans la pi√®ce voisine. L'effroyable voyage que je fis, √¥ ma douce amie, pour regagner mon triste logis de c√©libataire.--Jamais amoureux transi ne s'en revint plus chagrin dans ce grand Paris, qui la nuit ne semble dormir que d'un ≈ìil.--Malgr√© moi, j'enviais Scarron superbement v√™tu de maroquin, Scarron qui revit en livre et que vous aimez, Scarron, que vous teniez dans votre main mignonne et qui veillait peut-√™tre √† vos c√¥t√©s, sur les courtines de soie, apr√®s avoir berc√© votre premier sommeil, tandis que j'allais errant sur ces quais t√©n√©breux, meurtri par la bise, tracass√© par mille petits fant√¥mes qui labouraient mon c≈ìur et mon esprit. Il y a un an, jour pour jour; mon c≈ìur a fait des √©conomies, souvenez-vous-en! Si la l√©gende de la Belle au Bois-Dormant pouvait √™tre vraisemblable, ce soir premier janvier, v√™tu d'un manteau couleur de muraille, je me pr√©senterais chez vous--je vous trouverais seule dans votre grand salon Louis XV--seule devant un bon feu--seule sur une causeuse--mais... Mariette aurait cong√©--pour changer les r√¥les, petite Baronne, j'aurais en main un curieux volume porteur de mon _ex libris_. Ce serait √† votre tour d'en deviner l'auteur et peut-√™tre demanderiez-vous gr√¢ce; O belle et charmante Ninon, A laquelle jamais on ne r√©pondra non!.... [D√©coration] [D√©coration] LE QU√âMANDEUR DE LIVRES CAUCHEMAR A LA MANI√àRE DE GOYA _Periit fides et ablata est de ore eorum._ J√âR√âMIE VII. Oh! le vilain personnage, la triste silhouette, le gnome fantastique que nous avons √† esquisser! Fl√©au de l'homme de lettres, parasite du libraire et de l'artiste, d√©mon acharn√© du Bibliophile, solliciteur bas et rampant, Tartuffe mielleux et fripon, v√©ritable plaie d'Egypte, le Qu√©mandeur de livres se glisse partout, force les portes les mieux ferm√©es, semble poss√©der le terrible don d'ubiquit√©, et, comme un fant√¥me des vieilles l√©gendes, il appara√Æt, obs√®de et terrifie. Epinglons-le solidement sur un morceau de li√©ge, et, t√¢chons d'analyser ce monstre ainsi clou√© au pilori. D'o√π vient-il? nul ne le sait--le plus souvent c'est un pauvre d√©class√©, qui, apr√®s avoir meurtri ses illusions aux angles les plus rudes de la r√©alit√©, s'est r√©veill√© un beau matin dans sa hideuse incarnation de litt√©rateur mendiant.--Ecrivain d√©√ßu ou po√®te infortun√©, sa jeunesse, √©pave de la m√©diocrit√©, a √©t√© cahot√©e un peu partout dans les bas-fonds de la Boh√™me; le Succ√®s a souri jaune √† ses avances, la Gloire a fait la prude avec lui; il n'a cueilli que de terribles orties sur le chemin litt√©raire. Alors, ne se sentant plus la force de lutter, les mains ensanglant√©es, les ongles us√©s, le c≈ìur plein de fiel, ayant encore dans l'√¢me des vestiges du Beau, il a jur√© de se venger, et, ne pouvant devenir ma√Ætre, il s'est fait valet. Comme il a bien m√©dit√© sa vengeance! avec quels sens pervers et quels raffinements de cruaut√© il en a m√ªri le plan!--La soci√©t√© s'est montr√©e mauvaise m√®re √† son √©gard, il la harcellera sans cesse et lui fera rendre gorge; les hommes de talent ont pris sa place au soleil, il qu√©mandera leurs ≈ìuvres; les libraires ont refus√© ses volumes, il leur pillera ceux des autres; les Bibliophiles ont su amasser des merveilles, il saura leur en extorquer; enfin, c'√©tait un agneau, ce sera un chat aux griffes gant√©es.--Il n'a pas pu se faire valider artiste, il sera l'ami des artistes: chacun deviendra son M√©c√®ne. Pour son but, il a bien √©tudi√© les hommes, le perfide! Il d√©guise ses amertumes sous les dehors les plus papelards: sachant que rien ne r√©siste √† la louange, la louange est devenue son arme, et avec quelle habilet√© il s'en sert! Ecrit-il pour qu√©mander? Il sait jouer du: _Cher Ma√Ætre_, de l'_Excellent Confr√®re_, de l'_Illustre Coll√®gue_, du _Savant Bibliophile_ avec un tact surprenant; il se dit attach√© √† quelques revues de Province bien ignor√©es, se proclame en tout et sur tout fanatique du Beau et entonne l'√©loge du destinataire de sa missive. Son style est une merveille--: √† son usage particulier le d√©testable flatteur s'est compos√© une palette √©tincelante d'adjectifs sucr√©s, √©mollients, onctueux, bien confits en parfums--les tons les plus fins, les plus vifs, les plus color√©s y sont gradu√©s avec une science, une entente des _fadeurs_ qu'on ne saurait trop admirer.--Apr√®s avoir pos√© un substantif ayant rapport √† son objectif, il semble promener sa plume sur sa palette, √† la recherche d'une √©pith√®te bien sentie, et puise dans sa gamme de mots chatouilleux et calins, un _divin_, un _admirable_, un _sublime_, un _docte_, un _savantissime_ dont l'effet tendre et persuasif est immanquable. Ses lettres sont des chefs-d'≈ìuvre d'√©motion et de sympathie; c'est √©tay√©, √©chafaud√©, arc-bout√© avec un sentiment si bien maquill√© qu'on ne peut y r√©sister. Le Don Juan de Moli√®re ne prit jamais tant d'int√©r√™t √† la famille de monsieur Dimanche que le Qu√©mandeur de livres n'en accuse pour le succ√®s de sa victime. L'auteur ou l'√©diteur ne savent plus dire: non... _Et le Renard encore a tromp√© le Corbeau._ Quelle tactique dans ses visites! Il a calcul√© le _modus vivendi_ de celui qu'il veut exploiter; il conna√Æt sa vie heure par heure, minute par minute et mieux que le concierge de la maison. Lui refuse-t-on la porte? il revient trois fois, cinq fois, dix fois s'il le faut; ses sollicitations sont inflexibles comme le Destin. C'est au saut du lit, ou plut√¥t √† l'heure o√π la digestion rend facile et indulgent qu'il sait prendre son monde, voyez-le: il sonne discr√®tement, donne son nom, √©nonce ses minces qualit√©s et s'avance la main tendue et prompte √† de cordiales pressions, le visage est affectueusement √©clair√© d'une douce sollicitude, l'≈ìil est admiratif, la bouche souriante module le: ¬´_cher ma√Ætre_¬ª de commande, les reins attendent un si√©ge, le cauchemar vient √©lire domicile chez le patient, la requ√™te va commencer. Ah! l'horrible Prot√©e! comme il sait enlacer, passer du grave au doux, du plaisant au s√©v√®re: _Sua res agitur!_ quel d√©luge d'enthousiasme il verse sur son h√¥te, son talent, ses livres, son bon go√ªt! f√ªt-il dans une mansarde, il en louerait l'ameublement; il est de force √† s'extasier sur une chaise de paille; il a des louanges de toutes les tailles; c'est un jongleur √©m√©rite. Au moindre mot qui frise l'esprit, il se p√¢me comme √† la fois Armande, B√©lise et Philaminte √† l'audition des vers de Trissotin,--c'est lui-m√™me un Trissotin, un √©c≈ìurant Trissotin... un Trissotin doubl√© de Bazile. Quelle verve il d√©ploie! il cite les √©ditions les plus rares, parle avec tendresse des chefs-d'≈ìuvre de l'art typographique, verse des larmes de crocodile sur les malheurs de nos Biblioth√®ques publiques; en un mot, il cause de tout et sur tout, ose m√™me parler de ses bonnes fortunes sur les quais... ses bonnes fortunes... √† lui, le rustre! et revient enfin par d'habiles p√©riphrases au livre qu'il implore! Il ne tient pas en place. Il lui faut co√ªte que co√ªte l√©nifier le c≈ìur qu'il bat en br√®che par des √©loges dissolvants. ¬´Ah! pardon, que vois-je, l√†, sur le rayon de votre biblioth√®que, Dieu! le ravissant petit bijou!¬ª Et le voil√† lev√©--il parcourt, fur√®te, passe avec amour ses pattes sur ces livres qu'il convoite et qu'il d√©roberait s'il le pouvait. ¬´O le rarissime volume! l'admirable reliure! quel superbe portrait! ce sont de ces raret√©s, s'exclame-t-il avec passion, qui ont d√ª vous co√ªter, _cher monsieur_, bien des recherches et bien des fatigues. Il vous a fallu un go√ªt et des connaissances √©tonnantes pour colliger de telles merveilles?¬ª Il ne tarit pas en douceurs, il jette son dernier atout, mais aussi le propri√©taire se rengorge, dodeline de la t√™te et fait une agr√©able moue. Sa g√©n√©rosit√© va s'√©panouir. Le rocher, d√©j√† √©branl√©, c√®de enfin? * * * * * Quand il sort, muni de sa proie, il semble si fier, si rayonnant, si joyeux, qu'on serait tent√© de lui pardonner. C'est un des amoureux du livre, mais un amoureux brutal et presque criminel, il viole ce qu'il aime, sans attendre que ce qu'il aime se donne √† lui; il est vil et bas quand il devrait √™tre fier et porter le front haut comme tout vrai bibliophile, en un mot, il mendie quand il devrait attendre; et trop souvent, h√©las! la mis√®re le guette au passage pour le d√©pouiller un √† un de tous ses volumes, qu'il _bazarde_ √† vil prix. Quelle p√©nible existence que celle de ce mis√©rable!--Valet de tous, il qu√©mande chez les libraires comme les pauvres √† la porte des grands restaurants, il fait patte de velours alors que souvent il voudrait griffer, il s'humilie devant les jeunes bien qu'il commence quelquefois √† neiger sur son front, et, v√©ritable Juif-errant, en qu√™te de toutes les nouveaut√©s, la fatigue lui est inconnue; il se produit partout, marche sans cesse, et semble immortel, car les hommes de g√©nie l'ont rencontr√©, vivant spectre, √† toutes les √©tapes de leur gloire. Bibliophiles, nos fr√®res, ne criez pas √† l'invraisemblance, l'original existe, tir√©, par malheur, √† de trop nombreuses √©ditions; regardez autour de vous, dans la marge de la vie, vous le verrez remplissant son sacerdoce avec plus de rage que de passion. Regardez ce Monsieur affair√© qui vole on ne sait o√π; ses poches b√©antes sont bourr√©es comme un cabas de femme de m√©nage et renferment tout un monde: Livres, eaux-fortes, gravures, photographies--ce n'est pas un Bibliomane, c'est l'_Homme rouge_ des bibliophiles, c'est le Qu√©mandeur de livres qui passe. * * * * * Un d√©tail pour terminer cette esquisse crayonn√©e √† la h√¢te: le Qu√©mandeur de livres parvient-il √† se faire √©diter un volume, il sait les bassesses que ceux des autres lui ont co√ªt√©... _Il n'en donne √† personne._ [D√©coration] [D√©coration] [D√©coration] LE VIEUX BOUQUIN ESSAI MONOCHROME _Nunc victi, tristes._ VIRGILE. Gloire √† toi, bouquin!--Gloire √† toi, vieillard robuste si vaillamment cuirass√©!--Gloire √† toi, grandiose aventurier, philosophe Sto√Øcien, sublime mendiant, Diog√®ne de la bo√Æte √† quatre sols, dont les faux Bibliophiles rougissent!--Bouquin, pauvre bouquin, Christ de la bouquinerie, tant de fois vendu par autant de Judas Iscariote, tant de fois vilipend√©, tant de fois crucifi√©,--Gloire √† toi! Que je t'aime et te v√©n√®re sous ton aust√®re et monacale tunique de vieux veau fauve! que je t'aime, avec ce visage parchemin√©, ces rides jaun√¢tres et √©cailleuses et les longs m√©andres des larves qui t'ont rong√©! Pass√©es au vermillon comme les l√®vres d'une courtisane antique, tes _tranches_ harmonieusement se marient aux dorures tenues de tes bords fl√©tris; l'orageux coloris de tes _gardes_, si magistralement dispos√© en √©tranges volutes s'est att√©nu√© dans les tons fins d'une gouache et ton _signet_ de soie verte, bris√©, meurtri, par tant de mains amies, a conserv√© ce je ne sais quoi de tendre qui nous √©meut, telles ces robes de nos a√Øeules, pr√©cieuses reliques, que nous aimons √† contempler pieusement dans la vieille armoire qui les renferme. Ton _titre_, noble passe-port litt√©raire, est parti pi√®ce √† pi√®ce dans l'amertume du vagabondage, tes _coins_ √©corch√©s par les plus farouches brutalit√©s baillent la tristesse et donnent la piti√©, tandis que, mises √† nu par le temps, diss√©qu√©es par les intemp√©ries, tes _nervures_ effiloquent au vent leur blonde chevelure de chanvre. Depuis le jour de ton sacre, o√π, √©tincelant, coquet, luxueux, tout enorgueilli toi-m√™me de l'orgueil de ton auteur, tu descendis majestueusement, dans ton justaucorps de veau p√¢le, du perron de la _Sainte Chapelle_ ou de la _Galerie des Merciers_, depuis le jour, o√π, de la Cour √† la Ruelle, de la _Gazette_ √† l'Acad√©mie, Paris, pendant de longues heures chanta tes louanges, quelle √©pop√©e! Quelle √©pop√©e, sinistre ou burlesque, depuis ces jours o√π tu courais si all√®grement de la main blas√©e d'un Censeur Royal aux doigts ros√©s d'une Duchesse, de l'√©piderme voluptueux et flatteur d'un Pr√©lat aux aridit√©s noueuses d'une pression de Savant! Les ann√©es ont enterr√© les ann√©es, les amants de la premi√®re heure ont disparu; les rois s'en sont all√©s, les tr√¥nes ont croul√©, toi, tu es rest√© debout, le dos vo√ªt√©, grelottant √† la bise;--les d√©dains de la foule, ont poudr√© ton chef √† frimas, et c'est √† peine si le regard h√¢tif de quelqu'√©rudit t'a caress√© par hasard dans la passion fi√©vreuse de ses recherches. D'apr√®s les na√Øvet√©s graphiques laiss√©es sur ton _faux titre_, d'apr√®s tes _ex-libris_ h√©raldiques ou caract√©ristiques, grav√©s ou manuscrits, d'apr√®s tes marges nourries de curieuses annotations, qui ne songerait longuement √† reconstituer ta vie errante? Dans l'interligne de ton _impression_, quels m√©moires √† √©crire! que de piquantes r√©v√©lations sur ta naissance et tes fredaines typographiques, corrig√©es par une main toute paternelle! Bouquin, pauvre bouquin! Victime du droit d'a√Ænesse des livres!--Tes grands fr√®res in-4¬∫, fiers de leur majorat de premi√®re √©dition sont recherch√©s, estim√©s, soign√©s. Toi, malheureux enfant d'un second lit d'impression, tu v√©g√®tes depuis des si√®cles, m√©pris√©, d√©sh√©rit√©, conspu√© dans la patiente attente d'un Saint Vincent de Paul Bibliophile. Ouvre-toi, cependant, ami du travailleur, cher consol√© qui console; dans une ti√®de atmosph√®re d'√©tude, secoue la poussi√®re de la route; ouvre-toi, pauvret, exhale ta belle √¢me, chuchote bien bas au savant qui t'a acquis, les dictames que tu contiens; dans ces longs t√™te √† t√™te, germe en lui lentement ta science, et fais lui √©prouver une lente et douce ivresse dans la mystique fornication de vos cerveaux. Gloire √† toi, bouquin,--Gloire √† toi, vieillard robuste si vaillamment cuirass√©! Gloire √† toi, grandiose aventurier, Philosophe Sto√Øcien, sublime mendiant, Diog√®ne de la bo√Æte √† quatre sols dont les faux Bibliophiles rougissent. [D√©coration] [D√©coration] LE LIBRAIRE DU PALAIS √âVOCATION DU XVIIe SI√àCLE _D'apr√®s un dialogue du_ CARPENTERIANA. On est instruit de cent choses qu'il faut savoir de n√©cessit√© et qui sont de l'essence du bel esprit. MOLI√àRE. _L'Amateur entre chez le Libraire, et salue._ LE LIBRAIRE Monsieur, je suis vostre humble serviteur, que d√©sirez-vous du nostre? Un homme de vostre qualit√© ne peust ignorer les livres nouveaux, ces sublimes maistres muets, et, puisque vous avez coustume d'honorer ma boutique, que pourrois-je vous proposer? L'AMATEUR Je voudrois connoistre quelques ouvrages du bon ton, les lectures √† la mode, des livres de nos meilleurs autheurs, les romans du beau monde les plus furieusement en vogue, et enfin, toutes choses ayant du ragoust, du piquant et de l'enjou√©. LE LIBRAIRE Me permettroi-je de vous soumettre le _Grand Cyrus_ dont on fait grand bruit √† la ville et √† la cour, la _Cl√©lie_, de Mlle de Scud√©ry, ou encore le _Lou√Øs d'or_, d'Ysarn; les Alcovistes en raffollent et nos _illustres_ se les arrachent; pr√©f√©rez-vous le _Pharamond_, la _Cl√©opatre_ ou bien le _Mitridate_; tous ces _agr√©ables Menteurs_, comme on dit en terme de Ruelles, font les plus chers passe-tems de nos galans et des gens qui se piquent de bel esprit. L'AMATEUR Ces romans sont charmans, en effet, pour qui connoist bien la force des mots et le friand du goust, mais ils sont trop longs √† lire et tiennent une terrible place dans nos biblioth√®ques, je verrai cependant le _Cyrus_ et vous le ferai mander. LE LIBRAIRE Je m'empresserai de tenir ces dix volumes √† vostre service, mais dites-moy, je vous prie, vostre pens√©e sur l'_Amadis_ que voicy, reli√© en maroquin du Levant. Il me vient de la biblioth√®que de M. de Bassompierre, c'est un superbe exemplaire que j'eus les plus grandes peines √† me procurer. L'AMATEUR La reliure est certes pleine de m√©rite, et le livre vaut son prix; mais je poss√®de d√©j√† un _Amadis_, bien qu'en estat inf√©rieur, et je ne doute pas que vous ne trouviez √† c√©der celuy-ci √† quelque personnage de marque qui vous le paiera honnestement. LE LIBRAIRE Je fais espoir de le vendre prochaisnement et suis marry de ne pas le veoir devenir vostre. Aimez-vous, je vous prie, les traductions de M. Perrot d'Ablancourt? voicy son _Lucien_, son _Thucidide_, son _C√¶sar_ et son _Tacite_. L'AMATEUR Laissons l√† ces traductions, s'il vous plaist, j'ai ouy dire qu'elles sont fort meschantes et maltraitent effroyablement les autheurs qu'elles pensent traduire. LE LIBRAIRE Il faut avouer que vous donnez dans le vray de la chose;--vous pr√©senteroi-je alors le _Clovis_, de Desmarest, le _Saint-Louys_, du P√®re Le Moyne, _Alaric ou Rome vaincue_, de Scud√©ry, la fameuse _Pucelle_, de... L'AMATEUR Oh! oh! je vous en rends gr√¢ce, mais ne m'assassinez pas avec tous ces pompeux Po√´mes, ce ne sont que mots √† longues queues, ils peuvent pour certaines gens avoir de la valeur, mais je confesse les trouver mortellement ennuyeux; je doute qu'on puisse en lire un chant sans esprouver l'inexorable empire du sommeil, et, tenez, vous m'en voyez b√¢iller √† la seule pens√©e. LE LIBRAIRE Il faut convenir que c'est fort bien dit, ces vers sont par endroits tout √† fait espais, les neufs s≈ìurs y sont costum√©es de fa√ßon √©pique et j'aurois d√ª songer que ce n'√©toit pas l√† vostre fait. L'AMATEUR Quels sont vos livres d'histoire? LE LIBRAIRE J'ai en ce moment un _Froissart_ et un _Monstrelet_ des belles impressions, et si vous ne les poss√©dez pas je puis vous fournir le _Mezeray_, les _M√©moires de Castelnau_, _Montr√©sor_ et _Hardoin de Perefixe_. L'AMATEUR _Monstrelet_, _Froissart_, _Castelnau_ et _Mezeray_ sont dans ma Biblioth√®que; je vous prendrois volontiers l'_Histoire du roy Henry le Grand_ au cas o√π vous auriez la petite √©dition imprim√©e en Hollande; c'est assur√©ment la plus jolie et la mieux conditionn√©e. Monstrez-moi √©galement les nouveaux recueils des nourrissons des Muses, le Parnasse en est f√©cond aujourd'hui, et la Fille des Dieux r√®gne particuli√®rement sur notre √©poque. C'est dans ces sortes de recueils, que l'on se peust penestrer des mots du bel usage, et, dans ces volumes qui laissent peu de vuide √† la curiosit√©, l'on passe agr√©ablement d'un aimable sonnet √† Philis √† une Ode magistrale, de Stances √† Chloris √† une Glose spirituelle et d'une ing√©nieuse Paraphrase √† un Madrigal tout confit en douces choses. LE LIBRAIRE. Certes, grande est vostre raison et vous dites sagement. Le lecteur peut ne point faire long s√©jour sur de tels livres, et, il lui est loisible de les laisser et de les reprendre sans jamais essuyer aucune lassitude, je comprends vostre tendre pour ces ≈ìuvres diverses, et, tenez, voulez-vous les six volumes du _Recueil des plus belles pi√®ces du tems_? vous y verrez de M. Corneille, de Boileau, de Benserade, de Boisrobert, de Sarasin, de Bertaud, de Montreuil, de Lamesnardi√®re et de plusieurs autres. L'AMATEUR. Vous m'en vend√Ætes un exemplaire derni√®rement; n'en avez-vous point d'autre mani√®re? LE LIBRAIRE. J'ay quelques recueils en un volume, mais, outre qu'ils contiennent les mesmes pi√®ces, ils ne sont pas aussi complets et moins bien entendus: que diriez-vous des _Derni√®res paroles de Scarron_, des _Po√©sies diverses de Colletet_, des _√ânigmes et de la M√©nagerie de Cotin_, des _Entretiens de Sarasin et de Voiture aux Champs-Elys√©es_? j'ay de jolies √©ditions de _l'Apologie de Girac contre Costar_, des _√âloges po√©tiques de Br√©beuf_, des _Amiti√©s, Amours et Amourettes de M. le Pays_, et enfin... je puis vous bailler les _Deux pi√®ces de M. de Ligni√®res_, contre la _Pucelle_. L'AMATEUR. Ah! ah! ceci me sied assez, ces pi√®ces de M. de Ligni√®res surtout: comment les eustes-vous? LE LIBRAIRE. Elles furent imprim√©es en Hollande sur le manuscrit mesme que M. Chapelain pensa faire saisir; ces choses sont d'une excessive raret√©. L'AMATEUR. Je vous les prendrai; veuillez les joindre au reste; mais, ah √ßa, fait-on encore beaucoup de satires contre la _Pucelle_? LE LIBRAIRE. Ah! monsieur, je crois bien, c'est √† croire que toutes les Muses ne sont occup√©es qu'√† cela: Le Parnasse s'est tellement esmeu de ce Po√´me qu'on se croyroit au beau tems des _Jobelins_ et des _Uranistes_. L'AMATEUR. Vous me mettrez de cost√© les plus curieuses de ces √©pigrammes. La _Pucelle_ est un bien lourd po√´me qui justifie toutes les pointes, et je songe s√©rieusement √† vous troquer l'exemplaire que je vous pris il y a quelques mois. LE LIBRAIRE. Je feray selon vos souhaits... ne m'avez-vous pas manifest√© le d√©sir d'acqu√©rir un _Ronsard_ et un _du Bartas_? L'AMATEUR. Point.--Je ne veux que des choses du tems et ne viens pas chez vous d√©terrer nos vieux po√´tes du si√®cle pass√©. LE LIBRAIRE. Si tout le monde pensoit comme vous, nous ne vendrions gu√®re de vieux livres; aussi bien, s√ßavez-vous, que, selon l'expression de nos pr√©tieuses, la boutique d'un libraire est le ¬´_Semetierre des vivants et des morts_;¬ª nous devons poss√©der aussi bien les g√©nies d'antan que ceux d'aujourd'hui. L'AMATEUR. Il est vray, nos vieux po√´tes peuvent avoir certain talent, mais qu'est-ce, dites-moi, en comparaison de nos Grands du Parnasse? LE LIBRAIRE. Ah! quelle diff√©rence! Comme nos po√´tes comprennent mieux le bel air des choses, le langage contourn√© et le raffinement des mots; on ne sauroit establir de parallele, aussi veux-je vous montrer... L'AMATEUR. Non pour le moment, Monsieur le Libraire, le tems de deux postes s'est d√©j√† pass√© depuis que je suis icy et je vous ferai qu√©rir quelques-uns des volumes que vous m'avez cit√©s. A bientost donc, je vous manderay de mes nouvelles. LE LIBRAIRE. Permettez-moi, monsieur, de vous assurer de mes services et de vous t√©moigner le degr√© d'estime que je professe pour votre s√ßavoir. _L'Amateur salue et se retire._ LE LIBRAIRE, seul. Que les gens de qualit√© ont donc de peine pour faire figure dans le monde, et que leurs connoissances sont estroites! _Ce Marquis estoit n√© doux, commode, agr√©able, On vantoit en tous lieux son ignorance aimable, Mais depuis quelques mois, devenu grand Docteur, Il a pris un faux air, une sotte hauteur._ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . _L'ignorance vaut mieux qu'un savoir affect√©; Rien n'est beau, je le dis, que par la v√©rit√©._ [D√©coration] [D√©coration] UN EX LIBRIS MAL PLAC√â HISTOIRE D'HIER Oyr ver y callar, rezias cosas son de obrar. Comment, mon cher, me dit un jour certain Bibliomane mauvaise langue, comment pouvez-vous ignorer ce que les confr√®res du c√©l√®bre Bibliophile Z. se murmurent bien bas, bien bas √† l'oreille, en le voyant passer. Eh! que peut-on dire, bon Dieu!--le Bibliophile Z. est, √† ce qu'il para√Æt, le plus parfait honn√™te homme qui se puisse voir? Certes, je n'oserais un instant supposer le contraire! Que dit-on alors? On raconte avec malice qu'il a plac√© son _ex libris_ sur le livre d'autrui. Sur le livre d'autrui!--C'est, en v√©rit√©, la premi√®re fois que j'entends ce vilain propos. L'histoire est adorable. Dans ce cas, je vous en prie, contez-la moi. Volontiers,--cependant je dois vous pr√©venir,--elle est du ressort de la _Chronique scandaleuse_. Peu importe, je serai discret. Vous m'en donnez l'assurance? En toute loyaut√©. C'est un document de haute curiosit√© que je vous livre.--Je commence donc: Vous connaissez, n'est-il pas vrai, le bonhomme en question? Grand, sec, nerveux, la face glabre et √©maci√©e, les cheveux blonds-ch√¢tains comme du maroquin Lavalli√®re, les yeux petits et vifs, dardant, derri√®re leurs lunettes, une prunelle de ce vert particulier aux bouteilles d'eau min√©rale; sans doute, vous l'avez vu passer maintes fois sur les quais, aux environs de l'Institut, serr√© dans une longue redingote noire, proprement gu√™tr√©, le chef recouvert d'un gibus mat √† larges bords; presque toujours affaiss√© sous le faix d'une prodigieuse quantit√© de brochures qui lui arrondissent le bras affreusement. Le Bibliophile Z. est un de nos plus savants Hell√©nistes, tr√®s estim√© de tout ce qui se nourrit du si√®cle de P√©ricl√®s. C'est un spartiate litt√©raire, un fanatique de livres qui se ferait plut√¥t tuer que de manquer une seule fois la tourn√©e bibliopolesque qu'il entreprend quotidiennement. En homme sage, il a fait camper ses _desiderata_ dans le domaine attique, rien ne saurait le distraire de ce but; son r√™ve le plus vif serait de recueillir les √©paves de la fameuse _Biblioth√®que de Coislin_, en un mot, il donnerait la _Bible de Mayence 1462_, pour un _Sophocle d'√©dition Aldine, Venise, 1502_ ou _l'Euripide en lettres majuscules_. La description est fort exacte, mais je ne vois pas...? Impatient! Daignez au moins √©couter. Le Bibliophile Z. passe tout son temps soit √† la recherche de ses _merles blancs_, soit √† la _Nationale_, soit dans des Acad√©mies savantes, soit encore au d√Æner des _Helleno-Bibliognostes_ dont il est pr√©sident.--Lev√© de tr√®s grand matin, il d√©jeune de Th√©ocrite qu'il adore, puis, grand disciple de l'Ecole de Salerne et de Louis Cornaro, il soupe sobrement et le soir, √† neuf heures, il se couvre le front, il soupire et s'endort. Tout cela ne me dit pas? De gr√¢ce, une minute! nous arrivons au fait. Il y a trois ans, las de traduire et commenter Arist√©n√®te, Epicure et Ath√©n√©e dans l'√©go√Øsme du c√©libat, notre √©rudit, songea s√©rieusement au mariage et se r√©solut √† prendre femme. Ses relations √©tendues, ses succ√®s de savant, l'int√©grit√© d'un nom ancien dans la robe lui firent trouver une fr√™le et exquise jeune fille, une adorable parisienne, fine, gaie, spirituelle jusqu'au bout des talons qui consentit √† troquer sa fra√Æcheur contre un parchemin, √† livrer sa jeunesse √† cette longue racine grecque:--Mlle *** devint, pour tout dire, la rose de ce buisson. Dans les premiers temps de cet hymen, Z. fut pour sa femme rempli de mille pr√©venances, de petits soins, d'effusion, je dirais presque d'amour, si je ne craignais de profaner ce mot; on eut dit qu'il subissait en quelque sorte l'influence d'une paling√©n√©sie int√©rieure. Il se montra tour √† tour l√©ger, galant, mondain, presque anacr√©ontique; on le vit parcourir l'Italie avec sa toute gracieuse compagne, puis, de retour √† Paris, fr√©quenter les soir√©es, la Com√©die, l'Op√©ra,--que vous dirai-je? Z. ne fut r√©ellement pas trop Grec dans ce charmant jeu du mariage;--sans oublier Minerve, mollement, il taquina V√©nus; Mentor c√©da quelquefois la place √† T√©l√©maque, mais, h√©las! au bout de quelques mois T√©l√©maque disparut, les muscles de notre Bibliophile, habitu√©s au calme salernitain s'√©nerv√®rent peu √† peu; il redevint Mentor pour toujours.--L'Alpha, l'Om√©ga, l'Iota souscrit, hell√©nis√®rent de nouveau son cerveau.--Mme Z. fut veuve.--Du vivant de son mari, l'√©tude enterra son √©poux. La pauvre petite femme se d√©sola tout d'abord, comme bien vous le pensez; abandonn√©e une partie du jour √† elle-m√™me, voyant, aux heures du d√Æner, son mari, plong√© dans quelque vieux volume, lui adresser √† peine certains menus propos; isol√©e dans sa chambre des soir√©es enti√®res, la vie, √† ses yeux, prit vite une teinte grise et horriblement monotone. Il lui fallait sortir √† tout prix de ce milieu momifi√©; elle en sortit, se lan√ßa dans les f√™tes mondaines et fut consid√©r√©e par tous comme la plus heureuse et la plus √©l√©gante de nos parisiennes. Elle eut une cour de jeunes hommes brillants, corrects et fats qui papillonn√®rent autour de sa lumineuse beaut√©, mais dans ce tourbillon artificiel, parmi les rires et les galanteries fades, madame Z. sentit mieux que jamais le vide de son existence; la solitude avait fait plus vaste son besoin d'aimer, les distractions ext√©rieures ne purent calmer les vagues palpitations de son c≈ìur, et un beau jour enfin, sa vertu dut capituler devant les attaques passionn√©es d'un bel Antino√ºs au col puissant.--Il me faudrait tout un chapitre dans la mani√®re cisel√©e des Dumas fils, des Flaubert ou des Zola pour vous d√©crire les phases sublimes de cet amour adult√©rin envelopp√© de l'indiff√©rence, ou plut√¥t, de la c√©cit√© hom√©rique de notre Hell√©niste; mais je ne dois pas oublier que je vous raconte une historiette et que je ne fais pas un roman; j'arriverai donc de suite au point path√©tique.--Madame Z. s'aper√ßut h√©las! √† ses d√©pens, que le bel Antino√ºs, diff√©rent en cela de son mari, savait reproduire autre chose que des anciens textes; elle sentit ce que les Pr√©cieuses si ing√©nieuses dans leurs m√©taphores, nommaient: _Le contre-temps de l'amour permis_. Lorsque cet incident ou accident se manifesta, le Bibliophile Z., le monstre! se trouvait n'avoir pas lu depuis plus d'un an, en compagnie de sa femme, les fameux pr√©ceptes du casuiste Sanchez: _De Matrimonio_. Vous jugez si la situation se montrait sombre et critique. Z. pouvait se r√©volter et traduire n√©gativement le: _Quem nupti√¶ demonstrant_.--Or, voici ce qu'il advint: Un soir, apr√®s le t√™te √† t√™te d'un fin d√Æner, dans lequel la truffe brune avait √©vapor√© son ar√¥me exquis, le Bibliophile Z. qui s'√©tait retir√© dans son cabinet de travail afin de se d√©lasser dans la lecture des _Philosophumena_ d'Orig√®ne fut mand√© subitement chez sa femme. Profond√©ment attrist√© d'abandonner Orig√®ne pour son √©pouse, il se rendit d'assez mauvaise gr√¢ce √† cette invitation et fut re√ßu dans cette m√™me chambre √† coucher dont l'ingrat n'avait pas franchi le seuil depuis si longtemps. Madame Z l'attendait, assise sur une chauffeuse pr√®s de l'√¢tre, les yeux brillants et allum√©s d'un feu √©trange, les pommettes ros√©es, plus ravissante que jamais.--de longs soupirs tendres et √©touff√©s soulevaient les rondeurs de sa gorge, dont on voyait l'√©clatante beaut√© sous le d√©collet√© d'une d√©licieuse tunique de cachemire blanc garnie de point d'Angleterre coquill√©. Ses petites mules de satin √† barettes mauves, chuchotaient impatiemment sur le tissu soyeux d'un coussin et un ≈ìil indiscret e√ªt d√©couvert les fines attaches d'une jambe merveilleuse, emprisonn√©e dans le lilas p√¢le d'un bas brod√© au coin.--Les rideaux de la chambre √©taient tir√©s,--peut-√™tre aussi les verroux.--Il y avait dans l'air comme un parfum enivrant de discr√©tion et de libertinage, et des petits amours, dans le coloris de Boucher, faiblement √©clair√©s, se lutinaient, semblant jaillir des dessus de porte dans un effarement de malice et de curiosit√© voluptueuse. Le Bibliophile Z. ne vit rien de tout cela; projetant en avant l'angle rude de ses jambes et sans m√™me retirer une toque de velours noire enrichie de grecques, il s'affaissa m√©thodiquement sur un si√©ge √† c√¥t√© de sa femme qui lui fournit habilement un pr√©texte plausible √† la d√©marche inusit√©e qu'elle venait de faire aupr√®s de lui. La mignonne cr√©ature fut ravissante de coquetterie raffin√©e, d'esprit mordant, de verve d√©licate, elle donna cours √† toute la mutinerie de ses heureux jours pass√©s, elle se fit enfant, gamine m√™me, trouvant des tr√©sors de sensiblerie dans l'√©vocation d'une douce lune de miel trop t√¥t m√©tamorphos√©e en vilaine lune rousse. Elle pr√©cisait ses souvenirs avec des pudeurs de jeune fille, riant tout √† coup, puis baissant lentement ses longs cils comme pour ombrager sa rougeur naissante.--Elle s'√©tait rapproch√©e,--les plis mo√´lleux de sa robe, dessinant des contours qu'eut envi√©s Clodion, fr√¥laient le s√©v√®re pantalon noir du savant; √† genoux sur le coussin, dans une pose alanguie et f√©line, montrant les fossettes rieuses de ses beaux bras nus; elle caressait, elle embrassait les mains roides et froides, aux ongles secs et carr√©s, de son √©poux.--Ses l√®vres rouges et humides se crispaient dans l'attente des baisers, l'amour enfin semblait d√©border avec rage de la vitalit√© de ses sens. Saint Antoine n'eut pas r√©sist√©; le Bibliophile Z r√©sista--rigide comme un palimpseste, pas un de ses muscles ne bougea. Il songeait √† Lucien, √† Eubule, √† X√©narque, √† Aristophane. Il relisait en m√©moire les ruses f√©minines de l'antiquit√© et son ≈ìil vert s'√©tait froidement arr√™t√© sur l'exc√®s de certaine courbe dont il √©tait assur√© d'√™tre et d'avoir √©t√© l'asymptote. Il se leva enfin, avec le calme majestueux d'un pr√©sident qui l√®ve une s√©ance, et, prenant cong√© de sa femme, aussi brutalement galant que s'il se f√ªt agi d'une facture √† payer: Dormez en paix, Madame, dit-il, dormez en paix..... _Je le reconna√Ætrai._ [D√©coration] Voil√† pourquoi, me dit mon bibliomane en terminant son r√©cit, les confr√®res du c√©l√®bre Bibliophile Z. se racontent bien bas, bien bas en le voyant passer qu'il a plac√© son _Ex-libris_ sur le livre d'autrui. Entre-nous--Fit-il pas mieux que de se plaindre? [D√©coration] LES QUAIS EN AOUT _Ballade des Bouquineurs._ Le thermom√®tre marque 35 degr√©s √† l'ombre. Paris est √©clabouss√© de soleil, le bitume se change en mastic. Adoss√©s aux parapets des quais, les bouquinistes sont somnolents. Les passants font h√¢te vers leurs affaires, et, chapeau d'une main, de l'autre s'√©pongent le front.--Ombrelles d√©ploy√©es, les petites femmes, en toilettes admirablement transparentes, passent en voitures d√©couvertes; d'√©normes cohortes d'Anglais annoncent la canicule, un employ√© municipal inonde la chauss√©e de torrents d'eau qui s√®che aussit√¥t.--C'est l'√©t√© dans toute sa cruaut√©. Rien ne r√©siste √† la temp√©rature; ce ne sont que soupirs et plaintes, on fait queue aux fontaines Wallace comme jadis √† une premi√®re de l'Ambigu, les Parisiens hal√®tent comme des forgerons √† l'enclume, les cerveaux cuisent au bain-marie dans leurs bo√Ætes osseuses. ... Le long des quais, calmes, all√®gres, h√©ro√Øques, quelques bouquineurs ambulent, munis d'un espoir r√©frig√©rant. Ce sont les vieux amis du livre, les √©namour√©s de la bo√Æte √† quatre sols, et dans leur regard qui brille aucune d√©sillusion ne se lit. * * * * * La chaleur fait peler le vieux veau et d√©vore la couleur des titres. Les feuilles se tordent sous les baisers du soleil, un l√©zard p√©titionnerait pour obtenir un case de bouquiniste, et sur le plat br√ªlant d'un in-folio on ferait ais√©ment cuire un ≈ìuf. Eux, les bouquineurs, ils semblent de marbre, ils iraient volontiers en enfer pour bouquiner, et, comme leur nombre est plus restreint sous ce ciel de plomb, le d√©sir les r√©conforte. Ils d√©filent lentement, majestueux et fermes sous l'alpaga de la jaquette ou le s√©dan de la redingote. Un vent plus chaud que le siroco embrase l'air et saupoudre d'une fine poussi√®re la prose de tout un pass√©. Le d√¥me de l'Institut reluit comme un casque classique, les arbres roux et gris√¢tres semblent asphyxi√©s, et sous l'azur du ciel √† peine stri√© de nuages, chacun transpire sa vie avec des app√©tences de frais et de repos. ... Le long des quais, calmes, all√®gres, h√©ro√Øques, quelques bouquineurs ambulent, munis d'un espoir r√©frig√©rant. Ce sont les vieux amis du livre, les √©namour√©s de la bo√Æte √† quatre sols, et dans leur regard qui brille aucune d√©sillusion ne se lit. [D√©coration] [D√©coration] LES CATALOGUEURS Cataloguer des livres √† l'infini, sans les avoir lus, qui croirait que cet emploi a rendu les hommes fort vains et leur a donn√© un air d'importance? Un Catalogueur de livres ne le c√®de pas √† tel √©rudit. S√âBASTIEN MERCIER. N'a-t-on pas maintes fois anath√©matis√© le profond La Bruy√®re au sujet du mot _Tannerie_, dont il s'est servi, dans son chapitre: _De la Mode_, pour d√©signer la Biblioth√®que d'un Bibliomane inconnu. _Tannerie!_ quelle irr√©v√©rence! s'est-on √©cri√©--_Tannerie!_ fi, le vilain mot! faut-il qu'un homme d'esprit et de jugement ait os√© employer un tel langage pour sp√©cifier la collection sans doute remarquable d'un amateur d'Antan!--_Tannerie!_ mais, c'est horrible, monstrueux, pendable!--_Tannerie!_--ah! _Tannerie!!_ Eh! eh! _Tannerie_ n'est point d√©j√† si mal trouv√©; _Tannerie_ est bien concluant et rend √† merveille la pens√©e de l'auteur.--De qui s'agit-il en effet dans le passage incrimin√© et de quelle sorte de Biblioth√®que le moraliste veut-il parler? Ce n'est assur√©ment pas de la Biblioth√®que d'un Michel de Marolles, d'un Longepierre, d'un de Ballesdens, d'un Fureti√®re, d'un Patru, d'un Jean Bigot, d'un de Harlay ou d'un Lamonnoye.--Il s'agit, cela tombe sous le sens, de la _Biblioti√®re_ d'un Bibliomane dans toute l'acception du mot; d'un Bibliomane par vanit√©, par ostentation, par gloriole; d'un Bibliomane _ramassier_, comme on disait jadis, d'un Bibliomane qui aligne des livres sans les lire, dans le but unique de s'illusionner lui-m√™me et d'illusionner les autres sur le vide de son esprit. La Bruy√®re n'a pas song√© un seul instant, c'est √©vident, √† peindre la passion vivante d'un Bibliophile √©clair√©, mais bien cette Bibliomanie dont Le Pautre nous a l√©gu√© l'expression dans La _Folie du Bibliomane_, une rarissime gravure orn√©e de ce quatrain: _C'est bien le plus grand fou qui soit dans la nature Que celuy qui se plaist aux livres bien dorez, Bien couverts, bien reliez, bien nets, bien √©poudrez, Et ne les voit jamais que par la couverture._ Aujourd'hui, malheureusement, Bibliophile et Bibliomane sont presque synonymes; le profane vulgaire semble √™tre devenu myope. Il confond Lamoignon et Longuerue, Pompadour et Marie-Antoinette, Montauron et Fouquet, de Bure et de Lavalli√®re, Solar et Cigongne; or, il y a des nuances √† l'infini dans ces noms de Bibliophiles jet√©s au hasard. Qu'on veuille bien √©tudier ces Bibliophiles par leurs catalogues et l'on nous comprendra. Mais, nous dit le lecteur, pr√©cisez la diff√©rence entre Bibliomane et Bibliophile? Avec l'autorit√© d'un ma√Ætre incontest√©, Charles Nodier, nous le ferons tr√®s volontiers: ¬´Le Bibliophile sait choisir les livres, dit Nodier, le Bibliomane les entasse.--Le Bibliophile joint le livre au livre apr√®s l'avoir soumis √† toutes les investigations de ses sens et de son intelligence, le Bibliomane entasse les livres les uns sur les autres sans les regarder. Le Bibliophile appr√©cie le livre; le Bibliomane le p√®se ou le mesure.--Le Bibliophile proc√®de avec une loupe et le Bibliomane avec une toise..., du sublime au ridicule il n'y a qu'un pas.¬ª Entre le Bibliomane et le Bibliophile, il s'est produit un amateur d'un nouveau genre, et pour vous le pr√©senter, si vous le voulez bien, proc√©dons nous-m√™me autrement: Don Juan √©tait-il amoureux de la femme pour la femme? Non, certes non, et qu'on n'aille pas crier au Paradoxe. Don Juan n'√©tait qu'un habile catalogueur de femmes.--S√©duire une femme, pour Don Juan, √©tait-ce l'espoir de satisfaire une passion fi√©vreuse et v√©ritable? √©tait-ce le br√ªlant d√©sir de poss√©der la fr√™le cr√©ature vers laquelle son c≈ìur semblait s'√™tre envol√©? √©tait-ce la recherche de l'id√©al? Mon Dieu, non, mille fois non. Don Juan √©tait mu par un esprit machiav√©lique et froid, par un c≈ìur marmor√©en, plus froid que la statue du Commandeur; pour lui, s√©duire une femme, c'√©tait ajouter un nom √† sa liste, c'√©tait le sot orgueil, la fatuit√© rassasi√©e, l'√©go√Øsme chatouill√©, la vanit√© qui sourit;--le type de Don Juan ne poss√®de m√™me pas l'excuse d'une √¢me artiste et inqui√®te comme ces bouillants Catalogueurs de femmes qui ont noms, au XVIIIe si√®cle, Restif de La Bretonne, Casanova de Seingalt et Choudard-Desforges. M. M. X. Y. ou Z., que votre libraire vous cite avec enthousiasme, l'un pour acqu√©rir tous les jolis volumes qui paraissent, quels qu'ils soient, l'autre pour payer un mauvais Romantique soixante-dix louis; celui-ci pour acheter au poids de l'or tel livre √† scandale saisi d'hier, celui-l√† pour ramasser tous les exemplaires d'une √©dition √† la veille d'√™tre √©puis√©e; M. M. X. Y. ou Z. sont-ils des Bibliophiles, c'est-√†-dire des raffin√©s, des d√©licats du livre, des amoureux de la substance plut√¥t que de l'apparence? Nous ne craignons pas d'affirmer que non;--v√©ritables _Don Juans de la Bibliophilie_, ce sont des _Catalogueurs de Livres_. Le _Catalogueur_ collectionne des volumes comme d'autres r√©unissent des fragments curieux de silex, de n√©phrite, de serpentine ou d'obsidienne; il a des livres comme on a des tentures, des meubles rares, des bronzes, des bibelots de toutes sortes. Avant m√™me que de les ouvrir, il fait relier superbement ses brochures, il n'a pas de Biblioth√®que, il n'a qu'une _Tannerie_. La Bruy√®re de nos jours serait, h√©las! plus s√©v√®re qu'autrefois;--que son ombre nous guide, car, nous, son infime petit-fils, nous allons essayer notre verve sur quelques Catalogueurs _pourtraictur√©s_ sur de bons patrons;--sois indulgent, √¥ b√©n√©vole lecteur de nos _Caprices_! si notre pinceau est parfois impuissant. I _Richard_ vit retir√© des affaires, dans le _high-life_ parisien. Sa fortune est consid√©rable, il a maison de ville et maison des champs. Ses valets sont du meilleur style, ses √©curies cit√©es comme mod√®les et ses chiens bien dress√©s. Ses ma√Ætresses, par s√©rieux, tiennent √† honneur de se dire siennes, lui, par gaillardise, tient √† honneur d'afficher ses ma√Ætresses. _Richard_ poss√®de une loge √† l'Op√©ra et fr√©quente assid√ªment son club; il est arriv√© √† cet √¢ge o√π l'ambition gravit un √©tage et du c≈ìur monte √† la t√™te, o√π, par contraste, les illusions d√©gringolent √† l'entresol, et du cerveau vont au c≈ìur.--_Richard_ est bien de sa personne: a la tenue correcte d'un gentleman, il joint la rondeur ample d'un boursier bon enfant; en le voyant passer, de suite on songe √† Monsieur Capital. Par distraction, et encore plus par ce besoin inn√© d'occupations actives qui fouettent l'ennui, _Richard_ s'est fait antiquaire: il raffole, dit-il, des _choses du temps_ et raconte avec emphase qu'il a su r√©unir chez lui des beaut√©s incomparables. On le voit √† l'H√¥tel des ventes, non loin de la tribune du commissaire-priseur; le portefeuille bien nourri, et pr√™t √† subir l'assaut des ench√®res; sa voix grave d'homme d'affaires fait monter avec assurance les tableaux estim√©s des ma√Ætres contemporains et un sourire d'orgueilleuse satisfaction √©claire son visage, lorsque, de groupes en groupes, son nom circule dans le public comme l'heureux possesseur d'une ≈ìuvre d'art. On dit de lui qu'il a _le flair_, et qu'il n'acquiert qu'√† bon escient.--Il n'ach√®te pas, il place son argent. _Richard_ cependant n'est pas pleinement satisfait; des d√©sirs vagues le poussent √† la Bibliomanie; il se repose des tableaux et se donne aux livres, ce sera sa seconde mani√®re et il y restera fid√®le. Le voici chez un libraire √† la mode, assis nonchalamment, la t√™te haute et gonfl√© d'importance. Il se fait initier, sans en avoir l'air, au d√©dale si compliqu√© de la Bibliographie et aux merveilles de la reliure; il contemple de luxueuses √©ditions des _Baisers de Dorat_, du _Temple de Gnide_ et des _Chansons de La Borde_ et se permet de critiquer les √©preuves des gravures; il ne tol√®re, dit-il, que les: _Avant la lettre_, et il ajoute, que si Du Seuil, Cap√©, Lortic, Anguerrand, Padeloup ou Der√¥me n'ont pas orn√© ces ouvrages de maroquin du Levant, de tabis, de dentelles et de petits fers, ils ne sont pas dignes de reposer sur les tablettes d'ivoire de sa Biblioth√®que. _Richard_ dit tout cela mollement, en se dandinant et se renversant sur le dossier de sa chaise, ponctuant chaque parole d'une bouff√©e de son havane. Il maudit sourdement le libraire, conseiller dont il ne peut se passer, et le nomme cependant: ¬´_mon bon_¬ª avec une certaine familiarit√© qui n'est point d√©pourvue de rudesse. _Richard_ se jette √† bourse pleine dans sa nouvelle _passion_, il y met autant de fougue, autant d'activit√© que s'il se lan√ßait dans une op√©ration commerciale d'un nouveau genre, il redevient tr√®s affair√© et ne prend pas le loisir de contempler ni de dig√©rer ses achats; d'immenses _desiderata_ le provoquent sans cesse, il ach√®te, il ach√®te toujours, il ach√®te encore, mais il ignore la douce joie de conqu√©rir. La gloire des Mac-Carthy, des Didot, des Yem√©niz, des Giraud, des Pixericourt, des Soleinne l'emp√™che de dormir. Il travaille avec opini√¢tret√©, non pas √† combler les lacunes de son savoir, est-ce qu'il en a le temps! Il travaille √† son grandiose monument, √† sa c√©l√©brit√©, √† son catalogue, _√† sa vente_ enfin. _Richard_ aura form√© une Biblioth√®que comme on forme un r√©giment. Il aura surveill√© l'ext√©rieur de ses soldats sans en conna√Ætre l'esprit. Il les enverra se faire d√©cimer √† la grande bataille de l'encan: _Ite ad vendentes_.--De tout cela, que lui restera-t-il? des connaissances superficielles, un nom cit√© dans les Brunet de l'avenir, un peu de gloire et beaucoup de vanit√©... autant en emporte le vent. .... _Richard_ est le _Catalogueur in-folio_, le _Catalogueur √† grandes marges_; passons au _Catalogueur_ d'un rang moins √©lev√©, avant que d'arriver au petit _Catalogueur_, le plus modeste, mais non pas le moins fou. II Ni gras, ni maigre, grand, √©lanc√©, droit et empes√©, les favoris au vent, le lorgnon d'√©caille √† califourchon sur un nez d'aigle, _Placide_ est rempli de cette qualit√© banale et vague qu'on nomme distinction et qu'un homme d'esprit a d√©sign√©e ainsi: la d√©coration des gens m√©diocres.--Sorti du coll√©ge, ¬´fort en th√™me¬ª il a pris ses inscriptions √† la Facult√© de droit, s'est rang√© au quartier latin dans le groupe le plus √† la mode des √©tudiants poseurs et a enfin honn√™tement pass√© sa licence. _Placide_ a trente-cinq ou quarante ans; avocat √† la Cour d'appel, avocat sans causes et pour cause, il se meut dans une petite aisance qui lui permet tout le confortable d'une vie douce et sans cahots. D√®s son d√©but dans le monde, il s'est appliqu√© au grave maintien de la haute magistrature, au bon ton de la noblesse, √† la rigidit√© aust√®re de la Robe, au dandysme sobre et sans √©clat d'un Georges Brummell. Ses paroles sont lentes et repos√©es, il ne dit juste que ce qu'il faut, il sait √©couter avec tout le s√©rieux d'un audiencier, sans que le coin de ses l√®vres ras√©es trahisse la mobilit√© de ses sensations int√©rieures. Il rit rarement et n'a jamais d√ª pleurer; son ≈ìil bleu est le fid√®le miroir de son √¢me de granit et ses mains gant√©es n'auraient pas le moindre fr√©missement en palpant le premier des livres imprim√©s: le _Psautier_ in-folio de Mayence, donn√© en 1457 par Jean Fust et Pierre Sch≈ìffer. _Placide_ est cependant un Bibliophile, un Bibliophile bien cot√© sur la place, mais il semble s'√™tre appropri√© cette pens√©e de Machiavel: ¬´le monde appartient aux esprits froids.¬ª Il a des livres, parce que _cela fait bien_ dans son cabinet de bois noir aux tentures de nuance sombre, √† c√¥t√© des cartons verts veufs de dossiers. Il a des livres, parce qu'il a froidement calcul√©, que, si le cabriolet est plus utile au m√©decin que le savoir, l'√©talage d'une nombreuse Biblioth√®que, aux reliures jans√©nistes, frappe plus s√ªrement dans la demeure d'un avocat que toute la rh√©torique de ses meilleurs arguments. Il a des livres, donc il est instruit, telle sera la logique de la veuve et de l'orphelin.--_Post hoc ergo propter hoc._ Quels sont les ouvrages que collectionne _Placide_? Sont-ce les Codes, les Formulaires, les Institutes de Justinien, les Sources du Droit Romain, les ≈ìuvres de Proc√©dure civile, les manuels du Juge taxateur, le _Juris civilis Euchiridium_ et alia? assur√©ment il ne saurait se passer des ≈ìuvres de jurisprudence qui doivent former le premier fonds de sa Biblioth√®que, mais h√©las! il ne poss√®de m√™me pas l'_Esprit des lois_! Dans son d√©sir de para√Ætre doctissime, il a r√©uni tous les volumes dont les titres seuls imposent le respect; voici sur les rayons vernis de ses armoires vitr√©es tous les latinistes √©dit√©s par Burmann, Gr√¶vius et Gronovius, plus loin, les collections dites: _Variorum_ et _Ad usum Delphini_; il a m√™me mis c√¥te √† c√¥te les ennuyeux po√´tes latins des derniers si√®cles; Rapin, Commire-Vani√®re, Santeuil, M√©nage, le P√®re Oudin et autres; puis, arrivent par bandes serr√©es et bibliographiquement mal dispos√©es, les ≈ìuvres de Philosophie, de M√©taphysique, de Math√©matiques, d'Histoire, de Th√©ologie et de Morale divine.--La _Chimie de Bo√´rhave_ heurte les _M√©ditations de Descartes_ et le _Trait√© de l'entendement humain de Locke_; les _Essais de morale de Nicole_ et les _R√©flexions de Bellegarde sur la Politesse du style_, coudoient _L'Art H√©raldique_ et _l'Hydrostatique ou la science du mouvement des eaux_; un volume: _De l'ambassadeur et de ses fonctions_ par Wiquefort se trouve appuy√© aux _Dix Livres de Vitruve_ par Perrault et quelques _Notions d'Ost√©ologie_ et _d'Anatomie compar√©e_ fraternisent avec la: _M√©thode pour √©tudier l'Histoire de Lenglet-Dufresnoy_. _Placide_ a tout empil√© dans son cabinet, il a _le Trait√© du vrai m√©rite_ de Claville, mais il ne l'a pas lu. Le dos et les titres de ses livres seuls lui servent √† l'ornementation de son int√©rieur, et, s'il eut os√©, il aurait fait ex√©cuter une biblioth√®que en relief, dont les titres fix√©s sur du bois arrondi recouvert de cuir, lui en eussent dit tout autant. Ses volumes sont en parfait √©tat, sans √™tre n√©anmoins reli√©s √† grands frais, ils sont propres et d√©cents et n'ont certes pas le n√©glig√© et l'air bris√© d'un livre trop souvent ouvert.--Dirons-nous √† voix basse, que si _Placide_ ne regarde jamais les livres qu'il ach√®te, il lit en entier et d'un bout √† l'autre ceux qu'il loue furtivement au cabinet de lecture le plus proche?--Dirons-nous qu'il d√©vore de temps √† autre un roman en vogue, gras, us√© par des mains humides d'√©motion; pourquoi pas? Lorsqu'il commet ce m√©fait, il se cache; il se voilerait la face s'il venait √† √™tre d√©couvert, lui si grave, si aust√®re, si distingu√©, lui, ce diplomate en disponibilit√©, il pourrait √™tre appel√©: _Bibliophile de cabinet de lecture!_ Dieu! il succomberait sous la honte, car alors on pourrait justement lui d√©cocher cette √©pigramme compos√©e jadis pour un de ses sosies: _Ce qu'apprend ou lit Th√©odore N'a nul rapport √† son devoir, Mais en r√©compense, il n'ignore Rien, que ce qu'il devrait s√ßavoir._ Quand, sur le tard, _Placide_ sera arriv√© √† la position qu'il ambitionne, lorsque le sel et le poivre pimenteront sa chevelure, lorsqu'il sourira aux fins soupers et aux passions s√©niles qui demandent des excitants, lorsque les ballets et les maillots roses d√©rideront son froid _facies_, alors le _vir bonus_ cessera d'√™tre un Tartufe Bibliophile, un _Catalogueur par avenir_, un _Bibliolathe_ et un _Bibliotaphe_; il se d√©barrassera sans √©motion, sans amer regret, de tout ce fatras de volumes qu'il aura amass√©s pour la galerie. Ses livres lui auront servi de pi√©destal et il leur devra une reconnaissance bien acquise. Peut-√™tre sera-t-il ingrat, peut-√™tre aussi reformera-t-il une Biblioth√®que, mais ce sera une Biblioth√®que de petit ma√Ætre, une Biblioth√®que clandestine. Il ach√®tera Cr√©billon le fils, Restif de la Bretonne. Voisenon et d'autres auteurs plus grivois; il lira alors _l'Ecumoire_, _le Sopha_, _Grigri_, _le Pied de Fanchette_, _le Sultan Misapouf_, et il commencera √† comprendre Rabelais et Boccace.--Par d√©corum, cet homme de glace aura install√© la morale apparente chez lui dans sa jeunesse, quand les frimas blanchiront sa t√™te ils commenceront √† fondre sur son c≈ìur, il deviendra Bibliomane libertin, la morale qu'il aura faussement affich√©e se vengera, en lui offrant sa tunique √† froisser. III L'oncle de _Damis_, honn√™te homme, √©clair√©, profond√©ment instruit, Bibliophile de la vieille roche, avait converti toute sa fortune en livres, c'√©tait sa seule joie, son unique passion, aussi, voulut-il mourir dans sa Biblioth√®que, au milieu de ses vieux et sinc√®res amis qui l'avaient tant de fois √©gay√©, consol√©, charm√©. Il y avait dans cette biblioth√®que des merveilles sublimes: on y voyait les _Chroniques de Jean Froissart_, imprim√©es √† Paris, chez Antoine V√©rard en quatre tomes in-folio, la _Bible de Coverdale_ (Zurich 1535); le _Rituel de l'Eglise Anglicane_ (White-church 1560), le _Martial_ de Sweynheym et Pennartz de 1473, le _Tite-Live de Spire_, les _≈íuvres d'Amadis Jamyn_, puis les romans de chevalerie _Lancelot du Lac_, _G√©rion le Courtois_, _M√©liadus_, _le Turpin_, _le Merlin_, _le Fier √† Bras_, _les Amadis_, _Regnaut de Montauban_, _le Saint Gr√©al et le Chevalier de la Triste Figure_. _Damis_ se trouva un beau matin h√©ritier de ces trois ou quatre mille volumes.--En voyant arriver cette arm√©e d'√©lite compos√©e de superbes in-folio, in-quarto et in-12, _Damis_ jeta les hauts cris: quel piteux h√©ritage! Il se prit √† maudire la m√©moire de son oncle et il eut beau regarder les splendides reliures, aux armes de Henri II, de Henri III, de Diane de Poitiers, du Pr√©sident de Thou, il semblait inconsolable. Comme il eut pr√©f√©r√© quelques bonnes actions au porteur dont il se fut empress√© d'aller toucher la rente! Que fit _Damis_? Il vendit la biblioth√®que de son oncle aux ench√®res publiques; le produit de la vente atteignit pr√®s de _trois cent mille francs_.--Il fut comme affol√© de joie, plong√© dans un d√©lire intense; la veille, il eut donn√© pour rien tous ces _Bouquins_ qui l'encombraient, comme il disait d√©daigneusement. Le lendemain, il se r√©v√©la effr√©n√© Bibliophile.--Les livres avaient fait _Damis_ riche;--_Damis_ voulut conna√Ætre et appr√©cier de tels amis, qui, outre la fortune, pouvaient lui donner l'estime et la consid√©ration.--Avec sa grosse bonhomie de rentier, il s'effor√ßa de devenir Bibliognoste, et, dans ce but, il se tint au courant de la _Bourse de la Librairie moderne_; se fit envoyer tous les catalogues et assista de temps √† autre aux soir√©es de la salle Silvestre. Une fois dans cette voie, _Damis_ s'y √©lan√ßa avec bonheur et orgueil; il apprit √† avoir _du nez_, comme on dit dans l'argot de la brocante. Il sut deviner les Livres dont l'√©puisement, c'est-√†-dire la hausse, √©tait proche. Il acheta les plus luxueux nouveaux venus, les √©ditions elz√©viriennes des √©diteurs √† la mode; il parapha de son nom tous les bulletins de souscription, mais il se garda soigneusement de se livrer aux vieux volumes dans la crainte tr√®s fond√©e de s'y perdre corps et biens. Aujourd'hui _Damis_ est un de nos Bibliophiles les plus connus parmi les _amateurs s√©rieux_; certains libraires lui envoient d'autorit√© et √† compte-ferme les nouvelles publications. Loin de s'en plaindre, il en tire au contraire vanit√© et se rengorge avec d'√©tranges gloussements de satisfaction. Il tient cependant √† choisir lui-m√™me ses v√©lins, ses japons, ses chines et ses Whatman. Il les collationne avec soin, regarde dans la transparence du jour la vergeure du papier, la marque de Van-Gelder, de Rives et d'Archettes et ne se d√©clare satisfait qu'apr√®s les plus grandes investigations de son ≈ìil. Sa Biblioth√®que est simple: de larges casiers de bois blanc pass√© au brou de noix, sont modestement appliqu√©s sur les parois d'une vaste pi√®ce rectangulaire expos√©e au levant.--_Damis_ y vient d√®s l'aube, non pour se d√©lecter dans la lecture de ses livres,--il faudrait les couper et cela leur √¥terait du prix,--mais pour travailler ses exemplaires dans le silence du cabinet; dans l'un, il ajoute un portrait, dans l'autre il ins√®re un autographe de l'auteur, dans celui-ci, il place de doubles √©preuves des gravures, √† la sanguine ou en bistre; dans celui-l√† enfin, ce sont des cartons, des notes, mille choses qu'il case.--Il lit aussi les catalogues qu'il vient de recevoir, et y apporte une attention soutenue:... ah! ah! se dit-il tout-√†-coup avec des √©clats de joie, mais, _je l'ai_.... superbe.... magnifique, admirable affaire! Un livre que j'ai pay√© Dix francs et que je trouve catalogu√©: Cinquante.--Il se frotte les mains et se met en devoir de d√©couper en chantant le num√©ro qu'il vient de remarquer, afin de le coller l√©g√®rement sur la garde du volume dont il est question.--Oh! oh! exclama-t-il une minute apr√®s, ceci n'est point cher;--le malheureux libraire ne s'y entend point, trois francs! un ouvrage de vingt-cinq... J'irai le qu√©rir cet apr√®s d√Æner. _Damis_ passe ainsi sa vie dans la paix la plus douce, dans un _otium sine dignitate_, c'est un _Catalogueur Bibliopole_: on ne peut pas dire tel oncle tel neveu. Il consid√®re le volume comme une _action_ soumise aux variations de la Hausse et de la Baisse. Il n'aime le livre que parce qu'il en tripote.--Lui parlez-vous d'un volume reli√©?--Bah! vous r√©pond-il, faire relier un livre c'est jeter son argent au vent, sa valeur n'en augmente pas d'un sol; Si Thouvenin, Duru, Thibaron y ont mis la main..., je ne dis pas, mais cependant, croyez-moi, conclut-il, l'id√©al, c'est un livre non touch√©, non coup√©, dans l'√©tat primordial de sa brochure. CONCLUSION. Les Catalogueurs sont utiles √† la richesse Nationale; nous ne voulons pas les accabler, nous les plaindrons n√©anmoins de donner si peu de nourriture √† leur cervelle. Ils ne comprendront jamais la belle r√©ponse du duc de Vivonne √† Louis XIV, lui demandant √† quoi il lui servait de lire: ¬´Sire, la lecture fait √† mon esprit ce que vos perdreaux font √† mes joues.¬ª [D√©coration] [D√©coration] SIMPLE COUP-D'≈íIL SUR LE ROMAN MODERNE Tenent Tympanum et Cytharam, et gaudent ad sonum organi. JOB, XXI. I Vous achetiez un Roman, il y a quelques vingt ans, Monsieur, et, tout heureux de votre emplette, sign√©e d'un nom aim√©, vous vous preniez √† lire,--les pieds sur les chenets,--les vigoureuses aventures d'un d'Artagnan superbe, d'un h√©ros cambr√©, souple et fort comme l'acier de sa lame, qui vous menait bon train, √† travers mille casse-cous, au chapitre final, o√π triomphait sa cause. C'√©tait par une belle matin√©e de mai, de septembre ou d'octobre; le ciel √©tait pur ou nuageux, l'air ti√®de ou vif, les feuilles d'un vert tendre ou d'un chaud orang√©,--peu importe; en deux temps, vous aviez li√© connaissance avec votre homme, d√©taill√© vivement sa mise, con√ßu votre sympathie, et, avec toute la simplicit√© de votre belle √¢me de lecteur,--vous vous int√©ressiez √† ce fringant jeune premier que vous veniez d'entrevoir et que vous ne deviez plus quitter jusqu'√† la fin de ses peines. Que de galantes intrigues! Quelles joyeuses √©quip√©es! Vous en souvenez-vous? Arquebusades et coups de rapi√®re! Embuscades et rendez-vous discrets! Tout votre sang fran√ßais bouillait; vous entriez dans la peau de l'Amadis; bataillant, intrigant, faisant l'amour, vous couriez avec lui de tous c√¥t√©s, et terriblement essouffl√©, c'est √† peine si vous preniez un l√©ger repos, √† la derni√®re ligne d'un √©mouvant chapitre.--Et vous, ch√®re Madame, que de charmantes soir√©es vous passiez sous la lampe, ou chastement pelotonn√©e dans le douillet repos du lit! Vous parcouriez fi√©vreusement le gros Roman du jour, laissant sommeiller Monsieur votre mari; et votre petit c≈ìur battait bien fort, lorsque le h√©ros, au coin d'un carrefour sombre, luttait vaillamment contre une bande de vilains coupe-jarrets. II Ces √©motions, ces courses √©chevel√©es en plein air, ces voyages de l'un √† l'autre p√¥le, le Roman de cape et d'√©p√©e,--qui r√©sume tout cela,--le Roman d'aventures a d√©finitivement v√©cu, le poignard, la guitare et l'√©chelle de corde ont √©t√© abandonn√©s aux magasins d'accessoires; Am√©d√©e Achard a √©t√© le dernier ap√¥tre de l'√©motion en pourpoint et des manteaux couleur de muraille; Ponson du Terrail, Gaboriau, Eyma et _tutti quanti_ ne font plus les d√©lices que des commis-voyageurs, des porti√®res ou des rares grisettes, aussi rares que les Carlins; les lecteurs de Dumas p√®re ont diminu√© et Paul F√©val lui-m√™me, ce grand-pr√™tre de la dague et du poison a du se convertir subitement sur le _chemin de Damas_ de la litt√©rature. Le Roman intime, bourgeois ou pl√©b√©ien, fait aujourd'hui nos d√©lices.--Notre √©poque veut du r√©el; l'optique est √©mouss√©e, nous prenons une loupe; notre toucher est affaibli, notre main saisit un scalpel; nous _anatomisons_. Le Roman est devenu une √©cole pratique, nous y √©talons les belles horreurs, les cas pathologiques les plus bizarres; nous indiquons les chloroses et les pustules sociales. Nous ne sommes plus en gondole √† Venise, nous nous promenons, en radeau, dans les √©gouts des villes. III Eh! mon Dieu, nous n'avons pas tort; nous en sommes arriv√©s l√† graduellement, sans y prendre garde; notre √©poque litt√©raire, si f√©conde, avait blas√© nos sens; notre go√ªt est devenu un petit N√©ron difficile √† satisfaire. Il nous fallait du nouveau, des choses fortes, odorantes; nos meilleurs auteurs essayent de nous servir. Les Romanciers sont devenus des analystes du plus grand talent; ils ont mis le tablier blanc, se sont munis de tous les instruments de chirurgie, et nous voil√† suivant leur cours avec int√©r√™t. Nous voyons les ulc√®res de la vie, c'est vrai, mais le mus√©e Dupuytren a bien aussi ses charmes; et il faut avouer que l'h√¥pital, les faits divers et les tribunaux moralisent peut-√™tre plus s√ªrement les masses que les pillules du docteur Labruy√®re, les panac√©es du pharmacien Montaigne ou la _Sagesse_ du Sieur Charron. IV Sans vouloir faire une √©tude philologique et sans chercher _ab ovo_ les causes de la phase litt√©raire que nous traversons, nous croyons d√©couvrir dans _Byron et le Byronnisme_ l'origine de la _Nouvelle Ecole_. Ce n'est pas trop paradoxal, comme vous allez le voir: Nous sommes en 1830;--la litt√©rature classique est moribonde; le Romantisme qui vient de na√Ætre, fait d√©j√† des effets de torse et montre son biceps; un instant ind√©cis, les Jeunes-France se divisent en deux camps. Dans l'un la force domine; on y cultive la plastique, la ligne, la couleur, la _fooorme_. Dans l'autre, la lecture de Byron a sentimentalis√© les c≈ìurs, les idylles maladives germent dans les cerveaux, le spleen bruine dans l'√¢me, on larmoie les amours d√©funtes ou les ambitions d√©√ßues; Lamartine grossit un lac de ses sanglots, Musset empoisonne le beau Rolla; de Vigny suicide Chatterton sur le th√©√¢tre. Une partie du public se laisse aller √† cet abandon de soi-m√™me. Il devient exquis, distingu√©, de supr√™me bon ton de se faire voir bl√™me et verd√¢tre de teint; les amants malheureux se noient dans leurs larmes; les couturi√®res, par douzaines, allument des r√©chauds; une douce folie se r√©pand partout; seul, le bourgeois inconscient et digne, regarde sans comprendre. V Une r√©action √©tait n√©cessaire, l'id√©alisme prenait des proportions inqui√©tantes pour la sant√© des esprits, toutes les cervelles √©taient parties au diable, dans l'a√©rostat de la pens√©e. Il fallait ramener le public au r√©el, √† la v√©rit√©, aux choses dignes de commis√©ration; il √©tait utile de le _d√©seff√©miner_, de lui montrer, en l'int√©ressant, la vie rude, nerveuse, aride, dans ses manifestations de chaque jour, dans ses luttes, dans ses drames du grand monde; de lui faire palper les tristesses de la bourgeoisie et les mis√®res des bas-fonds de la soci√©t√©. --¬´Assez de byronnisme, tr√™ve aux j√©r√©miades et aux variations en mineur sur les amours personnelles; ne distillons plus ce miel affadissant, versons quelques gouttes d'absinthe dans nos ≈ìuvres:¬ª--tel fut le raisonnement d'une nouvelle √âcole, qui semble commencer √† Balzac, pour se continuer par MM. de Goncourt, Zola et Daudet. Balzac, cet Hercule puissant de la litt√©rature moderne, doit √™tre consid√©r√© comme le premier ma√Ætre du r√©alisme, de ce r√©alisme sobre, correct, distingu√©; de ce r√©alisme qui met encore des gants et qui fl√¢ne, monocle dans l'≈ìil, au milieu des salons les plus m√©lang√©s. Toute une √©poque d√©file sous ses yeux, il la fixe magistralement dans ses immortels chefs-d'≈ìuvre; mais il restait √† glaner sur ses _timidit√©s_, sur les choses qu'il n'a pas os√© d√©crire, sur ses craintes, ses pudeurs, ses d√©licatesses; c'est l√† pr√©cis√©ment ce que font aujourd'hui ses successeurs. Les h√©ritiers directs de l'auteur de la _Com√©die humaine_ se montr√®rent plus hardis, mais avec certaines r√©ticences. Les Delvau, les Champfleury, les Baudelaire, les Duranty et autres, explor√®rent les coins de la vie r√©elle non encore d√©crits. On vit alors, pour la premi√®re fois, ces peintures crayeuses des barri√®res de Paris, ces types bouffons des petites villes de province, ces croquis bizarres d'ateliers d'artistes, cet argot pittoresque des diff√©rents milieux parisiens, cette photographie litt√©raire, pour tout dire, qui rend exactement l'impression des choses vues et √©tudi√©es minutieusement. VI Avec Gustave Flaubert et _Madame Bovary_, se dessine dans sa v√©ritable incarnation le Roman moderne: c'est de ce chef-d'≈ìuvre, √† la fois lumineux de r√©alit√©, saisissant et os√©, que prennent source les productions remarquables si discut√©es aujourd'hui. Flaubert a cr√©√© un genre, qui t√¢tonnait et se cherchait avant lui, et, dit-on, il l'a cr√©e comme se cr√©ent les belles choses, sans avoir l'id√©e m√™me de sa hardiesse, sans le voulu, sans la pr√©tention de faire une merveille; il a √©crit _Madame Bovary_, parce qu'il avait v√©cu son roman;[1] il avait vu, il est venu,--il a vaincu,--la fameuse promenade en fiacre, semblait m√™me √† l'auteur, la chose la plus chaste du monde; Flaubert avait mis l√†, toute la virginit√©, toute l'heureuse na√Øvet√© de son talent; il racontait et ne faisait pas, √† son sens, une peinture immorale. [1] _Madame Bovary_ fut √©crit au jour le jour--nous donnons ces d√©tails pour les Bibliophiles curieux--sur un de ces longs agendas de m√©nag√®re qui portent les quanti√®mes, les f√™tes, les septuag√©simes ou sexag√©simes, les noms aim√©s de Sainte-Anastasie ou de Saint Cyriaque, c'est sur ces pages oblongues que Flaubert fixa son ≈ìuvre imp√©rissable,--voil√† un agenda qui vaudrait cher aujourd'hui! Apr√®s _Madame Bovary_ on voit appara√Ætre la _Fanny_ de Feydeau, _L'Affaire Cl√©menceau_ de Dumas fils, certains Romans √† sensation d'Alphonse Karr, de Sandeau, de Feuillet, de George Sand, dans une tonalit√© diff√©rente, ainsi qu'une foule d'≈ìuvres justement c√©l√®bres, sign√©es des noms les plus connus. Edmond et Jules de Goncourt _sp√©cialisent_ le genre, dans cette admirable s√©rie d'√©tudes qui commencent √† franchir le cercle restreint, mais artistique, o√π leur immense talent fut appr√©ci√© et admir√© d√®s l'origine. Puis vient Zola, qui se cantonne en pleine √©poque imp√©riale, de 1852 √† 1870, et qui, avec une vigueur g√©niale, nous en trace les types les mieux accus√©s.--_La Fortune des Rougon_, _La Cur√©e_, _La Conqu√™te de Plassans_, _La Faute de l'Abb√© Mouret_ et _L'Assommoir_ sont des Romans typiques, forts, accentu√©s et vigoureusement trait√©s par un artiste qui voit tr√®s juste √† travers la fougue de son temp√©rament. Alphonse Daudet, le dernier venu, dans une mani√®re plus d√©licate et moins heurt√©e, a produit des ≈ìuvres exquises, cisel√©es avec art et amour. Ses _Contes du Lundi_, ses _Lettres de Mon Moulin_, _Fromont-Jeune et Risler a√Æn√©_, resteront assur√©ment dans l'avenir, comme de fins et fid√®les tableaux des m≈ìurs contemporaines. Nous voudrions parler √©galement de Ferdinand Fabre, l'auteur d'un chef d'≈ìuvre trop peu connu: L'_Abb√© Tigrane_. Nous voudrions dire quelques mots sur Tourgueneff, sur Henri et Jules de la Madel√®ne, sur Claretie, sur Noriac, sur Ernest d'Hervilly, sur Cladel et sur tant d'autres hommes de talent, mais, dans cette √©tude au courant de la plume, que nous regrettons m√™me d'avoir entreprise avec un si grand sans fa√ßon, nous sommes forc√© de nous arr√™ter,--au reste, nous dira-t-on, vous √™tes Bibliophile et non pas critique: _Ne, sutor, supra crepidam_. VII _Il faut des Romans aux peuples corrompus_, a dit J.-J. Rousseau. Aujourd'hui, tout le monde lit, depuis la laiti√®re qui vend son lait le matin, au coin de la rue, jusqu'√† la duchesse sur sa chaise longue; dans notre soci√©t√© actuelle, le Roman est indispensable; Alexis Bouvier et Emile Richebourg font les d√©lices des masses; aucune force morale ne saurait s'opposer √† cet engouement. Mais que conclure du Roman moderne, du Roman qui se poss√®de et qui se tient? Ne concluons pas, ou du moins concluons par cette simple conversation que nous e√ªmes derni√®rement avec un de nos plus spirituels Romanciers. Ah! Si j'√©tais plus jeune, nous disait-il, si je ne me trouvais pas d√©vor√© par le temps, par le journalisme, par les g√™neurs et aussi par la paresse, quel admirable roman je voudrais faire? Comment cela? Je ferais rire et pleurer tour √† tour.... mais il me faudrait passer des nuits enti√®res, travailler avec une volont√© dont je ne me sens plus la force.... que ce serait beau, cependant! Enfin, que feriez-vous? _Un Roman par D√©p√™ches._ [D√©coration] [D√©coration] LE BIBLIOPHILE AUX CHAMPS Je ne voyage sans livres, ny en paix, ny en guerre. MONTAIGNE. _O Rus! quando ego te aspiciam!_ s'exclamait le vieil Horace avec des perspectives de calme et de repos.--_O ubi campi!_ modulait Virgile, regrettant la tranquillit√© des champs, les riantes collines, les ruisseaux jaseurs et les for√™ts hautaines.--O campagnes! lointains paysages, hameaux et prairies, sombres taillis et larges futaies, quand pourrai-je vous retrouver! soupire de m√™me le pauvre Bibliophile des villes, qui, apr√®s les d√©marches bouquini√®res, les luttes, les recherches patientes de l'hiver, voit rena√Ætre les idylles en son c≈ìur et veut enfin lire dans l'inimitable livre de la nature (_si parva licet componere magnis_). Livre √† grandes marges, divinement reli√© d'azur par le c√©leste ouvrier de l'Univers. ¬´Les livres voyagent avec nous, dit Janin: ils nous suivent √† la ville, √† la campagne; on emporte son livre au fond des bois, on le retrouve au coin du feu¬ª.--Le Bibliophile sait cela, et, avant de quitter son nid d'hiver, il se pr√©pare √† varier par de douces lectures les longs _farniente_ et les molles langueurs de sa vill√©giature. La valise est pr√™te.--Il passe en revue sa Biblioth√®que, lentement, minutieusement, amoureusement; il inspecte avec des regards tendres et charm√©s, ses _Juntes_, ses _Dollet_, ses _Vascosan_, ses _Gryphes_, ses _Turn√®be_, ses _Plantin_, ses _Baskerville_ et ses _Elz√©viers_; il consid√®re, avec une Bibliognostique passionn√©e, ses volumes aux armes de M. de Baluze, du Cardinal Dubois, du Mar√©chal d'Estr√©es ou du Comte de Ho√øm.--Que de bons et sinc√®res amis il va falloir abandonner l√†, bien emmaillott√©s, bien pr√©serv√©s du fl√©au des insectes, des mites et des larves, bien en dehors de tout contact humide!--Le Bibliophile a le c≈ìur serr√©, il ne peut d√©tacher ses yeux de tant d'≈ìuvres ch√©ries qui lui rappellent tous les heureux instants de l'intimit√©, et aussi, les joies poignantes de la trouvaille.--Il faut cependant partir, et faire un tri avec discernement. Ici, ce Ronsard l'attire, puis, tout pr√®s, ce R√©my-Belleau, et plus loin, le marquis de Racan, ce po√´te des gentes pastourelles; voil√† trois grands chantres de la nature qu'il fera bon de relire √† l'ombre d'un bosquet ou sous la verte feuill√©e d'un bois peupl√© de rossignols.--Prendrai-je Madame Deshouli√®res? se demande-t-il avec inqui√©tude; choisirai-je Delille et ses _Jardins_, Jean-Jacques et sa _Botanique_, le sage Lucr√®ce, le divin Horace, le d√©licat Tibulle ou l'amoureux Jean Second? Dois-je emporter les Fabulistes, les Mythologues et environner ma solitude de Faunes et de Nymphes, de Satyres, de Dryades et d'Hamadryades, charmantes Divinit√©s, que mon esprit subjugu√© verra se jouer entre les arbrisseaux?--Eh! voici, bien √† propos, les _Lettres √† Emilie sur la Mythologie_, par Demoustier.... Mais, l'√©dition est si jolie, si merveilleusement reli√©e, que je craindrais... de tels livres ne voyagent pas, leur propre splendeur les attache au rivage. Le Bibliophile est tr√®s perplexe;--choisir parmi ceux qu'on aime n'est pas chose ais√©e. Ah! que n'a-t-il achet√© jadis cette mignonne _Biblioth√®que portative du voyageur_, si intelligemment publi√©e par T. Deso√´r, commenc√©e vers l'an XI par J.-B. Fournier.--Quelle aimable Biblioth√®que de campagne, que cette collection de volumes in-32 qui commence √† La Fontaine pour finir au Cardinal de Bernis!--Heureusement, Cazin vient au secours du Bibliophile voyageur. Il vient, muni de l'Arioste, d'Amyot, d'Anacr√©on, de Boccace, de Bussy-Rabutin, de Cubi√®res, de Dorat, de Fontenelle, de Boufflers, de Galland, de La Fare, de Marguerite de Navarre, de Marivaux, Marmontel, Piron, Sterne et Rabelais. On peut, certes, avec de tels ma√Ætres, se d√©clarer satisfait. Mais parmi les modernes, sur quels auteurs fixer son choix? On sait Musset par c≈ìur; Hugo est trop Titanique et ferait payer de _l'exc√©dent_, Balzac peut √™tre abandonn√© au m√™me titre; il faut donc des peintres de genre--_ut pictura poesis_,--Fran√ßois Copp√©e, Josephin Soulary, Andr√© Lemoyne et Albert M√©rat. Et puis encore?--le Bibliophile pense, et avec juste raison, qu'on doit laisser dans leur rigidit√© ces pauvres grands classiques trop froids pour √™tre lus en plein air, et prendre quelques romans--pour ce, il s'appuie sur le raisonnement de S. Mercier:--¬´Voyez ce qu'on lit √† la campagne, dit l'auteur du _Tableau de Paris_; reviendra-t-on sur une _√©ternelle_ trag√©die de Racine? Non; il faudra se plonger dans les compositions vastes et int√©ressantes, dans les romans anglois, dans les romans de l'Abb√© Pr√©v√¥t, dans ceux de l'admirable Restif de la Bretonne... on cherche alors un horizon litt√©raire, √©tendu, vaste comme l'horizon qui nous environne; on a recours aux romans de chevalerie plut√¥t que de se dess√©cher l'esprit et l'imagination dans une maigre √©p√Ætre de Boileau ou dans ces ouvrages arides et contourn√©s que le Sanh√©drin litt√©raire[2] vante tout seul et que le reste de la France d√©daigne;--on demande des faits, de l'action, du mouvement; on aime √† suivre tous ces caract√®res m√©lang√©s.¬ª [2] Mercier entend sans doute d√©signer ici le p√©dant La Harpe et son _Lyc√©e_. Le Bibliophile choisit donc Hoffmann et Edgard Po√´, Th√©ophile Gautier et G√©rard de Nerval, M√©rim√©e et Stendhal, et aussi quelques volumes du spirituel Monselet, ne serait-ce que l'_Almanach des Gourmands_, un livre qui joint les d√©lices de l'esprit √† ceux de l'estomac, et auquel l'air vif et les longues promenades ne portent pas pr√©judice... au contraire. Fier de cette petite Biblioth√®que, le voyageur va pour partir, mais il jette de nouveau un coup d'≈ìil attendri sur les intimes qu'il laisse derri√®re lui; il dit un dernier adieu aux Moralistes, aux Tragiques, aux Critiques, aux bons gros Dictionnaires si souvent feuillet√©s, aux Historiens, aux Rh√©teurs, aux Philosophes, aux P√®res de l'Eglise, √† tous ces g√©nies qui se serrent le coude avec l'√©tonnant esprit de corps de l'immortalit√©. Notre Amateur, s'il n'a pas de villa, cherche un coin silencieux, une chaumi√®re o√π mettre les amis qu'il emporte; ce qu'il lui faudrait, √† lui, le raffin√©, ce serait un vetuste castel gothique pour go√ªter toute la saveur de ses pr√©f√©r√©s des XVe et XVIe si√®cles. Il trouve que le d√©cor a quelque chose de la reliure bien conserv√©e et il lui semble, que, dans un jardin dessin√© par Le-N√¥tre, il d√©gusterait mieux ses _Lettres de Madame de S√©vign√©_ ou la po√©sie rectiligne de Despr√©aux;--on a vu des Bibliophiles qui n'auraient pu se p√¢mer aux finesses de Parny ou de Gr√©court sans le milieu pastoral du Petit Trianon, et d'autres, entreprendre un voyage d'Italie afin de lire Casanova ou Carlo Gozzi, nonchalamment couch√©s dans une gondole v√©nitienne en vue de La Piazzetta. Avant que de s'enfoncer dans l'oasis qu'il r√™ve, le Bibliophile passe dans quelques villes de province o√π il fouille, remue, bouleverse les rayons des petits libraires; mais il trouve peu et les occasions sont chauves.--Souvent m√™me, √¥ stup√©faction! la mine simple et beno√Æte du d√©positaire de MM. les √©diteurs, cache une astuce, une m√©fiance dont on n'aurait su se douter, et, lorsqu'on croit acheter certains volumes de cabinet de lecture, des Renduel, des Gosselin ou des Poulet-Malassis dans des conditions honn√™tes, on voit le petit Papetier-Libraire se redresser de toute la hauteur de ses connaissances, et se mettre √† citer les prix fantastiques des grands Bibliopoles parisiens, ainsi qu'un coll√©gien qui fait √©talage d'√©rudition.--R√®gle g√©n√©rale, en province, o√π l'on croit rencontrer ou plut√¥t d√©terrer tant de choses merveilleuses, on ne trouve que des pr√©tentions boursoufl√©es et des prix le plus souvent excessifs. Une fois dans son nid de verdure, quelle joie! quelle jeunesse! quel enthousiasme! Ce ne sont pour commencer que de longues promenades √† travers pr√©s, avec un ou plusieurs Cazins en poche; le trop plein de vie semble d√©border notre urbain; il boit l'air champ√™tre √† se rompre les poumons, et, ce n'est que fatigu√©, mais non repu, qu'il vient s'√©tendre sur la mousse √©paisse, pour lire avec ravissement les bavardages, les superbes descriptions et l'esprit √† foison des chers auteurs qui l'accompagnent. Lit-il _Aline, reine de Golconde_, ce conte ravissant de Boufflers? il ne sait si c'est fiction ou r√©alit√©; une meuni√®re aux coquets retroussis de jupe vient-elle √† passer? aussit√¥t son imagination voit Aline;--lit-il le _Paradis perdu_? il croit le retrouver. Et le soir des jours de pluie, devant un grand feu clair et gai de bourr√©es qui p√©tillent, les jambes allong√©es, muni de la pipe famili√®re, le ventre √† l'aise, l'esprit quiet, avec quelle bonne humeur il comprend la large gaiet√© gauloise de Maistre Rabelais ou de B√©roalde de Verville;--ajoutons √† cela, une femme qui travaille et des enfants qui dorment: tout le bonheur de la vie n'est-il pas l√†? Mais, malheureusement, nous ne pouvons pas dire: _ab uno disce omnes_,--pour un Bibliophile sage et modeste, qui vit ainsi retir√© loin du monde au tumulte odieux, que de Bibliophiles qui boivent aux champs l'onde perfide du L√©th√©!--la chasse, la p√™che, les courses √† cheval, les exercices qui rompent les membres, s'accommodent peu de la lecture et font n√©gliger les livres;--nous en connaissons plus d'un, qui, parti avec des caisses de volumes, est retourn√© dans ses p√©nates hivernales sans les avoir m√™me d√©ball√©es. Ces derniers ne sont pas sinc√®rement Bibliophiles, ce sont des Bibliophiles _ab hoc_ et _ab hac_. L'amour des Livres ne fait pas prime dans leur c≈ìur; ils ne se servent de la lecture que comme d'une fl√®che qu'ils d√©cochent √† l'ennui, le livre est un rayon de soleil pour eux dans les jours de tristesse; lorsque la gaiet√© les accapare, ils abandonnent avec ingratitude ces amis des temps n√©fastes. [D√©coration] [D√©coration] LES PROJETS D'HONOR√â DE BALZAC Les id√©es sont des fonds qui ne portent int√©r√™t qu'entre les mains du talent. RIVAROL. Lorsqu'un colosse aussi puissant que Balzac vient √† tomber, vaincu par un travail opini√¢tre et les terribles secousses d'un c≈ìur battant sans cesse d'une √©paule √† l'autre, toute une g√©n√©ration litt√©raire s'approche, timidement d'abord, effar√©e et curieuse, munie de la lorgnette, du microscope et du scalpel.--La poule aux ≈ìufs d'or est morte; chacun regarde son plumage, se rem√©more les prodiges pondus; c'est √† qui sera le premier √† lui ouvrir le ventre, et, selon le mot des enfants, √† y chercher la _petite b√™te_.--Las de filer ses feuilletons aux pieds de ses cr√©anciers, ayant encore aux l√®vres l'amertume des luttes soutenues, le vaillant Hercule a succomb√©, laissant un vide immense dans la litt√©rature militante.--Balzac est mort. Vive Balzac!--La place est aussit√¥t occup√©e par les biographes, ces agioteurs du souvenir; l'homme n'est plus, que d√©j√† le h√©ros survit et pr√™te √† la l√©gende. Aux biographies particuli√®res de Honor√© de Balzac, ont succ√©d√© les portraits intimes et les croquis sans fa√ßons, _√† b√¢tons rompus_, du romancier en pantoufles; il n'est pas de litt√©rateur contemporain dont on ait mieux et plus souvent comment√© l'≈ìuvre et la vie,--apr√®s Madame de Surville, la s≈ìur d√©vou√©e, l'_Alma Soror_, apportant un pieux hommage √† la m√©moire de son fr√®re, deux amis du _Home_, deux familiers des heureux jours, Th. Gautier et L√©on Gozlan se mirent √† tisonner la braise encore chaude des _Jardies_,--Lamartine, lyrique contemplateur, √©tudia l'homme et ses ≈ìuvres; Champfleury, tout en essayant les souliers du g√©ant (_errare humanum_), donna la note de son admiration; Armand Baschet glana dans le sillon ouvert, et il n'y eut pas jusqu'√† Werdet, le libraire √©diteur, qui ne voulut, dans un style d'exquise bonhomie et d'apr√®s ses souvenirs de boutiquier, juger la vie, l'humeur et le caract√®re de son g√©nial auteur. Tant de biographies toisent Balzac du haut en bas, le tournent et le retournent, inventorient son pass√©, pourtraicturent sa grande figure, largement et minutieusement √† la fois, le pr√©sentent dans les grands c√¥t√©s de la vie publique et les petits c√¥t√©s de l'intimit√©; r√©servent peu de place enfin, √† de nouvelles investigations.--La correspondance qui fut publi√©e en dernier lieu, livre le Tourangeau √† nu et couronne la s√©rie biographique, en laissant lumineusement apercevoir Balzac dans le d√©boutonn√© de son talent, √† la bonne franquette de sa gaiet√© Rabelaisienne, de ses projets, de ses efforts, de sa tristesse et de ses larmes. La Bibliographie, comme prise de couardise devant sa gigantesque production, est demeur√©e h√©sitante et muette jusqu'alors.--Une _Bibliographie de Balzac_ serait cependant un ouvrage aussi utile que remarquable[3]; se trouvera-t-il quelqu'un pour l'entreprendre?--Quoiqu'il en soit, il nous a paru int√©ressant de grouper dans une √©tude courte et succincte de curieux et de catalogographe, plut√¥t que d'√©rudit les _projets litt√©raires_ √©clos dans le cerveau du plus grand manieur d'id√©es de notre √©poque. [3] Nous venons d'apprendre, avec le plus vif plaisir, qu'un savant Bibliophile belge, M. Charles de Lorenja√ºl (vicomte de S***), bien connu de tous les Bibliophiles pour son aimable √©rudition et sa bonne gr√¢ce √† √™tre utile √† chacun, est parvenu √† achever ce travail de b√©n√©dictin, qui doit para√Ætre tr√®s prochainement chez l'√©diteur Calman L√©vy, sous le titre de: _Histoire des ≈íuvres de Honor√© de Balzac_. Balzac seul, e√ªt pu conna√Ætre et d√©crire les innombrables et √©tranges id√©es qui se sont produites et d√©velopp√©es sous son cr√¢ne effervescent; notre r√¥le se bornera √† noter les conceptions qu'il arr√™tait sous un titre quelconque dans un but de Bibliop√©e. A peine install√© dans sa mansarde de la rue Lesdigui√®res, avec la Gloire pour ma√Ætresse et _Lui-M√™me_ pour domestique, le jeune Honor√© se rompt les poignets dans des compositions qui n'ont jamais vu le jour.--C'est d'abord _Coqsigrue_, un roman qui le hante pendant de longues semaines et qu'il abandonne pour le mieux m√ªrir et ruminer; puis, c'est un _Op√©ra Comique_ (?) auquel il renonce, faute de compositeur, mais aussi, pour ne pas sacrifier au go√ªt actuel et s'adonner au grand Genre, √† la mani√®re des Racine et des Corneille, √† son fameux _Cromwell_ enfin, dont il r√©sume le plan d√©taill√© dans une lettre √† sa s≈ìur Laure (1820).--Pour se d√©lasser des fatigues que lui procure sa Trag√©die, le D√©butant _Croquignole_, selon son mot. _Un Petit Roman dans le Genre Antique_, fait mot √† mot, pens√©e √† pens√©e, avec toute la gravit√© qu'une telle chose comporte. Ces quelques projets occupent toute la premi√®re √©tape litt√©raire de Balzac; plus tard, en 1830, il parle avec enthousiasme d'une vaste entreprise, ce sont _Les Trois Cardinaux_, ≈ìuvre dans laquelle il e√ªt voulu mettre en sc√®ne, le P√®re Joseph, dit l'_Eminence grise_, Mazarin et Dubois--√† la m√™me √©poque il pr√©pare des Romans et des articles de Revue qui ne furent jamais achev√©s et peut-√™tre jamais commenc√©s, en voici les titres: _Un Article sur le Serment_,--_Les Causeries du Soir_ (volume de nouvelles) _Le Maudit_ (article √©bauch√© pour la _Revue_ de Buloz), _Les Amours d'une Laide_,--_Le Marquis de Carabas_, et, principalement _La Bataille d'Austerlitz_, dont Balzac parle fr√©quemment comme devant faire partie des _Sc√®nes de la Vie Militaire_. De 1833 √† 1850, l'auteur du _P√®re Goriot_, fait plus de besogne que de projets; nous devons n√©anmoins citer comme tels: _20 pages sur le Salon de 1833_,--_Le Privil√©ge_, roman qui devait suivre _Le Cur√© de Campagne_,--_L'Histoire d'une Id√©e heureuse_, dont le prologue seul a √©t√© fait, et aussi, un projet de pi√®ce-vaudeville: _Richard C≈ìur d'Eponge_, que Th√©ophile Gautier devait arranger et faire repr√©senter au Th√©√¢tre des Vari√©t√©s. Nous nous arr√™tons plus particuli√®rement sur un projet que Balzac para√Æt avoir beaucoup caress√© et qu'il affirme m√™me avoir _ex√©cut√© en entier_, bien qu'il n'ait jamais √©t√© mis en lumi√®re.--En 1836, il √©crit de La Boulonni√®re, pr√®s Nemours, √† ma√Ætre Werdet, son √©diteur: ¬´J'ai termin√© le manuscrit de _S≈ìur Marie des Anges_, je ne veux pas le confier √† la diligence.¬ª _S≈ìur Marie des Anges_, cela est patent, n'a jamais exist√© que dans l'imagination irradi√©e du romancier, qui voulait peindre, sous ce titre, une √¢me de jeune fille avant l'invasion d'un amour qui la conduira au couvent--: ¬´Je lui ferai abhorrer les carm√©lites dans sa jeunesse o√π elle ne r√™ve que le monde et les f√™tes, dit-il √† ce sujet, (_Lettre √† Madame Hanska_, 1838) et le malheur la ram√®nera au couvent qui sera pour elle un asile et un refuge. Apr√®s avoir pass√© huit ann√©es au couvent, elle arrive √† Paris aussi √©trang√®re que le Persan de Montesquieu, et je lui ferai juger et d√©peindre le Paris moderne par la puissance de l'id√©e, au lieu de me servir de la m√©thode dramatique de nos romans. C'est une donn√©e nouvelle, et, si je r√©ussis √† l'ex√©cuter comme je l'entends, je vous r√©ponds que vous serez content de moi.¬ª H√©las, de _S≈ìur Marie des Anges_, de ce _Livre d'Amour_, comme se plaisait √† le nommer l'√©crivain, il ne reste que ces quelques lignes fugitives! Mais, ce n'est plus le Balzac aux projets vagabonds qui doit nous occuper maintenant, c'est l'auteur de la _Grrrande Com√©die humaine_, et les ouvrages divers que cette ≈ìuvre immense devait comprendre dans son ensemble. Dans les SC√àNES DE LA VIE PRIV√âE, Balzac avait projet√© les romans suivants, dont les titres seuls nous donnent d'amers regrets:--_Les Enfants_,--_Un Pensionnat de Demoiselles_,--_Int√©rieur de Coll√©ge_, puis, (ici nos regrets s'accentuent),--_Gendres et Belles-M√®res_. Dans les SC√àNES DE LA VIE PARISIENNE devaient prendre place: _Une Vue du Palais_,--_Entre-Savants_,--_Le Th√©√¢tre comme il est_. Aux SC√àNES DE LA VIE POLITIQUE, se seraient ajout√©es les ≈ìuvres suivantes: _L'Histoire et le Roman_,--_Les Deux Ambitieux_,--_L'Attach√© d'Ambassade_ et... _Comment on fait un Minist√®re_. Avant d'entreprendre les SC√àNES DE LA VIE MILITAIRE, Balzac en avait dress√© le plan et nous y trouvons ces nombreuses lacunes: _Les Soldats de la R√©publique_ (trois √©pisodes), _L'Entr√©e en Campagne_,--_Les Vend√©ens_,--Pour _Les Fran√ßais en Egypte_, les 2e et 3e √©pisodes font d√©faut, ce sont:--_Le Proph√®te_,--_Le Pacha_. Pour le reste, voici tous les titres des ≈íuvres militaires projet√©es: _L'arm√©e Roulante_,--_La Garde Consulaire_,--_Un Combat_,--_L'Arm√©e assi√©g√©e_,--_La Plaine de Wagram_,--_L'Aubergiste_,--_Les Anglais en Espagne_,--_Moscou_,--_La Bataille de Dresde_,--_Les Tra√Ænards_,--_Les Partisans_,--_Une Croisi√®re_,--_Les Pontons_,--_La Campagne de France_,--_Le Dernier Champ de Bataille_,--_L'Emir_,--_La P√©nissi√®re_ et _Le Corsaire Alg√©rien_. Il manque deux romans aux SC√àNES DE LA VIE DE CAMPAGNE: _Le Juge de Paix_,--_Les Environs de Paris_.--AUX ETUDES PHILOSOPHIQUES, il en manque cinq: _Le Ph√©don d'Aujourd'hui_,--_Le Pr√©sident Fritot_,--_Le Philanthrope_,--_Le Nouvel-Abeilard_,--_La Vie et les Aventures d'une Id√©e_.--Dans les ETUDES ANALYTIQUES, enfin, Balzac devait faire: _L'Anatomie des Corps Enseignants_, _Une Monographie de la Vertu_ et un grand _Dialogue Philosophique et Politique sur la Perfection du XIXe si√®cle_. Notre travail de catalogographe se termine ici,--nous ne chercherons pas √† y ajouter un _Postface_, ni √† savoir, si Balzac, qui a chang√© tant de fois les titres de ses ≈ìuvres, a refondu ses premiers projets et leur a donn√© un corps sous une autre enveloppe,--nous avons pens√© pouvoir √™tre agr√©able √† chacun en r√©unissant, au milieu de _Nos caprices_, ces quelques notes s√©rieuses sur les ouvrages projet√©s par notre Grand Romancier, nous en avons donn√© les titres pour ce qu'ils valent, sans commentaires ni frais d'√©rudition,--qu'on nous tienne compte du reste. [D√©coration] [D√©coration] VARIATIONS SUR LA RELIURE DE FANTAISIE La v√©rit√© dort aupr√®s des grands dans de brillantes reliures; la sagesse veille aupr√®s des vrais lecteurs sous de minces cartonnages. Il semble que les Bibliop√©gistes modernes, aient oubli√© l'art de ces lourdes mais fastueuses reliures des XVe et XVIe si√®cles, en drap de satin azur√©, en drap d'or ou de Damas; en cuir blanc ou rouge; en _veluyeau_ sanguin, vermeil, vert ou noir; _en pel velue_, en soie blanche, ouvr√©e ou tann√©e; en cuir de cerf, estamp√© √† froid ou dor√© √† chaud; en parchemin gaufr√©, en √©toffe de Panne; en velours pourpre, frapp√© d'√©cussons ou de fleurs de lys; le tout rehauss√©, harnach√© pour ainsi dire, de bossettes, d'agrafes, de _fermouers_, _fermaulx_, _fermails_ ou _fermaillets_, de _pipes_ d'or ou d'argent, de _tuyaux_ du m√™me m√©tal pour tourner les feuillets; de perles, d'√©meraudes ou de saphirs, de toute l'orf√©vrerie la plus √©tincelante. Les livres du bon temps √©taient de v√©ritables objets d'art; on les retrouve dans d'anciens inventaires, √©num√©r√©s p√™le-m√™le avec les robes, les chaperons, les dagues, les Hanaps et les coupes. Le Duc Philippe-le-Hardi avait adapt√© aux ais d'un livre de pri√®re, une platine d'argent dor√©, avec une petite niche, pour y mettre ses lunettes afin qu'elles ne fussent cass√©es, et l'histoire nous apprend, que ce m√™me Duc, paya seulement seize livres √† un certain Martin Lhuillier, Marchand-Libraire √† Paris, pour lui avoir couvert huit volumes, Romans, Bibles et autres, reli√©s en _cuir en grain_. L'oubli de telles armures somptueuses et surtout de prix aussi doux est √† regretter, aujourd'hui, que les relieurs adonn√©s au maroquin du Levant, au v√©lin, au chagrin et √† la basane se font payer si cher. On a dit et r√©p√©t√© souvent, que la Reliure, au fond, n'est au Livre que ce que l'habit est √† l'homme ou la livr√©e au serviteur; or, l'habit suit la mode, et la mode se trouve h√©las! de nos jours, froide, correcte, guind√©e, sobre et banale; l'art de la reliure s'en ressent; nous n'entendons pas parler de la grande reliure, √† compartiments, √† ornements √† dentelles, √† entrelacs; de ces livres qu'on n'ose toucher dans la crainte de ternir le brillant du maroquin ou l'√©clat des petits-fers, mais de la demi-reliure,--de la reliure pour tous,--du cartonnage de fantaisie moderne, de la robe de chambre du livre, en un mot, qui donne √† cet ami qu'on aime, tout le n√©glig√© charmant des causeries intimes. Les cartonnages, dits _√† la Bradel_, sont fort appr√©ci√©s aujourd'hui; ils forment une enveloppe gracieuse et modeste, et, sans rien enlever √† l'ampleur des marges, ils conservent la virginit√© de la brochure. Ces cartonnages sont d'excellents v√™tements pr√©servatifs; ils ont la commodit√©, la flexibilit√©, la gr√¢ce, mais il leur manque la gentillesse, l'esprit fantaisiste, l'aspect d'art que nous voudrions voir adopter plus g√©n√©ralement. Ils sont classiques en diable; c'est l√† leur grand d√©faut. On emploie √† l'usage de ces demi-reliures, soit du _papier peigne_, soit du papier marbr√©, maroquin√© ou √† _escargots_, soit du papier de couleur mate, soit encore de la toile anglaise, gaufr√©e, teint√©e, unie ou √† ramages, chagrin√©e ou glac√©e; quelques relieurs, imitateurs du genre hollandais, usent de parchemin blanc ou de v√©lin; ils replient les bords en _goutti√®res_, ornent le dos de tr√®s vilaines lettres polychr√¥mes calligraphi√©es, et puis, c'est tout...; il semble que l√†, se trouvent, les colonnes d'Hercule du cartonnier relieur. Les Bibliophiles ne doivent pas n√©gliger le petit art de ces demi-reliures; c'est √† eux de chercher, de vivifier leur go√ªt, de le sp√©cialiser, de trouver l'original et de l'imposer √† l'imagination r√©tive de leurs fournisseurs ordinaires, qui demeurent trop longtemps sur le chemin du convenu et du ponsif. Un Livre doit √™tre reli√©, selon son esprit, selon l'√©poque o√π il a vu le jour, selon la valeur qu'on y attache et l'usage que l'on compte en faire; il doit s'annoncer par son ext√©rieur, par le ton gai, √©clatant, vif, terne, sombre ou bigarr√© de son accoutrement. Rien qu'en le voyant sur les rayons d'une Biblioth√®que, l'√¢me du lecteur doit se rem√©morer les sensations √©prouv√©es, les douces heures qu'elle a pass√© √† savourer sa sagesse ou son esprit; un Bibliophile de go√ªt se reconna√Æt √† ces d√©tails. Existe-t-il quelque chose de plus horrible √† voir qu'une Biblioth√®que monochrome! un _Bibliotaphe_ seul peut en poss√©der une semblable. Les Livres r√©unis habilement doivent subir un prisme;--le dos de chacun d'eux devrait peindre son caract√®re individuel; n'est-ce pas l√† qu'on voit ses volumes lorsque, dans les longues fl√¢neries, on flatte de l'≈ìil sans y toucher tous ces gais compaignons qu'on a su assembler en docte acad√©mie.--Si votre Moli√®re est reli√© en veau porphyre, que _Montaigne_ le soit en veau racine, _Montesquieu_ en veau granit et _Dorat_ en veau rose, n'allez pas couvrir la _Pucelle de Voltaire_ en maroquin blanc, r√©servez cette nuance virginale √† _celle_ de _Chapelain_; v√™tir les _Lettres de Madame de Maintenon_ en Lavalli√®re serait une h√©r√©sie; mais faire endosser aux _Historiettes de Tallemant des R√©aux_ une tunique vert bile, ne serait que justice. Certains amateurs, bien pensants, ont adopt√© une couleur particuli√®re pour chaque classe de leur Biblioth√®que.--Ces _Chromo-Bibliotactes_ habillent de violet, nuance du pr√©lat, les ouvrages de _Th√©ologie_ et les _Saintes Ecritures_. En souvenir du printemps de la Nature, l'_Histoire naturelle_ est rev√™tue du vert le plus tendre; aux _≈íuvres dramatiques_, ils accordent le rouge, couleur de sang; pour les _Romans_, ils prennent le rose, tandis que pour les _Livres d'histoire_, de _M√©decine_ ou de _Jurisprudence_, ils emploient le noir avec de minces filets d'or.--L'_Astrologie_ porte l'azur c√©leste, les _≈íuvres Badines_ sont gratifi√©es du ton mauve, les _Voyages_ de bleu d'outre-mer, les _Trait√©s du Mariage_ de jaune serin et les Opuscules _Scatologiques_ de Terre de Sienne. Cette mani√®re de proc√©der n'est pas absolument fautive, bien loin de l√†; mais une Biblioth√®que, ainsi class√©e, ressemble trop √† une arm√©e divis√©e en diff√©rents corps de troupes; on reconna√Æt de loin l'uniforme de ses soldats, mais on n'en d√©visage pas suffisamment l'originalit√©.--Ceci dit, revenons aux cartonnages de fantaisie. Au dix-huiti√®me si√®cle, chaque relieur en avait sa sp√©cialit√©, son genre √† lui, et, pour rien au monde, il n'e√ªt voulu copier la mani√®re de ses plus illustres confr√®res; l'un, faisait les maroquins; l'autre, les veaux fauves; celui-ci, les v√©lins blancs; celui-l√†, les demi-reliures ou les encartonnages. Tous luttaient de d√©licatesse et de go√ªt afin de sp√©cialiser davantage leur talent individuel.--Mesdames de France, filles de Louis XV, ayant d√©sir√© avoir chacune sa Biblioth√®que particuli√®re, s'adress√®rent aux Derome p√®re et fils, pour faire relier les livres qu'elles avaient rassembl√©s; Mme Ad√©la√Øde prit pour couleur, le maroquin rouge; Mme Victoire, le maroquin vert-olive; et Mme Sophie, le maroquin citron. Aujourd'hui, la reliure qui a gagn√© comme m√©tier, a d√©clin√© comme art; elle ne suit aucun pr√©cepte et s√©journe dans le st√©rile et le monotone. Les Bibliophiles artistes peuvent la sortir de ce marasme, en faisant ex√©cuter pour leurs volumes des demi-reliures de fantaisie empreintes de personnalit√© et d'originalit√©. Ils peuvent employer √† cet effet les d√©licieux d√©bris des temps pass√©s et les jolies choses de l'industrie moderne; les √©toffes de soie, les peaux de chevreau minces, les cuirs exotiques, les tissus √† arabesques, toute la gamme chromatique et exquise des tons p√¢les et fins qu'on ne songe jamais √† mettre en usage.--Un Livre doit √™tre habill√© avec toute la maturit√© que l'on apporte aux choses s√©rieuses; il faut, pour ainsi dire, le consulter, le relire avant que de le livrer √† l'ouvrier; on doit √™tre p√©n√©tr√© de sa tournure d'esprit et r√™ver √† sa toilette avec toute l'orgueilleuse vanit√©, toute la science d'harmonie que l'on apporte √† la toilette d'une femme. La reliure de veau brun, de v√©lin ou de peau de truie, convient √† l'antiquit√©, aux XVe, XVIe et XVIIe si√®cles; mais lorsque nous arrivons √† la R√©gence et au XVIIIe si√®cle, √† cette √©poque de rocaille, de luxe mignard et caressant, la fantaisie peut, √† la rigueur, prendre ses √©bats.--N'allez pas faire tailler, par exemple, un v√™tement de toile verte, rouge ou grise pour ce _Faublas_, pour ce _Pied de Fanchette_ ou pour ces _Contes_ grivois du charmant de _Caylus_; Thouvenin, pour de tels ouvrages, composait une reliure _√† la fanfare_ ou _√† la rose_, comme il les appelait; mais, si vous ne voulez leur accorder que la demi-reliure, cherchez, consultez votre tact et trouvez.--Pour nous--qu'on excuse notre extravagance, si extravagance il y a,--lorsqu'il s'agit de rev√™tir un de ces fins conteurs du si√®cle dernier, nous r√¥dons dans les antres du bric-√†-brac, entassant les brocarts, les vieilles √©toffes de soie, les velours de G√™nes ou de Venise, puis, si nous mettons la main sur un petit carr√© de satin broch√©, √©pave de quelque falbalas tra√Æn√© dans les all√©es de Versailles; vite, nous achetons le chiffon, et, courant chez le relieur, qui ne manque jamais de pousser les hauts cris, nous lui disons imp√©rieusement: ¬´Voici un _cartonnage Pompadour_ de notre invention, au lieu de votre vilaine toile anglaise, prenez ceci; faites broder le titre, √† l'endroit du dos, √† deux ou trois centim√®tres du haut du volume, dans l'intervalle des fleurs broch√©es; dorez en t√™te, ajoutez un signet d'un rose pass√©, mettez tout le temps et tout le soin n√©cessaires, ex√©cutez fid√®lement ce qui vous est command√© et ne r√©pliquez pas. Ce _Cartonnage Pompadour_, nous pouvons l'affirmer, est tout gracieux et d'une couleur locale qui charme.--Quel plaisir de lire, sous ce costume, _Cr√©billon le fils_, de _La Morli√®re_ ou de _Cahusac_! Ce n'est, en r√©alit√©, qu'enjuponner davantage des ≈ìuvres faites pour des femmes, mais l'ombre de ces voluptueux auteurs ne peut que s'en r√©jouir.--Nous dirons plus, si un jour, quelqu'amateur venait nous apprendre qu'il a plac√© dans le _Sopha_, un sachet √† la S√©n√©chale, et un autre de poudre d'Iris, dans les _Bijoux indiscrets_, nous le jugerions petit-ma√Ætre, mais homme de go√ªt et nous lui crierions: Bravo. Un roi d'Egypte, Ozimandias, avait √©crit sur la porte de sa Biblioth√®que: _Tr√©sor des Rem√®des de l'√¢me_; Jules Janin, modifiant les termes, mit sur la porte de la sienne: _Pharmacie de l'√¢me_.--Si nous prenons la m√©taphore √† la lettre, nous dirons qu'une Biblioth√®que doit √™tre administr√©e comme une pharmacie; la couleur seule des livres doit indiquer la nature du rem√®de; il ne faut pas prendre le poison pour l'antidote, le _Marquis de Sade_ pour l'_Internelle Consolation_; le honteux Marquis, sera reli√© en peau de boa tann√©e et cylindr√©e, environn√© de fermoirs solides, tout devra indiquer le venin _Borgiaque_ qu'il enferme.--L'_Internelle Consolation_, au contraire, dans son enveloppe de maroquin blanc sem√©e de croix d'or, dira de suite aux yeux: ¬´_Venite ad me afflicti m√¶rore_¬ª. C'est encore un point √† observer dans la reliure des Livres. Pour les auteurs modernes, l'imagination du Bibliophile peut donner un libre cours √† la fantaisie bien entendue; lorsqu'une m√™me litt√©rature originale poss√®de des √©crivains d'un caract√®re aussi nettement accus√© que Victor Hugo, Musset, Dumas, George Sand, M√©rim√©e, Th√©ophile Gautier, G√©rard de Nerval, Baudelaire, Stendhal et Flaubert, on peut se livrer sans crainte aux plus jolies demi-reliures qui se puissent voir. La Chine et le Japon nous envoient √† profusion depuis quelque temps, des sortes de cuirs gaufr√©s, dor√©s, mordor√©s, mats, noirs ou rouges; les uns, tatou√©s de plaques brillantes; les autres, bigarr√©s avec une habilet√© na√Øve qui enchante les regards. Il existe, de m√™me, des Cr√©pons d'un tissu l√©ger qui s'√©largit √† l'eau, des papiers japonais orn√©s de compositions brillantes et harmonieuses, d'un coloris o√π rien ne se heurte; toutes ces _babioles_, d'un go√ªt si d√©licat et d'un prix si mod√©r√©, sont recherch√©es des artistes et abandonn√©es des Bibliophiles; c'est un tort, car leur emploi, digne des Livres modernes, donne √† ceux qui en sont d√©cor√©s une originalit√© gracieuse qui contraste fort heureusement avec les maroquins, les chagrins ou les parchemins antiques. Ces japonaiseries peuvent √™tre mises en usage ensemble ou s√©par√©ment;--dans une demi-reliure de maroquin √† mosa√Øque, avec coins, introduisez le papier multicolore et oriental que nous vous indiquons, ou bien, faites encartonner un volume, en cuir argent√©, de m√™me provenance; le titre √† froid pos√© sur le dos m√™me du volume; cherchez toutes les combinaisons possibles, vous trouverez un effet saisissant, une reliure agr√©able et commode, et vous abandonnerez bien vivement les papiers _peigne_ ou unis, les toiles, les basanes, et tous les autres proc√©d√©s ternes et vulgaires dont les moindres d√©sagr√©ments sont d'√™tre laids et de ne rien exprimer √† l'≈ìil qui les contemple. Voyez entre autres la _Guerre du Nizam_, de _M√©ry_, recouverte des dessins guerriers de ces papiers du Japon; de suite, ce Roman exprime par son dehors le mouvement√© de son esprit; voyez _Salamb√¥_ enferm√© dans un cuir byzantin, et encore les _Caprices en zigzags_, de Gautier, emmaillott√©s dans les arabesques d'un Cr√©pon; tous ces cartonnages, ne disent-ils pas mille fois plus de choses qu'un dos chagrin√© √† titre d'or? Pour _M√©rim√©e_, pour de _Nerval_, pour _Barbey-d'Aur√©villy_, pour _Edgard Po√´_ ou _Baudelaire_, c'est bien l√† ce qu'il faut.--Afin de mieux exprimer notre fa√ßon de voir et de comprendre la demi-reliure de fantaisie, il nous faudrait le style professionnel et color√© d'une couturi√®re; nous aimerions √† pouvoir d√©crire une reliure tons sur tons ou suivant les variantes des pi√®ces, des mosa√Øques, des signets et des gardes,--quelque chose dans cette mani√®re: ¬´Toilette pour un vol. in-18: tunique bleu p√¢le, avec pi√®ce pour titre jaune de Naples, rehauss√©e de filets noirs, signet bleu marine, dorure en t√™te, or bronze; tranches l√©g√®rement √©barb√©es, gardes jaunes assorties √† la pi√®ce, avec ex-libris frapp√© en noir au milieu.--Date et lieu de publication √† froid au bas du dos.¬ª Nous aurions mille toilettes de ce genre √† donner, mais le style n'y est pas, et d'ailleurs les Bibliophiles, nos confr√®res, sont trop artistes, trop gens de go√ªt et de sens assur√©, pour que nous songions un seul instant √† vouloir √©baucher des projets de demi-reliure;--qu'ils veuillent bien prendre en bonne note cependant les quelques id√©es que nous avons √©mises ici. Nous serons heureux de n'avoir pas pr√™ch√© dans le d√©sert.--Ainsi soit-il! [D√©coration] [D√©coration] [D√©coration] RESTIF DE LA BRETONNE ET SES BIBLIOGRAPHES L'≈ìuvre de Restif de la Bretonne, ≈ìuvre √©norme et mouvement√©e, eut la destin√©e la plus bizarrement accident√©e que livres puissent r√™ver; glorieuse au d√©but, discr√©dit√©e hier, en pleine vogue aujourd'hui, quel sera son sort demain? Restif, ce grand prodigue de sa vitalit√©, apr√®s avoir surmen√© sa vie et dispers√© en menue monnaie son incontestable talent, expira √† Paris le 3 f√©vrier 1806, √† l'√¢ge de soixante-douze ans. Ses propres contemporains commen√ßaient d√©j√† √† l'oublier, et il fallut que sa mort v√Ænt cingler, comme d'un coup de fouet, l'indiff√©rence g√©n√©rale dont ses derniers jours √©taient envelopp√©s. Ses obs√®ques furent pompeusement c√©l√©br√©es; l'Institut y envoya une d√©putation, les journaux honor√®rent Restif ainsi que ses ouvrages, et plus de mille huit cents personnes suivirent son corps au cimeti√®re Sainte-Catherine[4] o√π il fut inhum√©. [4] Aujourd'hui cimeti√®re du Mont-Parnasse. Sa tombe √† peine ferm√©e, l'√©motion du moment pass√©e, Paris qui comble si h√¢tivement ses vides, panse si vivement ses plaies, et qui s√®che ses pleurs par un √©clat de rire; Paris, tout entier aux passions de la politique et de la guerre, oublia Restif; et les deux cents volumes, o√π l'√¢me du pauvre romancier √©tait toute sem√©e, furent englob√©s dans la plus profonde insouciance. Le glorieux √©crivain √©tait d√©chu! Ses ouvrages orn√®rent p√™le-m√™le les parapets des quais, ils furent vilipend√©s, rejet√©s avec m√©pris, expos√©s aux injures de l'air et de la pluie et trop souvent, h√©las! abandonn√©s √† l'√©picerie, ce prosa√Øque Montfaucon des volumes infortun√©s. L'√©poque, il est vrai, ainsi que les √©v√©nements, pr√™taient assez peu √† la bibliomanie; la vie fi√©vreuse de chacun ne laissait gu√®re de loisirs pour les doux passe-temps du livre, et les bouquins, ces vrais sages, durent attendre une √®re de paix et de science pour enseigner de nouveau leur grande morale si vari√©e. Restif, au demeurant, ne semble avoir √©crit sp√©cialement que: _ad posteros_ et son ≈ìuvre est de celles qui ne peuvent mourir. En s'attachant √† peindre son si√®cle avec le coloris r√©aliste qu'il puisait sous ses yeux, en tra√ßant les silhouettes nettement accus√©es des m≈ìurs au milieu desquelles il se mouvait, en calquant enfin, pour ainsi dire, la vie, le costume et le langage exacts de ses contemporains, il dut penser, avec raison, qu'un jour viendrait o√π les savants et les curieux se montreraient d√©sireux de reconstituer son √©poque dans ses moindres d√©tails et de savourer les parfums du pass√©.--Ce temps est venu, et tous ses volumes, fid√®les repr√©sentants de la seconde moiti√© du XVIIIe si√®cle, sont recherch√©s et hors de prix aujourd'hui. Restif de la Bretonne est √† l'ordre du jour et c'est √† M. Charles Monselet que revient l'honneur d'avoir le premier exhum√© et remis √† la mode d'une mani√®re aussi compl√®te qu'int√©ressante les ≈ìuvres de ce f√©cond litt√©rateur[5]. [5] Qu√©rard dans _La France litt√©raire_, Didot, 1835; M. Eus√®be Girault, dans _La Revue des Romans_ (2 vol. in-8¬∫, 1839, tome II, pag. 199-204), et Pierre Leroux dans les _Lettres sur le fouri√©risme_ (_Revue sociale_ de Pierre Leroux, mars 1850) avaient d√©j√† r√©dig√© de curieuses notices sur Restif de la Bretonne. Dans les num√©ros du _Constitutionnel_ des 17, 18 et 19 ao√ªt 1849, le spirituel auteur _de M. de Cupidon_ consacra √† Restif de longs articles qui devaient servir de base au travail si curieux qu'il publia cinq ans plus tard[6]. [6] _Restif de la Bretonne_, sa vie et ses amours, etc., par _Charles Monselet_, avec un beau portrait grav√© par Nargeot. Paris, Alvar√®s fils, √©diteur, 1854. Dans l'intervalle, en 1850, la _Revue des Deux-Mondes_ fit para√Ætre une analyse de _M. Nicolas ou le c≈ìur humain d√©voil√©_[7]. [7] _Histoire d'une vie litt√©raire au XVIIIe si√®cle._--_Les Confidences de Nicolas._ (Restif de la Bretonne) par G√©rard de Nerval, nos du 15 ao√ªt, 1 et 5 septembre 1850.--_M. Nicolas ou le c≈ìur humain d√©voil√©_, fait partie des _Illumin√©s ou les Pr√©curseurs du socialisme_, R√©cits et portraits, par G√©rard de Nerval, dont la premi√®re √©dition fut donn√©e par Victor Lecou, en 1 vol. in-12, 1852. Cette √©tude, fort bien √©crite et pr√©sent√©e par G√©rard de Nerval, montre l'homme plut√¥t que l'√©crivain, c'est la biographie de Restif, ses aventures amoureuses, ses mis√®res, c'est, en un mot, le romancier mis en roman par un rare po√´te. Ces deux bio-bibliographies trait√©es de mani√®res toutes diff√©rentes, mais de mains de ma√Ætres, suffirent pour rendre aux livres de Restif de la Bretonne toute leur vogue d'antan et au del√†; on commen√ßa √† rechercher les _Restif_, on y d√©couvrit des gravures pr√©cieuses, tant pour la finesse d'ex√©cution que pour la fid√©lit√© des modes qu'elles reproduisent; bref, les bibliophiles s'aper√ßurent que l'≈ìuvre enti√®re du polygraphe √©tait int√©ressante √† plus d'un titre et digne de figurer dans les plus fi√®res biblioth√®ques. L'orthographe vari√©e et singuli√®re, le piquant des confessions de l'auteur, l'√©tranget√© de ses romans, compos√©s pour la plupart avant d'√™tre √©crits, et qui semblent pr√™ter √† Restif le spirituel mot de Rivarol: _L'imprimerie est l'artillerie de la pens√©e_; les formats m√™me de ses volumes et la difficult√© de les r√©unir en ≈ìuvre compl√®te, tout contribua √† faire briller, avec le plus grand √©clat, la renomm√©e un moment ternie du p√®re du _Pornographe_. Ce fut bien vite une _Restifomanie_ parmi les collectionneurs parisiens; du petit au grand, chacun voulut avoir Restif partiellement ou en nombre, et dans l'un de ses derniers catalogues, le libraire Auguste Fontaine mit en vente un Restif de la Bretonne dans les conditions suivantes: ¬´≈íUVRES DE NICOLAS-EDME RESTIF DE LA BRETONNE. Deux cent douze parties ou tomes en cent cinquante-quatre volumes in-18, in-12, in-8, et in-fol.--maroquin, dos orn√© √† petits fers, fil. tr. dor√©e (Chambolle Duru); superbe exemplaire, richement reli√©, lav√© et encoll√©.--Prix; VINGT MILLE FRANCS.¬ª 20,000 francs!!! Il est juste d'ajouter qu'on ne conna√Æt en France qu'une dizaine de collections compl√®tes des ≈ìuvres de Restif de la Bretonne: la Biblioth√®que nationale en poss√®de une, le libraire Fontaine, deux (probablement vendues); les autres appartiennent √† MM. le duc d'Aumale, le baron J. de Rothschild, Toustain de Richebourg et autres bibliophiles aussi f√©roces que riches.[8] [8] M. Restif de Tonnerre (Yonne), descendant de Restif, poss√®de aussi au grand complet et dans un tr√®s bel √©tat, les ≈ìuvres de son grand parent. L'engouement acquit des proportions si √©normes que le savant bibliophile Jacob (Paul Lacroix) dut prendre les choses en main, et avec une science √©tonnante et un travail d'investigation des plus remarquables, il fit para√Ætre LA BIBLIOGRAPHIE ET L'ICONOGRAPHIE _de tous les ouvrages de Restif de la Bretonne_. Cet ouvrage colossal, outre _la description raisonn√©e des collections originales, des r√©impressions, des contrefa√ßons, des traductions, des imitations_, contient les notes historiques, critiques et litt√©raires les plus curieuses et les mieux √©tudi√©es. Apr√®s cette bibliographie de M. Paul Lacroix, on e√ªt pu croire que tout avait √©t√© dit sur Restif de la Bretonne. Point! un nouveau volume parut. M. Firmin Boissin, dans un petit in-8 d'une centaine de pages, trouva encore moyen de parler de notre auteur d'une aimable mani√®re; il jugea l'homme, l'≈ìuvre, la destin√©e d'icelle, et ses bibliographes. L'on peut dire que ce volume, loin d'√™tre inutile, est un excellent compl√©ment d'ensemble sur tout ce qui a √©t√© fait et √©crit sur l'√©crivain du _Paysan perverti_. M. Firmin Boissin ne cl√¥t pas la s√©rie des Restifographes. M. J. Assezat, un sympathique √©rudit trop t√¥t enlev√© √† ses travaux, en t√™te d'une r√©impression _d'un choix des Contemporaines_, fit une notice annot√©e traitant de Restif, de son ≈ìuvre et de sa port√©e, et nous ne doutons pas qu'il ne se trouve encore quelqu'un pour parler de Restif et int√©resser les lecteurs sur ce grand prolifique en tout genre, qui laisse encore des c√¥t√©s curieux √† observer pour la critique et l'√©rudition. Si on peut taxer l'≈ìuvre de Restif de la Bretonne de l√©g√®re et m√™me quelquefois d'immorale, on doit d'un autre c√¥t√© songer au milieu o√π cette ≈ìuvre fut con√ßue et produite, et nous ne saurions trop avancer que ses livres sont de premi√®re utilit√© pour l'√©tude et l'histoire des m≈ìurs au XVIIIe si√®cle. Les mat√©riaux et les documents qu'ils contiennent, les coutumes qui s'y refl√®tent comme dans un fid√®le miroir en feront toujours des tr√©sors du plus haut int√©r√™t pour les bibliophiles et les √©rudits. L'≈ìuvre immense de Restif sera-t-elle r√©imprim√©e? En totalit√©, la chose est impossible; en partie, nous croyons pouvoir assurer que oui.--D√©j√† plus d'un essai a √©t√© tent√© avec succ√®s, tant en France qu'√† l'√©tranger. En faisant un tri judicieux dans les principaux ouvrages de la collection, dans les _Nuits de Paris_, dans _Les Parisiennes_, dans _Les Fran√ßaises_, dans _Le Palais Royal_, dans les _Ann√©es des Dames Nationales_, dans _Les Posthumes_, dans les _Id√©es Singuli√®res_ et _Les Veill√©es du Marais_, on arriverait certainement √† prendre le dessus du panier de l'≈ìuvre de Restif de la Bretonne, dont, il faut bien le dire, la majeure partie des romans est si confuse, si d√©mod√©e, qu'il est presque impossible d'en affronter la lecture aujourd'hui. Quoiqu'il en soit, Restif, cet √™tre tout de contraste, restera, de nos jours comme dans l'avenir, l'√©crivain le plus bizarre, le plus √©trangement f√©cond dans la litt√©rature du XVIIIe si√®cle; disons plus, ce fut un Bibliophile √† sa fa√ßon et ce titre seul nous a suffi pour que nous lui consacrions ces quelques lignes. [D√©coration] [D√©coration] LE CABINET D'UN EROTO-BIBLIOMANE Ubi turpia non solum delectant, sed etiam placent. S√âN√àQUE. Souvent, je le rencontrais chez les grands libraires de la rive gauche, parlant sobrement, dans une note basse, fatigu√©e, presque enrou√©e; avec une allure √©trange et cet air de g√™ne et de discr√©tion que l'on voit aux conspirateurs.--Il semblait, devant un tiers, vouloir s'effacer, et, s'il exprimait ses d√©sirs, ce n'√©tait que d'une fa√ßon ind√©cise et inqui√®te; lan√ßant des phrases ind√©termin√©es, br√®ves, pleines d'une autorit√© craintive: ¬´Trouvez-moi la chose en question¬ª, disait-il au libraire, ou bien: ¬´N'oubliez pas, en gr√¢ce, ce que vous savez; il me le faut co√ªte que co√ªte; n'allez pas trop m'√©corcher cependant;--je repasserai bient√¥t.¬ª Je ne sais quel vague caprice me poussait √† conna√Ætre ce Bibliomane bizarre, musqu√©, envelopp√© de myst√®re; je pensais que cet √™tre singulier n'√©tait pas √† coup s√ªr le premier venu; sa physionomie seule m'intriguait particuli√®rement, et sous la s√©nilit√© vainement dissimul√©e de sa d√©marche, je pressentais un Bibliophile d'une race √† part. Grand, droit, corset√© dans une longue houppelande lui tombant aux talons; le soulier mince, effil√©, montrant le bas de soie, le visage ras√©, maquill√©, poudrederiz√©, les cheveux fris√©s et pommad√©s, le monocle d'or dans l'orbite droite, relevant la paupi√®re affaiss√©e sur un ≈ìil √©teint; le chapeau inclin√© sur l'oreille, la cigarette aux dents et le stick en main, il me rappelait, dans la p√©nombre du souvenir, cet admirable type de vieux beau, si magistralement crayonn√© par Gavarni, avec cette l√©gende spirituelle et r√©aliste: ¬´_Mauvais sujet qui pourrait √™tre son propre grand-p√®re._¬ª A peine arrivait-il dans une librairie, qu'il jetait un regard inquiet tout alentour; si une dame s'y tenait, assise au comptoir, il √©tait agit√©, nerveux, vivement pr√©occup√©; son malaise se manifestait par des mouvements d'impatience accentu√©s et des tics involontaires qui brisaient, en l'√©caillant, l'√©paisse couche de fard √©tendue sur ses joues.--On devinait qu'il e√ªt voulu √™tre seul, dans une causerie d'homme √† homme; aussi ne disait-il au libraire que ces simples paroles: ¬´L'avez-vous?--Non, r√©pondait-on;--Pensez-y, n'est-ce pas¬ª, reprenait-il avec d√©couragement, et il se retirait.--Un coup√© de couleur claire, tendu √† l'int√©rieur de lampas rose broch√© d'argent, l'attendait √† la porte, notre Bibliophile Marquis de Carabas y montait; la porti√®re se refermait, et le cocher poudr√© √† frimas avait √† peine fouett√© l'alezan qui piaffait, que l'attelage d√©j√† disparaissait au loin. C'√©tait une vision. J'appris qu'il se nommait le Chevalier Kerhany; il vivait, me dit-on, assez joyeusement avec les dames, mais demeurait fort r√©serv√© et d'humeur misanthropique avec ses semblables. Il recevait peu chez lui et toujours avec une sorte de m√©fiance instinctive; on racontait que son int√©rieur √©tait d'un luxe inou√Ø et que la folie y agitait ses grelots dans des orgies dignes de Tib√®re; il se donnait chez lui, au dire de chacun, des petits soupers √† faire ressusciter de plaisir tous les rou√©s de la R√©gence; personne n√©anmoins ne se vantait d'y avoir assist√©.--De fait, le Chevalier √©tait assez demi-mondain, il se rendait de temps √† autre au bois, et, les soirs d'Op√©ra, il stationnait des heures enti√®res au foyer de la danse.--Les d√©esses de l'entrechat l'entouraient, le noyaient dans des flots de gaze bouffante, lui lan√ßant des pointes grivoises qui avivaient le feu libertin de son regard de faune, tandis que debout, dans une pose √† la Richelieu, il se plaisait √† distribuer √† ces terribles petits museaux de rats, les pastilles de sa tabati√®re ou les sucreries vari√©es dont ses poches √©taient toujours pleines. Ces d√©tails √©taient faits plut√¥t pour attiser que pour calmer ma puissante curiosit√© √† son sujet; je r√©solus de suivre le pr√©cepte des sto√Øciens, le fameux _Sequere Deum_. Je m'aper√ßus en effet que le destin sait nous guider, car, en cette occasion, il me servit √† souhait. II Je me trouvais un soir dans une de ces grandes f√™tes parisiennes, brillantes et tapageuses, chez une artiste c√©l√®bre o√π un de mes amis m'avait conduit.--Presque abandonn√© dans un petit salon d'un rococo exquis, tout parfum√© de couleur locale, renvers√© dans une qui√©tude parfaite sur le coussin d'un divan japonais, je me laissais bercer par une valse languissante, dont les accents m'arrivaient affaiblis, comme tamis√©s par le lointain et les lourdes tentures; tout en regardant avec distraction un plafond d√©licieusement compos√© dans le go√ªt de Baudoin, j'avais presque perdu la notion du lieu o√π j'√©tais c√©ans, lorsque, tout √† coup, pr√®s de moi, sur le m√™me divan, dodelinant de la t√™te, et marquant du bout de sa bottine vernie le rhythme de la danse, je vis, dans l'√©l√©gance du frac, le gard√©nia √† la boutonni√®re, le plastron de chemise tout charg√© de diamants, mon myst√©rieux Bibliomane, le Chevalier Kerhany, qui paraissait, lui aussi, fort peu s'inqui√©ter de ma pr√©sence.--Je ne me demandai pas comment il √©tait venu l√†, sans que je l'entendisse approcher, je pensai de suite que l'occasion, me fr√¥lant de son unique cheveu, je devais le saisir en toute h√¢te et m'y cramponner; aussi, toussant l√©g√®rement pour √©veiller son attention et mieux affermir ma voix: --Quelle voluptueuse et adorable chose, que la valse allemande, murmurai-je, afin d'engager la conversation. --Adorable! adorable! dit-il simplement, sans abandonner son laisser-aller de t√™te et de bottine. --Il n'y a que Strauss de Vienne, repris-je, pour concevoir et √©crire ces motifs entra√Ænants, vifs, color√©s, qui fouettent le sang, qui empoignent et font passer un chaud frisson du c≈ìur aux jambes. --Il n'y a que Strauss, en effet, soupira-t-il comme se parlant √† lui-m√™me;...cependant Gungl's. --Ah! Gungl's, fis-je, charmant compositeur.--_Le R√™ve sur l'Oc√©an_ est une ≈ìuvre toute d'harmonie. --Toute d'harmonie; oui, toute d'harmonie, me r√©pondit-il avec laconisme, comme f√¢ch√© d'avoir √† me parler. --Il y eut un silence;--mon voisin de divan, renvers√© en arri√®re, avec une moue d'ennui, sifflotait une sorte de menuet.--Je ne perdis pas courage et fis un nouvel effort. --Si belle que soit la valse de perfection moderne, hasardai-je, elle ne laisse pas de faire regretter tr√®s vivement aux d√©licats ces m√©lodies du XVIIIe si√®cle, m√©lancoliques, na√Øves et simples, si s√©duisantes par le caract√®re, si p√©n√©trantes de pens√©e et si gracieuses de style. Il souriait, semblant m'√©couter avec plaisir et m√™me m'approuver;--Je continuai: --Est-il rien de comparable aux Quintettes de Mozart, aux Gavottes de Rameau, aux Menuets de Boccherini et de Reicha, aux Symphonies de Haydn et de Beethoven, aux Pr√©ludes, aux Rondos, Duos, Quatuors, aux Concertos, aux Th√®mes vari√©s compos√©s vers 1725, et plus tard par tant de charmants musiciens aujourd'hui ignor√©s pour la plupart. --Et les airs pour fifre! et les douces romances! et les motifs pour clavecin! fit le Chevalier en se redressant subitement; les motifs pour clavecin, Monsieur, que de verve amoureuse! que de charmes alambiqu√©s! que de l√©g√®ret√© et en m√™me temps que de nonchalance! H√©las! le piano rend mal toutes ces jolies choses et je pr√©f√©rerais mille fois les voir ex√©cuter sur le clavier d'une Epinette que sur le meilleur Pleyel du monde. --Sans compter, dis-je, faisant brusquement diversion √† la conversation, sans compter que les Clavecins √©taient des meubles ravissants, d√©cor√©s avec un art incomparable par des artistes tels que Boucher, Watteau... Ajoutez Fragonnard, reprit mon interlocuteur avec passion, Fragonnard, ce peintre divin des lubricit√©s folles, des volupt√©s √©grillardes et spirituelles, Fragonnard qui connaissait si profond√©ment la science du nu et des d√©collet√©s piquants, Fragonnard, ce Gr√©court de la peinture; ajoutez Fragonnard: je poss√®de un clavecin, un bijou, sur lequel il a trac√© des sc√®nes adorables, de charmants cama√Øeux sign√©s de son nom. --Je n'ai qu'une toute petite toile de ce ma√Ætre, osai-je dire modestement, mais c'est une ≈ìuvre si blonde de ton, si mignarde dans son d√©shabill√©, si √©tonnante de facture, si parfaite d'ensemble et enfin si grivoise de composition, que je la tiens pour une merveille v√©ritable. Le sujet, quel est le sujet? me demanda le Chevalier hors de lui, poss√©d√© d'une furieuse curiosit√© √† l'id√©e de grivoiserie du tableau.--Quel en est le sujet, je vous prie? Le sujet, mon Dieu, cela est tr√®s d√©licat, r√©pondis-je lentement; vous avez lu Brant√¥me, n'est-il pas vrai? Les _Dames Galantes_ sont pour moi un br√©viaire. Alors, repris-je, apr√®s ce cynisme d'impi√©t√©, vous y avez vu d√©crit le sujet de mon Fragonnard, dans le _Discours premier_; vous l'avez lu dans la cent dix-neuvi√®me √©pigramme de Martial, livre I, qui se termine par ce vers: _Hic ubi vir non est, ut sit adulterium._ Vous l'avez lu dans Lucien, dans Juv√©nal; enfin mon tableau repr√©sente des _fricatrices_; _Donna con Donna_. La figure du Chevalier Kerhany √©tait boulevers√©e; ses yeux morts avaient repris un √©clat surprenant; ses l√®vres s'agitaient d'√©tonnement, et la sueur ravinait son visage. --Vous avez un tel tableau de Fragonnard! exclamait-il avec admiration; un sujet si bien trait√© par un tel ma√Ætre,--que ce doit √™tre beau! Il s'approchait plus pr√®s, me demandant des d√©tails; il insistait sur les moindres choses, et dans l'ivresse de savoir et peut-√™tre le d√©sir de poss√©der plus tard, il m'accablait de pr√©venances. Ayant voulu prendre par la curiosit√© cet √©rotomane effr√©n√©, j'avais touch√© juste; il avait bondi √† la description d'un sujet √©rotique et d√©j√† il s'appr√™tait √† me r√©clamer de nouveaux renseignements sur l'origine de cette ≈ìuvre d'art, lorsque la foule inonda le petit salon dans lequel nous nous trouvions retir√©s; la valse venait de finir, le Chevalier fut enjuponn√© par quelques jolies femmes qui vinrent prendre place √† ses c√¥t√©s.--L'intimit√© √©tait rompue. --Sur la fin de la soir√©e je le rencontrai, et apr√®s un √©change mutuel de politesses, il me remit sa carte en m'assurant du plaisir qu'il √©prouverait √† me faire les honneurs de sa Biblioth√®que. III Quelques jours apr√®s, je sonnais √† l'huis du Chevalier de Kerhany, dont l'h√¥tel √©tait situ√© sur le boulevard Haussman;--un grand diable de laquais v√™tu de panne √©carlate vint m'ouvrir.--Je traversai d'abord une vaste pi√®ce, sorte d'atrium d√©cor√© en style Pomp√©√Øen, o√π se trouvaient rang√©s des meubles romains de tous les genres; j'aper√ßus l'_accubitum_, le _biclinium_, le _triclinium_, orn√© de ses _plagula_; le _lectulus_, et m√™me le _subselium_, le _seliquastrum_, le _scabellum_ et autres si√©ges fid√®lement copi√©s d'apr√®s l'antique.--Le Chevalier √©tait visible; il se tenait dans un petit fumoir tendu de soie havane capitonn√©e de satin bleu. Il me re√ßut avec la plus grande cordialit√©, me f√©licitant de n'avoir pas craint de le d√©ranger. Nous parl√¢mes art et litt√©rature, ou plut√¥t femmes, car toute l'esth√©tique de mon Erotomane semblait se r√©unir et se r√©sumer dans l'√©ternel f√©minin; il ne voyait la musique, la po√©sie, la peinture que dans un sens de corr√©lation voluptueuse qu'il se plaisait √† √©tablir malgr√© lui entre tous les chefs-d'≈ìuvre et l'amour des filles d'√àve;--prenant chaque g√©nie en particulier, il me montrait avec une verve passionn√©e que, dans les grandes manifestations de l'art, on pouvait r√©p√©ter le mot d'un policier c√©l√®bre: _Cherchez la femme_. Il me parla du sexe charmant comme un habile g√©n√©ral le ferait d'une forteresse dont il conna√Æt les coins et recoins; exprimant avec gr√¢ce les diff√©rentes mani√®res d'attaquer la citadelle, √©mettant des th√©ories si audacieuses, que je ne pourrais, m√™me en voilant mes phrases comme des femmes turques, les raconter ici.--Je fus enti√®rement s√©duit par ce vieil Anacr√©on; je croyais avoir en face de moi le c√©l√®bre Duc de Lauzun donnant des conseils √† son petit-neveu, le Chevalier de Riom, tant il annon√ßait de connaissances approfondies et de cr√¢nerie passionn√©e dans les sujets d√©licats qu'il avait √† traiter. Cependant, si attrayante que fut la conversation, je ne tardai pas √† r√©clamer du Chevalier Kerhany la faveur de visiter son mus√©e. Il acc√©da avec la meilleure gr√¢ce √† ma demande:--¬´C'est juste, c'est juste, me dit-il en souriant, je vous retiens ici avec mes billeves√©es. Passons, si vous le voulez bien, dans la galerie des ma√Ætres.¬ª Je fus introduit dans une superbe salle √©clair√©e par une vaste baie expos√©e au nord;--√©tourdi un instant par la splendeur des cadres et l'orgie magistrale des couleurs, je ne tardai pas √† me remettre, et je pus consid√©rer √† mon aise la plus remarquable collection particuli√®re qu'il m'ait √©t√© donn√© de voir.--Il y avait l√† des Velazquez et des Murillo, des Titien et des Andr√© del Sarte, des paysages √©clatants de Ruysda√´l, de Hobbema et du Poussin, des petites toiles adorables de Terburg, de Metzu, de Van Ostade, de Wouwermans, de Jan Steen, de Van der Meer; puis, dans un style plus large, des Rembrandt, des Rubens, des Jordaens, des Frans Hals, des Ribera, des G√©rard Dow, ainsi que des Antonello de Messine, des Guerchy, des L√©onard de Vinci et des Paul Veron√®se.--Il m'eut fallu des journ√©es enti√®res pour rassasier mon admiration; il me faudrait des volumes pour exprimer les sensations que j'√©prouvai.--Je m'arrachai cependant √† cette f√©erie sublime pour faire remarquer √† l'heureux propri√©taire de tant de merveilles que l'art plus affadi des ma√Ætres du dix-huiti√®me si√®cle ne tenait aucune place dans sa galerie. ¬´Un moment, un moment, r√©pondit-il,--ceci tuerait cela,--suivez-moi, vous ne perdrez rien pour attendre, suivez-moi, je vais vous satisfaire.¬ª Le Chevalier souleva une porti√®re; nous nous trouvions alors dans une chambre octogone dont les boiseries blanches √©taient sculpt√©es de festons, de guirlandes et de couronnes relev√©es d'or mat; une glace immense rempla√ßait le plafond et tout √† l'entour de la pi√®ce jusques √† la cimaise √©taient suspendus des tableaux du dix-huiti√®me si√®cle.--C'√©tait, en premier lieu, des portraits de Reynolds, de Gainsborough, et des pastels de Latour; ensuite venaient Vanloo, Pater, Boucher, Lancret, Fragonnard, Largilli√®re, Nattier, Dietrich, Le Barbier, L'Epici√© et Boilly.--Ce qui donnait un caract√®re particulier √† cette r√©union de chefs-d'≈ìuvre, c'√©tait la nature m√™me du choix des sujets: on ne voyait qu'un √©blouissement de chairs roses, qu'un rut de peaux mates, de fossettes gracieuses; qu'une d√©bauche de postures alanguies et enivrantes, qu'une nu√©e d'amours polissons et rieurs dont les l√®vres s'entrebaisaient.--La d√©pravation de tout un si√®cle s'√©talait dans la lubricit√© de ces peintures, souriantes de luxure et aimablement vicieuses; les torses cambr√©s, lascifs, endiabl√©s √©mergeaient des cadres, se refl√©tant dans la grande glace du plafond, tandis que les jambes velues des faunes et des sylvains nerveusement gonfl√©es d'un priapisme intense, semblaient secouer dans l'air une odeur √¢cre de bouc qui montait au cerveau. Il y avait pr√®s d'une heure que je me trouvais l√†, ivre de tant de beaut√©s entrevues, bris√©, an√©anti, dans un √©tat de prostration impossible √† d√©crire. Le Chevalier de Kerhany jouissait de ma surprise et de mon admiration passive, √† force d'√™tre surexcit√©e: ¬´Eh bien! jeune homme, me disait-il, eh bien! que dites-vous de mon dix-huiti√®me si√®cle? Ne croyez-vous pas que votre Fragonnard Lesbien serait en fort belle compagnie dans mon modeste petit mus√©e?--Ce n'est pas tout, ajoutait-il, nous allons visiter ma Biblioth√®que qui compte certaines curiosit√©s qui seront de votre go√ªt.--Mais... qu'avez-vous?--on dirait que vous vous sentez mal? Je r√©pondis furtivement, m'excusant de ne pouvoir visiter ce jour-l√† les livres de mon h√¥te, j'invoquai un rendez-vous pressant, et remerciant le Chevalier, je sortis apr√®s avoir pris rendez-vous pour le lendemain √† la m√™me heure. Le fait est que j'√©prouvais un violent mal de t√™te et un malaise g√©n√©ral; ce que j'avais vu m'avait transport√© dans un monde id√©al, loin du Paris moderne et de sa civilisation, loin du banal et du convenu odieux. Mon imagination s'√©tait fatigu√©e dans une course √©chevel√©e √† travers l'Eden de mes r√™ves, et ma cervelle dansait encore √† soulever mon haute-forme lorsque je me trouvai sur le boulevard. Le Chevalier de Kerhany me paraissait, √† cette heure, un magicien sinistre, une sorte de M√©phistoph√©l√®s r√©gence qui s'√©tait amus√© √† plaisir de mon enthousiasme juv√©nile.--Je lui en voulais presque de m'avoir promen√© un instant dans le verger des fruits d√©fendus, car je ne voyais plus devant moi que les petites pommes d'api, c'est-√†-dire des petites parisiennes trop v√™tues selon la mode, qui trottinaient all√®grement, suivies par les faunes d'aujourd'hui, de gros boursiers enfl√©s de bourse et de ventre, jouisseurs h√¢tifs, pr√™ts √† p√©n√©trer dans le boudoir des Dana√©s sous la forme d'une pluie d'or. IV Le lendemain, √† l'heure fix√©e, l'esprit plus calme et de sens plus rassis, je me trouvais chez le chevalier qui m'attendait dans sa Biblioth√®que. Cette librairie √©tait dispos√©e dans un salon ovale; une fen√™tre aux vitraux multicolores y distribuait le jour dans un prisme joyeux et le soleil tamis√© par des losanges roses, jaunes ou bleus, semblait √©clabousser les tapis d'orient de reflets contrari√©s. Les parois de la pi√®ce √©taient enti√®rement rayonn√©es de planchettes de bois de rose, recouvertes de cuir de Russie, et orn√©es sur les rebords de coquets lambrequins de moire vert myrte, dentel√©s et effrang√©s, dont l'√©l√©gance se joignait √† l'avantage de pr√©server les livres de la poussi√®re. Tout en haut, pr√®s de la corniche, sur le dernier rayon, dans un d√©sordre charmant et fait pour le plaisir des yeux, des petites statuettes se montraient dans toute l'impudence de l'impudicit√©; c'√©taient de sveltes V√©nus n'ayant rien du rigide classique, des groupes de baigneuses affol√©es, des Sapho... avant l'amour de Phaon, des Narcisses p√¢les et bl√™mes, des Hercules puissants et aussi des suites de Phallus en bronze ayant l'esprit et le caract√®re singulier de ceux que l'on voit dans _Le Mus√©e Secret du Roi de Naples_. Je me croyais chez un juge d'instruction apr√®s la saisie de figurines portant atteinte √† la morale publique, tant √©tait chaude et d√©r√©gl√©e la composition de cette statuaire unique.--La pi√®ce n'avait pour tous meubles qu'un divan circulaire, large, profond, rebondi, habill√© d'une √©paisse √©toffe des Indes ravissante de tons, sur laquelle √©taient jet√©s des coussins nombreux et vari√©s. √á√† et l√† quelques X de C√®dre supportaient des cartons √† estampes et une table liseuse, aux pieds torses, √† sabots d'or, occupait le centre de la salle. Au plafond, d'une rosace ayant la bizarrerie obsc√®ne de certaines gargouilles moyen-√¢ge, tombait un lustre de bronze d'une si effrayante lubricit√© qu'on l'eut dit cisel√© par quelque Benvenuto Cellini atteint de satyriasis. Cette Biblioth√®que me parut renfermer pr√®s de deux mille volumes dont je m'approchais d√©j√† curieusement afin d'en parcourir les titres lorsque le Chevalier de Kerhany m'arr√™ta: ¬´Mon jeune ami, me dit-il doucement, cette biblioth√®que est un enfer bibliographique dont je suis le Pluton √©go√Øste; ici, j'ai donn√© rendez-vous √† tous les affam√©s du vice, √† tous les grotesques de libertinage, √† tous les condamn√©s de l'indignation bourgeoise, aux conceptions maladives et honteuses des cerveaux surmen√©s de plaisirs. Peu de visiteurs ont franchi cette enceinte; quelques jolies p√©cheresses seules y ont tra√Æn√© l'√©l√©gance de leurs pantoufles; et si une sympathie particuli√®re me permet aujourd'hui de faire en votre faveur ce que je n'ai fait jusqu'alors pour aucun autre Bibliophile, votre √©rudition sage vous placera, je l'esp√®re, au-dessus de vos sens; cependant, je crois devoir vous pr√©venir: r√©fl√©chissez comme si vous alliez prendre de l'opium pour la premi√®re fois de votre vie.--Mon coup√© est en bas, venez-vous faire un tour de lac? Faites d√©teler, lui r√©pondis-je en riant; je vais rendre visite √† vos pestif√©r√©s. --Dans ce cas, commencez par la droite, ajouta le Chevalier en m'indiquant les rayons les plus proches; ma Biblioth√®que est gradu√©e,--les incurables sont √† gauche √† l'extr√©mit√© du lieu o√π vous vous trouvez;--je vous laisse seul ici, dans une heure je reviens vous prendre. La premi√®re rang√©e des livres que j'ouvris formait ce qu'on pourrait appeler la s√©rie des anodins: c'√©taient pour la plupart des romans ou contes piquants, √©crits dans cette p√©riode voluptueuse comprise entre la R√©gence et la R√©volution, des fantaisies Turques, Persanes ou Chinoises, de bonnes et inoffensives polissonneries imprim√©es √† Cyth√®re avec l'approbation de V√©nus, √† √ârotopolis, √† Cucuxopolis, ou au Palais Royal chez une petite Lolo, marchande de galanterie. Je vis _Grigri_; _Th√©midore_; _Le Noviciat du Marquis de *** ou l'apprenti devenu ma√Ætre_; _Les ≈íuvres galantes de Bordes_; _Le Grelot_; _Le Roman du Jour_; _Le Sopha_; _Le Tant pis pour lui ou les spectacles nocturnes_; les diff√©rents _Codes_: _Code de la Toilette_; _Code des Boudoirs_; _Code du Divorce_; _Code des m≈ìurs ou la prostitution r√©g√©n√©r√©e_; _Code de Cyth√®re ou lit de justice d'Amour_; puis la _Biblioth√®que des petits ma√Ætres_, la Biblioth√®que des _Bijoux_: _Les Bijoux indiscrets_; _Le Bijou des Demoiselles_, _Les Bijoux des neuf S≈ìurs_; _Le Bijou de Soci√©t√© ou L'Amusement des Gr√¢ces_; les _Bijoux des petits neveux d'Ar√©tin_ et autres; les _Cale√ßons des Coquettes du jour_, les _Calendriers de Cyth√®re_, _L'Almanach cul √† t√™te, ou √©trennes √† deux faces pour contenter tous les go√ªts_ ainsi qu'une foule d'≈ìuvres scatologiques et d'_ana_ orduriers. Les volumes √©taient reli√©s admirablement en maroquin plein, en veau uni ou agr√©ment√©; chacun d'eux √©tait orn√© de petits fers sp√©ciaux, d'une composition fine et originale, quelquefois brutalement grossiers par esprit de couleur locale; ils √©taient plac√©s sur le dos, entre les nervures, en forme de culs-de-lampes ou frapp√©s en plein maroquin sur le plat des volumes en guise d'armoiries.--Des gravures licencieuses √©taient ajout√©es aux passages les plus color√©s des ouvrages auxquels elles convenaient; les gardes m√™me, subissaient quelquefois l'effronterie d'un dessin graveleux et je ne pouvais m'emp√™cher de songer que le livre de la plus chaste gauloiserie se fut trouv√© impitoyablement transform√© par l'√©rotomanie inv√©t√©r√©e du Chevalier de Kerhany. Au fur et √† mesure que j'inclinais vers la gauche, la graduation libertine s'accentuait; d√©j√† j'avais franchi les po√©sies gaillardes: _La Muse fol√¢tre_; _L'√©lite des po√©sies h√©ro√Øques et gaillardes de ce temps_ (1670); _Le Parnasse satyrique du sieur Th√©ophile_; _Le Cabinet satyrique_; _Les ≈íuvres de Corneille Blessebois_; _Dulaurens_; _Les Muses en belle humeur ou Elite des po√©sies libres_; _le Pucelage nageur_; _L'Anti-Moine_; _Le Parnasse du XIXe si√®cle_ et tous les ouvrages imprim√©s en Belgique, √† Neufch√¢tel, √† Freetown, avec eaux-fortes de Rops, auxquelles s'ajoutaient de nouvelles gravures. D√©j√† j'avais parcouru la majeure partie de la Biblioth√®que et mes mains commen√ßaient √† trembler en ouvrant chaque livre qui s'offrait √† moi; les petits fers prenaient des allures cyniques et effrayantes; j'eus peur de ne pas arriver au but et j'abandonnai quelques centaines de volumes pour atteindre l'extr√™me gauche. Je me trouvais bien en effet parmi les incurables, comme me l'avait dit le Chevalier, c'√©tait √† l'extr√™me gauche, le supr√™me du genre, le _nec plus ultra_ de la d√©pravation et √† la fois du luxe artistique des livres et des gravures; _Les ≈íuvres badines d'Alexis Piron_ touchaient _L'Amour en Vingt Le√ßons_ et le _Meursius Fran√ßois_; _L'Ar√©tin_ y √©tait repr√©sent√© par le _Recueil de postures √©rotiques d'apr√®s les gravures √† l'eau-forte d'Annibal Carrache_; par l'_Alcibiade Fanciullo √† Scola_; par l'_Ar√©tin fran√ßais_ et par le livre dit: _Biblioth√®que d'Ar√©tin_; pr√®s du _Divus Ar√©tinus_ je remarquai _F√©licia ou Mes Fredaines_; _Monrose ou le Libertin par fatalit√©_; _les Monuments de la vie priv√©e des Douze C√¶sars_ et les _Monuments du Culte secret des Dames Romaines_; plus loin je vis _Justine ou Les Malheurs de la vertu_; _Cl√©ontine ou La Fille malheureuse_; _Juliette ou la suite de Justine_; _Le Portier des Chartreux_; _La France fout..._; _La Philosophie dans le Boudoir_; _Les crimes de l'amour ou le d√©lire des Passions_; en un mot toutes les ≈ìuvres sadiques du Marquis de Sade, en √©ditions originales, avec reliures √† petits fers de torture.--J'allais me livrer au plaisir de regarder les manuscrits et les dessins originaux; je mettais la main sur l'un des trois exemplaires connus du _Recueil de La Popelini√®re_: _Tableaux des M≈ìurs du Temps dans les diff√©rents √¢ges de la vie_, 1 vol. grand in-quarto, j'admirais les vingt gouaches mignardement impudiques de Car√™me, lorsque le possesseur de cette √©tonnante raret√© se pr√©senta: --¬´Ah! ah! s'√©cria-t-il, vous n'y allez pas √† la l√©g√®re, mon cher enfant, non-seulement vous avez vu la droite, le centre droit, la gauche de mon cabinet, mais encore vous contemplez en vrai gourmet, en d√©licat amoureux de la chose, la merveille des merveilles, le plus rare de mes livres rares apr√®s l'_Anti-Justine_ de Restif de la Bretonne; savez-vous que la possession de mon _La Popelini√®re_, imprim√© sous les yeux et par ordre du fermier g√©n√©ral, m'a co√ªt√© dix ans de recherches, dix longues ann√©es de fatigues et de luttes et deux mille √©cus sonnants.¬ª --C'est √† peu pr√®s le prix de mon Fragonnard Lesbien, sans omettre les luttes et les fatigues, soupirai-je avec intention. Vous n'allez pas, je suppose, me proposer un √©change? Qui sait? * * * * * Aujourd'hui le Chevalier de Kerhany est possesseur de mon Fragonnard;... mais, outre mes grandes et petites entr√©es dans son cabinet, je suis, _de par son testament_, h√©ritier pr√©somptif de l'_Anti-Justine_ et du fameux _La Popelini√®re_. FIN [D√©coration] RONDEAU AU LECTEUR _Dans mes_ Caprices _r√©dig√©s, Imprim√©s, revus, corrig√©s, Je m'aper√ßois avec grand peine Que j'ai fait plus d'une fredaine Dont mes Lecteurs sont afflig√©s._ _Des_ Errata _mal fustig√©s, En maint endroit se sont log√©s; Je les puis compter par vingtaine Dans mes_ Caprices, _Car ces √©crits tr√®s-n√©glig√©s, Ont √©t√© con√ßus, collig√©s, Et b√¢cl√©s dans une quinzaine; S'ils courent trop la pretentaine, C'est que je les ai propag√©s Dans mes caprices._ [D√©coration] ERRATA[9] Page 22, ligne 5, au lieu de: _si l'un de ses Bibliophobes_, lire: _si l'un de ces Bibliophiles_. Page 35, _sous-titre_, au lieu de: _Gauchemar √† la mani√®re de Goya_, lire: _Cauchemar √† la mani√®re de Goya_. Page 37, ligne 24, au lieu de: _Les lettres sont..._, lire: _Ses lettres sont..._ Page 46, ligne 1, au lieu de: _Germe lui_, lire: _Germe en lui_. [D√©coration] [9] _Nous n'indiquons ici que les principaux_ Errata. _Sans aucun doute, il s'en trouve quelques autres, mais leur importance est moindre et nous ne voulons pas les souligner._ (Note de l'√âditeur.) [D√©coration] TABLE DES MATI√àRES PR√âFACE AU LECTEUR 1 UNE VENTE DE LIVRES A L'H√îTEL DROUOT 1 LA GENT BOUQUINI√àRE 19 LES GALANTERIES DU SIEUR SCARRON 25 LE QU√âMANDEUR DE LIVRES 35 LE VIEUX BOUQUIN 43 LE LIBRAIRE DU PALAIS 47 UN EX-LIBRIS MAL PLAC√â 55 LES QUAIS EN AOUT 63 LES CATALOGUEURS 65 SIMPLE COUP-D'≈íIL SUR LE ROMAN MODERNE 81 LE BIBLIOPHILE AUX CHAMPS 91 LES PROJETS D'HONOR√â DE BALZAC 99 VARIATIONS SUR LA RELIURE DE FANTAISIE 107 RESTIF DE LA BRETONNE ET SES BIBLIOGRAPHES 119 LE CABINET D'UN EROTO-BIBLIOMANE 127 RONDEAU 147 [D√©coration] ACHEV√â D'IMPRIMER Sur les presses de BLUZET-GUINIER Typographe A DOLE-DU-JURA le 10 f√©vrier 1878 [D√©coration] Pour √âDOUARD ROUVEYRE, √©diteur A PARIS EXTRAIT DU CATALOGUE DES LIVRES DE FOND ET EN NOMBRE DE LA LIBRAIRIE √âDOUARD ROUVEYRE PARIS LIBRAIRIE ANCIENNE ET MODERNE √âDOUARD ROUVEYRE 1, RUE DES SAINTS-P√àRES, 1 PUBLICATIONS LITT√âRAIRES DE M. OCTAVE UZANNE PO√ãTES DE RUELLES AU XVIIe SI√àCLE _Publi√©s par Octave Uzanne, tir√©s √† 500 sur papier verg√©._ Le volume in-18 j√©sus, 10 fr.--Sur papier de Chine, 20 fr. BENSERADE, _Po√©sies_, avec un portrait et 2 vignettes √† l'eau-forte. 1 vol. Les derniers exemplaires √† 12 fr. GUIRLANDE DE JULIE (La), avec un portrait in√©dit de Julie d'Angennes et deux compositions √† l'eau-forte. _√âpuis√©._ F. SARASIN, _Po√©sies_, avec un portrait et deux compositions √† l'eau-forte 10 fr. _Du Mariage, par un philosophe du_ XVIIIe _si√®cle_, avec pr√©face. 1 charmant volume in-18 √©cu 3 fr. 50 Ex. sur Whatman, num√©rot√©s 6 fr. En pr√©paration, _Po√©sies de Mlle de Scud√©ry, Montreuil_, etc. SOUS PRESSE _Bibliographie anecdotique de Alfred de Musset._ Ce petit volume formera le tome XII de la jolie √©dition de Musset, √©dit√©e par A. LEMERRE. _Contes de Voisenon._ EN PR√âPARATION DELVAU, _Projets et notes_ | _Le Bric-√†-Brac de l'Amour_ VIENT DE PARAITRE CATALOGUE DES OUVRAGES, √âCRITS ET DESSINS DE TOUTE NATURE POURSUIVIS, SUPPRIM√âS OU CONDAMN√âS DEPUIS LE 21 OCTOBRE 1814 JUSQU'AU 31 JUILLET 1877 _√âdition enti√®rement nouvelle, consid√©rablement augment√©e_ SUIVIE DE LA TABLE DES NOMS D'AUTEURS ET D'√âDITEURS Et accompagn√©e de Notes bibliographiques et analytiques PAR FERNAND DRUJON Cet ouvrage forme un beau et fort volume grand in-8¬∫ de plus de 450 pages, et est publi√© en cinq livraisons. La 5e et derni√®re livraison contient la couverture et le titre imprim√©s en rouge et en noir, la pr√©face et la table de noms d'auteurs et d'√©diteurs. Le prix de chaque livraison est fix√© ainsi qu'il suit: Exemplaire sur papier v√©lin 2 ¬ª 50 { Exemplaires sur grand papier v√©lin anglais } 3 ¬ª { (Num√©rot√©s de 1 √† 50.) } 10 { Exemplaires sur papier de Chine. } 5 ¬ª { (Num√©rot√©s de I √† X.) } EN COURS DE PUBLICATION _Abonnement_: Un an, 6 fr. MISCELLAN√âES BIBLIOGRAPHIQUES Chaque ann√©e formera un beau volume in-8¬∫ imprim√©e avec luxe sur papier verg√© teint√©, et sera termin√©e par une table alphab√©tique des noms d'auteurs et des mati√®res, qui, en m√™me temps que la couverture et le titre (imprim√©s en rouge et en noir) sera adress√©e gratuitement √† tous nos abonn√©s. AUX BIBLIOPHILES Le but de ces _Miscellan√©es bibliographiques_, modeste dans son principe peut, par la suite, devenir plus manifeste, plus vaste, plus √©tendu, atteindre √† l'autorit√©, √† l'_Utile dulci_ d'une petite Encyclop√©die Bibliographique, telle que l'avait con√ßue et longuement r√™v√©e le doctissime et regrett√© Qu√©rard.--Sous ce titre, nous entendons grouper, √† bon escient, tous les documents rares ou curieux qui se trouvent √©pars de ci de l√†, et dont la recherche fatigue quelquefois l'esprit patient des bibliophiles; nous choisirons avec soin les questions qui se trouvent le mieux en rapport √† la Technologie du Livre, √† la Bibliognosie et aussi √† la Bibliatrique. Sans nous √©carter du domaine Bibliographique, nous esp√©rons traiter _ex professo_, pour ainsi dire, _de omni re scibili et quibusdam aliis_. Nous serons en tous points net et concis et r√©duirons √† l'art difficile de faire court, des sujets trop souvent noy√©s dans la diffusion et la prolixit√© d'un exc√®s de savoir. Cette publication paraissant r√©guli√®rement chaque mois, en mani√®re de livraison, formera annuellement un int√©ressant volume d'_Analectes_ utiles √† consulter. Une table analytique des mati√®res et des noms d'auteurs permettra aux chercheurs et aux √©rudits de puiser, dans ce v√©ritable nid √† documents pr√©cieux, avec autant de profit que dans un dictionnaire d'_ana_ bibliographique. Nous ne limiterons pas notre but au plaisir d'int√©resser, d'indiquer les _rar√¶_ aves de la Bibliophilie et de glaner dans le glorieux pass√© de la Bibliognostique; nous accorderons une place √† l'art moderne du Livre, aux Bibliophiles _militants_ de Paris, de la province et de l'√©tranger. Nous comprenons qu'en Bibliographie surtout ¬´il se faut entr'aider¬ª, et nous conserverons dans chaque livraison une ou plusieurs pages destin√©es aux _questions_ et _r√©ponses_ pos√©es et r√©solues par nos lecteurs. Cette mani√®re de _Queries_, rendant service aux uns, instruira les autres; ce sera l√† une sorte de petit _interm√©diaire_ int√©ressant pour tous. Trouvailles, curiosit√©s, renseignements bibliologiques quelconques, origines orthographes de certains mots, √©ditions douteuses, interrogations de toute genre seront ins√©r√©s. En tout et pour tout ce qui sera du _ressort du Livre_, nous accueillerons les communications qui nous seront faites, nous estimant heureux d'avoir ouvert nos confr√®res une libre ar√®ne dans laquelle chacun, √† tour de r√¥le, luttera de savoir, de complaisance ou d'√©rudition. Et, maintenant, puisse cette entreprise justifier notre devise de pr√©supposition: _Vires acquirit eundo_. _Un num√©ro sp√©cimen est adress√© gratis et franco √† toute personne qui en fait la demande_. Le Propri√©taire-G√©rant: √âDOUARD ROUVEYRE. _VIENT DE PARAITRE:- CONNAISSANCES N√âCESSAIRES A UN BIBLIOPHILE √âTABLISSEMENT D'UNE BIBLIOTH√àQUE. CONSERVATION ET ENTRETIEN DES LIVRES. =DE LEUR FORMAT ET DE LEUR RELIURE=. MOYENS DE LES PR√âSERVER DES INSECTES. DES SOUSCRIPTIONS ET DE LA DATE. DE LA COLLATION DES LIVRES.--DES SIGNES DISTINCTIFS DES ANCIENNES √âDITIONS. DES ABR√âVIATIONS USIT√âES DANS LES CATALOGUES POUR INDIQUER LES CONDITIONS. DE LA CONNAISSANCE ET DE L'AMOUR DES LIVRES. DE LEURS DIVERS DEGR√âS DE RARET√â. MOYENS DE D√âTACHER, DE LAVER ET D'ENCOLLER LES LIVRES. R√âPARATIONS DES PIQURES DE VERS, DES D√âCHIRURES ET DES CASSURES DANS LE PAPIER. SECONDE √âDITION Revue, corrig√©e et augment√©e de trois nouveaux chapitres. _Un joli volume in-12 (XVIII et 120 pages), papier v√©lin teint√©, avec fleurons et culs-de-lampe, titre rouge et noir_ 3 fr. IL A √âT√â TIR√â DE CETTE √âDITION: 50 exemplaires imprim√©s sur fort papier verg√©, num√©rot√©s de 1 √† 50 6 fr. 10 exemplaires imprim√©s sur papier de Chine v√©ritable, num√©rot√©s de 51 √† 60 10 fr. Annales de la typographie n√©erlandaise au XVe si√®cle, par F.-A.-G. CAMPBELL. La Haye, 1874, in 8¬∫ (XVIII et 630 pages), papier verg√© 20 fr. Cet ouvrage forme la statistique compl√®te de la pal√¶otypognosie n√©erlandaise, et donne la description la plus compl√®te: 1¬∫ des 665 incunables que poss√©daient d√©j√† en 1856 les d√©p√¥ts de la Haye; 2¬∫ celle des 150 anciennes impressions dont s'est enrichie depuis lors cette biblioth√®que royale; et 3¬∫ d'un millier d'impressions du XVe si√®cle. Bibliographie de Chrestien de Troyes, comparaison des manuscrits de Perceval le Gallois, par Ch. POITEVIN. Un manuscrit inconnu. Chapitres uniques du manuscrit du Mons. Autres fragments in√©dits. Leipzig, 1863, in-8¬∫ (XVIII et 186 pages) 7 fr. 50 Avec planche fac-simile. L'_Histoire litt√©raire de la France_ dit que Chrestien de Troyes m√©rite les √©loges que lui prodiguent les √©crivains ses contemporains et ceux du si√®cle suivant: ¬´par l'invention, la conduite et particuli√®rement par le style qui l'√©l√®ve au-dessus de tous les po√´tes de son temps¬ª. SUPERCHERIES LITT√âRAIRES PASTICHES, SUPPOSITIONS D'AUTEUR DANS LES LETTRES ET DANS LES ARTS PAR OCTAVE DELEPIERRE Magnifique volume petit in-4¬∫ de 338 pages, imprim√© avec luxe sur beau et fort papier v√©lin, titre rouge et noir 15 fr. OUVRAGE S√âRIEUSEMENT TRAIT√â, DIVIS√â EN TROIS SECTIONS: 1¬∫ Les pastiches et suppositions d'auteur, compos√©s avec l'intention de tromper les lecteurs. 2¬∫ Des pastiches imitations, et suppositions d'auteur, dans les beaux-arts. Et termin√© par des REMARQUES et une Table alphab√©tique de noms. TABLEAU DE LA LITT√âRATURE DU CENTON CHEZ LES ANCIENS ET CHEZ LES MODERNES PAR OCTAVE DELEPIERRE Deux magnifiques volumes de 24 pages et 318 pages, imprim√©s avec luxe sur beau et fort papier v√©lin, titre rouge et noir 25 fr. Le _Centon_, un des plus agr√©ables des amusements litt√©raires, puisqu'il a servi √† la composition de po√®mes c√©l√®bres et tr√®s-ing√©nieux, remonte tr√®s-haut et compte des noms fameux parmi ceux qui y ont pris plaisir. Ce sujet a ceci de remarquable que, depuis des P√®res de l'√âglise, des Papes et des Ev√™ques, jusqu'aux savants commentateurs et aux √©rudits philologues du XVIe et du XVIIe si√®cle; depuis des po√´tes grecs et latins des premiers temps du christianisme, jusqu'aux po√´tes et auteurs du moyen √¢ge, de la renaissance et des temps modernes; √† toutes les √©poques et dans tous les rangs, des √©crivains se sont occup√©s du _Centon_. _Vient de para√Ætre.--Envoi gratis et franco_. 1878 No 25 CATALOGUE DE LIVRES ANCIENS ET MODERNES QUI SE TROUVENT EN VENTE AUX PRIX MARQU√âS A LA Librairie √âdouard ROUVEYRE 1, rue des Saints-P√®res, 1 PARIS ACHAT--√âCHANGE--VENTE--EXPERTISE Histoire des religions, Sciences occultes, Mn√©monique, Beaux-Arts, Musique, Linguistique, Th√©√¢tre, G√©ographie ancienne et moderne, Histoire des villes et des anciennes provinces de France, Noblesse, Arch√©ologie, Bibliographie, Histoire de l'Imprimerie, C√©ramique, Histoire de France, etc. Livres curieux et singuliers. Suite de figures pour servir √† l'illustration des livres. Anciennes vues de villes de France, par Chastillon, Silvestre, etc. MM. les Amateurs avec lesquels nous avons l'honneur d'√™tre en relation sont pri√©s de nous communiquer les noms et adresses des personnes que nos catalogues peuvent int√©resser. Paris.--Imp. Tolmer et Isidor Joseph, 43, rue du Four-Saint-Germain. End of Project Gutenberg's Caprices d'un Bibliophile, by Octave Uzanne *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CAPRICES D'UN BIBLIOPHILE *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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START: FULL LICENSE THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase “Project Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg™ License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your possession. 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